Reconquérir les rues

L’activisme par détournement

En occupant les rues, et par extension un espace public voué à la consommation, l’activisme alternatif que prône Reclaim the Streets
propose de briser la prison de l’individualisme, par la participation massive des individus à des actions autonomes destinées à affranchir leurs activités de la logique rationnelle qui les oriente vers un but rationnel mesurable par le seul profit marchand.

Affranchir l’espace public de l’instrumentalisation commerciale à laquelle le capitalisme actuel l’a soumis, tel est l’un des objectifs de l’activisme altermondialiste. Les modes d’action collective que requiert cette orientation politique sont fondés sur la rupture avec les formes d’attachement culturel des individus au mode de vie qui quotidiennement étaie le « consumérisme » [1]. Le mouvement situationniste avait esquissé, dès la fin des années 1950, la forme que l’action devrait revêtir dans les espaces du politique, de l’économique et du culturel, en vue de préparer l’effondrement culturel d’un système - capitaliste ou communiste - soumettant les individus aux exigences totalitaires de l’économie. La construction de « situations », c’est-à-dire « d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements » [2], d’« un ensemble d’impressions déterminant la qualité d’un moment » [3], par le « détournement » des éléments culturels dominants, constituait pour les situationnistes le moyen de créer des formes d’appropriation de l’espace public affranchies de l’hégémonie des relations d’intérêt de l’économie.

Ce n’est pas par hasard que le groupe activiste britannique Reclaim the Streets, Reconquérir les Rues (RLR), se réclame de Guy Debord et des situationnistes, dans la mesure où son action vise à générer des surprises, des improvisations, tout en étant impliquée dans un contexte de fête et de jeu, renonçant ainsi à la fonctionnalité économique de l’espace public. Cette organisation a été originellement formée à Londres en 1991 autour du mouvement contre le système de promotion des voitures et de l’occupation utilitariste des rues, système bloquant le développement des moyens de transport collectifs aussi bien que du vélo dans les villes. Dès 1995, RLR pratique le « street party » comme dispositif d’action massive, mêlant le blocage physique des rues, les manifestations protestataires, les tracts, les évènements imprévus et carnavalesques, et l’Internet. Un tel dispositif constitue un moyen symbolique de transformation des rues, un espace fermé, réservé à l’usage utilitariste lié aux voitures, en un espace ouvert, libre, collectivement approprié par les hommes et leurs activités ludiques. La première principale action massive de RLR s’est déroulée à Londres le 18 juin 1998, dans le cadre du mouvement de contestation de la mondialisation néolibérale et à l’occasion du sommet du G-8 à Cologne d’Allemagne, lorsque le City a été bloquée pendant plusieurs heures par des activistes, en transformant le centre du capitalisme financier en Europe en un espace de fête et de libre circulation seulement pour les piétons.

UNE CONCEPTION NOUVELLE DE L’ACTIVISME

La division du travail social, en tant que principe du productivisme dans le capitalisme industriel ainsi que dans le capitalisme financier actuel, a même affecté l’action des opposants à ce système : ils étaient devenus les « spécialistes » du « changement social » et culturel. C’est la thèse principale de l’organisation Reconquérir les Rues [4] qui rejette cette conception de l’activisme, en la remplaçant par une vision nouvelle, plus ouverte, de l’action collective. L’ubiquité de l’action directe, de la rue jusqu’aux lieux de travail, priverait ces « spécialistes » de leur monopole de la capacité de changer la société, et transférait cet apanage activiste à n’importe qui désirait s’y impliquer. Cette conception de l’activisme, qui nie la « société des rôles », composée d’experts « aliénés » [5] à partir du moment où ils sont « au service de ce qu’ils ont créé », s’écarte du rôle de « militant gauchiste », en conférant à l’activiste la qualification de « libéral » dont l’action repose sur l’innovation en matière d’action et sur l’autonomie.

Il n’existe pas pour RLR de parti ou de mouvement social, bref de groupe social qui soit le dépositaire de la vérité-Une. Une analyse théorique, pour déboucher sur une révolution sociale, doit être développée par le plus grand nombre d’individus. Or la chute du capitalisme, explique RLR, ne saurait résulter d’une augmentation considérable du nombre d’activistes mais davantage d’un changement culturel de=ans les formes d’action. En effet, l’action directe des individus doit s’étendre à tous les domaines de l’activité sociale. « Nous essayons, argumentent les activistes, d’attaquer le capitalisme et de conceptualiser ce que nous faisons en termes complètement inappropriés, utilisant une méthode de fonctionnement conforme au réformisme libéral. »

