Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Harry W. Pearson

Un siècle de débat sur le primitivisme économique

Texte publié le 21 janvier 2018

Depuis le siècle dernier, le domaine de l’histoire économique est agité par un débat. Bien des traits s’en sont estampés, certains par manque de pertinence dès l’origine. Pourtant ce débat contenait – et contient encore – les éléments d’une des controverses les plus significatives des sciences humaines. Il serait difficile de trouver une meilleure introduction que cette controverse aux problèmes d’interprétation que soulève l’étude des institutions économiques archaïques.

Le théorème à propos duquel éclata finalement la discussion fut tout d’abord énoncé par Rodbertus vers 1865. La véritable controverse débuta quelque trente ans plus tard entre Karl Bücher et Eduard Meyer ; elle atteignit sa plus forte intensité au début du siècle. Plus tard, Max Weber et Michaël Rostovtzeff prirent position. Plusieurs autres auteurs y apportèrent d’importantes contributions [1].

On ne saurait trouver une introduction qui éclaire mieux ce conflit d’idées que l’exposé fréquemment cité des problèmes tels que les a résumés Friedrich Oertel en 1925 :

« Faut-il concevoir l’économie de l’antiquité comme ayant atteint un ni- veau élevé de développement ou, au contraire, comme essentiellement primitive ? Devrions-nous considérer les IVe et Ve siècles avant J.-C. comme une époque de commerce national et international, de récession agricole, de pro- grès industriel, de fabrication à grande échelle en constante expansion et régie par des principes capitalistes, avec des usines produisant pour l’exportation et se concurrençant mutuellement pour vendre sur le marché mondial ? Ou bien devrions-nous, au contraire, affirmer que le stade de l’économie domestique fermée n’était pas encore dépassé ; que l’activité économique n’avait pas encore atteint une échelle nationale, encore moins internationale ; que ne se pratiquait aucun commerce organisé impliquant des échanges à longue distance et que, par conséquent, n’existait aucune industrie d’envergure produisant pour les marchés étrangers ? En bref, la vie économique était-elle encore à caractère agraire plutôt qu’industriel ? Le commerce était-il encore limité au colportage de quelques marchandises particulières provenant du travail non mécanisé d’artisans qui utilisaient les matières premières localement disponibles [2] ? »

Oertel parle de théorie positive dans le premier cas, de théorie négative dans le second. De manière plus adéquate, Johannes Hasebroek qualifie la première conception de moderniste, la seconde de primitiviste. Mais un examen attentif des termes utilisés par Oertel pour exposer les objets de la discussion, aussi bien que les tentatives diverses pour caractériser les positions opposées, montre bien le manque de clarté conceptuelle qui a marqué la controverse dès ses débuts. Les débats de cet ordre se résolvent soit par l’apparition d’une preuve nouvelle, soit par la clarification conceptuelle du problème, de sorte que la preuve déjà existante se situe dans une perspective nouvelle. Dans ce cas, les faits, au niveau que nous appellerons opérationnel, ne peuvent plus être discutés. C’est plutôt l’interprétation de ces faits au niveau institutionnel qui demeure incertaine.

Le théorème de l’OIKOS : Karl Rodbertus

Les origines de cette controverse remontent à l’essai de Rodbertus : Economic Life in Classical Antiquity, paru entre 1864 et 1867. La seconde partie de cet essai traitait de l’histoire du tribut romain depuis le temps d’Auguste [3]. Rodbertus y opposait nettement les systèmes modernes et anciens d’imposition. Son approche était fort suggestive. L’imposition moderne, écrivait-il, distingue les impôts sur les personnes et les impôts sur les biens ; ces derniers peuvent être des impôts sur la propriété foncière ou des impôts sur le capital ; ce capital, à son tour, est industriel ou commercial et, dans ce second cas, il est investi ou bien dans des marchandises ou bien dans des opérations monétaires (c’est-à-dire dans l’industrie ou dans la finance). Tous ces types de biens apparaissent distincts les uns des autres. En fait, ils appartiennent à des classes sociales différentes. Des distinctions analogues à celles concernant les biens sont opérées en ce qui concerne les revenus. Nous distinguons les revenus strictement personnels, tels que salaires ou traitements qui sont dus pour l’emploi d’une puissance de travail, des revenus qui découlent d’une propriété non personnelle ou d’un titre de propriété telle une rente ; cette dernière peut pro- venir soit du loyer d’une terre soit d’un bénéfice, lequel bénéfice se divise à son tour en intérêt et en bénéfice d’entreprise.

