Le cycle des technologies et son programme
Les technologies ne seraient-elles pas une solution face à la crise écologique ? C’est l’idée souvent avancée. Les TIC [1] arrivaient à point nommé : « au moment de la crise climatique, de la crise alimentaire, de la crise financière et de la récession économique mondiale, enfin de la crise de confiance dans les institutions démocratiques, qu’elles soient nationales, européennes ou mondiales. Le salut de la planète, la cohésion sociale et la reprise de la croissance sous une nouvelle forme semblent passer par la réussite et la vitesse de cette révolution [2]. » Maxime Motard montre dans cet article que les choses sont plus compliquées, les TIC se présentent plutôt dans la droite ligne des technologies qui les ont précédé. FF
La corne d’abondance Technologique fait des petits comme le poirier donne des poires. De nouveaux moyens de se connecter, de nouvelles applications intégrées à nos machines pour ne pas s’ennuyer (jamais) - et être toujours sollicités - remplissent les vitrines et vides les portefeuilles des consommateurs qui en ont les moyens. Alors que ces objets claquants connectés semblaient impossible dans nos esprits, d’un coup de baguette magique, une fois en poche, ils semblent avoir toujours été là. On vit avec les technologies, on pensent avec, on se réveille avec, on s’aime et l’on se quitte par l’intermédiaire de ces écrans qui nous permettent d’aller partout et nulle part. Nul besoin d’aborder la manière dont les produits pucés sont venus dans le décor. Les œufs du Léviathan Technologique éclosent partout. Ils n’ont jamais été votés mais ils sont là. On vit avec. L’histoire semble commencer à ce point précis où les industriels des TIC voulaient qu’elle commence. Avant la 4G il y avait la 3G puis la 2G, la 1G, et avant cela, les créateurs philanthropiques. En abrégé : on passe de Steve Jobs aux millions d’ordinateur personnels, de smartphones et de tablettes tactiles. Il n’y a pas que le progrès technologique qui soit rapide. La communication, l’information, suivent le rythme. Toujours de l’avant. Sans erratum aucun. Mais comment prolifère cette abondante technologie qui serait, nous a-t-on dit, moteur et aboutissement de l’économie immatérielle, et qu’implique cet ordre des choses qui permettrait, nous dit-on encore, de réduire l’impact de la croissance sur la biosphère ? Il faut trouver une autre façon de lire l’histoire de ces appareils, depuis l’extraction de ces composants, en passant par l’assemblage au sein d’un mode de production précis, et d’une organisation du travail particulière, jusqu’aux déchets toxiques.
On peut voir l’Occident et l’analyser en partant de l’écran d’une tablette, particule élémentaire de la société technologique qui en accouchant sans cesse et en envahissant sans arrêt le royaume de l’abondance de ses millions de petits, cherche à perpétuer un système d’accumulation et à gagner le contrôle de la population. Les industriels sont pris dans la culture de la vitesse et nous sommes confrontés à des produits (portable, tablette, ordinateur etc.) ayant une durée de vie limitée [3] ; pris dans cette même culture, incités à renouveler nos achats pour garantir la marge des marchands et approuver du même coup un système de pensée et un mode de vie. Les technologies nous servent tous les jours. A moins que ce ne soit l’inverse : « Dans les systèmes hommes-machine, précise Habermas, c’est finalement la machine qui a le dessus, il y a comme un renversement au terme duquel les instructions du programme sont dictées par la machine à l’homme. » [4]
Elles nous permettent de nous désister. C’est pas moi, c’est le programme. Renouvellent les façons de vivre, de penser, de s’enrichir, de contrôler, de réprimer, de faire la guerre. Entre « l’axe du bien et du mal », il y a un écran. A travers cet écran je ne vois pas si tu souffres et si tu saignes. Je n’entends pas les ratonnades. Je compose des chiffres et des lettres pour le grand bal mortuaire. Je me suis entraîné sur des jeux de guerre et cette fois c’est la vraie vie, convertie en chiffre et en pixels. Bientôt, il n’y aura même plus besoin de militaire pour faire la sale besogne. Les drones seront totalement autonomes.
