L’Europe et l’islam, retour sur un fiasco

Depuis janvier 2015, l’Europe vit au rythme des attentats islamistes qui n’ont pas pour seule conséquence de créer une psychose chez les Européens. Les terroristes ne détruisent pas seulement des vies. Ils font et défont l’actualité, et modifient les rapports de forces : non contents de fragiliser des économies à peine sorties de la crise financière, ils dictent l’agenda des pouvoirs publics où désormais les politiques migratoires et la place de l’islam figurent en tête des priorités. .
L’auteur est enseignant et essayiste. Auteur de Les Juifs et la droite (Pascal, 2010), La République et les tribus (Buchet-Chastel, 2014), il collabore à plusieurs revues. Dernier ouvrage paru (avec Taly Jaoui) : Génération SOS Racisme, Le Bord de l’Eau, 2015.

En septembre 2015, les Européens prirent conscience du drame qui se jouait sur leurs côtes en découvrant la photo du petit Aylan, enfant syrien de trois ans mort noyé dans le naufrage d’une embarcation de migrants. On vit à cette occasion des personnalités pourtant peu suspectes de complaisance à l’égard de l’immigration, faire part de leur émotion. Alain Finkielkraut déclara ainsi : « L’image déchirante du petit Aylan échoué sur une plage turque échappe aux seules catégories du voir : elle nous parle, elle nous interpelle, elle nous met en question » [1]. En Allemagne, pays qui devait accueillir un million de réfugiés au cours de cette seule année, on vit même des citoyens organiser des manifestations pour souhaiter Welcome ! aux nouveaux arrivants. Cette séquence humaniste devait vite prendre fin.

De Cologne à Nice

Lorsque dans la nuit du Nouvel an 2016, à Cologne, à Hambourg, et dans d’autres villes allemandes, quelques 2 000 hommes surexcités agressent plus d’un millier de femmes, ils ne vont pas seulement provoquer blessures et traumatismes chez les victimes. Le généreux accueil des réfugiés de la guerre civile mis en place par Angela Merkel va être mis en cause. Même si la plupart des agresseurs n’étaient pas originaires de Syrie, c’est bien cette politique qui va être atteinte : l’attitude de ces arrivants de fraîche date, souvent clandestins, va susciter une vague d’indignation qui très vite prendra pour cible tous les immigrés sans distinguer entre les réfugiés et les migrants économiques, entre les clandestins et ceux qui ont légalement franchi la frontière. La vague anti-immigrés inversera le cours d’une opinion publique allemande jusque-là peu sensible au discours populiste. Le 4 septembre 2016, Angela Merkel paiera le prix de sa générosité dans son fief électoral de Mecklembourg-Poméranie occidentale, où la CDU sera devancée largement par le SPD, et même par le parti d’extrême droite AfD.

Les partis au pouvoir ne sont pas les seules victimes du retournement de l’opinion publique. De Berlin à Londres, en passant par Bruxelles et Paris, ce sont tous les Musulmans qui vont faire l’objet d’une suspicion croissante de la part de citoyens européens craignant de perdre à la fois leur sécurité et leur identité. En France, après les attentats du 13 novembre 2015 (130 morts), et celui de Nice dans la nuit du 14 juillet 2016 (84 morts) ; en Belgique, avec les attentats dans le métro et à l’aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016 (32 morts) ; en Allemagne où quatre attaques en moins d’une semaine en juillet 2016 ne firent, par miracle, qu’un seul mort ; la colère submergera le débat public : seront mis en accusation, non seulement les terroristes, mais aussi l’ensemble de la communauté dont ils sont issus. Leur religion est désignée comme la source de tous les maux. En réalité, le procès n’est pas nouveau, pas plus que le qualificatif au cœur de tous les débats : islamophobie.

