Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

RDMP

Bibliothèque du MAUSS n°31

Texte publié le 21 février 2009

WATERS Lindsay, L’éclipse du savoir, 2008, Allia, 137 p, 6, 10 €.

« Je n’ai pas d’objection à ce que vous pensiez lentement. J’en ai à ce que vous publiiez plus vite que vous ne pensez », écrit Paul Audi, cité en exergue de ce livre dont la lecture s’impose à tous ceux qui sont persuadés que « l’idée de l’université comme lieu de questionnement libre » (p. 24) est plus que menacée, peut-être déjà à peu près définitivement morte et enterrée. Non que la lecture en soit totalement aisée ou toujours parfaitement convaincante. L’auteur (ou l’éditeur ?) a rassemblé une série de petites conférences sans trop se soucier d’éviter les redites ou les contradictions au moins apparentes. Ce qui est clair, c’est que plus personne n’accorde d’importance ni aux « humanités » ni à la théorie (p. 110 sq.). L. Waters écrit ainsi très justement que « le bruit s’est aujourd’hui répandu dans le monde universitaire que les idées doivent être évitées. La critique la plus dévastatrice que l’on puisse adresser à un chercheur est qu’il a de « grandes idées ». Les pages les plus intéressantes du livre sont sans doute celles que Waters consacre au théoricien décontructionniste, forcément déconstructionniste, de la critique littéraire, Stanley Fish, qui soutient clairement et cyniquement que tout ayant déjà été dit et que rien de pertinent ne pouvant plus être énoncé en dehors de champs de spécialisation de plus en plus resserrés, les jeunes gens doivent faire profil bas et renoncer à tout espoir de s’égaler aux grands anciens. En un mot, « la théorie est un projet impossible qui n’a aucune chance de succès » (cité p. 117). Plus généralement, partout, dans le domaine des humanités et des sciences humaines et sociales on assiste au triomphe du règne de l’insignifiance si bien annoncé par C. Castoriadis. La question toutefois est de savoir pourquoi. L. Waters est bien placé pour porter sur la situation un diagnostic éclairé puisqu’il est un des principaux responsables des Presses universitaires d’Harvard. Mais, peut-être parce que l’ouvrage est composé de textes écrits à des périodes différentes, les réponses proposées peuvent semble étonnamment opposées. Au début L.Waters nous explique que cette montée de l’insignifiance est due à l’explosion du nombre de livres publiés et cela en raison des subventions étatiques aux bibliothèques. Par exemple, en 1980, les presses de Cambridge et celles d’Oxford publiaient respectivement 543 et 802 titres par an, et, en 2000, 2376 et 2250. Il y a là un équivalent des bulles spéculatives sur le marché financier et hypothécaire. Plus personne ne peut lire sérieusement une telle production qui aboutit à noyer les bons livres sous le flot écrasant des mauvais (p. 32). Qui, d’ailleurs, ne se vendent pas. Dans le secteur des Humanités, les ventes moyennes sont ainsi passées aux États-Unis en 30 ans de 1250 exemplaires à 275. Mais la frénésie productiviste s’est déplacée des livres aux