Anti-utilitarisme et décroissance. Suite de la réunion.

Nous vivons une époque formidable. La preuve : j’ai rencontré un pape et un anti-pape le même jour ; ils étaient assis côte à côte sans se taper dessus…

Pourtant, j’ai été surpris d’entendre M. Latouche souhaiter des conversions sans révélation. Je ne suis pas en mesure de concevoir cela : il me semble que la révélation précède la conversion. Sinon, pourquoi se convertir ? Pense-t-il qu’une révélation est toujours pieuse ? Ou alors suggère-t-il qu’il s’agirait d’un conversion rationnelle, une conversion magique permettant de voir la réalité sans voile, le converti devenant un authentique, un saint, l’homme nouveau ?

Pour autant, au vu des différentes familles de pensée qui composent le Peuple Décroissant, un voile semble persister, rendant difficile les échanges internes ; les maussiens ont bien du mérite à vouloir pénétrer cet univers si semblable au reste du monde.

Vous l’avez peut-être deviné, je doute que notre perception, et donc l’accès au réel, puisse échapper, dépasser notre subjectivité… Ce qui ne signifie pas qu’il faut abandonner toute quête.
Pour autant, un style de pensée ressemble, à bien des égards, à un masque :

  • ses défenseurs semblent ne voir, entendre qu’à travers ;
    leurs comportements peuvent changer selon qu’ils doivent défendre ou non leur pensée ;
  • un esprit de clan semble régner : seuls ses membres peuvent véritablement se comprendre.

Si j’ai bien compris M. Latouche, la décroissance est un slogan provocateur incitant chacun à se démasquer, à quitter les illusions d’un monde marchand ; mais a-t-on déjà vu des humains accepter de se démasquer volontairement si ce n’est pour revêtir un autre masque plus puissant ? Les ralliements au gouvernement de personnalités que l’on croyait à gauche n’incitent pas à le croire…

M. Latouche décrit notre monde, notre société de croissance, comme la société de la démesure. Pourtant, il m’apparait au contraire que la mesure est partout, omniprésente. Même Bill Gate se limite, en « offrant » une fortune colossale à sa fondation.

En dehors des mesures que tout gouvernement se doit de prendre, peu de choses échappent à une mesure, sauf peut-être les sentiments. Lorsque qu’un patron lourdé se voit attribuer un parachute (il n’est pas en or, sinon il ne pourrait atterrir en douceur, puisqu’il est censé tomber de haut), l’unité utilisée pour mesurer la somme allouée pour ses bonnes actions est le SMIC. Ce qui sous-entend très vite que ce rapport correspond à celui établi entre la valeur de la vie d’un « grand » patron et celle d’un smicard. Si l’écart est important, c’est scandaleux. Mais de fins observateurs indiqueront que l’on ne prend pas la bonne unité : il faut comparer les patrons entre eux, et surtout s’ils sont américains…
De plus en plus, la possibilité de se soigner, de se nourrir, de se divertir, de se mouvoir,…, est mesurée, en fonction du mérite supposé de chacun, mais surtout en fonction de son compte en banque et de ses allégeances. Enrico Macias a obtenu le droit de vivre en France pour ses sans-papiers. Bien entendu, son soutien à Sarkozy n’a rien à voir. C’est sa personne, son blason qui lui donne ce pouvoir.

La démesure pose problème dans une société où, malgré les apparences, les places de chacun sont assignées. La concurrence libre et non faussée, peu de multinationales y croient, et les meilleurs hommes d’affaire sont sans doute ceux qui savent mesurer le degré de corruption à atteindre, à ne pas dépasser, pour obtenir un marché.
Aussi il me semble que la question se pose : lutter contre la démesure ne consiste-il pas à faire en sorte que chacun accepte sa condition ? On ne peut pas continuer à polluer, très bien, alors on met en place des quotas à valoriser sur un marché.

Le bien public est de moins en moins financé par de l’argent public :

  • les vacances des enfants : selon le secours populaire, un enfant sur 3 ne part pas en vacances ; les fédération d’éducation populaire s’adressent de moins en moins à un public non solvable ;
  • le mécénat se développe pour tout ce qui concerne le patrimoine ;
  • le téléthon devient indispensable à la recherche ;
  • la TVA, donc des actes de consommation individuels, va financer la sécurité sociale.

Autrement dit, le pouvoir d’achat devient un pouvoir de rachat. Ce pouvoir se mesure en euro, en dollars, en yen… il se mesure rarement en gourdes.

A mon sens, le problème de notre monde n’est pas la démesure, mais le sens et le pouvoir attribué à la Mesure.

Mais pour se réaliser, se révéler comme une photo sur une pellicule argentique, l’homme doit bien souvent dépasser ses limites, y compris la mort et le néant. Ou le croire.

Proclamer un droit inconditionnel à l’expression, aux soins, à la culture, à la vie est-il compatible avec un revenu minimum et un revenu maximum ? peut-être qu’avant un revenu, il faudrait un départ minimum ?

cordialement,

Michel

// Article publié le 10 juillet 2007 Pour citer cet article : Michel Aristide , « Anti-utilitarisme et décroissance. Suite de la réunion.  », Revue du MAUSS permanente, 10 juillet 2007 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Anti-utilitarisme-et-decroissance
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