Islamophobie, les enjeux d’un qualificatif

En France, depuis la première affaire du voile (1989), jusqu’à la séquence estivale sur le burkini (2016) en passant par les lois interdisant le port du voile à l’école (2004) et celui de la burka dans l’espace public (2010), le débat sur le caractère légitime ou non de la critique de l’islam occupe la première place dans la réflexion très médiatisée d’intellectuels comme Pascal Bruckner, Elisabeth Badinter, ou encore Laurent Bouvet. Le premier donnera de sa réflexion une synthèse habile : « ‘Islamophobie’ fait partie de ces mots toxiques qui brouillent le vocabulaire et le dénaturent ... soucieux d’accéder à la dignité de l’antisémitisme, il tend à faire de l’islam un objet inaccessible à la critique, sous peine de poursuites. Il devient le nouvel instrument de propagation du fondamentalisme qui s’avance masqué, drapé dans les atours de la victime. L’habileté de cette invention est de rétablir le délit de blasphème » [2]. Cette critique du terme islamophobie entend se situer sur le terrain de la liberté d’expression, de la libre pensée. Tout autre est la démarche d’Elisabeth Badinter. Elle revendique sa critique de l’islam (« Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe ») comme étroitement liée au combat pour le droit des femmes. Laurent Bouvet se place d’un autre point de vue, celui de la défense de la laïcité : « Jamais je n’aurais pensé que la laïcité, fondement de la République, redeviendrait un enjeu politique et intellectuel ». En clair, l’utilisation du mot islamophobie permettrait de masquer une remise en cause d’importants acquis de la démocratie à l’époque moderne : la liberté d’expression, le féminisme et la laïcité. Il serait donc légitime de critiquer l’islam afin d’y déceler tous les ferments du totalitarisme. Les défenseurs de cette thèse n’oublient jamais de préciser que ce droit à la critique peut aussi s’exercer à l’égard des autres religions … mais seul l’islam fait l’objet d’une telle attention de la part des défenseurs des libertés publiques. Or, comme devait le faire remarquer le rabbin Delphine Horvilleur, toutes les religions monothéistes minorent la place de la femme. On pourrait en dire autant de la liberté des mœurs enfermée dans d’étroites limites par le christianisme, l’islam et le judaïsme qui, par exemple, condamnent l’homosexualité. Et les trois religions monothéistes, refusant le monopole de l’école laïque, ont réussi à faire admettre l’existence d’écoles confessionnelles. Ce que les intellectuels en cause se gardent bien de rappeler : la critique de l’islam est devenue exclusive.

Sous cette importante réserve, on doit admettre que le terme islamophobie pose problème car il autorise bien des dérives. Créé par des administrateurs coloniaux d’anciennes possessions françaises, ce qualificatif a été popularisé par l’Iran des Ayatollahs ce qui ne relève pas du hasard. Soucieux d’échapper à toute critique de la mise en coupe réglée de la société (et d’abord des femmes), l’islamisme va user et abuser de son interprétation des textes sacrés pour ériger en dogme toute prescription concernant la conduite à tenir par les individus. L’islamisme va aussi pratiquer l’entrisme dans les sociétés occidentales en s’avançant masqué. Ainsi, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), infiltré par des islamistes, réussira à s’imposer dans le paysage communautaire, en éclipsant l’Observatoire national contre l’islamophobie, organe spécialisé mis en place par le très officiel Conseil français du culte musulman (CFCM). Le CCIF va acquérir auprès des Musulmans, et au-delà, une respectabilité en combattant avec dynamisme les expressions les plus criantes du racisme new look. Ainsi, en août 2016, il réussira à faire condamner par le Conseil d’Etat les arrêtés municipaux pris par des mairies contre le port du burkini sur les plages. C’est là toute l’ambiguïté de la situation : l’islamophobie existe bien et son expression se déploie désormais sans vergogne dans l’espace public donnant aux islamistes le prétexte nécessaire pour plaider leur innocence face au racisme. La masse des Musulmans se trouve ainsi piégée.

Musulmans piégés

Il n’est pas facile d’être musulman en Europe. Pendant longtemps, l’islam était resté confiné dans les caves, les garages, les foyers Sonacotra et les pieds d’immeubles. Cet « islam des darons » (Gilles Kepel) avait cédé la place à une présence musulmane en voie d’insertion dans la société européenne : en progressant dans l’échelle sociale, en promouvant des élites issues de la diversité, les Musulmans étaient en train de réussir leur examen de passage en Europe. A l’exception d’une minorité raciste, les sociétés européennes faisaient meilleur accueil à une religion venue de loin. En somme, la présence de l’islam dans l’espace public se banalisait [3]. Las ! La parenthèse enchantée devait vite se refermer par la conjonction de trois phénomènes : le chômage de masse qui marginalise les populations les plus fragiles ; l’économie de la drogue qui gangrène la vie des cités ; l’islamisme qui offre aux jeunes désœuvrés une voie de salut. Dans les mosquées salafistes, et plus encore en prison et sur Internet, toute une jeunesse trouvera un moyen d’échapper à ses frustrations, et développera une pratique rigoriste et le conformisme vestimentaire et comportemental qui va avec. Au bout du spectre, la fascination exercée par Daesh sur ces jeunes se concrétisera par le départ en Syrie ou un engagement terroriste en Europe de milliers d’entre eux.