revues, à telle enseigne que là où au début de son livre L. Waters se plaignait du trop plein de livres, il déplore ensuite le fait que les bibliothèques universitaires s’y intéressent de moins en moins et se retrouvent contraintes d’acheter les revues reconnues (classées A) que les éditeurs leur vendent à prix d’or. C’est ainsi par exemple que là où en 1980, 65% du budget des bibliothèques de l’université de Californie allaient aux livres et 35% aux revues, « à présent, en 2003, c’est 20% pour les livres et 80% pour les revues. Les bibliothécaires, conclut l’auteur, ont été incapables de protéger les budgets consacrés aux livres des éditeurs commerciaux rapaces qui les escroquent avec leurs revues ». On sait que désormais en France, dans les systèmes d’évaluation des chercheurs et universitaires, de plus en plus mécanisés et procéduralisés, l’écriture d’un livre n’est plus guère considérée comme un facteur positif, quand elle n’est pas tenue pour un signe d’archaïsme ou d’amateurisme coupable. Sur les raisons de ces évolutions, L. Waters nous suggère quelques éléments d’explication qu’il faudrait sans doute systématiser davantage pour mieux comprendre la logique d’ensemble. Ce qui donnerait à peu près l’enchaînement suivant : l’augmentation massive du nombre des universitaires a entraîné une certaine prolétarisation et parfois même lumpenprolétarisation du corps et une pression de plus en plus forte à la publication à tout prix (le fameux publish or perish) pour tenter de sortir de l’anonymat. D’où une surproduction de livres de plus en plus illisibles quantitativement et qualitativement. Les lieux de légitimation se déplacent alors des livres aux articles publiés dans des revues elles-mêmes de plus en plus hiérarchisées et dont le commerce s’avère de plus en plus lucratif pour les grands éditeurs anglo-saxons qui tiennent le haut du pavé et imposent la nouvelle norme auto-renforçante à travers l’évaluation automatique par les moteurs de recherche (cf. googlescholar) qui aboutissent aussi à conforter la place éminent des universités anglo-saxonnes dans le classement de Changaï. Dès lors c’est le sauve qui peut généralisé. Plus personne n’ayant le temps de lire quoi que ce soit, et ne sachant d’ailleurs plus quoi lire, les bureaucraties affolées tentant à tout prix d’augmenter la cote automatique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche dont ils ont la gestion en charge, le système tend vers la folie absolue du procéduralisme intégral dans lequel tout le monde se décharge de la responsabilité d’avoir à lire et à énoncer un jugement sur les collègues en abandonnant cette tâche à l’informatique. Ce qui disparaît dans l’affaire, c’est la responsabilité d’avoir à penser, c’est à dire de mettre en rapport ce qu’on sait et découvre dans son champ de connaissances particulier avec d’autres champs. Avec la vie. Mais beaucoup de ces choses avaient déjà été annoncées et analysées beaucoup plus en profondeur par Michel Freitag dans son livre Le naufrage de l’université (Ed. la Découverte/MAUSS).


