Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Jérôme Maucourant et Véronique Taquin

Les fondements du système français de retraites en question
A propos de L’enjeu des retraites, de Bernard Friot

Texte publié le 25 octobre 2010

La Dispute, 2010.

Bernard Friot défend une conception du salariat qui n’en fait pas un pur instrument de subordination et d’aliénation du travailleur : il souligne au contraire tout ce qui fait du salariat, accompagné de ses « différentes institutions constitutives » comme la sécurité sociale, la socialisation du salaire ou la qualification personnelle, un moyen d’émancipation qu’il faut défendre et développer. C’est en analysant la retraite comme l’une de ces institutions du salariat émancipateur que l’auteur définit l’enjeu socio-politique attaché à sa défense et c’est dans cet esprit qu’il critique l’argumentaire des opposants de gauche à sa réforme libérale. Entreprise passionnante, et particulièrement utile en un contexte où la gauche paraît non seulement piégée au jeu de l’argumentation libérale sur la question cruciale des retraites, mais de surcroît incapable de construire une véritable alternative économique et politique faute de propositions solides. Toutefois, la vision théorique que Bernard Friot développe à propos de l’économie des retraités n’est pas toujours convaincante et, parfois, très problématique.

I. Deux fondements du raisonnement

1. La retraite comme salaire continué et la conception du salaire


B. Friot définit la retraite comme « salaire continué » et dénonce toute dérive vers la prévoyance ou l’assistance. Il rappelle pour cela l’histoire des retraites, qui les éloigne en France de l’épargne-retraite pour les rapprocher du modèle de la retraite de la fonction publique, l’ensemble des droits salariaux des fonctionnaires étant fondés non sur leur poste mais sur leur grade, c’est-à-dire sur une qualification personnelle acquise par un concours sanctionnant une compétence. Cette qualification est acquise de façon définitive comme attribut de la personne, ce qui implique que le fonctionnaire est rémunéré également lorsqu’il n’a pas de poste, que ce soit du fait de la retraite ou d’un défaut provisoire d’emploi. B. Friot montre le rôle qu’a joué la fonction publique dans la construction de l’emploi en France, diffusant son modèle aux grandes entreprises à statut puis à l’ensemble des entreprises, par le développement des conventions collectives et du droit du travail ; plus largement, l’auteur présente le salaire comme l’institution ambivalente qui d’un côté tient encore aux institutions capitalistes et de l’autre côté émancipe le travailleur du marché du travail en lui garantissant un ensemble de droits salariaux (la sécurité sociale, la retraite, l’assurance chômage, la qualification professionnelle et ses implications…) qui allègent le joug de la valeur travail. La retraite par répartition, telle qu’elle a fonctionné en France jusqu’aux premières atteintes dont elle est la cible à partir de 1987, repose sur la part indirecte du salaire (cotisations patronales et cotisations du salarié) et est un salaire continué — d’où son calcul, avant la réforme, au plus près des conditions du départ en retraite : en référence aux derniers salaires et non pas à la moyenne des années antérieures, et avec une indexation sur les salaires et non pas sur les prix.

2. Le faux problème démographique

Fondamentalement, B. Friot récuse tout raisonnement sur les retraites reposant sur le pseudo-problème démographique qui exigerait une réforme du système par répartition assis sur des cotisations sociales, et cela même si l’on prétendait y répondre par la recherche du plein-emploi ou bien par la taxation des revenus financiers non investis [1]. Il n’y a pas de problème démographique pour B. Friot, en ce sens que l’augmentation de la part des retraités par rapport à celle des actifs doit logiquement être financée par une augmentation des cotisations, patronales et salariales, prises sur la valeur ajoutée et donc sur des gains de productivité, qui sont réels et ne devraient pas revenir avant tout au profit [2]. C’est pourtant le cas depuis trente ans, ce qui explique que la part des salaires dans la valeur ajoutée ne soit plus aujourd’hui que de 60%, au lieu de 70% auparavant, la différence allant désormais aux profits du capital : cette différence donne une large marge de manœuvre pour le financement des retraites. À cet argument fondamental s’en ajoutent plusieurs concernant la faisabilité du procédé : par exemple, il suffirait d’augmenter de 0,37% le taux de cotisation patronal par an, soit un quart du taux de croissance [3] ; ou encore, la société a déjà supporté dans les cinquante dernières années une augmentation du poids des pensions de 5 à 13% du PIB, elle pourrait supporter une augmentation de 13 à 18% dans les cinquante prochaines années, le PIB continuant de croître tandis que la proportion d’actifs occupés reste stable [4].