Cette minorité, en dépit de la croissance de ses effectifs, terrorise les sociétés démocratiques, ces régimes bien fragiles face à l’offensive totalitaire. Plus encore, ces terroristes 2.0 provoquent une suspicion généralisée à l’égard de tous leurs coreligionnaires. Désormais privés des acquis de la période précédente, les Musulmans vivent un véritable retour en arrière. Cela les oblige à se livrer à bien des acrobaties pour pratiquer. La présence de mosquées dans le paysage national redevient un enjeu politique. Au nombre de 2 500 en France, elles ne suffisent plus à accueillir un nombre croissant de fidèles. La suggestion faite en 2015 par Dalil Boubakeur, alors président du CFCM, de racheter des églises abandonnées pour les transformer en mosquées devait susciter immédiatement une pétition : « Touche pas à mon église », fut signée par Nicolas Sarkozy et Alain Finkielkraut ou encore Eric Zemmour … alors qu’un seul cas de rachat de ce type s’était produit, et que le nouveau président du CFCM, Anouar Kbibech, déclara cette solution inadaptée. Le malaise est aussi ressenti au niveau individuel : nombre de Musulmans doivent se cacher pour pratiquer. Claude Askolovitch, dans Nos mal aimés, ces Musulmans dont la France ne veut pas  [4] en donne plusieurs illustrations. Il cite aussi l’exemple de l’employée de la crèche Babyloup renvoyée à cause de son voile alors que la Cour de cassation devait lui donner raison. En tout état de cause, la laïcité donne lieu à des interprétations abusives et est invoquée pour réclamer toujours plus d’interdictions. La tendance est nette : désormais, le voile à l’université, les menus de substitution, les accompagnements de sorties scolaires par des mères voilées, ainsi que le burkini, sont dans le collimateur des intégristes de la République. L’espace privé n’est plus à l’abri : certains demandent que le port du voile soit prohibé dans les logements où des assistantes maternelles agréées accueillent des enfants, au motif que cette forme de garde participe du service public de la petite enfance ! A quand l’interdiction de jeûner pendant le Ramadan ?

Les intellectuels, les « collabeurs », et les indigènes

Désormais, toute démarche visant à améliorer les conditions d’exercice du culte musulman fait l’objet d’un examen sourcilleux de la part des pouvoirs publics, et d’une étroite surveillance de la part d’une escouade de personnalités devenues des spécialistes de l’islam alors qu’ils ne parlent pas un mot d’arabe et n’ont jamais lu une sourate du Coran. En sus des personnalités précitées, il faut signaler des militantes féministes comme Céline Pina, des journalistes tels Ivan Roufiol, ou des essayistes qui à l’instar de Philippe d’Iribarne, pratiquent une chasse à l’intégrisme dont ils ont tendance à élargir la définition : ce n’est plus l’islamisme qui est en cause, mais l’islam lui-même. En suivant l’exemple de Michel Houellebecq qui avec Soumission [5] a enregistré un de ses plus grands succès de librairie, la technique est simple : il suffit de renvoyer toute manifestation de l’islam au risque de dérive vers l’islamisme. Ainsi, Alain Finkielkraut, qui joue un rôle-clé dans ce débat, popularise l’idée selon laquelle « le djihad est une obligation léguée par Mahomet à tous les musulmans ! Et pas le djihad au sens d’effort intérieur, non, le combat armé pour la défense et l’expansion de l’islam » [6]. Ce qui est une façon de traduire en termes philosophiques les propos simplistes d’un Philippe de Villiers : « L’islam est le terreau de l’islamisme et l’islamisme est le terreau du terrorisme ». Depuis la vague d’attentats, il est allé encore plus loin dans le sophisme [7] en déclarant : « Tous les Musulmans ne sont pas terroristes, mais tous les terroristes sont musulmans ».