Hors du champs militaire, on peut s’instruire, écouter de la musique, échanger des mails, appeler des ami(e)s, découvrir de nouveaux artistes, de nouvelles séries etc. Recevoir et donner : partager. Derrière cet aspect utopique, ouvert gratuit, il y a aussi le procédé que nous devons interroger. Il n’est pas neutre. « (…) dans le domaine des TIC, la haute technicité réelle ou supposée, ainsi que la complexité des circuits entre la production, l’usage et le déchet, font que les consommateurs ignorent très largement les enjeux écologiques occasionnés par des outils devenues très banals, comme l’ordinateur ou le téléphone portable » [5] Ces marchandises esthétisées sont complexes, et le caractère fétichiste inhérent à celles-ci empêche de penser ces produits – et leurs impacts -, semblant sortis de nulle part. On en parle une fois qu’ils sont déjà en circulation. On n’en parle jamais comme des objets de contrôle, d’aliénation, ou comme des gadgets de destruction massive pour la planète. Il faut pourtant remonter toute la chaîne polluante qui nous a permis d’arriver à la énième technologie sur laquelle on vient buter pour mieux l’appréhender. La pollution ne commence pas avec l’usage qui en est fait par le consommateur. L’emprise directe des nouvelles technologies sur la nature, nous dit Fabrice Flipo, se répartit en trois grandes catégories : « énergie, matières et toxiques. L’emprise se produit à toutes les étapes du cycle de vie : extraction des matières premières, raffinage, fabrication des composants puis du produit, arrivée sur les produits de distribution et de vente, publicité, usage, stockage, mise au rebut, collecte, traitement de fin de vie, avec ou sans recyclage » [6] Oublions le produit fini. Venons-en au début.
1. Déconstruction. Le portable, de quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un concentré de nuisance. Il ne peut être produit sans mobiliser une grande quantité d’énergie, et ce, notamment en raison de ses puces électroniques. « Eric D. Williams, chercheur à l’université des Nations unies, à Tokyo, a mesuré les éléments nécessaires à la fabrication d’une puce de deux grammes. Résultat : 1,7 kg d’énergie fossile, 1 mètre cube d’azote, 72 grammes de produits chimiques et 32 litres d’eau. Par comparaison, il faut 1,5 tonne d’énergie fossile pour construire une voiture de 750 kg. Soit un ratio de 2 pour 1, alors qu’il est de 630 pour 1 pour la puce. » [7] A Crolles, l’usine à puces de STMicroelectronics [8] consomme plus de 40 millions de kWh d’électricité (l’équivalent de 20 000 foyers), et 25 millions de kWh de gaz naturel par an. [9] Pour nettoyer les plaques de silicium sur lesquelles sont gravés les circuits électroniques, l’Alliance - unité de production de STMélectronics - engloutit 700 m 3 d’eau par heure (l’équivalent d’une ville de 50 000 habitants), et soumet les collectivités locales à ses exigences : 150 000 euros d’amende par heure à payer à l’entreprise en cas de défaillance dans la fourniture d’eau. [10] En 2002 l’Alliance a rejeté dans l’atmosphère 9 tonnes d’oxydes d’azote, 10 270 tonnes de CO2, 40 tonnes de composés organiques volatiles. [11] » Tout ce rejet pour quoi ? [12] La fabrication de puces servant également aux portables.
