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Philippe Velilla

Vote communautaire et vote de classe aux élections de 2022

Texte publié le 6 juillet 2022

Les élections présidentielles et législatives ont abouti à une tripartition entre des blocs de tailles relativement comparables : l’extrême centre avec Emmanuel Macron, l’extrême droite avec Marine Le Pen, et l’extrême gauche avec Jean-Luc Mélenchon. Les électeurs du premier bloc sont très représentatifs de la France d’en haut, alors que ceux des deux autres sont pour la plupart issus de la France d’en bas. Mais les électeurs du Rassemblement national et ceux de La France insoumise sont très différents quant à leur appartenance ethnique, les premiers étant des (petits) Blancs (en métropole), alors que les seconds appartiennent souvent à la France « créolisée » selon l’expression de Jean-Luc Mélenchon. Les scores impressionnants obtenus par ce dernier chez les électeurs musulmans ont été relevés par tous les observateurs. Dans d’autres communautés, des candidats ont enregistré des résultats bien supérieurs à leur moyenne nationale : Eric Zemmour au premier tour de l’élection présidentielle chez les Juifs, Marine Le Pen aux Antilles au second tour. On ne peut plus en douter : la dimension communautaire du vote conditionne largement des comportements électoraux d’autant qu’elle s’ajoute souvent à une appartenance de classe.

Mélenchon Hou Akbar !

Selon l’IFOP, Jean-Luc Mélenchon a obtenu 69 % des suffrages des électeurs musulmans alors qu’au niveau national il réunissait 21,95 % des voix. Dans les quartiers comportant une forte population musulmane à Marseille ou dans des banlieues de Lyon et de Paris, il enregistre des scores impressionnants. En Seine-Saint-Denis, il obtient 49,09 %, et dépasse les 60 % à Bobigny, Saint-Denis, La Courneuve, Villetaneuse et Clichy-sous-Bois. Les raisons de ce triomphe électoral sont de trois ordres. D’abord le soutien de personnalités et de médias de la communauté musulmane. Ainsi, une hadit publiée par un compte tik tok suivi par un million de jeunes (!) appelait à voter en sa faveur. Dans cette classe d’âge, nul doute que le soutien de rappeurs comme Médine a joué. D’autres soutiens plus institutionnels comme celui d’imams ou de présidents de communautés ont été suivis après l’élection par un communiqué du Comité contre l’islamophobie en Europe (CCIE ayant succédé au CCIF dissous) se félicitant des résultats du candidat de La France insoumise. Ensuite, le discours anticapitaliste de Jean-Luc Mélenchon passe bien dans cette communauté composée pour l’essentiel de membres des classes populaires qui ne risquent pas d’être séduits par un discours social lorsqu’il est formulé par Marine Le Pen. Enfin, la dimension religieuse a joué un rôle déterminant. Chez les Musulmans, la droite est considérée comme islamophobe, le Parti socialiste comme ayant trahi ses engagements (notamment sur le droit de vote pour les immigrés aux élections locales), et la LREM comme ayant fait voter une loi contre le séparatisme perçue comme dirigée contre la religion de Mahomet. Jean-Luc Mélenchon a beaucoup évolué dans son rapport avec l’islam. Formé à l’école du trotskisme lambertiste, il était résolument distant à l’égard des religions et hostile aux extrémismes. En 2003, il avait condamné l’invitation faite à Tarik Ramadan de se rendre au Forum social européen. Mais, l’intérêt électoral aidant, il s’est ensuite considérablement rapproché de la communauté musulmane sans trop se formaliser de la présence d’islamistes. Ainsi, La France insoumise a participé à la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie organisée par le CCIF au cours de laquelle l’un des fondateurs de cette organisation appela les participants à crier Allah Hou Akbar ! Nul doute également que la campagne d’Eric Zemmour largement dirigée contre les Musulmans a aussi mobilisé nombre d’électeurs de cette communauté pour choisir celui des candidats qui se voulait leur meilleur rempart.

Mazal Tov Eric Zemmour !