En ce qui concerne la forme de l’engagement personnel dans l’action, RLR renonce à l’abnégation et au dévouement individuel à une cause suprême, rejette toute aspiration au sacrifice personnel issu du fanatisme de l’unique vérité qui exalte l’activiste comme héros. L’organisation RLR est un cas révélateur de l’activisme alternatif. Il s’agit d’un « réseau d’action directe » sans leader, sans organisation hiérarchique, ouvert, et dont l’activité consiste dans « l’effort volontaire, gratuit, coopératif » et sans violence d’activistes issus de divers mouvements et domaines de l’activité sociale, qui revendiquent par des actions symboliques « la redécouverte et la libéralisation » des espaces urbains [6] et, à la limite, des espaces privés du capitalisme financier. Dès son apparition, RLR protestait contre la construction d’autoroutes susceptibles de causer des dégâts à l’environnement naturel et à la vie des communautés locales. Dorénavant, il s’est développé sous la forme d’un réseau international de structures RLR autonomes, se donnant comme objectif d’homologuer la désobéissance civile non violente en tant que moyen symbolique propre à redéfinir l’espace public comme lieu de liberté personnelle et d’action collective.

La transformation des lieux publics, des endroits isolés et fonctionnellement déterminés (les rues, les centres commerciaux, les quartiers financiers et bancaires), en un espace unifié par des activités festives, nécessite une organisation par étapes, que le groupe londonien de RLR a élaboré et publié sur Internet : d’abord, la constitution d’un groupe restreint d’individus ou d’amis ayant à peu près le même point de vue et qui s’accorderont sur un plan d’action (rôles, imagination, faisabilité du projet) ; ensuite, ils décident du lieu et de la date d’action, de la publicité de cette action par tracts, affiches, messagerie électronique, etc., des invités à la fête (poètes, jongleurs, clowns, etc.), de la musique et il ne leur reste qu’à agir. La journaliste et activiste Naomi Klein, dans son livre No logo – La tyrannie des marques, en donne cette description :

Le scénario est le suivant : de même que le lieu des raves, celui de la fête RTS est gardé secret jusqu’au jour J. Des milliers de gens convergent vers le point de rencontre désigné, à partir duquel ils se dirigent massivement vers une destination qui n’est connue que d’une poignée d’organisateurs. Avant l’arrivée des foules, une camionnette équipée d’une puissance sono se gare discrètement dans la rue en instance de reconquête. On utilise alors des moyens théâtraux pour bloquer la circulation – par exemple, on organise une collision entre deux vieilles bagnoles et un semblant d’altercation entre les conducteurs. Une autre technique consiste à installer des trépieds d’échafaudages de sept mètres de haut au milieu de la voie, avec un brave militant suspendu à son sommet – les trépieds empêchent les voitures de passer, mais les piétons se faufilent entre eux ; et comme renverser le trépied ferait s’écraser son passager, la police n’a d’autre recours que de rester là à regarder les événements se dérouler. Une fois la circulation bien bloquée, la voie est déclarée « rue maintenant ouverte ». Des pancartes s’élèvent : « Respirez », « Sans voiture », et « Récupérez l’espace ». Le drapeau du RTS – un éclair dessiné sur un fond multicolore – est amené, et la sono commence à faire tonner toutes les musiques possibles, des derniers albums électroniques à la chanson de Louis Armstrong, « What a Wonderful World ». [7]

STREET PARTIES : L’ACTION AVANT TOUT

Il n’y a pas d’air libre pour les citoyens - c’est une des thèses principales de RLR – qui, au lieu de se fréquenter dans les rues, deviennent des étrangers pressés qui circulent dans les espaces urbains ; autrement dit, ils érigent leur indifférence réciproque en principe de tolérance, ce qui limite les possibilités de créer les conditions de communication ou d’échange des visions et des points de vue dans l’espace commun par excellence que tous partagent. « Il faut contrôler les rues », et le réseau RLR le propose à la société civile en organisant des « street parties », des fêtes de rue qui constituent une forme d’action directe qu’une partie considérable du mouvement alter-mondialisation a aussi adoptée.