Outre ses puces, pour la production d’un portable il faut de la terre, des minerais, autant de ressources finies dont l’exploitation et l’extraction ne se font pas, là encore, sans incidences sur l’environnement. Une matière première indispensable est le condensateurs en coltan (ou colombo-tantalite), minerai malléable, résistant à la chaleur et à la corrosion. Comme le diamant, le coltan a été au centre d’une guerre pour le contrôle des ressources qui a tué plus de 3,5 millions de personnes dans sept pays depuis 1998. « Au Congo, de nombreux enfants sont retirés de l’école pour travailler dans les mines de coltan. Le minerai est acheté aux rebelles et à des compagnies minières hors-la-loi par des sociétés internationales, dont Cabot Inc. Aux États-Unis, HC Starck en Allemagne (filiale de Bayer), et Ningxia en Chine. Ces sociétés transforment le minerai en une poudre qu’elles revendent à Nokia, Motorola, Ericsson, Sony, Siemens et Samsung. » [13]. Le journaliste africain Kofi Akosah-Sarpong a révélé que des évidences de contamination par ce minéral existent et que celles-ci signalent le rapprochement entre le coltan et les déformations congénitales des bébés de la zone minière qui naissent avec les jambes de travers. [14] Ces matières premières ne sont pas infinie, elle s’extraient en dégradant la nature, et ont alimenté en RDC et pour les pays limitrophes, des tensions, des conflits et des guerres.
2. Déconstruction. Ordinateur, de quoi s’agit-il ?
Pour faire simple : un ensemble de composants électroniques assemblés au sein d’un boîtier. Les matières premières nécessaires à sa production sont exploitées un peu partout sur la planète. Voici un condensé que propose le blog « la mauvaise herbe » [15] que nous reprenons à notre compte.
Pour la production d’un ordinateur, il faut :
- 1500 à 2000 composants
- 1000 matériaux venant du monde entier
- 100 fois son poids en matières premières, dont seulement 2% se retrouvent dans le produit final, le reste devenant des déchets
- 373 fois l’équivalent en énergie d’un litre de pétrole
- 2800 kilos de matières premières dont 1500 litres d’eau
- 22 kg de produits chimiques
- 164 kg de déchets directs, dont 24 considérés hautement toxiques
Faisons un tour rapide des matières premières utilisées :
Le cadmium (« contenu dans les cartes électroniques » et « classé parmi les plus toxiques »). Le beryllium, utilisé comme isolant et matériau de contact dans les semi-conducteurs. Bien que les fabricants lui préfèrent aujourd’hui l’alumine, on le retrouve dans l’immense majorité des ordinateurs. Le beryllium est classé parmi les éléments les plus toxiques, au même titre que l’arsenic, le cadmium, le chrome, le plomb, le mercure (il agit comme un poison cancérigène « et peut rester détectable dans l’urine humaine jusqu’à 10 ans après l’exposition »). Le plomb est présent à hauteur de 20% dans le verre composant les tubes cathodiques des ordinateurs anciens. Il est aussi utilisé en association avec l’étain pour effectuer les soudures des composants électroniques sur les circuits imprimés. Le PVC (Polychlorure de Vinyle) entre dans la composition des boîtiers, câbles, claviers, souris, etc : tous les composés plastiques. Il contient des métaux lourds et du chlore. De plus, pour améliorer les qualités du PVC on trouve entre autres « les phtalates extrêmement toxiques, qui finissent impitoyablement par migrer en surface des objets en PVC. Ce phénomène est ce que l’on appelle l’exsudation : les plastifiants ne demeurent « liés » qu’un temps à la structure mère, et s’en détachent progressivement. Le PVC « transpire » alors ces plastifiants, qui se dégagent et remontent à la surface. A partir de là, l’évaporation ou le contact sont synonymes de contamination. Ce phénomène est accéléré par certaines conditions telles que la chaleur et l’humidité. Le PVC dégage également des dioxines lors de sa combustion, suspectées d’être en partie responsable du phénomène des pluies acides. » Pour conclure, le retardateur de flamme bromés entre dans la composition de tous les éléments plastiques composant un ordinateur (connecteurs, câble, circuits imprimés etc.). « Il sont considérés comme des polluants organiques persistants (s’accumulant dans les tissus vivants tels que le cerveau, le foie, la peau) (…) ». Il rentre dans la catégorie bien connue maintenant des perturbateur endocriniens. [16]
3. Mode de production capitaliste
Tous ces éléments qui composent un ordinateur sont pour une partie d’entre eux, comme on l’a vu, toxiques. L’histoire de la toxicité commence dès l’extraction des matières premières. Cet extractivisme qu’implique la technologie altère le paysage, pollue l’eau et l’air, et laisse sur place, une grande quantité de déchet ; mais il est un « dommage collatéral » indispensable pour la construction du monde technologique. L’histoire se poursuit lorsque tous ces composants se retrouvent assemblés au sein du mode de production capitaliste. Si le portable par exemple, ou l’ordinateur, ou n’importe quelle autre marchandise électronique nécessite une grande quantité d’eau, d’énergie, de minerai, pour que sa réalisation soit possible, tout ceci ne serait faire oublier que loge au sein de toutes ces machines une quantité de travail énorme, et qu’elle est le corollaire indispensable à la production de ces marchandises à l’échelle mondiale.