La campagne d’Eric Zemmour largement fondée sur sa dénonciation de l’immigration à l’origine du « grand remplacement » a trouvé un écho favorable chez les Juifs de France. Depuis la deuxième Intifada en 2000, c’est-à-dire depuis une génération, une vague d’antisémitisme frappe les Juifs, notamment ceux habitant dans les banlieues où vit une importante population musulmane. Beaucoup de Juifs de France originaires d’Afrique du Nord (c’est le cas de 80% de la communauté) ont ainsi le sentiment d’être persécutés une deuxième fois dans leur pays par les Arabes. De surcroît, la communauté juive considère Eric Zemmour comme l’un des siens. Il est en effet très représentatif du judaïsme français contemporain : séfarade, passé par l’école juive, marié à une Juive, et pratiquant occasionnel.

Le succès de cette candidature dans le public juif tient aussi à la faiblesse des partis traditionnels de la droite. Lors des précédentes élections, les candidats de cette famille politique avaient été plébiscités par les Juifs de France. Les raisons de cette préférence tiennent à deux caractéristiques. L’une de nature sociale. Dans une communauté où les professions indépendantes (médecins, avocats, commerçants, consultants …) sont surreprésentées, le discours de la droite préconisant la baisse des impôts et le recul de l’Etat est bien perçu. L’autre de nature plus identitaire. Depuis plusieurs décennies, chez les Juifs de France, la gauche est perçue comme luttant trop faiblement contre l’antisémitisme, et systématiquement critique vis-à-vis d’Israël [1]. Cette accusation est d’autant plus vive que la gauche modérée n’a plus le vent en poupe et que de ce côté de l’échiquier politique, le discours dominant est celui de Jean-Luc Mélenchon polémiquant régulièrement avec le CRIF, blâmant souvent Israël, et suspect de compromission avec l’islamisme comme on l’a vu. Avant même sa déclaration de candidature, Eric Zemmour devait bénéficier d’une grande complaisance sur les réseaux sociaux et dans la presse communautaire, en particulier dans les bulletins diffusés gratuitement en ligne (comme Tribune juive). Les arguments en sa faveur empruntaient à deux registres. L’un de nature défensive, s’offusquant des critiques à son égard qui minoreraient celles à adresser à l’« islamo-gauchisme ». L’autre de nature plus offensive : ses partisans soulignaient que, lui, « pose les vrais problèmes » et ose désigner l’islam comme constituant le véritable danger. A ce discours, les opposants à Eric Zemmour soulignaient ses positions sur le régime de Vichy qui aurait protégé les Juifs français, ses doutes sur l’innocence du capitaine Dreyfus, ou sa critique de l’enterrement en Israël des victimes de l’attentat à l’école Ozar ha Thora en 2012.

L’intérêt porté par la communauté juive à la candidature d’Eric Zemmour se traduira dans les urnes. Le vote des Français d’Israël en sa faveur (53,59%) n’a pas manqué d’attirer l’attention [2]. En métropole aussi, on a pu observer des phénomènes comparables. Ainsi, à Sarcelles, ville où un quartier est appelé la « petite Jérusalem », Eric Zemmour réalisait au premier tour un score de 11,55 % nettement au-dessus de sa moyenne nationale (7,07%). Et dans certains bureaux de vote, on notait des résultats bien supérieurs : 28,95% dans le bureau 25, 35,23% dans le bureau 21, 37,10% dans le bureau 24, et 39,52% dans le bureau 22. Dans d’autres quartiers à forte population juive, comme dans le 17e arrondissement de Paris ou à Créteil, le candidat de Reconquête a réalisé des percées significatives. Ce vote en faveur d’Eric Zemmour traduit un changement de paradigme. Alors qu’auparavant, c’était la lutte contre l’antisémitisme et le soutien à Israël qui constituait les déterminants du vote des Juifs de France, en 2022, ceux-ci ont favorisé un candidat qui ne se distinguait pas particulièrement sur ces deux points. L’antisémitisme n’est mentionné par Eric Zemmour que comme l’un des arguments justifiant son discours antimusulman. Quant au soutien à Israël, il est particulièrement faible chez ce Juif qui n’y va jamais et hésite à répondre lorsqu’on lui demande s’il est sioniste. Il est vrai qu’il est d’abord soucieux d’être perçu comme plus français qu’un vrai Gaulois. En fait, le vote juif en faveur d’Eric Zemmour au premier tour de l’élection présidentielle traduit un vrai réflexe communautariste : en faveur d’une rhétorique anti-arabe portée par un coreligionnaire.