II. Contre les conceptions éloignant la retraite du salaire continué

Sur cette base, il est possible de rejeter catégoriquement toutes les conceptions des retraites qui les éloignent du salaire continué, qu’il s’agisse de l’épargne-retraite, du revenu différé ou de l’allocation tutélaire.

1. L’épargne-retraite

Elle est souvent critiquée pour son manque de fiabilité (les prestations appuyées sur la Bourse ne peuvent être garanties : voir par exemple les pertes des retraités étatsuniens du fait de la crise actuelle), et comme système très inégalitaire (puisque les capacités d’épargne des uns et des autres sont très inégales). Mais elle doit l’être aussi pour des raisons de principe qui tiennent à ce qu’elle est fondée sur une « propriété lucrative » [5]. L’épargne ne peut venir au secours en cas d’insuffisance du travail à l’avenir, car qu’on soit en répartition ou en capitalisation, c’est toujours le travail de l’année qui produit la richesse correspondant à la monnaie finançant les pensions de l’année. Pourquoi donc la défendre alors ? C’est que la propriété de titres financiers permettrait de ponctionner le monde entier au cas où le travail exploitable viendrait à manquer dans le pays (ponctionner les Chinois, qui ponctionneront les Africains, qui ponctionneront la Lune…) [6]. L’auteur s’amuse de l’aveu d’immoralité que comporte toute la propagande en faveur de l’épargne-retraite : car celle-ci repose sur l’idée que, « nécessairement, la rente progresse plus vite que les salaires, et d’autant plus vite que les salaires stagnent. Elle vient d’un « retour sur investissement » par définition supérieur au rythme de la production : si tout le monde était rentier, personne ne le serait. Se faire gloire, comme le font les réformateurs de ce que « la rentabilité moyenne d’un euro investi dans la capitalisation est trois fois supérieure à la rentabilité d’un même euro placé dans la répartition », c’est avouer très ingénument que toute épargne retraite est le vol d’une minorité sur le travail d’autrui » [7].

2. La solution suédoise du compte individuel notionnel

Cette solution (la plus probable chez nous, tant elle semble séduire à la fois la droite et une bonne partie du PS…) est critiquée par B.Friot comme reposant sur une stricte contributivité : chacun est censé retrouver à sa retraite des droits fondés sur les cotisations versées durant sa vie active (c’est le thème de la « neutralité actuarielle individuelle »), les comptes étant tenus comme s’il s’agissait d’une épargne individuelle, quoique les sommes ne soient pas effectivement placées en bourse [8] et qu’on reste bien dans le cadre de la répartition, dans la mesure où ce sont les cotisations de l’année versées par les actifs qui financent les retraites de l’année. Cette solution implique en fait un raisonnement sur la pension comme revenu différé (le modèle étant bien le compte épargne, même s’il ne s’agit que de points) ; de plus elle encouragera la capitalisation en complément de la répartition ; elle présente aussi l’inconvénient d’une solution technique évitant tout débat public sur la révision des paramètres (le montant des pensions dépend de l’espérance de vie de la cohorte, en évolution) ; enfin la publication d’une reconnaissance de dette du régime à l’égard des ménages ne manquera pas de susciter des discours alarmistes justifiant la baisse des dépenses publiques [9].
C’est dans le même esprit qu’est soumise à une critique serrée l’adaptation du modèle suédois par Antoine Bozio et Thomas Piketty [10] : elle est mise en cause pour son aggravation de la contributivité (à chacun selon sa mise, et même selon l’espérance de vie de sa catégorie socio-professionnelle) [11], mais également pour l’absence de « sécurité suffisante sur le taux de rendement » des cotisations [12], pour l’aggravation des réformes antérieures s’agissant de la durée de cotisation, « pendant une période transitoire » [13], et s’agissant de la base de calcul des pensions, sur la totalité des salaires de la carrière (ce qui « diminuera les droits de tous, y compris les plus faibles, mais ceux des cadres davantage que ceux des ouvriers ou des employés » [14]). Enfin, cette adaptation du modèle suédois conserve l’appel à la capitalisation complémentaire, ce qui fait que, comme dans le modèle suédois, on associe étroitement pensions et prévoyance, faisant de la retraite un revenu différé [15].