Pour fabriquer autant de produits, amasser les millions, bâtir des empires, augmenter d’année en année la force de frappe de l’investissement etc., ont peut dire que la technologie moderne est le fruit, pour être plus précis, de l’exploitation des travailleurs. [17] Ceci débute dès l’extraction de matières premières et se poursuit jusqu’à la production. Lorsqu’on descend dans la salle des machines où s’assemble ces composants divers, on se rend compte que le culte voué au « zéro défaut » - comme chez Samsung - ne s’applique pas pour les conditions de travail : l’hygiène et la sécurité. Chez Samsung le travail se fait dans la peur. Peur de ne pas réussir. Peur des autres, peur des maladies. [18] « Avec le docteur Kong Jeong-ok et l’association Supporters for the Health and Rights of People in the Industry (Sharps), l’avocate Lee Jong-ran a recensé cent quatre-vingt-un anciens employés Samsung souffrant d’affections diverses (leucémie, cancer du sein, sclérose en plaques...) entre 2007 et mai 2013. Pour beaucoup de spécialiste du groupe, ces maladies professionnelles sont un secret de Polichinelle. Il aura cependant fallu les fuites de liquide toxique à Hwasung, à dix minutes à vol d’oiseau des résidences de luxe autour de Suwon, pour que certains commencent à s’inquiéter. Le ministère de l’emploi a effectué une inspection spéciale et trouvé plus de deux milles violations du droit du travail en matière de sécurité. » [19]
En plus d’un management autoritaire qui brise les salariés on retrouve ici la toxicité de la technologie. Cette question concerne en premier lieu ceux qui manipulent et assemblent ces composants au profit de propriétaires qui se soucis assez peu du droit du travail et de leur santé. Les conditions de travail et l’impact de la production sur l’écosystème ne sont guère mieux dans les usines Apple. En 2010 par exemple, 137 ouvriers de Wintek ont été gravement intoxiqués par une fuite de n-hexane, un produit chimique utilisé pour nettoyer les écrans des iPhones. Un rapport publié en 2011 par un consortium de cinq ONG [20] accuse le géant américain de produire avec l’iPad et l’iPhone, un énorme volume de déchets toxiques et de ne pas agir en conséquence. Plus de 27 « fournisseurs présumés » d’Apple seraient ainsi responsables d’atteintes aux écosystèmes. De plus, selon le rapport, les habitants du village de Tongxin (province du Jiangsu), où est installé Kaedar Electronics, fournisseur d’Apple, ont un taux de cancer sidérant. Neuf des 60 résidents d’un quartier à proximité immédiate de l’usine souffrent d’un cancer ou en sont mort depuis 2007. Les habitants ne laissent jamais leurs fenêtres ouvertes la nuit car l’usine relâche « des vapeurs toxiques étouffantes » notent les enquêteurs.