Marine Le Pen l’Antillaise

Les résultats des élections présidentielles aux Antilles et en Guyane ont de quoi dérouter. Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon obtenait 56,16% des voix en Guadeloupe, 53,10% en Martinique et 50,6 % en Guyane (où il bénéficiait du soutien de Christiane Taubira). Une fois le candidat de La France insoumise éliminé, les Antillais et les Guyanais ont plébiscité la candidate du bord opposé : le 24 avril, Marine Le Pen a obtenu 60,87 % des suffrages exprimés en Martinique, 69,29 % à la Guadeloupe, 60,7% en Guyane.

Les résultats du premier tour sont moins surprenants que ceux du second. Aux Antilles, comme en Guyane, les classes populaires sont majoritaires et souffrent de graves problèmes d’emploi et de pouvoir d’achat en raison d’un taux de chômage et d’un niveau des prix à la consommation nettement plus élevés qu’en métropole. Comme dans les quartiers populaires précités, en Outre-mer, Jean-Luc Mélenchon est apparu comme le candidat des pauvres et des minorités. Notons également qu’aux Antilles, où les problèmes d’environnement se posent de façon aigüe avec des maladies issues de l’utilisation abusive de pesticides et de la présence d’algues toxiques, le discours écologique du candidat de la France insoumise a été bien perçu.

Les résultats du second tour posent plus de questions car aux Antilles l’extrême droite revient de loin. Le 6 décembre 1987, des milliers de manifestants envahissaient le tarmac de l’aéroport du Lamentin pour empêcher Jean-Marie Le Pen d’y atterrir. Trente-cinq ans plus tard, sa fille enregistrait aux Antilles quelques-uns de ses meilleurs résultats. Nul doute que le discours social de Marine Le Pen, et particulièrement sa défense du pouvoir d’achat, ont été plébiscités. Par ailleurs, ses attaques contre l’islam pouvaient laisser indifférente une population qui dans son immense majorité est catholique et habite dans des départements où il y a très peu de Musulmans. En fait, le déterminant principal du vote en faveur de Marine Le Pen relève largement d’un sentiment anti-Macron. Au premier tour, le président-candidat a enregistré aux Antilles des résultats nettement inférieurs à sa moyenne nationale (27,8%) : il obtenait 13,43 % des voix en Guadeloupe, 16,3% en Martinique, 14,22 % en Guyane. Ce vote anti-Macron tient à tous les facteurs de mécontentement déjà évoqués, mais aussi au refus de masse de la vaccination contre le Covid dans ces départements. On sait que sur cette question, Marine Le Pen, sans soutenir explicitement les anti-vax a manifesté une grande compréhension à leur égard. Les résultats aux Antilles et en Guyane, aux antipodes de ceux enregistrés en métropole, sont le produit d’un vote antisystème qui traduit sans doute un sentiment de plus en plus ancré dans la population ultra-marine : celui d’être incomprise par le pouvoir central. Cette sécession électorale devrait impulser le débat lancé par le gouvernement sortant sur l’évolution du statut de ces territoires vers l’autonomie.