Le réseau RLR avance le « concept de fête de rue » non violente actualisant l’activisme en tant que « forme acceptée de dissidence » et comme « théâtre de protestation » dans les rues, combinant le spectacle, la fête, l’anomie, c’est-à-dire la désobéissance civile. La résistance pacifique n’est pas une innovation des activistes de RLR. Ce qui leur appartient néanmoins en propre, c’est la protestation spectaculaire, la « fête comme protestation ». En distinguant la fête du carnaval, le groupe RLR pose le primat de la mise en scène symbolique sur la parade de masse. L’action politique que mènent les activistes de RLR n’est pas ancrée dans un espace public déterminé, qu’il soit homologué ou pas. Ils prônent plutôt que tout espace réservé du pouvoir doit être ouvert symboliquement. La protestation théâtrale satisfait ce désir des activistes de rendre transparente la colonisation par le capital de tous les domaines de la société, et cela à tout niveau (du local au global). Les fêtes de rue font de la société capitaliste elle-même, des automobilistes, des piétons, des quartiers financiers et bancaires, bref de tous les acteurs sociaux concernés par l’activité urbaine et le fonctionnement du système politico-économique, des protagonistes de cette fête.

Un activiste de RLR souligne ainsi :

Auparavant, l’action de bloquer les rues était politiquement significative ; en redécouvrant leur potentiel en tant que rues, la fête est devenue une célébration d’un monde tourné à l’envers, la libéralisation d’un espace fermé. Néanmoins, en apportant la même tactique au City, notre défi n’était pas dans la décision de se déplacer du trottoir aux rues, mais de la rue aux citadelles fermées du capital, et malheureusement beaucoup de nous étaient plus heureux de rester dans la rue, exclus de la fête réelle, celle des possesseurs du capital, rapidement clôturés, et ensuite tapés, notre frustration prenant vie dans un graffiti inimaginable – « banquier = branleur », dans le bris des fenêtres, et la reconstitution entièrement terne des moments révolutionnairement emblématiques du passé. Les documents brûlés devraient avoir plus de résonance, si ce n’était pas un événement ritualisé par une poignée de militants qui divertissent la foule avec leur audace, mais en fin de compte en réaffirmant leur propre séparation de ceux présents en tant que spectateurs. Ceci était le théâtre en tant que protestation marié avec le spectacle de la fête, le désordre anomique non raffiné des dépossédés, frustrés et furieux mais en fin de compte contrôlés, alliés à l’hédonisme de la mise en scène de la fête, qui perçoivent souvent le politique en tant qu’une distraction « off yer face – out of mind ». Ce que j’entends par « fête comme protestation », ça intervertit l’affirmation d’Emma Goldmann, souvent citée, de la révolution comme fête, et la remplace avec l’expression que la fête est révolutionnaire. Je m’ennuies en tout sens avec la « protestation », la seule notion d’une objection fragmentaire à quelque « chose », et je fête l’affirmation répétée de la « résistance » le 18 juin, déjà partout j’entends encore la même histoire sur la « protestation », comme si c’était possible de protester contre le capitalisme, de sortir un jour par an et élever une objection contre les mêmes relations dans lesquelles le reste de nos vies quotidiennes sont scellées.

LIBERER LES ESPACES PUBLICS

La « privatisation de l’espace public » se complète à travers la marchandisation de toute activité sociale enfermant les individus dans la recherche d’un degré de satisfaction due à la consommation. L’individu vit certes dans la société mais à une condition : qu’il agisse en conformité avec les autres sur la base de relations réciproques intéressées, instrumentales, ce qui suppose l’individualisation de l’espace public en fonction du coût monétaire assumé par chaque individu. Les péages par exemple dans le centre des grandes villes manifestent cette marchandisation de l’espace public au détriment des assemblés d’individus-citoyens. Selon le groupe RLR londonien, l’automobile « accentue l’érosion de la vie de quartier et de la vie communautaire qui définit la ville. Plans d’aménagement routier, parcs industriels, développements de centres commerciaux – tout cela aggrave la désintégration d’une collectivité et contribue à l’écrasement d’une localité ». [8]

La solution consiste à « reconquérir les rues », en écartant toute tentative de la part du pouvoir politique aussi bien qu’économique de monnayer l’espace public. Le groupe RLR de Toronto (Canada) écrit :

De reprendre ce qui aurait toujours dû être à nous. Pas « à nous » en tant que « club » ou que « groupe », mais à nous en tant que peuple. Peuple entier. Un « à nous » synonyme de « pas aux gouvernements » et « pas aux grandes sociétés » […] Nous voulons que le pouvoir soit redonné au peuple en tant que collectif. Nous voulons reconquérir les rues. [9]

Pour les activistes de RLR, l’économie capitaliste basée sur la division du travail social s’approprie l’espace public en le divisant en des parties fonctionnelles, « un endroit pour travailler, un autre pour « vivre », un troisième pour consommer, un quatrième pour étudier, un cinquième pour se divertir ». La désintégration de la vie communautaire en des fragments d’actes de consommation en est la conséquence évidente, alors que « le travail, la culture, la communication, le plaisir, la satisfaction des besoins, et la vie personnelle, peuvent et devraient être une seule et même chose : une vie unifiée, soutenue par la fabrication sociale de la communauté ».