MUSSELIN Christine, Les universitaires, 2008, Repères, La Découverte.

Lectures à compléter, pour aboutir à un diagnostic plus fin et nuancé, par la lecture de ce petit livre, très synthétique, clair et informé.


DEWITTE Jacques, L’exception européenne. Ces mérites qui nous distinguent, Michalon, 2008, 181 p, 18 €

Depuis ses débuts, parallèlement à sa critique de l’utilitarisme et à sa dénonciation de l’économisme généralisé, le MAUSS mène le combat – assez retombé il est vrai ces derniers temps pour tout un ensemble de raisons sur lesquelles ils serait bon de revenir – contre ce qu’on pourrait appeler l’universalisme abstrait occidental. En ont témoigné notamment dans les débuts le Plaidoyer pour l’autre de Gerald Berthoud (Droz) et L’occidentalisation du monde de Serge Latouche (La Découverte) et de très nombreux articles parus dans le Bulletin du MAUSS. Mais jusqu’où pousser cette critique de l’universalisme et de l’Occident ? S. Latouche a été dans cette voie le plus constamment radical – joignant son relativisme généralisé à un nominalisme revendiqué haut et fort, mais suffisamment conscient malgré tout des périls d’un hyperrelativisme - nécessairement autoréfutant – pour se revendiquer finalement d’un pluriversalisme. G. Berthoud pour sa part a vite pris ses distances avec un anti-ethnocentrisme occidental trop aisément susceptible de faire les délices d’une Nouvelle Droite défendant l’Occident européen vs. les États-Unis au nom, paradoxalement, de l’égale dignité de toutes les cultures. Quant à moi (A.C.), j’ai vite plaidé pour ce que j’ai appelé un universalisme relativiste. Oxymore ? Je ne le crois pas, mais, on le voit, l’affaire est complexe et truffée de paradoxes. C’est cette dimension paradoxale que notre ami Jacques Dewitte affronte ici directement en prenant appui sur un article de l’ancien marxiste et critique du marxisme L. Kolakowski, qui lui semble aller dans la résolution du problème posé plus loin que ne l’avait fait Castoriadis dans ses débats avec le MAUSS (Cf. La Revue du MAUSS semestrielle n°13 et n°14, 1999) - bien rappelés et analysés dans l’ouvrage par J. Dewitte – où il défendait une position que j’avais cru pouvoir résumer alors dans l’affirmation suivante : « toutes les cultures sont égales, mais certaines (la nôtre en l’occurrence) sont plus égales que d’autres ». Et telle est en effet la position que Kolakowski, repris et prolongé par Dewitte, défend en en assumant pleinement et explicitement sa teneur en effet paradoxale. Oui, il y a bien une supériorité de la culture européenne, mais qui tient tout entière au sentiment de sa fragilité et de sa faiblesse. C’est cette incertitude, hérité du christianisme (« religion du compromis perpétuel entre des pôles antagonistes » de la divinisation et de la condamnation du monde (p27)) qui la pousse à douter de soi, à s’enquérir des autres cultures et à être prête à leur reconnaître une possible supériorité. Ce que les autres, à l’inverse, ne font pas. Elles ne nous rendent pas la pareille. Assez curieusement, sans le savoir ou s’en souvenir, Dewitte, critique de Latouche, transpose ici l’argument central que ce dernier opposait alors aux théoriciens marxistes de l’impérialisme : la domination de l’occident sur le reste du monde ne résulte pas tant de ce qu’il prend, prélève ou pille, mais du fait qu’il est en position générale de donateur. Transposée dans le domaine culturel l’idée devient que s’il existe une supériorité de la culture européenne c’est dû au fait qu’elle est la seule à savoir donner son attention aux autres et que ceux-ci ne savent pas rendre. Ou, encore, seule l’Europe a réussi sa sortie de la clôture ethnique. Kolakowski écrivait ainsi : « Cette aptitude à se mettre soi-même en question, à abandonner – non sans une forte résistance, bien sûr- sa propre fatuité, son consentement de soi pharisien, est aux sources de l’Europe en tant que force spirituelle. Elle donna naissance à l’effort pour sortir de la clôture « ethnocentrique …Elle en a défini la spécificité et la valeur unique en tant qua capacité à ne pas persister dans sa suffisance et sa certitude éternelle » (cité p. 20). En ce sens, écrit