Nul doute qu’en métropole aussi, les originaires des Dom-Tom (un million de personnes) ont aussi exprimé un vote antisystème. Plus largement, les communautés noires sont tentées par ce comportement électoral. Ce qui traduit une évolution. En 2017, Emmanuel Macron avait réalisé de bons scores au second tour dans les Dom-Tom et les banlieues où les populations noires sont nombreuses : 75,13% en Guadeloupe, 77,55% en Martinique, 64,89% en Guyane, 72,53% dans le Val d’Oise dont 80,05 % à Garges-lès-Gonesse, 75,83% à Villiers-le-Bel … On remarquait aussi beaucoup de personnes noires parmi la foule qui fêtait la victoire d’Emmanuel Macron dans la cour du Louvre le 7 mai 2017. Nul doute que les électeurs noirs en sus de leur refus du discours raciste de Marine Le Pen, étaient sensibles à deux évènements intervenus entre les deux tours qui étaient marquants pour eux : l’appel téléphonique de Barack Obama à Emmanuel Macron et la découverte du rôle de Sibeth Ndiaye, chargée de la communication du candidat Macron pendant la campagne.

En 2022, le charme macroniste n’opérait plus dans ces communautés. On l’a vu dans les Dom-Tom. En métropole, s’il obtient au second tour 72,5% dans l’ensemble du département du Val d’Oise, dans les localités précitées, il bénéficie d’un effet anti-Le Pen, mais pas trop marqué : le président-candidat rassemblait 74,08% des voix à Garges-lès-Gonesse, et 67,07 % à Villiers-le-Bel. Dans ces localités qui comptent principalement des habitants originaires d’Afrique du nord et d’Afrique noire, au 1er tour, Jean-Luc Mélenchon enregistra des scores impressionnants : respectivement 62,06 % et 54,80 %. En d’autres termes, chez les Noirs français comme chez les Arabo-musulmans, le candidat de la LFI est désormais le leader incontesté.

Le voyage en Arménie

Peu d’observateurs l’ont noté, mais plusieurs candidats ont effectué pendant la campagne un voyage en Arménie. Pas seulement pour séduire l’électorat arménien qui n’a véritablement d’influence qu’au niveau local, on le verra. C’était plus largement l’électorat catholique qui était visé. On sait que celui-ci avait joué un rôle-clé dans la désignation de François Fillon comme candidat de la droite en 2016 et dans le maintien de sa candidature en 2017 [3]. Valérie Pécresse aurait dû bénéficier de la même faveur en 2022, et nul doute que cette préoccupation était l’une des raisons de son voyage en Arménie du 21 au 23 décembre 2021. D’ailleurs, elle déclarera qu’elle entendait ainsi manifester son soutien aux Chrétiens d’Orient [4]. Cet activisme fut fort mal récompensé. La candidate LR obtint 4,89% des voix dans le Finistère, 4,45 % dans les deux Sèvres soit dans ce dernier département moins que son score national (4,78%). Même dans la très catholique Versailles où elle réside, la candidate de la droite parlementaire ne réunit que 14,04% des suffrages, arrivant en quatrième position après Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour qui avec 18,48% des voix terminait second derrière Emmanuel Macron. Il est vrai que le candidat de Reconquête visait expressément cet électorat lorsqu’il s’adressait à la « bourgeoisie patriote ». Il comptait d’ailleurs parmi ses soutiens Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien démocrate, ainsi que Christine Boutin, égérie des « cathos-tradis ». Eric Zemmour aussi avait fait le voyage en Arménie. Le 11 décembre 2021, il s’envolait pour cette « vieille terre chrétienne (…), un des berceaux de notre civilisation ». Il entendait, lui également, manifester son soutien aux Chrétiens d’Orient et plus largement au christianisme, car, selon lui, « l’Europe a été fondée par le christianisme … sans le christianisme, il n’y a pas d’Europe et il n’y a pas de France … » [5]. Il fut récompensé de ses efforts vis-à-vis de l’électorat catholique, et pas seulement à Versailles. Dans les beaux quartiers de Paris, qui sont aussi ceux où les églises sont les plus fréquentées, il obtint des scores bien supérieurs à sa moyenne nationale : 17,48% dans le XVIe arrondissement, 13,92% dans le VIIe. Ainsi, un Juif revendiqué devait supplanter une catholique pratiquante auprès de ses coreligionnaires. Misère de la politique !