3. L’allocation tutélaire

L’allocation tutélaire est la troisième dénaturation de la retraite comme salaire continué, et l’auteur s’y attaque [16] dans une vigoureuse critique de la victimisation des travailleurs pauvres, peu qualifiés et surtout disqualifiés [17]. Cette critique d’une tendance idéologique est assortie d’une analyse de faits précis qui la conforte (voir notamment la victimisation des « jeunes » et l’instrumentalisation de la catégorie comme moyen de pression à la baisse sur le marché du travail à la fin des années 70 [18], ou bien encore l’exonération des charges patronales justifiées aujourd’hui par la victimisation de la moitié des salariés sous divers prétextes [19]). Or cette victimisation, sous prétexte de sauver l’emploi victimisé, autorise le gel des cotisations patronales qui constitue « l’arme absolue pour imposer la baisse des taux de remplacement ou l’allongement de la durée de cotisation » [20].

III. De la retraite comme salaire continué à l’extension des droits du salariat

1. De la cotisation sociale à la cotisation économique

Le plaidoyer de B. Friot en faveur du salaire, de la retraite comme salaire continué et de tout ce qui dépend d’une mutualisation du salaire (la sécurité sociale en particulier) se prolonge dans une proposition intéressante : puisque la mutualisation du salaire par la cotisation sociale permet de financer la protection sociale sans recours à l’épargne, et en dehors d’une logique d’assistance appuyée sur une fiscalisation des ressources, on pourrait imaginer une « cotisation économique » pour financer sans épargne l’investissement [21], ce qui permettrait à la fois de sortir de la logique de l’accumulation financière, de se débarrasser des « institutions parasitaires du capitalisme » que sont le crédit bancaire et la Bourse [22], et de « fonder le droit des salariés à définir les fins et les moyens du travail » [23].

2. Pour un salaire universel fondé sur la qualification personnelle

Enfin, « la liberté et le bonheur des retraités au travail » sans subordination et en dehors du marché de l’emploi « doivent devenir », pour B. Friot, « le fait de tous ceux qui sont au travail » : « à leur exemple, la qualification personnelle doit remplacer l’emploi comme support de droits sociaux et économiques » [24].
Mais puisqu’il propose d’étendre à tout citoyen, à partir de 18 ans, la qualification personnelle qui devrait justifier l’accès à un salaire à vie, dépendant de la qualification et non pas des aléas de l’emploi (donc du pouvoir de l’employeur), l’auteur doit distinguer nettement sa proposition de l’idée d’un « revenu universel » [25]. Alors que le « salaire universel » est bien relatif à un travail producteur de richesses, le « revenu universel » devrait provenir d’un patrimoine collectif. Or les ressources proviennent nécessairement du travail, « aucune ressource ne peut sortir d’un patrimoine sauf par l’usage d’un droit de propriété lucrative expropriateur », et « le caractère collectif du patrimoine sur lequel les personnes auraient un droit de tirage ne change rien à la chose ».

IV. Les limites de l’argumentation de B. Friot

Pour fonder sa conception de la retraite comme salaire continué, B. Friot veut à tout prix attribuer un « travail » aux retraités. Celui-ci, délivré de la « valeur travail » est parfois bien difficile à définir, même si « le travail n’a pas d’essence » selon l’auteur, et même s’il est entendu qu’au pire, paressant devant la télévision, les retraités seraient moins nuisibles qu’un marchand d’armes ou qu’un conseiller en communication dont le travail est pourtant socialement reconnu et consacré à la production de marchandises capitalistes [26]… L’auteur semble pourtant détenir lui-même la réponse au problème, lorsqu’il invoque, à propos du cas-limite du retraité en perte d’autonomie ou grabataire dont on ne saurait définir le travail, un droit de citoyenneté. Pourquoi refuser de voir dans la pension un dû de la société au salarié qui a travaillé et qui a cotisé, quitte à rejeter les comptes de points destinés à garantir la contributivité du régime [27] ?
En développant ainsi de façon discutable l’hypothèse du « salaire continué », et en assimilant l’activité des retraités à un « travail », . B. Friot soutient de facto que la sanction monétaire d’une activité sociale serait la preuve décisive de sa reconnaissance sociale. A contrario, comprendre le temps de la retraite comme une émancipation radicale de la logique de la production économique serait, selon lui, une concession à la mentalité de marché dominante, selon laquelle le seul travail productif de marchandise mériterait rémunération. Procédant ainsi, l’auteur semble être prisonnier des cadres culturels de la société de marché qu’il combat. En effet, la monnaie est une institution centrale du capitalisme. Non pas seulement parce qu’elle est ce système de règles organisant la création, la circulation et la destruction des dettes économiques, mais aussi parce qu’elle est cette façon particulière de penser le monde, le vouant à la mise en équivalence généralisée de ses éléments constitutifs, réduisant ses qualités à de simples quantités. C’est bien l’emprise de la monnaie qui rend possible la folie contemporaine de l’évaluation systématique qui devient sa propre fin. Or, une pensée de l’émancipation se doit être vigilante devant l’extension infinie de cette mise en forme de l’économie et de la société. Il n’est donc pas vrai que refuser la reconnaissance monétaire des activités des retraités soit une expression de l’aliénation aux catégories du monde capitaliste.