4. Usage des technologies
Pour que l’utilisation des ordinateurs soit possible il y a toujours besoin d’une grande infrastructure de taille variable, servant de sites de stockage, de systèmes informatiques (data centers). Dans ces sites souvent gérés par des entreprises sont regroupés des équipements tels que des ordinateurs centraux et des serveurs. « Ces centres, véritable « usines du numérique » sont la traduction la plus évidente de l’impact physique du numérique. » [21] Tout cet appareillage électronique est très énergivore. Il réclame un système de climatisation important. Un data center moyen consomme autour de quatre mégawatts par heure, ce qui équivaut environ à la consommation de 3000 foyers américains. A l’échelle mondiale, les data centers représentent 1,5% de la consommation électrique, soit l’équivalent de 30 centrales nucléaires. [22]
De la même manière, pour que nous puissions perdre notre temps en essayant d’en gagner avec les téléphones portables, il faut qu’il y aie des antennes relais dans le paysage. Nous n’allons pas donner les équivalent énergétiques de celles-ci, mais s’intéresser à leurs impacts. Les 55 millions de téléphones portables n’ont pas le monopole de la nuisance. Les 200 000 antennes-relais étendues sur tout le territoire nous cernent de leurs ondes et nous irradient. D’abord on est cerné par celle-ci, ensuite, on se pose la question de savoir si c’est nocif ou pas, pour mettre sur le mal, après réflexion, une nouvelle rustine technologique qui limite un peu les effets négatifs de ces antennes-relais que nous ne voulions pas mais que nous avons quand même. Les personnes qui en sont proches se retrouvent impactées par ces ondes qui vont de la petite nuisance bénigne aux maux de tête important, aux nausées, aux maladies. Une fois installée, les zones deviennent à risque. La population – et les enfants en particulier – ont plus de chance de subir un cancer foudroyant ou une leucémie. [23]
Selon le bureau des statistiques nationales au Royaume-Unis, il y a eu une augmentation de 50% des tumeurs des lobes frontaux et temporaux chez les enfants entre 1999 et 2009. [24] Au Danemark, le nombre de tumeurs cérébrales a augmenté de 40 % entre 2001 et 2010 chez les hommes (par 100 000 habitants, âge normalisé) et de 29% chez les femmes. En chiffres réels, cela fait 268 hommes et 227 femmes par an diagnostiqués avec une tumeur au cerveau ou une tumeur du système central. [25]
Il est d’ailleurs démontré qu’une exposition à long terme (30 minutes de portable par jour pendant 10 ans) aux champs électromagnétiques de basses fréquences est un facteur de risque pour la maladie d’Alzheimer. [26]
Au Royaume Uni, en Allemagne et en Suède, les malades des ondes sont reconnus comme handicapés. Dans ce dernier pays, ils reçoivent des subventions pour se protéger des ondes de tous les appareils électriques (combinaison spéciale pour sortir, rideaux en métal etc.). [27]
On peut pas tout avoir : des tomates et des iPhones
« Outre l’efficacité insecticide sans égale des Gaucho, Regent et autres pesticides systémiques, la pollution électromagnétique semble avoir sa part dans le « syndrome d’effondrement des ruches », plus encore depuis l’apparition de la téléphonie « 3G », au débit plus élevé. Pour mémoire, 60 à 90 % des colonies domestiques ont disparu aux États-Unis depuis 2006. Les agriculteurs américains doivent importer des ruchers pour assurer la pollinisation de leurs arbres fruitiers. Même drame en Europe depuis une dizaine d’années : les abeilles disparaissent sans laisser de trace. » [28]
Désorientés par la 3G, le Bluetooth et le Wifi, ces insectes pollinisateurs ne pollinisent plus grand chose. Assurant la fécondation indispensable à l’apparition de fruit et de légumes (un tiers du volume de ce que nous mangeons), les abeilles sont pourtant essentiels à la vie. On peut pas en dire autant de l’iPhone.
