Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Sylvain Dzimira

Catherine Alès :
Yanomami. L’ire et le désir

Texte publié le 12 septembre 2007

Karthala, 2006, 323 p., 24,70 €.

Après ce livre, on ne pourra plus penser que l’homme est un loup pour
l’homme, que les êtres humains ne sont d’abord ou au fond mus que par des
intérêts de conservation qui en font des guerriers assoiffés de sang comme
on l’a longtemps cru. Plusieurs années passées auprès des Yanomami
– littéralement : « êtres humains » –, l’un des « terrains » privilégiés
des ethnologues, Catherine Alès nous montre que « les Yanomami ne
sont pas un peuple avide de guerre et de violence ; (et qu’) ils désirent au
contraire vivre tranquillement » (p. 3 7, n. 3 2). Pour autant, elle n’en fait
pas de « doux sauvages ». Et c’est là tout l’intérêt de l’ouvrage de C. Alès,
tiré d’une thèse : elle leur reconnaît un « ethos agressif et guerrier », mais
qui n’est en rien orienté vers la mort. Les Yanomami sont un peuple pour
qui l’honneur compte : lorsqu’ils se sentent offensés, ils se vengent. Parfois
même, le sang coule. Mais cette vengeance, très codifiée, est en fait tout
orientée vers le maintien des relations avec les offenseurs, et conjure
même le massacre. À l’instar des combats patikai, les pratiques vindicatoires
« permettent au contraire de régler un différend tout en gardant ou
sauvegardant des relations d’alliance et d’amitié » (p. 23). Mais pourquoi
aller jusqu’à faire couler le sang ? Parce que le sang, c’est la vie. La clef
de l’énigme du sang qui coule et qui a fait passer les êtres humains pour
des êtres violents est dans leur mythologie : le sang des héros vengeurs
des Yanomami est à la source de toute vie. C’est pourquoi ils s’obligent
eux-mêmes à faire couler le sang, dans le respect de l’étiquette. « Si [les
Yanomami] ne tuaient pas d’humains, il n’y aurait pas beaucoup de sang,
lui rapporte un informateur. Les arbres seraient sans fruits, les humains
sans descendants, le gibier sans petits. La sécheresse s’emparerait de la
forêt, le sang viendrait à disparaître » (p. 294). Les pratiques vindicatoires,
soutient de manière très convaincante C. Alès, sont ainsi des opérations
de « multiplication d’énergies vitales » (p. 297). On croyait les « êtres
humains » fondamentalement orientés vers la guerre et la mort. En fait,
la vie et la paix sont inscrites jusque dans la mort qui se donne, se reçoit
et se rend obligatoirement. L’un des plus beaux ouvrages maussiens que
nous ayons lus, même si Marcel Mauss n’est jamais cité, pas même dans
la bibliographie. Le don agonistique y apparaît comme l’art suprême,
l’art de l’alliance, celui du politique

NOTES