Les interactions entre les acteurs sociaux forgent l’espace vital pour la respiration des communautés, les citoyens choisissant l’espace de leur communauté, la « rue », en tant que « lieu vivant de mouvement humain et de relation sociale, de liberté et de spontanéité ». Selon RLR londonien :

C’est dans les rues finalement que le pouvoir doit se dissoudre : car les rues où la vie quotidienne est supportée, subie et érodée, et où le pouvoir est affronté et combattu, doivent tourner vers le domaine où la vie quotidienne est appréciée, créée et nourrie.

La rue est un symbole extrêmement important parce que ton expérience d’intégration culturelle tout entière consiste à t’empêcher d’entrer dans la rue… L’idée est de garder n’importe qui à la maison. Ainsi, quand tu viens contester les pouvoirs, tu trouves inévitablement toi-même sur le pavé de l’indifférence, en se demandant « devrais-je le jouer en sécurité et rester sur le trottoir, ou devrais-je aller dans la rue ? » Et ce sont ceux prenant le plus grand risque qui causeront finalement le changement dans la société.

C’est dans cette direction, vers la liberté sociale, que les activistes de RLR réclament le contrôle de l’espace public, à travers la délimitation du pouvoir politique par l’action de la société civile, et la libération de l’espace public des normes utilitaristes que le capitalisme impose aux communautés pour qu’elles se conforment convenablement au fonctionnement des marchés. C’est pour cette raison que la voiture constitue pour les structures RLR le symbole de l’occupation capitaliste de l’espace public. Celui-ci appartient d’un point de vue éthique, selon RLR, aux communautés. La voiture est un monstre au service duquel les sociétés sont vassalisées. Nous lisons dans le site Web du RLR londonien :

Les rues seront-elles meilleures sans voitures ? Non, si tout ce qui les remplace sont des zones de consommation ou de « villages » commerçants bien protégés des résistances. Etre contre la voiture pour son propre bien est inepte ; la revendication d’une pièce en tant que le puzzle tout entier.

La lutte pour l’espace affranchi des voitures ne doit pas être séparée de la lutte contre le capitalisme global – car en vérité celle-là est incarnée dans celle-ci. Les rues sont aussi pleines de capitalisme que de voitures, et la pollution du capitalisme est beaucoup plus insidieuse.

D’abord, les gens arrêtent et renversent les véhicules de leur chemin… Ils se vengent du trafic en le décomposant en ses éléments originaux inertes.

Ensuite, ils intègrent l’épave de voiture qu’ils ont créée dans la barricade levée : ils recombinent les éléments inanimés isolés en des formes artistiques et politiques nouvelles. Pour un moment lumineux, les solitudes multiples qui font la ville moderne se rencontrent autrement, elles créent une population.

Les rues appartiennent aux gens : ceux-ci s’emparent du contrôle de la substance élémentaire de la ville et s’approprient celle-ci.

Nous voulons reprendre l’espace public de l’arène privée fermée. Dans la forme la plus simple, il s’agit d’une attaque contre les voitures en tant qu’acteur principal de fermeture.

C’est la revendication des rues en tant qu’espace public inclusif de l’usage exclusif privé de la voiture. Mais nous nous attachons à ça comme un principe plus large, en reprenant ces choses qui étaient enfermés dans la circulation capitaliste et en les rendant à l’utilisation collective, au peuple.

POUR CONCLURE

La libération culturelle de l’espace public peut être atteinte en procédant à son unification politique par l’action d’acteurs sociaux qui apportent à la collectivité leurs rêves, expériences, connaissances, présences. Cornelius Castoriadis, se référant à la phrase de Thucydide « il faut choisir ; se reposer ou être libre », pose le grand problème de la démocratie et de l’individualisme en mettant du côté de la liberté l’action et en assimilant l’inaction devant la télé avec l’imbécillité, avec un artefact de liberté [10]. L’organisation des fêtes de rue est une proposition faite à la société civile pour briser la prison de l’individualisme, par la participation massive des individus à des actions autonomes destinées à affranchir leurs activités de la logique rationnelle, pour parler comme Max Weber, qui les oriente vers un but rationnel mesurable par le profit marchand.