La critique de la notion de « travail » des retraités ne peut se limiter à sa dimension culturelle. Économiquement, il convient de s’interroger sur le sens et les conséquences d’une monnaie rémunérant une activité libérée des contraintes de la production marchande ou étatique. Comme nombre d’activités socialement nuisibles, comme la production d’armes, donnent naissance à des revenus monétaires, pourquoi ne pas, dès lors, instituer des flux de monnaies sanctionnant l’utilité sociale des retraités bénévoles, ce qui les instituerait comme sujets productifs et non comme êtres dépendants de l’économie de redistribution ? Nous nous proposons de répondre négativement à cette suggestion en rappelant la logique de deux modèles simples.
Dans un premier modèle, où la production sociale est totalement marchande, la croissance du revenu monétaire accompagne celle de la production. Les signes monétaires créés manifestent simplement la validation du caractère social de la production. Nulle inflation déréglée du signe dans ce cas, mais seulement, peut-être, une orientation douteuse de la production sociale. C’est ici que nous voulons signaler que le système de B. Friot contient un biais inflationniste. Que les retraités se prodiguent à leurs proches ne justifie pas de leur d’attribuer des créances sur la production marchande qu’ils n’augmentent pas. Les valeurs d’usage des biens ou services sont une réalité distincte de royaume de la valeur d’usage. On pourrait, toutefois, insister, dans une veine inspirée par Veblen, sur l’idée que des revenus monétaires sont déjà issus d’anticipations de richesses marchandes bien particulières, fondées sur des réductions de production. Songeons aux brevets, qui sont des formes institutionnalisées du sabotage capitaliste. Cependant, on ne résoudra pas ces dommages en ajoutant d’autres créances sur la production marchande.
L’existence d’une économie mixte, notre second modèle, où les secteurs public et privé auraient un droit égal à l’institution monétaire, infirme-t-elle ce qui vient d’être dit quant à l’échange marchand comme système  ? Autrement dit, l’économie publique, qui pourrait théoriquement se financer par des avances monétaires, comme l’est le secteur privé, pourrait-elle être un modèle pour cette économie dont les retraités bénévoles seraient les acteurs essentiels ?
Rappelons, à cet égard, que les services publics, même s’ils sont financés sur un mode redistributif, ne sont aucunement des « prélèvements » que supporterait la production marchande. Une décision politique a simplement décidé le financement socialisé d’un certain nombre de travaux mobilisés ainsi dans la sphère publique ; l’impôt est un prix politique. C’est pourquoi la plupart des prétendus « prélèvements obligatoires » ne sont que des prélèvements obligés, dont l’ampleur révèle une préférence culturelle ou un état des rapports de force existant dans la société. De ce point de vue, le principe de redistribution est une façon d’organiser la division du travail via une autorité sociale. Ce prix politique n’est pas plus problématique, que ne le sont les prix de marché. Supposons-le trop faible : ce prix signifierait alors une déqualification de l’économie publique, une baisse de son efficacité. Trop élevé, il pourrait être perçu comme une rente ponctionnée par un capitalisme d’Etat parasitaire. C’est ainsi une convention sociale qui sanctionne la valeur de ces travaux mis en œuvre sur une base publique.
Parce qu’elle réussissait aussi bien, sinon bien mieux, que la division marchande du travail, l’économie de redistribution a été encouragée, réalisant les performances caractéristiques d’une économie développée : régularité (du fonctionnement), fiabilité et impersonnalité (des prestations). L’économie publique, notamment celle des services publics, a ainsi substitué à la contrainte marchande une contrainte publique capable de satisfaire des attentes typiques d’une société où la division sociale du travail est complexe. Les revenus monétaires d’une telle société peuvent provenir d’une source publique ou privée, peu importe, pourvu que la production, que sanctionne la monnaie « équivalent général », satisfasse aux conventions qui fondent la production.