Candidats cherchent communautés désespérément

Pour l’électorat arménien, c’est lors des élections législatives que certains candidats se rappelèrent à son souvenir. A Marseille, dans la 1re circonscription des Bouches-du-Rhône, le parti présidentiel investit Sabrina Agresti-Roubache. Cette franco-algérienne, amie personnelle des Macron, a pris soin de prendre pour suppléant Didier Parakian, figure de l’importante communauté arménienne [6] implantée dans la ville depuis un siècle. Celle-ci a souvent joué un rôle important dans la désignation des élus. En 2012, Valérie Boyer (LR) a largement dû son élection comme députée dans cette circonscription aux électeurs arméniens qu’elle a particulièrement choyés, devenant leur meilleure défenseure à l’Assemblée nationale où elle a notamment mené le combat pour la pénalisation de la négation du génocide [7]. Ce vote communautaire a sans doute aidé à la qualification de justesse de la candidate du parti présidentiel qui avec 25,42 % au premier tour ne distançait le candidat de la NUPES que d’un point, et à son élection le 19 juin avec 50,79% des voix.

La très discrète communauté asiatique a acquis un poids électoral. D’abord en raison de son importance démographique. Avec environ un million de personnes, les ressortissants du monde chinois forment la troisième communauté ethnique dans l’Hexagone, après les Arabes et les Noirs. Cela n’avait pas échappé à la République en marche qui en 2017 avait prévu que dans le choix de ses candidats « il sera tenu compte de la diversité ». En 2017, le parti présidentiel avait présenté et fait élire un notable de la communauté chinoise, Buon Tan, dans le XIIIe arrondissement, celui du China Town de Paris. Mais le 19 juin 2022, Buo Tan, face à la très médiatique Sandrine Rousseau de la NUPES, fut largement battu en ne recueillant que 41,9% des voix. En Seine-et-Marne, où vit aussi une importante communauté asiatique, Stéphanie Do, née au Vietnam et arrivée en France à l’âge de 10 ans, s’était imposée dans la 10e circonscription en 2017. Pendant son mandat, elle y mena une activité intense, comme à l’Assemblée où elle exerçait notamment la fonction de présidente du groupe d’amitié France-Vietnam. Elle fut mal récompensée de ses efforts. Avec seulement 27,51% au premier tour, elle cédait 10 points à son concurrent de la NUPES qui devait la battre nettement, la députée sortante n’obtenant que 45,64% des suffrages exprimés au second tour.

Il peut être surprenant d’inclure le vote gay dans une réflexion sur le vote communautaire. Mais, comme les communautés raciales ou religieuses, la communauté gay connaît une certaine homogénéité, dispose de médias dédiés et pratique le lobbying notamment sur le plan politique. Dans une étude détaillée parue deux mois avant l’élection présidentielle, l’IFOP (en collaboration avec Têtu) [8] mettait en évidence le fait que les électeurs LGBT entendaient voter pour le président-candidat dans la même proportion que l’ensemble du corps électoral. Nul doute que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes a beaucoup joué dans cet électorat qui déclare se déterminer à 53% en fonction de la lutte contre les discriminations dont souffrent les LGBT. Une autre caractéristique mérite de retenir l’attention : le vote important de ces électeurs en faveur de l’extrême droite : 17% d’entre eux déclaraient vouloir choisir Marine Le Pen et 11% Eric Zemmour. Déjà en 2017, 23,5 % des électeurs LGBT déclaraient vouloir voter pour Marine Le Pen. Celle-ci observant de près l’évolution de cet électorat s’était bien gardée de participer aux manifestations contre le mariage pour tous. Cette marque d’intérêt des homosexuels pour l’extrême droite ne doit pas surprendre. Un peu comme les Juifs, les électeurs LGBT manifestent ainsi leur peur des Arabes qui dans leurs pays et dans les quartiers où ils sont nombreux en France sont souvent à l’origine de violences contre les homosexuels. Lors des élections législatives, dans la 7e circonscription de Paris, nul doute que l’importante communauté gay du 4e arrondissement a contribué à l’excellent score de Caroline Macary, avocate spécialisée dans la défense des droits des LGBT (40,43% des voix au premier tour). Mais, au second tour, le ministre délégué chargé de l’Europe, Clément Beaune, devait la battre sur le fil avec 50, 73% des voix [9].