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En tout état de cause, la polémique a remplacé le débat, et dans le camp opposé, la caricature vire aussi à l’insulte. Ainsi, les intellectuels musulmans critiques (Kamel Daoud, Boualem Sansal, Mohamed Sifaoui …) ou encore des humoristes comme Sophia Aram sont critiqués dans la ‘muslim sphère’ et se voient affublés de noms d’opprobre : « harki », « traître » ou « collabeur ». L’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, dit l’imam des Juifs, est devenu la tête de Turc (si l’on ose dire) dans cette mouvance. Il est désormais attaqué par des médias comme Beur-FM, que l’on avait connus plus nuancés. Le Parti des indigènes de la République (PIR) est à l’avant-garde de la contre-offensive. Quelques semaines après le 11 janvier 2015, le PIR organisait un meeting à Saint-Denis avec 82 (!) autres organisations. Il prit aussi l’initiative d’une grande manifestation le 21 mars « contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire ». Après avoir fêté ses dix ans avec Angela Davis en guest star, le PIR fut la cheville ouvrière de la « Marche de la dignité et contre le racisme » qui, le 31 octobre 2015, réunit 10 000 manifestants selon les organisateurs (3 000 selon la police), chiffres non négligeables. De toute façon, le PIR ratisse de plus en plus large, entrainant le NPA, le PCF et d’autres fractions du Front de gauche, comme le mouvement « Ensemble » de Clémentine Autain. L’évolution de cette dernière est symbolique, puisqu’après après avoir retiré sa signature de l’appel « Nous sommes les Indigènes de la République » en 2005 afin de ne pas figurer aux côtés de Tarik Ramadan, elle soutient désormais toutes les initiatives prises dans la mouvance du penseur (sic) genevois. Clémentine Autain fut à l’origine d’une polémique à la veille du second tour des élections régionales de décembre 2015 où elle était candidate sur les listes de gauche en Seine-Saint-Denis. Cela devait coûter à la tête de liste, Claude Bartolone, quelques suffrages, sans que cela suffise à expliquer son échec face à Valérie Pécresse (avec 60 000 voix d’avance). Car désormais les débats sur ces questions ont une dimension électorale qu’on ne peut plus ignorer.

Dimension électorale

Le vote communautaire est l’un des aspects du suffrage universel que l’on a longtemps cherché à occulter en France [8]. Depuis quelques années, cependant, des études sérieuses ont mis en avance cette dimension de la sociologie électorale qui explique nombre de résultats de scrutins nationaux (comme l’élection de François Hollande grâce à l’apport massif de voix des communautés gay, musulmane et noire en 2012), ou locaux (tels, on le verra, les succès de listes de droites dans des municipalités traditionnellement de gauche en mars 2014). Le vote musulman fait désormais l’objet d’une attention toute particulière dans la presse et chez les politologues [9]. Dans les villes populaires de banlieue, la composition ethnique de la population explique largement cette importance : les Musulmans représenteraient plus de 40 % du total de la population de Seine-Saint-Denis, 60 % de celle de Roubaix ... Cet électorat est en pleine évolution : massivement à gauche jusqu’en 2012 (François Hollande aurait recueilli 86 % de ses voix selon l’IFOP), lors des élections municipales de 2014, une fraction des électeurs musulmans s’est laissée tenter par la droite. Les candidats de l’UMP et de l’UDI, dans certaines communes (Aulnay-sous-Bois, Argenteuil, Asnières, Bobigny, Le Blanc Mesnil, Roubaix, Saint-Ouen …), ont su habilement exploiter le rejet par des familles conservatrices au plan des mœurs de réformes comme le mariage pour tous ou la prétendue théorie du genre [10]. De façon très significative, les divisions de la communauté musulmane dans des villes où elle est majoritaire, comme à Saint-Denis, sont devenues l’une des préoccupations des candidats [11], et le souci de ne pas heurter les pratiquants provoque bien des déviations. Ainsi, les élus de cette ville de 100 000 habitants sont accusés par Fewzi Benhabib, qui y réside depuis 1994, de « cécité volontaire » devant un « projet de société alternative, obscurantiste et communautariste [qui] ronge nos quartiers ». A Bruxelles, Philippe Moureaux, maire de la désormais célèbre commune de Molenbeek, a fait l’objet d’une sévère critique du même type. Ces polémiques sont à l’origine de nouvelles dérives. D’une part, elles amalgament (verbe à la mode) l’ensemble d’une population à des extrémistes qui sont (encore) minoritaires. D’autre part, en accusant les élus locaux de complicité et d’opportunisme électoral, ces critiques visent juste, mais oublient de mettre en perspective la dégradation du tissu urbain : pendant des dizaines d’années, le chômage, la délinquance, et la pauvreté ont produit le terreau fertile sur lequel l’islamisme peut désormais prospérer. Surtout, la mise en accusation des responsables politiques permet d’occulter une autre réalité : au-delà d’un seuil critique qui a été franchi dans toutes ces villes, elles sont devenues impossibles à gouverner sans l’accord des ‘barbus’. En d’autres termes, les islamistes, maîtres de territoires entiers, dictent aux élus locaux leur conduite dans bien des domaines.