Or, la libération des contraintes, typique de l’économie bénévole, rend problématique l’assimilation des créations de cette économie à la production de l’économie publique. À la différence du travail, qui est l’activité spécifique de l’homme dans les contraintes de la production socialisée, l’activité autonome du retraité est parfaitement libre. Alors que pèsent des contraintes formelle et globale sur la production publique comme privée, l’implication du retraité bénévole s’inscrit dans des dimensions personnelles et locales. Une telle activité créatrice de bien-être n’est pas un travail que la monnaie comme équivalent général peut sanctionner : cette activité n’a pas la caractéristique de l’abstraction telle que la promeut la production publique ou marchande.
Toutefois, elle a une légitimité croissante dans les temps que nous vivons, du fait même que le don, que constitue cette activité, a des qualités éminentes que rend possible la libération des contraintes ordinaires de la production ; le don peut, en effet, avoir cette qualité de production et de réparation du lien social dans ce qu’il a parfois de plus élémentaire. Les préoccupations, très contemporaines, autour de la question de la sollicitude, du care témoignent de cette nouvelle forme de la question sociale à l’époque du capital mondialisé.

Remarquons néanmoins que le don des retraités peut fort bien s’inscrire dans une démarche de service public [28] ou dans le cadre des « systèmes d’échanges locaux ». D’ailleurs, les monnaies à usages spécifiques typiques de ces systèmes, sont différentes, par nature, des monnaies tous usages [29] du capitalisme. Il y a, ici, une opposition entre l’impersonnalité marchande-étatique et la « personnalité » du don, une opposition de principe qui n’empêche pas que l’articulation des formes d’intégration socio-économique – que sont l’échange, la redistribution et la réciprocité - soit la clef de la bonne institutionnalisation du processus économique. Nous savons que l’économie sociale et solidaire est, en elle-même, une hybridation de ces formes : d’où son intérêt crucial en ces temps de fragilisation du lien social. De ces considérations, nous tenons que, d’un point de vue théorique, c’est l’économie de redistribution qui règle le paiement des retraités : il y a peut être « continuation du salaire », mais sous une autre forme que la contrepartie de l’exercice d’un travail, lequel, par définition, s’inscrit dans les contraintes fortes tenant aux caractéristiques des sociétés où les niveaux de socialisation des forces productives est sans cesse croissant.
Nos réserves n’enlèvent rien à la qualité essentielle d’un ouvrage qui illustre la puissance émancipatrice du salariat et démontre, à l’envi, qu’il n’y a pas une question de financement des retraites mais un enjeu fondamentalement politique.

NOTES

[1p. 109.

[2p. 89, p. 113, p. 116.

[3p. 118.

[4p. 114, p. 117.

[5Par opposition à la propriété d’usage, comme celle du logement ou d’une voiture.

[6p. 102.

[7p. 103.

[8C’est cette fiction du calcul qui explique le terme « notionnel ».

[9p. 105.

[10p. 55.

[11p. 56.

[12p. 56.

[13p. 57.

[14p. 59.

[15p. 60.

[16p. 78-84.

[17L’ultra-libéralisme le plus agressif ne peut se passer de la compassion à l’égard des plus « fragiles ».

[18p. 83.

[19p. 84.

[20p. 89.

[21« De l’ordre de 35% du salaire brut », p. 108.

[22p. 108.

[23p. 153.

[24p. 167.

[25p. 154.

[26p. 121.

[27p. 75, B. Friot rejette comme contradiction dans les termes l’expression de « salaire différé ».

[28Comme c’est les cas fréquemment par les biais de bien de « centre sociaux » dépendant in fine de la redistribution.

[29Voir M. Cangiani et J. Maucourant (2008), Essais de Karl Polanyi, Seuil.