En occupant les rues, et par extension l’espace public divisé en lieux de consommation, en lieux de circulation, en lieux de travail, les activistes de RLR reconstituent symboliquement l’espace ouvert de la communauté, à travers lequel les individus structurent leurs propres réseaux de communication en un tout à multiples liens. Ces liaisons sociales unifient, non pas la fonctionnalité interne et privée des différentes parties de l’espace public divisé, mais les individualités et les collectivités qui n’adaptent pas leur comportement aux normes particulières de chaque sous-sphère publique (centres commerciaux, rues pour les voitures, espaces pour les piétons, lieux de divertissement, etc.), ou qui abandonnent les différents visages du consommateur que leur assigne la société capitaliste. La fête de rue ne forme pas une communauté, ne représente pas non plus l’intégration dans une communauté historique d’individus. Ce sont les individus qui se donnent leur propre espace dans lequel ils partagent entre eux leurs expériences. Le but de l’action directe de RLR, c’est de détourner l’usage culturellement homologué de l’espace public, à condition que tous prennent conscience que cet espace suppose l’action commune des citoyens contre le pouvoir politique et économique qui le réduit en marchandise.

L’activisme alternatif que prône Reclaim the Streets confère à l’action directe la valeur symbolique de l’occupation de l’espace public, qui est un espace pour tous, qui appartient à tous, un espace socialement et culturellement unifié. La société civile peut ainsi revendiquer son droit politique inaliénable à avoir la maîtrise de l’espace public, de l’espace par excellence de la démocratie, de l’espace de la parole confrontée à la parole. La stratégie d’action de RLR ne consiste pas en un affrontement frontal avec l’Etat, elle s’oriente vers la transformation des représentations culturelles des individus. Il s’agit d’une stratégie qui touche aux formes d’appropriation des objets et de l’espace public, une stratégie théâtralisée et carnavalesque qui nécessite l’autonomie de l’action individuelle, l’initiative, le partage au sein des groupes sociaux, l’imagination. C’est un « théâtre de protestation » qui veut montrer aux individus comment contrôler leurs vies à travers le contrôle symbolique des rues et vise à dévoiler la colonisation par le marché de tous les lieux et domaines de la société civile. L’activisme est pour RLR une manifestation de tous les jours et en tous les lieux, qui incombe à la responsabilité et la volonté de n’importe qui. Il n’y a pas des activistes spécialistes, professionnels, il y a seulement ce désir de transformer un espace public instrumentalisé et marchandisé en un espace sans frontières internes et librement utilisable par tous.

// Article publié le 27 février 2008 Pour citer cet article : Konstantinos Spiliotis , « Reconquérir les rues, L’activisme par détournement », Revue du MAUSS permanente, 27 février 2008 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Reconquerir-les-rues
Notes

[1Ce consumérisme qui, selon Benjamin Barber, « exige la colonisation commerciale de tout emplacement, la commercialisation de tout espace public ». Cf. Benjamin R. Barber, « Malled, mauled, and overhauled : arresting suburban sprawl by transforming suburban malls into usable civic space », pp. 201-220, in Marcel Hénaff & Tracy B. Strong (Edité par), Public Space and Democracy, University of Minnesota Press, 2001, Minneapolis, p. 205.

[2Guy Debord, « Définitions », pp. 358-359, in Guy Debord, Oeuvres, Gallimard (coll. Quarto), 2006, Paris, p. 358.

[3Guy Debord, « Rapport sur la Construction des Situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste internationale », pp.308-328, in ibid., p. 325.

[4Reclaim the Streets, Reflections on June 18th - discussion papers on the politics of the global day of action in financial centers on June 18th 1999, http://www.infoshop.org, octobre 1999, dernier mis à jour : 29/12/2004. Ces papiers de discussion sont rédigés par des activistes anonymes. Toute citation du Rapport considéré ou du site électronique de RLR sera sans note en bas de page.

[5L’aliénation de l’activiste-expert repose sur le fait qu’il accomplit son rôle social dans la société capitaliste qu’il combat, et cette même société lui reconnaît et, même, lui attribue la capacité intellectuelle et la connaissance nécessaire qui le différencient des autres spécialistes.

[6« On disorganization – A statement from Reclaim the Streets (RTS) London », http://www.gn.apc.org/rts/disorg.htm, 14/04/2000. Pour plus d’informations sur RLR, voir son site électronique www.reclaimthestreets.net.

[7Naomi Klein (2000), No Logo – La tyrannie des marques, Editions Actes Sud–Leméac (coll. Babel), 2002, Paris, p. 470.

[8Cité par Naomi Klein (2000), No Logo – La tyrannie des marques, op. cit., p. 485.

[9Ibid., p. 486.

[10Cornelius Castoriadis, « Stopper la montée de l’insignifiance », Le Monde diplomatique, pp. 22-23, août 1998.

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