À partir d’une étude de quatre grandes crises inter-étatiques (la guerre des Six Jours 1967, la guerre contre l’Irak 2003, la crise de Cuba en 1962, la crise américano- libyenne de 1986 à 2004), Thomas Lindemann soutient que pour désarmorcer des conflits internationaux, il faut savoir faire « des concessions matérielles et surtout symboliques visant à confirmer l’identité d’autrui ». Traduisons librement : sur le théatre des Nations, pour transformer ses ennemis potentiels en amis, il faut savoir se signifier par des dons mutuels son amitié (son refus de déclencher les hostilités), manifestée à la face du monde dans le souci de soi et de l’autre (de sa face, de son identité, de son honorabilité etc..) - ce qui suppose une dose d’empathie-, un peu comme les Kwakiutls savaient désamorcer les « guerres de sang » en reconnaissant mutuellement leur grandeur lors des « guerres de richesses » que sont les potlatchs. Des considérations qui tranchent avec les analyses des relations internationales, très largement utilitaristes.
Ceux qui examinent le déroulement des crises internationales postulent que l’issue pacifique ou belliqueuse d’une crise dépend aussi de sa « gestion » par les décideurs politiques [1]. S’il est sûr que des causes structurelles telles que des disparités socio-économiques ou des dilemmes de sécurité sont sources de guerre, toutes les tensions ne débouchent pas sur des affrontements armés [2]. Il existe un très grand nombre de crises initiales dont l’issue paraissait à l’origine incertaine. Crises marocaines (1905, 1911), crise de juillet 1914, crise de Munich (1938), crise des fusées de Cuba (1962), crise israélo-égyptienne (1967), crises irakiennes (1990, 2002-2003), crise des relations américano-libyennes (1986-2003), crise yougoslave et du Kosovo (1991-1995, 1999), crises américano-iraniennes ou encore crises indo-pakistanaises : autant de crises internationales mais avec des résultats très différents. Pourquoi certaines de ces crises ont-elles été résolues de manière pacifique alors que d’autres ont généré une guerre ?
Les modèles « utilitaristes » dominent dans l’explication des crises internationales [3]. Ainsi, pour certains, les guerres éclatent parce que l’Etat défiant le statu quo n’est pas dissuadé de manière convaincante à entreprendre une agression. L’ambiguïté de la politique britannique au cours de la crise de juillet 1914 aurait autant encouragé les décideurs allemands à persévérer dans une politique conflictuelle que les concessions faites à Munich en 1938. Or, l’analogie Munich 1938 est probablement fausse pour un très grand nombre de cas historiques, comme le souligne Richard N. Lebow [4]. Peu de décideurs déclenchent une guerre par sentiment d’opportunité de gains matériels. Si les guerres étaient provoquées par exubérance impérialiste, elles devraient être gagnées par la puissance provocatrice. Certains [5] considèrent pour cette raison qu’une politique de reassurance visant à calmer les craintes sécuritaires d’autrui est souvent capable d’éviter la guerre.
Comme cette dernière perspective, cet article affirme que de nombreuses guerres peuvent être évitées par la prise en compte des aspirations sécuritaires d’autrui. Toutefois, je considère que ce ne sont pas seulement les craintes sécuritaires qui entraînent souvent les décideurs d’un Etat dans une crise internationale mais aussi la quête pour la reconnaissance. Celle-ci englobe à la fois des questions de « face » - le prestige et l’honneur - mais aussi des préoccupations pour une identité particulière et l’exigence d’une empathie minimale. Contre les théories utilitaristes de la guerre pour la sécurité (homo politicus) ou de la guerre pour le profit (homo economicus), je pars de l’hypothèse selon laquelle les responsables d’un Etat cherchent aussi à faire valoir une certaine image d’eux-mêmes et de leur collectivité (homo symbolicus). Selon la thèse ici proposée, l’issue pacifique ou belliqueuse des crises initiées par des acteurs motivés par un sentiment de vulnérabilité militaire et identitaire dépend de l’absence ou de la présence d’une politique de reconnaissance apaisante. Celle-ci tient certes compte des craintes sécuritaires d’autrui mais tente également de préserver la face de l’autre et de prendre en considération ses besoins « identitaires » et « empathiques ».