« Cet état de choses », conclut Rodbertus, « se traduit par une économie moderne en expansion [4] : les divers stades de la production sont, dans ce cas, liés entre eux par le processus d’achat et de vente. De cette façon, se créent des droits divers à une part du dividende national qui prennent la forme de revenus en espèces. Cette conception remarquablement moderne de la fonction sociale de l’argent n’a pas été estimée à sa juste valeur. Rodbertus comprit que le passage d’une « économie naturelle » à une « économie monétaire » n’était pas simplement un problème technique qui résultait de la substitution au troc d’un achat monnayé. Il insista au contraire sur le fait qu’une économie monétaire impliquait une structure sociale entièrement différente de celle qui allait de pair avec une économie naturelle. Il pensait que devait être mis en relief le changement de structure sociale qui accompagnait l’emploi de l’argent plutôt que le fait technique de cet emploi.

Si l’on avait approfondi cette optique de manière à inclure les diverses structures sociales qui accompagnaient l’activité commerciale dans le monde antique, la controverse aurait pu être résolue avant même de commencer. Au lieu de cela, l’oikos (« foyer ») devint la préoccupation centrale. Pour Rodbertus, l’oikos n’était rien d’autre qu’une construction logique, sorte d’anticipation d’un « idéal type » weberien. Il inventa l’expression « maître de l’oikos [5] » pour désigner le détenteur de tous les divers titres de propriété et des revenus correspondants mentionnés ci-dessus. Tout cela visait à illustrer comment les anciens Romains ne connaissaient, au lieu d’une multitude d’impôts différenciés, qu’un impôt unique, le tributum, payé par le maître de l’oikos qui bénéficiait de toutes les espèces de revenus diversifiées ensuite par l’« économie monétaire » moderne.

Pour Rodbertus, l’oikos était symbolisé par le vaste domaine familial romain où travaillaient les esclaves, mais une confusion historique apparaît dans la tendance à parler de l’oikos sans référence à une période déterminée. Le terme « oikos » devint ainsi un simple clou où accrocher le concept d’économie naturelle dans laquelle l’argent, les marchés, l’échange n’occupaient qu’une place restreinte en dépit de l’existence d’une organisation élaborée de la production. L’élément essentiel de cette théorie spéculative, sur lequel s’articula plus tard la controverse, est la déclaration de Rodbertus selon laquelle, dans cette économie d’oikos, « nulle part n’interviennent les achats et les ventes ; les marchandises ne chan- gent pas de mains. Puisque le dividende national ne subit jamais de transfert, en aucun cas il ne se fractionne, comme dans le monde moderne, en des catégories différentes de revenus […]. Tout ceci exigeait donc une économie en nature. L’argent n’était pas nécessaire pour faire passer le dividende national d’une phase de production à une autre dès lors que n’intervenait aucun changement de propriétaire [6] ».

Karl Bücher et Eduard Meyer

L’affaire aurait pu en rester là si n’était paru, en 1893, l’ouvrage de pionnier de Karl Bücher, Die Entstehung der Volkswirtschaft. Le grand mérite de Bücher a été de lier l’étude de la vie économique dans le monde antique à l’économie primitive. Il visait à construire une théorie générale du développement économique depuis les temps primitifs jusqu’aux temps modernes. Il n’assimilait pas l’Antiquité classique à la société primitive, mais en mettant l’accent sur les origines tribales relativement récentes de la société antique grecque et romaine, il indiquait que la vie économique antique serait peut-être mieux comprise si on la considérait dans la perspective d’une société primitive plutôt que d’une société moderne.

Pour ce qui touche à notre propos, il soutenait que nous ne trouvons pas, avant l’apparition de l’état moderne, de Volkswirtschaft, c’est-à-dire de vie économique complexe qui dépasse l’échelle de la cité. Jusqu’à l’an 1000 après J.-C., l’économie se maintint au stade de l’économie domestique fermée, dans laquelle la production ne visait qu’à satisfaire les besoins de la maison et n’impliquait aucun échange entre les différentes unités domestiques. La vie économique des Grecs, des Carthaginois et des Romains, disait-il, se caractérisait par cette économie d’oikos (il se référait ici à Rodbertus) [7].

Bücher concéda plus tard que le travail librement rémunéré, les services professionnels et les échanges en général occupaient une place plus importante avant qu’après le développement d’une économie esclavagiste à grande échelle. Cependant il maintint encore sa thèse sous la forme suivante : la vie économique complexe à caractère territorial et à grande échelle résulte d’un développement couvrant des milliers d’années et ne se manifeste pas avant l’état moderne. Antérieurement, et pendant de longues périodes, l’humanité vécut sans aucun système d’échanges de marchandises et de services qui méritât le nom de vie économique complexe à l’échelle nationale [8].

