Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Miguel B. Longpré

L’évocation de la nation chez François Legault

Texte publié le 21 mars 2012

François Legault est le politicien (non-élu) duquel il fut le plus question au cours des derniers mois dans l’actualité politique québécoise. Ancien ministre péquiste et fondateur de la compagnie aérienne Air Transat, Legault est le nouveau représentant du changement dans la joute politique au Québec. Avant d’être officiellement un parti politique, la Coalition Avenir Québec que dirige Legault se voulait un groupe de réflexion et de consultation populaire non partisan, c’est-à-dire dans le contexte québécois, ni fédéraliste, ni souverainiste. Ici, l’important est désormais de redonner vie au Québec : il faut « solidifier les fondements de notre société [1] » pour qu’elle soit plus performante, plus attrayante et à terme, fière d’elle !

Ni souverainiste, ni fédéraliste, pour une posture nationaliste

Le texte fondateur du mouvement rendu public au début de l’année 2011 avait pour but de bien baliser le ton et l’angle sous lesquels se dérouleraient les rencontres avec les citoyens. Pour les membres de la CAQ, il allait de soi que la société québécoise avait « perdu ses repères et la confiance en elle-même » et ce, principalement en raison de l’incapacité du peuple québécois « à trouver une solution rassembleuse à la question nationale [2] ». À défaut d’être en mesure de trouver une solution suscitant de l’intérêt quant au statut du Québec à l’intérieur du Canada, Legault rétorque qu’il faut plutôt « prendre une position nationaliste [3] ». En effet, puisqu’avant même d’être fédéralistes ou souverainistes, nous dit Legault, les Québécois sont « très majoritairement nationalistes [4] ».
Dès sa naissance, le mouvement politique de Legault alimente le paradoxe. D’un coté, il avance la nécessité de réaffirmer un monde commun basé sur l’intérêt de la nation, et de l’autre il revendique le fait qu’il soit impossible pour l’instant de trouver une solution nationale au problème qui porte son nom. Mais alors, comment savoir ce qui est de notre intérêt si on ne peut pas d’abord dire qui l’on est ? Opter pour une position nationaliste ne suppose t-il pas a priori une adhésion commune dans l’acte de faire nation, quant à la nature et la fonction de la nation, et donc au final : à une résolution de la question nationale ?
Faire le choix national, et donc politique, d’éviter la question nationale demeure une posture orientée depuis LA question nationale. En ce sens, Legault ne règlera et n’évitera pas cette question taboue, soit celle qui divise fédéralistes et indépendantistes. Au contraire, il lui redonne sens puisqu’en réintroduisant la nation en tant que facteur de légitimité, il anime l’idée de faire nation et de fait, revitalise les postures indépendantistes et fédéralistes. On pourrait alors se demander si l’incohérence de Legault en ce qui a trait à la question nationale pourrait se retourner contre lui. En effet, dès lors que la CAQ fait de l’intérêt national du Québec sa marque de commerce tout en refusant de se positionner sur la question nationale, elle alimente malgré elle les questions existentielles qu’elle veut écarter. Par conséquent, combien de temps Legault pourra t-il encore tergiverser et persister dans l’économie de ces débats sans en subir les répercussions au niveau des appuis politiques ?
En ce sens, il est permis de s’interroger à savoir dans quelle mesure l’arrivée d’Option nationale, la stabilité de Québec Solidaire et la remontée du Parti Québécois dans l’opinion publique peuvent-elles s’expliquer par l’ « effet Legault » ? Évoquer le fait que « Les Québécois forment une nation » (1) est une chose, mais cela ne constitue pas en soi une solution nationale. C’est là à mon avis ce que Legault devra réaliser sans quoi les partis souverainistes seront peut-être les premiers bénéficiaires de son instrumentalisation de l’idée de la nation.
Concluons par la culture. Legault affirme que les principaux défis sur le plan culturel de la nation québécoise sont de « stimuler la demande pour les produits, […] accentuer les efforts afin d’aider à l’exportation des produits […] et assurer un financement adéquat des grands événements touristiques à contenu culturel [5] ». Avec une telle conceptualisation des enjeux en matière de culture nationale, il est à se demander si les québécois peuvent aspirer à être autre chose qu’une ressource naturelle renouvelable et exportable contribuant à l’augmentation du PIB désormais synonyme de l’état de l’État…
Miguel B Longpré
Mars 2012

NOTES

[1Texte fondateur de la Coalition pour l’avenir du Québec en ligne : http://www.coalitionavenir.org/

[2Ibid. Texte fondateur de la Coalition pour l’avenir du Québec

[3La Coalition pour l’avenir du Québec sur http://www.radiocanada.ca/nouvelles/Politique/2011/06/27/001-coalition-avenir-quebec.shtml

[4Ibid. Texte fondateur de la Coalition pour l’avenir du Québec.

[5Texte sur la langue et la culture http://www.coalitionavenir.org/