Dewitte, le rejet de l’occidentalisme par S. Latouche est typiquement occidental. Pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : la générosité envers les autres. Le pire, l’autoflagellation hypercritique et le renoncement à la fierté de soi, cette fierté de soi que pourtant, paradoxalement là encore, on encourage chez les autres et pour les autres (cf. la critique de Sartre par O.Paz, p. 71 sq.) La position défendue par Dewitte dans les pas de Kolakowski en appelle au contraire à ce qu’il appelle un universalisme inconséquent (p. 36), qui sait à la fois que toutes les cultures sont égales, mais que la culture européenne est plus égale que les autres, parce qu’elle les « enveloppe », au sens que A. Portmann donne à ce terme, ou encore, parce qu’elle seule produit le lieu et le langage dans lequel cette égalité de toutes les cultures parvient à se manifester et à se donner à voir et à penser. Il faut donc que l’Europe assume de « ne pas avoir honte d’être fière » (p. 77). Car le « masochisme moralisateur » d’un Sartre, par exemple, tel que dénoncé par Paz, montre que « le parti pris des autres est moins motivé par des intérêts généreux pour eux que par un règlement de compte avec les siens, et cette haine de soi peut déboucher sur un fantastique aveuglement » (p. 122). Au-delà de l’ethnocentrisme primaire et d’un relativisme simple, le « relativisme inconséquent », qui affirme la supériorité de la culture qui affirme l’égalité des autres cultures, est donc le seul universalisme mais aussi le seul relativisme pleinement conséquent, parce que conscient de son inconséquence. L’affaire, on l’avait bien dit, est truffée de paradoxes. C’est le grand mérite de Jacques Dewitte de les affronter sans détours ni faux semblants. La solution qu’il esquisse (résumée p84) est-elle pour autant pleinement convaincante ? Sans doute non, pour différentes raisons. Le point, à vrai dire fondamental, que l’on peut extraire de son argumentaire en le poussant au bout est qu’une culture ne saurait pleinement valoir, quelque sens qu’on donne à ce terme, uniquement par ce qu’elle est et par ce qu’elle produit et donne, à elle-même ou aux autres, mais aussi, et plus encore, peut-être, par sa capacité à recevoir des autres et à leur reconnaître de la valeur. C’est cette capacité à recevoir qui selon Dewitte fonde la supériorité paradoxale de l’Europe. Or, est-il si sûr que seul l’occident ait su le faire et qu’il l’ait fait comme il se doit ? ? Ne pourrait-on pas retourner l’argument et soutenir que les autres cultures, de gré ou de force, ont infiniment plus reçu de la culture occidentale que celle-ci n’a accepté de recevoir d’elles ? Ou, symétriquement, que cette dernière, en imposant ses propres croyance, bien souvent par la force et dans le sillage de la domination militaire, a bien plus contraint les autres à recevoir ses dons qu’elle n’a accepté de considérer qu’il y avait chez les autres quelque chose qui eût de la valeur et méritât d’être reçu ? Disons le encore autrement : il est vrai que les ethnologues ou les historiens sont plus souvent européens que papous ou même chinois (mais quid de Ibn Battuta, Ibn Khaldoun ou Seu Ma Tsien ?) mais cet intérêt pour les autres, si vanté par Dewitte, ressemble bien souvent davantage à celui du collectionneur de papillons pour de beaux spécimens à montrer dans un musée qu’à l’attente d’une quelconque leçon effective à recevoir des sauvages ou des grandes civilisations autres. On apprécie certainement mieux l’histoire de la littérature ou de la philosophie occidentale au Japon ou en Inde (sans parler, bien sûr, des sciences et des techniques), qu’on ne connaît en Europe leurs pendants japonais ou indiens. Par ailleurs, la question centrale, au bout du compte assez contournée ici, est celle de savoir si de la position de supériorité paradoxale prêtée à l’Occident, une supériorité qui ne tient qu’au doute sur cette supériorité, il découle certaines valeurs substantielles spécifiques qu’il conviendrait de défendre à tout prix, et lesquelles (« L’horizon universaliste doit être distingué des contenus précis de cette universalité », écrit ainsi Dewitte), p. 146) ?