Dans les quatre crises que je propose d’examiner, la plupart des décideurs ont davantage agi par sentiment de vulnérabilité que par sentiment d’opportunité. Les guerres effectivement déclenchées n’étaient pas inévitables. Ce qui caractérise ces crises qui ont culminé dans une guerre, c’est leur gestion contraire à une politique de reconnaissance. J’examine dans cette optique quatre grandes crises inter-étatiques, les unes au dénouement belliqueux (la guerre des Six Jours 1967, la guerre contre l’Irak 2003), les autres au dénouement pacifique (la crise de Cuba en 1962, la crise américano- libyenne de 1986 à 2004) afin de voir si une variation de la variable dépendante (la paix ou la guerre [6]) va de pair avec une variation de la variable indépendante (la présence ou l’absence d’une politique de reconnaissance) [7]. Si l’hypothèse est fondée, les deux dernières crises devaient être corrélées avec une politique de reconnaissance apaisante alors que les deux premières correspondraient à une posture davantage dissuasive. Le terme « crise » désigne ici de manière extensive des relations inter-étatiques entre deux pays où les tensions peuvent conduire à la guerre [8]. La comparaison entre ces crises est justifiée par leur nature inter-étatique, leur proximité chronologique et le potentiel de pouvoir de leurs protagonistes, deux conflits asymétriques par rapport à deux conflits symétriques.
La démonstration s’articulera en quatre étapes. Tout d’abord, je vais définir une politique de reconnaissance apaisante dans un contexte de « vulnérabilité militaire et identitaire ». Dans un deuxième temps, je vais explorer les deux crises à l’issue belliqueuse en déterminant l’effet des postures dissuasives. J’examine ensuite si les deux crises à l’issue pacifique correspondent davantage aux impératifs de la reconnaissance apaisante. Quatrièmement, je vais tester des explications alternatives pour l’issue de ces crises. La conclusion mettra les résultats en perspective en précisant quelles sont les implications à la fois pour la recherche sur les origines de la guerre et les politiques de prévention de conflits.
Selon moi, la gestion pacifique d’une crise internationale dépend fortement d’une politique de reconnaissance lorsque la puissance instigatrice d’une crise agit par sentiment de vulnérabilité (craintes pour sa survie ou son identité) et non par sentiment d’opportunité (pour des gains économiques et politiques). Je ne prétends donc pas qu’une politique de reconnaissance soit en mesure d’apaiser des Etats révisionnistes tel que l’Allemagne nazie.
La variable dépendante : paix et guerre à l’issue d’une crise initiée par sentiment de vulnérabilité
Pour démontrer les limites des menaces et les vertus d’une politique de reconnaissance dans un contexte de « vulnérabilité », je mobilise à la fois les thèses du réalisme « perceptuel » qui insiste sur la perception du rapport de forces militaires dans le déclenchement des conflits internationaux [9] et l’approche constructiviste insistant sur le rôle des identités dans l’intérêt à recourir à la force [10]. Ces deux approches suggèrent qu’une posture dissuasive peut-être inefficace face aux États qui s’estiment vulnérables, soit par souci de leur sécurité militaire soit par souci de préserver la « face » [11], c’est-à-dire l’identité que les décideurs souhaitent projeter vis-à-vis des autres.
La vulnérabilité militaire
Les limites de la dissuasion sont visibles même dans le cadre du modèle de l’acteur rationnel. Il suffit en effet que les coûts des représailles éventuelles soient perçus comme inférieurs aux coûts du statu quo. Robert Jervis souligne que les menaces risquent de rester inefficaces lorsque l’État qui initie une crise internationale agit par sentiment de vulnérabilité, c’est-à-dire lorsqu’il suppose que « sa survie » est compromise par le statu quo [12]. Une telle situation émerge lorsqu’un État perçoit les autres puissances à la fois comme « montantes » et radicalement hostiles à son égard. L’incitation à recourir à la force est grande lorsque l’équilibre de l’offensive et de la défensive est favorable à l’offensive, c’est-à-dire lorsque les décideurs d’un État pensent qu’il existe un avantage à frapper militairement en premier. Dans des situations extrêmes, cela peut conduire à des guerres préemptives. Même la vulnérabilité militaire mal perçue par les décideurs peut avoir des conséquences réelles (théorème de Thomas) [13]. Les décideurs qui jugent que la situation sécuritaire de leur État se dégradera progressivement et qui perçoivent d’autres États comme résolument hostiles à leur égard sont difficilement impressionnables par des postures purement « dissuasives ».