5. Déchet et pollution.
Arrive le moment fatidique ou par mode, usure ou obsolescence programmée, nous soyons contraint de nous débarrasser des appareils technologiques qui nous entourent. La fin de l’histoire oscille entre recyclage des appareils, incinération ou exportation. Les déchets DEEE – Déchets d’équipements électriques et électroniques - s’élevaient à 74 millions de tonnes en 2014. Malgré la convention de Bâle [29] – non ratifiée par l’Afghanistan, Haïti et les États-Unis [30] - une enquête menée en 2004 par Greenpeace et Basel Action Network [31] a mis à jour un trafic illégal de déchets électroniques dans le port chinois de Taizhou : les déchets sont acheminés par cargo puis mêlés à des chargements de métaux en vrac transportés dans des centaines de camions. « Les déchets électroniques entrent toujours en masse en Chine, à travers les failles, et la plupart proviennent des programmes de recyclage de pays qui essaient d’éviter la pollution de leur propre territoire ». [32] Le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement signale l’empoisonnement aux métaux lourds des populations vivant près de décharges, comme celle de Dandora à Nairobi (Kenya). 90 % des enfants voisins sont contaminés par le plomb, le mercure, les dioxines issus des déchets électroniques. Selon BAN, plus de 500 conteneurs de matériel informatique d’occasion sont débarqués chaque mois au Nigeria pour être réparés et réutilisés. Près des trois quart de chaque cargaison se révèlent inutilisables et sont détruits sans précautions ou, pire, abandonnés dans de vastes décharges. [33] Toxics Alert estimait dans un rapport paru en 2004 que 70% des DEEE mis en décharge à New Delhi provenaient d’exportations de pays industrialisés.
Enfin, un rapport publié en 2010 par le Centre national d’information indépendante sur les déchets (CNID) et les Amis de la Terre met en avant les conditions désastreuses de recyclage et d’élimination des déchets, souvent effectués par de jeunes enfants, sans protection. Notons qu’un échantillon d’eau de la rivière Lianjuang, proche d’un village de recyclage chinois, a révélé des taux de plomb 2400 fois supérieur aux standards préconisés par l’OMS. Les échantillons de sédiments contenaient 212 fois plus de plomb que ce qui est considéré comme un déchet toxique en hollande. [34]
Même détruit, les composants technologiques continuent de faire des ravages ; détruisant à petit feu, l’organisme et l’écosystème.
En guise de conclusion.
Les fleurs technologiques qui éclosent partout ne poussent pas sur les jolies fictions de ceux qui les concoctent et vantent leur méritent. Elles prennent racine sur les ressources de la nature et le travail social ; en cela, elles ne sont en rien sans incidence sur les humains et la planète. Les nuisances sont bien réelles. Cette nocivité se prolonge dans le temps et n’en laisse rien paraître : le fumier prend forme lorsque l’obsolescence sonne l’heure, venant polluer le paysage et piller l’avenir de ceux qui n’ont rien demandé. [35]
La technologie n’est pas une marchandise ordinaire, c’est une arme à plusieurs tranchants. Elle augmente le PIB et assure la croissance des profits mais elle sert aussi renouveler la puissance militaire des États, et à assurer, en complicité avec les industriels du secteur, l’ordre social. Elle bâtit la société de la surveillance, de la délation, de la contrainte. La DGSE [36] et les grands câblo-opérateurs comme Alcatel ou Orange travaillent ensemble : sur leur câbles se branchent les mouchards numériques. Ceux qui détiennent le pouvoir on droit de nous connaître. L’inverse n’est même pas envisageable. Edward Snowden a quant à lui révélé la collaboration de Facebook, Google et autres poids lourds de la Silicon Valley avec la National Security Agency (NSA).
La technologie permet de rationaliser la pensée et l’ordre public : soustraire l’imprévu. Elle nous amène aussi à accepter un certain mode de vie ou le moyen est devenu la fin, et où le sacré – les relations humaines directes – devient profane. Elle nous fait marcher au pas. On obéit au algorithme. On voue un culte aux calculs et aux instruments de mesure. On vit l’époque branchée ou dans l’instantané il s’oublie et il se perd, les voix de ceux qui ont été intoxiqués, blessés ou tués, par un processus destructeur. Son emprise est profonde, les tentacules s’allongent au gré des innovations mais nous ne voyons qu’une partie de ce processus technologique devenu un fétiche.
Cette insouciance dépolitisée au sein de la société du spectacle est dangereuse. Elle amène le gaspillage [37], le non respect des autres et de soi.
Pour conclure, une sage citation : « On ne combat pas l’aliénation par des moyens aliénés. »