En choisissant l’oikos qui assurait sa propre subsistance comme élément fondamental de la société antique, et en plaçant cette construction dans une théorie spéculative du développement économique, Bücher se trouva obligé de nier la signification du commerce et de la monnaie dans la société antique. C’est ainsi que le malheureux théorème de l’oikos décida du sort de la controverse qui s’ensuivit et fournit une cible facile à Eduard Meyer qui contesta vigoureusement la position de Bücher en 1895 [9].

Meyer résuma sa thèse polémique dans cette affirmation : « La période la plus récente de l’Antiquité était d’essence entièrement moderne [10]. » À l’appui de cette assertion, il fournit des preuves sur un certain nombre de points qui semblaient décisifs. « Le monde antique possédait une vie économique organisée avec un système de transport très développé et des échanges intensifs de marchandises [11]. » « Dans l’Orient antique, nous trouvons, depuis la période la plus reculée sur laquelle nous possédions des informations, une industrie de transformation très importante, un système général de commerce et l’utilisation des métaux précieux comme moyens d’échange [12]. » Il continuait en disant que dès 2500 avant J.-C., Babylone nous offrait de nombreux documents traitant de transactions commerciales privées d’es- claves, de terres, d’immeubles et de la division de la propriété après un décès, etc. Nous y découvrons un système de comptabilité élaboré en termes d’or et d’argent qui se répandit dans tout le monde civilisé et qui servit de base de référence pour la frappe de la monnaie. Un point essentiel semblait prouver le modernisme économique du monde antique : « Le commerce et la monnaie revêtaient une importance fondamentale dans la vie économique des Anciens [13]. »

La position de Meyer correspond à ce que Hasebroek a appelé l’attitude « moderniste », qui fut décrite par Oertel comme approche « positive » et qualifiée par Salvioli de conception historique. On pourrait peut-être, avec plus de précision, caractériser cette position de conception « orientée vers le marché ». Notre monde moderne se définit en fait par un développement sans précédent de la capacité de production, un réseau commercial international et l’emploi de la monnaie comme moyen universel d’échange. En suggérant que le monde antique s’était engagé sur cette même voie, Meyer adoptait évidemment une attitude « moderniste » qui était également « positive » en ce sens qu’elle attribuait les caractéristiques du monde moderne à la civilisation antique et qui, en outre, représentait la conception historique du XIXe siècle. Mais ces qualificatifs ne rendent pas l’idée essentielle de la position de Meyer. L’institution fondamentale de l’économie moderne est le marché. C’est par lui que la production, le commerce, la monnaie sont intégrés dans un système économique autonome. Et le point crucial de la position de Meyer et des « modernistes » est qu’en affirmant l’existence d’une industrie de transformation à grande échelle, d’un commerce et d’une monnaie, ils supposent également que ces éléments sont organisés sur le modèle du marché. Or savoir si ces éléments d’une économie spécifique sont ou non organisés sur ce modèle constitue un sujet d’investigation au moins aussi fondamental que la recherche de l’existence de ces éléments. Le fait que le débat ait porté presque exclusivement sur l’importance de l’oikos rejeta dans l’ombre cet aspect particulier et par le fait même affaiblit la position des « primitivistes ». Les « preuves » jouèrent nettement en leur défaveur.

Le transport sur de longues distances et l’échange des marchandises, de même que l’utilisation d’objets à valeur monétaire, étaient en fait des traits de la vie économique antique largement répandus, et, en 1932, Michaël Rostovtzeff était en mesure d’affirmer que la thèse de l’oikos n’était pratiquement plus soutenue par qui que ce soit [14]. Mais, pour les tenants de l’économie de marché, ce fut une victoire désastreuse. L’oikos avait été un problème faussé dès le départ. Une fois cette thèse complètement discréditée, l’argumentation pouvait se situer au niveau qu’elle aurait dû adopter dès l’origine. À ce niveau, on ne conteste pas les « faits » tels que les transferts d’esclaves, de céréales, de vin, d’huile, de poteries, leur passage en des mains diverses entre des peuples éloignés, pas plus que l’on ne nie l’existence d’échanges locaux entre ville et campagne. L’utilisation d’objets à valeur monétaire n’est pas non plus mise en doute. La question est de savoir comment ces éléments de la vie économique furent institutionnalisés, de manière à entraîner les continuels déplacements de biens et de personnes essentiels à une économie stable.