Au bout du compte, le sentiment qu’on retire de l’argumentation subtile et passionnée, mais aussi partiale de Dewitte, est qu’il faut pousser plus loin l’effort de dialectisation qu’il amorce. Il n’y a de valeur, en effet, que dans le jeu de la fierté et de l’incertitude de soi (dans le balancement entre intérêt pour soi et ouverture à l’altérité), du donner, du recevoir et du rendre, mais cela est vrai pour toutes les cultures et il ne peut donc y avoir de valeur culturelle de l’Occident que de ce qui en lui l’excède et le fait participer au dialogisme universel. Et si, pour des raisons historiques diverses, il en a été ou devait encore en être l’organisateur principal (parce qu’il aurait introduit « l’horizon général d’une histoire universelle (p. 124), il ne saurait en être l’organisateur fécond qu’à organiser son propre désaisissement progressif de ce rôle. Continuons le débat.


DECOMBES Vincent, Le raisonnement de l’ours, et autres essais de philosophie pratique, 2007, Le Seuil La couleur des idées, 456 p. 24 €.

Le débat sur l’universalisme et le relativisme tel que repris par J. Dewitte dans la foulée de Kolakovski trouvera un écho et un prolongement immédiats dans les divers articles ici réunis par V. Descombes. « Notre expérience historique depuis les Lumières, écrit-il, est que cet universalisme de principe coïncide avec un provincialisme de fait. On pourrait dire, écrit-il, que le sens commun européen professe un universalisme au premier degré, et que notre tâche intellectuelle est de poser les fondements d’un universalisme au second degré » (p. 55). « La leçon d’une sociologie comparative, poursuit-il, n’est pas le relativisme simpliste (c’est-à-dire une forme de solipsisme culturel), mais plutôt un universalisme plus exigeant » (p. 68). Comment ne pas être d’accord ? Mais cette troisième voie recherchée est-elle celle d’un « pluriversalisme », d’un « universalisme relativiste » ou d’un « universalisme inconséquent » ou autre chose encore ?


ZANARDO Susy, Il legame del dono, 2008, Vita e pensiero, Milan, 636 p, 45 €.

On ne sait pas ce que l’auteur(e) n’a pas lu sur le don. La bibliographie est impressionnante, apparemment très exhaustive, au moins pour la littérature française et italienne sur le sujet, et l’ensemble est tout à fait intéressant pour les Maussiens italiens ou italianophones. Le corps principal du livre consiste en une discussion critique très serrée des thèses de Jean-Luc Marion et Jacques Derrida sur le don menée dans le souci d’élaborer une ontologie du don mieux fondée. L’intérêt pour nous est que cette ontologie rejoint assez directement les formulations du MAUSS (bien restituées pp. 14 sq), à travers une dialectique du don et de la donation, du dare et du donare, plus immédiate en italien qu’en français, qui établit le primat hiérarchique de la gratuité et du désintéressement sur l’échange proprement dit dont ils sont pourtant inséparables. L’auteur conclut que le lien du don trouve sa vérité spéculative et sa fécondité pratique dans le don du lien. Ontologie et sociologie, même combat ?


POSTFILOSOFIE Anno 2, 2006, Multiculturalismo. Postfilosofie, Anno 3, Riconoscimento, Dialettica e Fenomenologie, 2007, Caducci Editore ? Bari,

Toujours dans le domaine italien, décidément très vivant et productif, signalons ces deux excellents numéros de la revue dirigée par notre ami Francesco Fistetti avec Roberto Finelli et et Francesaca R. Recchia Luciani. Dans le premier on trouvera notammeent une remaruable commentaire du texte de Mauss sur la nation par F. Fistetti, ainsi que la traduction du débat entre Joseph Raz et Will Kymlicka. Dans le second une très précieuse reconstitution du thème de al reconnaissance chez Hegel par R. Finelli.


FISTETTI Francesco, Multiculturalismo. Una mappa tra filosofia e scienze sociali, 155 p, 14,50 €

Et, dans cet ouvrage, une synthèse sans équivalent en français du débat philosophique sur le multiculturalisme que nous allons tenter de faire traduire et de publier l’an prochain. En conclusion, le débat aboutit à la question de savoir comment les diverses cultures peuvent reconnaître, à tous les sens du terme, les dons (ou les prises, les violences) qu’elles se font.


FOURNIER Marcel, Émile Durkheim (1858-1917), 207, Fayard, 940 p, 35 €

Incroyablement exhaustif, précis, minutieux et pourtant vivant, ce livre permet de savoir tout ce que les sources nous révèlent de la vie, des aspirations , des joies et des peines du fondateur de l’école sociologique française. Du champ académique également au sein duquel il a tracé son sillon. Indispensable aux spécialistes et aux passionnés de l’histoire des idées en sciences sociales. Une version abrégée (d’ailleurs prévue en anglauis) serait quand même bien venue pour le lecteur ordinaire de ce livre qui, dit la dédicace, « aurait pu (ou dû) s’appeler « Durkheim, Mauss et Cie (selon Lucien Febvre ».


LE GOFF Jean-Pierre, La France morcelée, 2008, Folio, 291 p.

