Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Marc de Basquiat & Gaspard Koenig

LIBER, un revenu de liberté pour tous

Texte publié le 15 février 2015

Allocation universelle, revenu de citoyenneté, le retour ? Un bref plaidoyer pour un revenu minimum, sous la forme d’un crédit d’impôt universel et inconditionnel, qui introduit à un argumentaire plus systématique (http://www.impotnegatif.com).
Il a été rédigé par Marc de Basquiat, diplômé de Supélec et de l’ESCP, auteur d’une thèse en économie sur « Une modélisation de l’allocation universelle en France », soutenue en 2011 à l’Université d’Aix-en-Provence et, depuis décembre 2014, Président de l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE), fondée en 1989 par l’académicien Henri Guitton et le professeur Yoland Bresson (www.revenudexistence.org) et Gaspard Koenig, normalien et agrégé de philosophie, essayiste, qui dirige aujourd’hui GenerationLibre.

Qui chante encore les louanges du « modèle social français », ce maquis de mesures fiscales et dispositifs divers empilés au fil des décennies, où l’inefficacité économique côtoie l’iniquité subreptice ? Les pauvres ? Deux tiers d’entre eux – par ignorance du dispositif, par fierté ou par découragement – ne réclament même pas le RSA Activité auquel ils ont droit. Les salariés ? Rares sont ceux qui savent déchiffrer les trente lignes de leur feuille de paie, où se mélangent indistinctement cotisations et impôts. Les smicards ? Leur progression salariale est découragée par les effets de seuil. Les jeunes ? Ils sont les oubliés du système...

La complexité insondable et l’inefficacité patente de notre système socio-fiscal insultent l’intelligence et ignorent la générosité naturelle des citoyens de notre pays, bafouant nos principes démocratiques.

C’est pourquoi nous proposons de le refonder sur des principes clairs, équitables et efficaces.

Acceptons l’idée que la première fonction de l’Etat est d’assurer la survie des membres de la collectivité nationale. En combinant cet objectif impératif avec le souci de laisser à chacun la liberté de choisir les modalités concrètes de son existence, on déduit logiquement que l’Etat doit s’assurer que chacun dispose d’un revenu monétaire régulier, permettant de satisfaire ses besoins de consommation de base. Il ne s’agit pas d’instaurer une « soupe populaire » ou de distribuer des tickets alimentaires, mais bien d’un versement d’argent, dont l’usage est laissé à la libre appréciation de chacun.

Le but n’est pas d’instaurer l’oisiveté comme mode de vie ordinaire de nos concitoyens. C’est au contraire d’assurer pour chacun les conditions d’une réelle liberté à effectuer ses propres choix. Cette liberté engendre la responsabilité, lorsqu’elle libère les individus de la peur du lendemain, les encourageant à s’investir dans des activités et des projets porteurs de sens pour la communauté.

Nous baptisons LIBER ce revenu minimum. Calculé pour permettre de subvenir aux besoins fondamentaux, il prend la forme d’un crédit d’impôt universel, mensuel, alloué indistinctement à tous les citoyens établis en situation régulière dans le pays. Ce LIBER est financé par un impôt sur tous les revenus, au premier euro : la LIBERTAXE. Pour chacun d’entre nous, la simple soustraction du montant du LIBER (fixe et universel) à celui de la LIBERTAXE (proportionnelle aux revenus) abouti automatiquement soit (pour les plus faibles revenus) à une somme versée en cash par le fisc, soit (pour les plus hauts revenus) à une contribution nette à la collectivité. C’est une simple mise en œuvre pour la France du mécanisme d’impôt négatif imaginé par des économistes américains dès les années 1960.

Le LIBER permet de lutter efficacement contre la pauvreté, les sommes étant perçues sur le seul critère des revenus, se substituant aux allocations spécifiques. Il évite toute inquisition, en laissant les citoyens responsables de leurs propres choix. Il encourage au travail, puisque les sommes touchées sous cette forme décroissent de manière parfaitement linéaire avec l’augmentation des autres revenus, sans aucun effet de seuil. Enfin, il permet aux mécanismes économiques de fonctionner sans entraves, en supprimant toute complexité inutile et rendant supportable la flexibilité nécessaire au bon fonctionnement du marché du travail. Le LIBER fournit à tous le revenu de sécurité nécessaire pour aborder plus sereinement les aléas des carrières et des vies, dans un monde marqué par le chômage structurel et la fragilisation des liens familiaux.

A quoi ressemblerait le LIBER dans la France de 2015 ? Il remplacerait plusieurs allocations, dont le RSA, la prime pour l’emploi et les allocations familiales. De son côté, la LIBERTAXE, prélevée à la source dans la plupart des cas, sur une base individuelle, se substituerait à l’impôt sur le revenu et à tous les prélèvements non contributifs qui encombrent la feuille de paie, n’y laissant que les cotisations aux assurances retraite, chômage, accidents du travail et indemnités journalières. Les mécanismes « incitatifs » à l’embauche de salariés à bas salaire – exonération Fillon, CICE, contrats aidés – qui perturbent considérablement le fonctionnement du marché du travail disparaitraient également, laissant la place à une plus grande liberté de négociation au sein des branches professionnelles, des entreprises et entre les individus.

Le LIBER ne se substitue pas à tout. Certains coûts sociaux justifient des mécanismes de transfert spécifiques : retraites, chômage, santé, éducation, logement, handicap, dépendance…

Si l’instauration du LIBER constitue une évolution majeure de notre système socio-fiscal, il s’inscrit en réalité dans la continuité des réformes mises en œuvre depuis 30 ans. Pour les plus démunis, il poursuit la logique d’un revenu de subsistance du type RMI, auquel le RSA a ajouté un profil dégressif analogue à la LIBERTAXE. Pour les salaires proches du SMIC, il se substitue naturellement à l’exonération Fillon. Pour les revenus plus élevés, il réalise grâce au crédit d’impôt universel une progressivité de la fiscalité très proche de celle obtenue par la combinaison des trois premières tranches de l’actuel impôt sur le revenu. Pour les familles, la somme des crédits d’impôt LIBER individuels a un effet de même nature que la combinaison des allocations familiales, du quotient conjugal et du quotient familial.

La détermination du niveau du LIBER est un choix éminemment politique. A titre d’exemple, et toutes choses égales par ailleurs en termes de niveaux de fiscalité et de dépenses publiques, un LIBER de 450 euros par adulte et de 225 euros par enfant impliquerait une LIBERTAXE de 23% sur l’ensemble des revenus. Dans cette hypothèse, un quart de la population serait contributrice nette (payant plus de LIBERTAXE qu’elle ne déduirait de LIBER), et une bonne moitié récipiendaire nette (recevant plus de LIBER). Les grandes masses de redistribution ne seraient pas fondamentalement modifiées, les bénéficiaires de la réforme étant principalement les jeunes, les actifs et les couples les plus fragiles, qu’on exonérerait également de tous les formulaires intrusifs actuels.

Le LIBER représente une innovation dont la France pourrait être fière, une rupture majeure dans l’histoire sociale. Tous les pays étudient ce concept. Serons-nous les premiers à l’instaurer, comme la TVA en 1954, rapidement copiée dans le monde entier ? Une société où tous pourraient vivre dignement, sans assistanat ni paternalisme, est à portée de main.

NOTES