La vulnérabilité identitaire
Les décideurs d’un État sensiblement plus faible que la puissance dissuasive refusent souvent des concessions substantielles en dépit de leur intérêt à éviter des pertes matérielles et humaines. Cette insensibilité à la dissuasion tient fréquemment à l’image que les décideurs ont ou veulent projeter d’eux-mêmes ou de leur propre nation. La vulnérabilité identitaire désigne l’écart entre l’image revendiquée et l’image renvoyée. Elle peut être définie par l’équation simple : image revendiquée > image renvoyée par autrui. Cela veut dire que l’individu a une image de lui-même supérieure à celle que les autres lui renvoient. Plus l’écart est grand, plus les sentiments de frustration, d’humiliation et de perte d’estime de soi sont forts. Le dommage causé opère au niveau identitaire, c’est-à-dire affecte, de manière dépréciative, des représentations de soi (P. Braud). Se plier à une menace peut être perçu comme si humiliant que les décideurs préfèrent perdre la guerre plutôt que perdre la face.
La variable indépendante : la reconnaissance apaisante
Les approches rationalistes considèrent que les agressions résultent d’un calcul coûts - bénéfices où les intérêts des États sont considérés comme relativement constants. Afin d’empêcher les guerres, il importe donc d’augmenter les coûts d’une agression via des sanctions ou bien d’augmenter les bénéfices d’une attitude pacifique via des récompenses matérielles [14]. Ces perspectives ignorent le fait que certains décideurs peuvent valoriser davantage les intérêts symboliques que les intérêts matériels. Ensuite, elles oublient que les décideurs d’un État accordent souvent une valeur variable aux mêmes objets. Ainsi, une île rocheuse peut présenter un intérêt symbolique considérable pour les puissances, compte tenu de leurs identités. Enfin, des postures punitives et dissuasives sont loin de décourager systématiquement les acteurs dans la violence armée. Au contraire, de nombreux exemples démontrent que de telles pratiques punitives construisent et consolident des identités « exclusives » qui favorisent à leur tour des comportements agressifs.
Contrairement à ces perspectives avant tout matérialistes, la thèse selon laquelle la politique de reconnaissance est importante pour l’issue d’une crise repose sur plusieurs prémisses. Premièrement, en me fondant sur les travaux d’Alain Caillé et d’Axel Honneth, j’estime que le désir de reconnaissance repose sur des besoins humains fondamentaux tels que l’estime de soi (le respect), l’estime sociale de soi (la reconnaissance d’une particularité) et des besoins empathiques. John Burton considère que le désir de reconnaissance est un « besoin humain » et que sa violation peut entraîner des comportements agressifs [15]. Deuxièmement, dans une veine plus constructiviste, j’estime que les identités qui aspirent à la reconnaissance sont variables et non fixes. L’étude d’Erik Ringmar sur l’entrée de la Suède dans la guerre de Trente Ans en 1630 en est une illustration. [16]. Cette enquête passionnante s’intéresse aux identités dans leur « formative moment » - celui de la Suède de Gustave Adolphe II - soucieuse de faire valoir son identité (non reconnue) de grande puissance protestante en intervenant aux côtés des princes allemands protestants [17]. Troisièmement, j’estime que les identités sont construites et sont souvent ce que les autrui significatifs en font. Ainsi, une politique de reconnaissance est susceptible de construire de nouvelles identités tout comme une politique de « stigmatisation » est susceptible de renforcer l’altérité. À nos yeux, la combinaison d’une approche « psychologique » des besoins fondamentaux et constructiviste est possible si l’on précise davantage quels intérêts de reconnaissance sont stables et lesquels sont socialement construits. Si des besoins comme l’estime de soi sont une constante anthropologique, les moyens concrets de les satisfaire dépendent du contexte historique et social. En outre, le postulat constructiviste selon lequel les identités construisent des intérêts serait difficilement compréhensible si l’on ne supposait pas des besoins psychologiques élémentaires, par exemple celui d’avoir une image valorisée de soi-même.
