Revue du Mauss permanente (https://www.journaldumauss.net)

Marika Moisseeff

Une figure de l’altérité chez les Dentcico ou la maternité comme puissance maléfique

Texte publié le 12 juillet 2012

Paru en 2000 in J.-L. Jamard, E. Terray et M. Xanthakou (éd.) En substances. Textes pour Françoise Héritier, Paris, Librairie Arthème Fayard, p. 471-489.

Où les Occidentaux (les Dentcicos) sont étudiés de la même manière que les peuplades dont les ethnologues se plaisent à retracer les singularités culturelles. Et où il apparaît que la singularité des Dentcico est grande : « Nous avons donc affaire ici à une société où l’origine de l’inégalité des sexes est explicitement rattachée à la répartition inégale des rôles que l’un et l’autre sexes ont à jouer pour assurer la reproduction. Dans d’autres contextes culturels, cette problématique est traitée de sorte à inverser l’asymétrie première en faveur des femmes afin d’asseoir la suprématie des hommes dans le processus reproducteur : l’inégalité des sexes n’est pas abolie, elle est inversée. De fait, dans ces sociétés, la fonction procréatrice est valorisée en tant que facteur essentiel de reproduction des groupes sociaux.[ …]. Bien que les hommes ne puissent engendrer de leur corps des descendants, le recours à des manipulations symboliques complexes vient garantir, en tous les cas, leur contribution à l’aspect spirituel du processus reproducteur, quelles que soient, par ailleurs, leurs aptitudes physiques réelles. Chez les Dentcico, il en va tout autrement. On pourrait presque dire que l’égalité
concerne le droit de tout un chacun de ne pas engendrer de son corps des descendants : parce que chez les femmes ce risque est plus grand, c’est à elles que l’on offre une garantie éventuelle de non participation au processus d’engendrement, en mettant à leur disposition des procédés spécifiques. Sous sa forme positive, l’égalité prônée par les Dentcico concerne en premier lieu le droit pour tous d’accéder à la sacralité du plaisir sexuel que la fertilité féminine est censée menacer. En conséquence, les Dentcico, loin d’essayer d’inverser l’asymétrie première en faveur des femmes, liée au rôle gestationnel exclusif qui leur est naturellement dévolu, cherchent au contraire à symétriser la part qui revient à l’un et l’autre sexe dans le processus reproducteur. D’un côté, ils affirment que tout homme et toute femme est originellement bisexué, sur les plans tant physique que spirituel. De l’autre, ils élaborent des pratiques qui, en supprimant la gestation féminine, permettent de rendre équivalentes les fonctions procréatrices masculines et féminines ».
Un complément éclairant au n°39 de La Revue du MAUSS semestrielle, « Que donnent les femmes ? », qui fait suite au précédent article de Marika Moisseeff, « Mère originaire ou Lolita éternelle : les images du corps féminin dans la fiction contemporaine ». D’où il ressort que les femmes Dentcico aimeraient pourvoir être dispensées d’avoir à donner des enfants car elles voient là la condition de leur accès à l’égalité. A.C.

Nul ne pourra nier l’éclairage fondamentalement novateur pour l’anthropologie française que Françoise Héritier a apporté à l’approche du masculin et du féminin en insistant sur l’importance à donner aux représentations du corps et de ses humeurs. De fait, comme elle n’a de cesse de nous le rappeler, « le corps humain, lieu d’observation de constantes (...) présente un trait remarquable, et certainement scandaleux, qui est la différence sexuée et le rôle différent des sexes dans la reproduction. » (1996 : 19-20) Pour F. Héritier, ce point de butée irréductible à la pensée humaine serait à l’origine d’un invariant qui sous-tend, depuis la nuit des temps, l’ensemble des systèmes socioculturels, à savoir « la domination sociale du principe du masculin. » (ib. : 25) D’où l’improbable victoire des femmes dans le combat qui les oppose, dans les arènes du pouvoir, aux hommes. F. Héritier consent cependant à reconnaître - non sans quelque hésitation - que la maîtrise de la reproduction puisse représenter un pas décisif dans l’évolution du rapport homme/femme (ib. : 299). (…)

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NOTES