Max Weber et Michaël Rostovtzeff

En définitive, ce fut le génie de Max Weber qui permit à la controverse d’atteindre ce niveau. Rejetant et l’approche « primitiviste », et l’approche « moderniste » du problème, Max Weber reconnut qu’il existait des analogies entre l’économie du monde antique européen à l’apogée de son développement et celle de la période la plus récente du Moyen Âge, mais il mit l’accent sur les caractères différentiels de la culture antique qui, pour lui, en constituaient toute la spécificité [15].

La force qui, selon Weber, entraînait les économies grecque et romaine dans leur direction propre était l’orientation politico-militaire générale de la culture antique. Dans les temps anciens, la guerre était une chasse pour se procurer des hommes, et des combats incessants découlaient des avantages économiques qui, en temps de paix, s’acquéraient par des moyens politiques. Même les villes, bien qu’apparemment semblables à celles du Moyen Âge dans leur cadre économique, en différaient essentiellement dans l’ensemble de leur conception et de leur organisation.

« Prise dans son intégralité […] la démocratie de la cité antique reposait sur une guilde politique. Le tribut, le butin, les sommes versées par les cités confédérées étaient simplement distribués aux citoyens. La guilde politique détenait le monopole des clérouquies, de la distribution des territoires conquis aux citoyens et de la répartition des dépouilles de guerre ; enfin, avec les bénéfices de son activité politique, la cité payait les entrées au théâtre, les attributions de céréales, les services des jurés et des ministres du culte [16]. »

Weber ouvrait ainsi la voie à une nouvelle interprétation des « faits » à propos desquels le débat était maintenant presque clos. Son approche, libre de toute théorie préconçue d’un développement économique par étapes, montrait la possibilité d’un niveau relativement élevé d’organisation économique dans un cadre social fonda- mentalement différent du système moderne de marché.

Il est cependant difficile de dire que Weber a résolu les problèmes de ce débat d’un siècle, car s’il esquissa les contours d’une approche nouvelle, il ne fournit pas les instruments conceptuels qui auraient permis de répondre à des questions spécifiques sur l’organisation du commerce, les emplois de la monnaie et les méthodes d’échange. Et bien que l’étude détaillée et magistrale de Johammes Hasebroek sur la thèse de Weber en 1931 [17] assurât une importante victoire aux dits « primitivistes », les contestations et remises en question de Michaël Rostovtzeff montrèrent que tous les problèmes n’avaient pas été résolus pour autant.

Rostovtzeff concéda que la lutte des classes et les révolutions qui engendrèrent la démocratie des États-cités de la Grèce étaient d’un type différent de celles qui instaurèrent le capitalisme dans le monde occidental moderne et que les idéaux de la société nouvelle conservaient la marque de la société clanique qui l’avait précédée [18]. Mais ces arguments ne firent que situer plus avant l’origine du débat. Rostovtzeff argua que le débat devait se concentrer sur le grand moment du développement de l’économie antique, c’est-à-dire à la période hellénistique et au début de la période romaine. À propos de cette période, Rostovtzeff soutint avec fermeté qu’à son avis « la différence entre la vie économique de cette époque et celle du monde moderne n’était que quantitative et non pas qualitative [19] ». Nier cette thèse, déclara Rostovtzeff, reviendrait à nier que le monde antique soit parvenu à un développement économique quelconque pendant quatre mille ans.

Comme Oertel, Rostovtzeff affirma que la controverse se résumait en ce di- lemme : le monde antique a-t-il, au cours des siècles, connu un développement semblable à celui du monde moderne, ou reposait-il entièrement sur une vie économique de type primitif ? Il qualifia le théorème de l’économie domestique fermée de construction idéale qui n’avait jamais existé, surtout pas en Grèce où l’on commerçait activement avec les empires orientaux très développés. Les Grecs ioniens ne bénéficièrent-ils pas de leur contact avec les cités du Proche-Orient où ils s’installèrent ? « Certainement, il avait dû se passer quelque chose [20] ! »

Cette prise de position de Rostovtzeff sur les problèmes de la controverse de l’oikos parut en 1932 et représenta le point culminant d’un débat qui durait depuis près de quarante ans, c’est-à-dire depuis la publication du livre de Bücher en 1893. Il convient cependant de noter combien les problèmes s’étaient peu clarifiés. Les parties adverses s’opposaient encore dans une semi-obscurité conceptuelle.