Dans la 8e circonscription des Français de l’étranger, le député sortant, Meyer Habib, a été réélu de justesse, avec 193 voix d’avance (50,58% des suffrages exprimés). Alors qu’il était nettement minoritaire dans sept des pays de la circonscription, dans le huitième, Israël, il emporta 87 % des votes à l’urne (les Français de l’étranger pouvaient aussi voter par Internet). Il faut dire qu’auprès de cet électorat très nationaliste et assez pratiquant, qui rappelons-le, avait placé Eric Zemmour en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle, Meyer Habib fit, comme à l’accoutumée, état du soutien de l’ex-Premier ministre israélien, son ami Binyamin Netanyahou, et de celui de rabbins influents.

En Seine-Saint-Denis, le département qui compterait la plus forte communauté musulmane de France, la NUPES devait réaliser le grand chelem avec 12 députés élus sur 12 circonscriptions. Il est vrai que certains candidats n’avaient pas lésiné sur les moyens pour séduire l’électorat musulman. Ainsi, Eric Coquerel, candidat dans la 1re circonscription, qui s’était signalé par son action contre le « racisme anti-musulman, organisa entre les deux tours à Saint-Denis un barbecue « halal et végétarien ». Il fut brillamment réélu au second tour avec 71,69% des voix.

***

Le vote communautaire au niveau national peut jouer un rôle important lorsqu’il est massif comme ce fut le cas avec la mobilisation des électeurs musulmans en faveur de Jean-Luc Mélenchon, ou pour les électeurs juifs au profit d’Eric Zemmour au premier tour de l’élection présidentielle. Lors des élections législatives, le vote communautaire peut faire l’élection comme pour les candidats de la NUPES en Seine-Saint-Denis plébiscités par les électeurs musulmans. De la même façon, dans la 8e circonscription des Français de l’étranger, Meyer Habib n’aurait pas été élu sans le soutien massif des électeurs juifs. Dans le cas d’un scrutin serré, le vote d’une communauté peut aussi être décisif, comme à Marseille dans la circonscription de Sabrina Agresti-Roubache et de son suppléant arménien. Mais le vote communautaire ne peut suffire à contrer les grands mouvements de l’électorat. Des candidats comme Buon Tan à Paris ou Stéphanie Do en Seine-et-Marne devaient l’apprendre à leur détriment face au succès obtenu par les candidats de la NUPES. En un mot, le vote communautaire, peut renforcer une tendance électorale mais difficilement l’inverser.

NOTES

[1Philippe Velilla, Les Juifs et la droite, Editions Pascal, 2010.

[2Louis Imbert : « Les Français d’Israël ont voté à plus de 50% pour Eric Zemmour », Le Monde 12 avril 2022.

[3Philippe Velilla  : « Vote ethnique, vote idéologique et vote de classe aux élections de 2017 », Revue du MAUSS permanente, 30 juin 2017 [en ligne]. https://www.journaldumauss.net/./?Vote-ethnique-vote-ideologique-et

[4

Bénédicte Lutaud : « Valérie Pécresse en Arménie pour afficher son soutien aux chrétiens d’Orient », le Figaro, 21 décembre 2021.

[5

Romain Herreros : « Éric Zemmour en Arménie pour illustrer ’la guerre de civilisation” », Huffington Post, 11 décembre 2021.

[6

Gilles Rof : « Législatives 2022 : Sabrina Agresti-Roubache, ’ l’amie des Macron ’, désignée pour représenter la majorité à Marseille », Le Monde, 20 mai 2022.

[7Philippe Velilla, La République et les tribus, Buchet-Chastel, 2014.

[8Le vote des LGBT à l’élection présidentielle de 2022, février 2022.

[9On notera qu’un an avant sa candidature, Clément Beaune avait confié son homosexualité au magazine Têtu.