Ce volume réunit tout un ensemble d’articles parus ces dernières années et qui analysnt en finesse une société française de plus en plus morcelée. C’est sur fond de ce morcellement qu’on comprend au mieux le triomphe étonnant, mais aussi le désamour envers un Nicolas Sarkozy dont les Français ont cru un moment (wishful thinking ? ) que par son hyperactivité il allait savoir recoller les morceaux. Mais cette illusion n’a pu tenir un temps qu’en conjuguant « trois grands traits : fuite en avant, pouvoir informe et une « langue caoutchouc » (p. 10), désormais remplacée « par un « franc parler » populiste qui joue constamment sur le registre victimaire et justicier » (p. 12). La course folle de l’hyperprésident reflète une société « vouée à « un mouvement perpétuel sans but ni sens autre que celui de s’y adapter au plus vite » (p. 20), en conformité à un « modèle de la performance sans faille et du perpétuel gagnant » (p. 21)


DE GAULEJAC Vincent, HANIQUE Fabienne, RICHE Pierre (sous la dir. de), La sociologie clinique. Enjeux théoriques et méthodologiques, Erès, 2007, 347 p. 25 €.

Cette analyse des dégâts de la recherche de la « performance sans faille », rejoint sur nombre de plans celles qu’ont menées V. de Gaulejac et l’équipe de chercheurs et de cliniciens rassemblés autour de lui sur le coût de l’excellence. La sociologie clinique permet de reconstituer les trajectoires de vie, et de mettre à jour les souffrances profondes comme les bonheurs souvent éphémères des individus qui y sont soumis ou/et qui se retrouvent victimes du morcellement. Le présent ouvrage retrace son histoire et lui donne ses lettres de noblesse épistémologiques et méthodologiques aux confins de la sociologie et de la psychologie. Où il apparaît qu’individu et société ne sont pas séparables pas plus que n’est concevable une sociologie qui n’assumerait pas la psychologie souvent implicite sur laquelle elle repose. A bout du compte, la question centrale est celle de savoir pourquoi et comment les individus désirent devenir des sujets. Mais qu’est-ce qu’un sujet, et que cherche—il ? Sur ces thèmes, outre l’introduction de V. de Gaulejac et P. Roche, on lira plus particulièrement les chapitres rédigés par Gilles Herreros, Xavier Mattelé et Perre Roche (pp. 115-192). Devenir sujet, est-ce qautre chose que parvenir à s’inscrire par soi même dans le cule du donner, recevoir et rendre ? C’est sur ce thème que des discussion fructueuses pourraient se nuer entre sociologie clinique et MAUSS.


HIRSCH Martin et ROSIERE Gwenne (avec Jean-Michel Helvig), La chômarde et le haut commissaire, 2008, Oh ! Éditions, 250 p. 14, 90 €.

Tout à fait important pour comprendre ce que vise M. Hirsch avec son projet de RSA, si proche à certains égards du projet de revenu de citoyenneté défendu par le MAUSS (et si critiqué). Où la chômarde explique au haut commissaire la réalité de la situation qui lui est faite, ses impasses et ses double binds et où elle lui signale tous les pièges dans lesquels il ne lui fait pas tomber. Un débat vivant et intense, par delà la différence des conditions sociales, entre un homme et une femme de bonne volonté.


Revue française de socio-économie n°1, Un panorama de la socio-économie française, 2008, 1er semestre, La Découverte, 240 p., 24 €.

Signalons, enfin, la naissance d’une revue proche de La Revue du MAUSS puisque, comme elle, elle se propose de porter sur l’économie un regard non économiciste. Dans le sillage du dernier numéro du MAUSS et du Manifeste pour une économie politique institutionnaliste, on lira notamment l’article de Franck Bessis qui pointe « Quelques convergences remarquables entre l’Économie des conventions et la Théorie de la Régulation ».


Ces notes de lecture ont été rédigées par Alain Caillé.

NOTES