Un nouvel agenda politique

La question ne se pose pas seulement pour les populations musulmanes. Désormais, avec le terrorisme de masse, les islamistes impriment leur influence dans l’ensemble de la société. L’impact est d’abord économique. La chute du tourisme en France (où il représente 7 % du PIB) depuis novembre 2015 explique largement le fait que la timide reprise de la croissance ait été stoppée. Gageons que la prospère Allemagne va aussi payer sur le plan économique l’opération de déstabilisation que Daesh a programmé en infiltrant les familles de réfugiés. Au total, c’est toute l’Europe, déjà mise à mal par la crise de l’euro, qui subit les conséquences de la psychose des attentats sur la consommation et l’investissement. L’économie n’est pas la seule affectée. Le climat politique est désormais étroitement dépendant de l’intensité des attentats. En décidant le Brexit, les Britanniques ont d’abord exprimé leur refus d’une Europe présentée comme une passoire pour les immigrés, les Musulmans, les terroristes. La déferlante anti-immigrés atteint même les Etats-Unis où un Donald Trump a surfé sur la vague. En un mot, ce ne sont plus les sujets classiques de la politique - la croissance, l’emploi, l’éducation, la sécurité sociale … - qui sont au cœur du débat politique, mais l’immigration et le terrorisme. Les questions de la cohésion sociale et de la solidarité ont laissé la place à celles de la sécurité et de l’identité : plutôt la survie que le niveau de vie ou la qualité de la vie. On l’aura compris : l’Europe a échoué à intégrer l’islam. Signe le plus manifeste de ce fiasco, on compte sur les doigts de la main les déclarations à vocation inclusive de ses dirigeants. Angela Merkel, en janvier 2015 fut l’une des rares à intervenir dans ce sens : « L’ancien Président allemand Christian Wulff a dit : ’l’islam fait partie intégrante de l’Allemagne.’ C’est vrai. C’est aussi mon opinion. » Le président François Hollande préfère une formule plus restrictive : « L’islam est compatible avec la République ». La question est-elle posée pour les autres religions ? La comparaison serait pourtant utile. On demande à l’islam de faire en quelques années le parcours que l’Eglise de France a mis plus d’un siècle à parcourir : entre la confiscation des biens du clergé en 1789 et la loi de 1905, bien des crises ont ponctué cette histoire qui a finalement abouti à un relatif équilibre entre une société laïque et la religion majoritaire. Rien ne permet de penser qu’avec l’islam un tel équilibre pourra être trouvé. L’islamophobie réussit à provoquer des phénomènes d’union nationale entre la droite et la gauche, et au sein de chaque camp entre les extrémistes et les modérés. Toute opinion nuancée est marginalisée, alors que ces sujets mériteraient sang-froid, réflexion, et tact : on touche ici à l’intimité de millions d’Européens, à leurs liens familiaux, à leurs croyances, à leurs mœurs ...

Gangréné par les fondamentalistes et défiguré par les terroristes, l’islam suscite désormais un rejet de la part d’une majorité d’Européens qui préfèrent adopter des réponses simples et brutales. Le djihadisme et le populisme se confortent ainsi l’un, l’autre. Nul doute qu’avec des attentats qui vont continuer, cette course à l’abime va s’accélérer. Les clones de Donald Trump en Europe ont un boulevard devant eux. Les Indigènes de la République aussi.

Philippe Velilla *

// Article publié le 10 octobre 2016 Pour citer cet article : Philippe Velilla , « L’Europe et l’islam, retour sur un fiasco », Revue du MAUSS permanente, 10 octobre 2016 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?L-Europe-et-l-islam-retour-sur-un
Notes

[2Le Monde, 31 octobre 2013.

[3Philippe Velilla, La République et les tribus, Buchet-Chastel, 2014.

[4Grasset, 2013.

[5Flammarion, 2015.

[6Débat avec Philippe Bilger organisé par Le Point, 11 décembre 2015.

[7Le Larousse donne du sophisme la définition suivante : « Raisonnement vicié à la base reposant sur un jeu de mots, un argument séduisant mais faux, destiné à induire l’interlocuteur en erreur ».

[8Philippe Velilla, Ibid.

[9Jérôme Fourquet, Karim vote à gauche et son voisin vote FN, Fondation Jean Jaurès/ L’Aube, 2015.

[10Philippe Velilla, Marine superstar, la droite inch allah et le Premier ministre Mazal Tov, (https://blogs.mediapart.fr/philippe-velilla/blog/260514/)

[11Gilles Kepel, Passion française, Gallimard, 2014.