L’origine de la confusion apparaît maintenant avec évidence. Les deux parties, à l’exception de Weber sur quelques points, se montrèrent incapables de concevoir une économie élaborée avec son commerce, sa monnaie, ses lieux de commerce, qui fut organisée selon un système autre que le système de marché. Les « primitivistes », qui insistèrent sur la différence entre le monde antique et le monde moderne, cherchèrent une confirmation de leur thèse dans l’oikos qui pour eux représentait un stade ancien du développement de ce même système de marché. Pour les « modernistes », la Grèce et Rome reposaient sur des fondements dont la construction avait pris quatre mille ans et dans lesquels s’intégrait le Proche-Orient antique avec sa vie économique et culturelle florissante. Meyer mit l’accent sur l’important développement de cette zone, et Rostovtzeff sur son contact avec la culture grecque et romaine. Il leur semblait inconcevable qu’une si longue période, si riche en réalisations culturelles, n’ait pu produire une économie qui n’atteignît au moins le niveau de la période la plus récente du Moyen Âge. Comme le déclarait Rostovtzeff : « Il avait dû se passer quelque chose ! »

Et si ces quatre mille ans de développement s’étaient écoulés selon des directions différentes de celles du monde moderne ? Alors il faudrait réviser les perspectives pour l’étude de la Grèce et de Rome. Afin de porter un jugement sur la grande période de l’économie antique, il faudrait donc adopter, non pas le capitalisme, mais un autre modèle d’organisation de la vie économique. Cette conception du problème avait été suggérée par la perspective primitiviste de Bücher et par l’approche politico-militaire de Weber. Mais ni Bücher, ni Weber n’avaient fourni des instruments conceptuels permettant de reconnaître ce qui s’était passé, c’est-à-dire de déterminer les fondements institutionnels de ce type différent de développement économique.

C’est à cette tâche que sont consacrés les chapitres qui suivent. En examinant à nouveau la place du commerce, de la monnaie et du marché dans les empires méditerranéens, on découvre une perspective radicalement nouvelle pour considérer la vie économique du monde antique. Cette perspective donne aux problèmes de la controverse de l’oikos une portée beaucoup plus vaste, car, maintenant, les éléments concernant les marchés et les échanges commerciaux, qui apparaissent au cours de la période grecque classique et de la période hellénistique, ne sont pas regardés comme l’héritage de plus de quatre mille ans de développement mésopotamien, mais comme de remarquables innovations qui cherchent à prendre place dans la culture grecque.

NOTES

[1Nous n’avons pas tenté de résumer dans ce chapitre toutes les contributions à cette controverse ; nous avons seulement voulu en présenter les lignes essentielles. On trouvera les meilleures bibliographies dans M. I., Rostovtzeff, Social and Economic History of the Hellenistic World III, Oxford, 1941, 1327-1328, fn. 25 ; et plus récemment dans Eduard Will, « Trois quarts de siècle de recherches sur l’économie grecque antique », Annales, IX, janvier-mars 1954.

[2Friedrich Oertel, Supplément et commentaires en appendice à Robert Pöhlmann, Geschichte {}der sozialen Frage und des Sozialismus in der antiken Welt, 3e éd., III, Munich, 1925, 516-517.

[3Karl Rodbertus, « Zur Geschichte der römischen Tributsteuern », Jahrbücher für National-ökonomle und Statistik, IV, 1865, 339 et passim.

[4Ibid., p. 342.

[5Ibid., p. 344.

[6Ibid., p. 345-6.

[7Karl Bücher, Die Entstehung der Volkswirtschaft, qui a été traduit en anglais : New York, 1912, p. 96-97.

[8Ibid., p. 88.

[9Ce défi fut lancé par Meyer dans la conférence qu’il prononça au 3e congrès des historiens allemands à Francfort en 1895. Cette conférence, « Die wirtschaftliche Entwicklung des Altertums », est publiée dans Eduard Meyer, Kleine Schriften, Halle, 1924, p. 79 et suiv.

[10Ibid., p. 89.

[11Ibid., p. 88.

[12Ibid., p. 90.

[13Ibid., p. 88.

[14Cf. sa critique de J. Hasebroek, Zeitschrift fiir die Gesammelte Staatswissenschaft, 92, 1932, 334.

[15« Die sozialen Gründe des Untergangs der antiken Kuitur », Gesammelte Aufsdtze zur Sozial- und Wirtscha/tsgeschichte, {}Tübingen, 1294, p. 289-311. Cf. également Wirtschaft und Gesellschaft, {}ch. 8, Tübingen, 1922.

[16Max Weber, General Economic History, Glencoe, 1950, p. 331.

[17Griechische Wirtschafts-und Gesellschaftsgeschichte, Tübingen, 1931.

[18Op. cit., p. 337.

[19Ibid., p. 335, n. 1.

[20Ibid., p. 338.