Au niveau le plus élémentaire, une politique de reconnaissance exige d’abord l’acceptation de l’existence d’autrui. Comme la politique de reassurance (R. N. Lebow/J. Stein), elle vise à réduire les tensions par des concessions symboliques et matérielles mineures prouvant nos intentions « pacifiques". La retenue et la maîtrise des mesures militaires ou des déclarations sur la reconnaissance mutuelle en temps de crise internationale sont susceptibles d’éviter l’escalade action-réaction [18].
Toutefois, une politique de reconnaissance exige plus que le simple fait de montrer à autrui que l’on ne cherche pas à lui nuire physiquement. Elle implique aussi une politique d’égale dignité. Dans le contexte social contemporain, une politique de reconnaissance doit au minimum ne pas remettre en cause le principe d’égalité souveraine entre États. Ainsi, la résolution d’un conflit entre grandes puissances est facilitée par la reconnaissance d’un droit partagé au « leadership » dans les relations internationales. L’égale dignité exige aussi la confirmation de l’autonomie d’autrui via le respect de « ses territoires » physiques et mentaux [19]. La confirmation de l’autonomie d’autrui pose généralement peu de problèmes pour la sécurité identitaire des acteurs car il s’agit là d’une ambition conservatrice. Les indices suivants sont utiles pour identifier le respect plus ou moins grand de la face d’autrui dans une crise internationale :
Une politique de reconnaissance respecte également des « particularités identitaires » qui se manifestent à travers des systèmes de croyances, des religions, des cultures, des normes et les traumatismes et mémoires historiques. Une politique de reconnaissance s’abstient de contraindre l’autre à accepter nos valeurs. Enfin, la reconnaissance de l’autre comme être « particulier » suppose l’engagement empathique, sa prise en considération. La mise en avant de valeurs partagées peut montrer à autrui que je m’identifie partiellement à lui [20]. En revanche, l’indifférence et la stigmatisation d’autrui risque de devenir une prophétie auto-réalisatrice [21]. Quant à la reconnaissance de l’identité particulière de l’adversaire dans les crises internationales, nos questions seront les suivantes :
La « politique de reconnaissance » peut être définie comme des concessions matérielles et surtout symboliques visant à confirmer l’identité d’autrui.
Une vulnérabilité militaire et identitaire
La guerre des Six jours de 1967
La crise précédant la guerre des Six jours a été initiée par les décideurs égyptiens mais la guerre proprement dite a été déclenchée par les responsables israéliens. Je tenterai de comprendre surtout les motivations de ces derniers.
Quant à la vulnérabilité militaire, S. Van Evera affirme que lors de la crise chaque protagoniste pouvait croire qu’il possèderait un avantage en frappant en premier et encourir des risques extrêmes en attendant l’initiative d’autrui [22]. Cela est particulièrement vrai pour les responsables israéliens cantonnés sur un territoire exigu. Le 14 mai, les troupes égyptiennes traversèrent le canal de Suez et se dirigèrent vers le Sinaï. Les responsables israéliens craignaient qu’une attaque des pays voisins arabes ne soit imminente [23]. Les militaires israéliens estimaient qu’une première frappe arabe pourrait se révéler désastreuse [24]. Le 25 mai, les services de renseignement israéliens apprirent que la 4e division blindée égyptienne prenait position dans le Sinaï. Le Premier ministre L. Eshkol écrit le 25 mai à son ministre des affaires étrangères en déplacement à Washington :
« Le problème des détroits n’est plus le principal de nos soucis, mais le danger que constituent pour la sécurité d’Israël des concentrations de troupes très importantes. Une attaque-surprise contre Israël n’est pas exclue » [25].
Confrontés, après le retrait des troupes onusiennes du Sinaï aux forces égyptiennes et syriennes à leurs frontières, les responsables israéliens pouvaient croire que l’option préemptive était leur meilleure chance de survie. La prime à l’offensive était aussi fondée sur les bénéfices stratégiques d’une première frappe. Les commandants de l’armée de l’air israélienne conseillèrent début juin 1967 d’entrer en guerre en raison de leur conviction qu’une attaque surprise pourrait détruire une grande partie des forces aériennes égyptiennes [26]. En effet, leur « frappe préemptive » détruisit 66% des forces aériennes égyptiennes.
La thèse selon laquelle Israël aurait agi par pur sentiment de vulnérabilité a toutefois été remise en question par certains analystes. En effet, il n’est pas sûr que tous les responsables israéliens craignaient pour la suivie de leur État [27] car Israël possédait deux armes nucléaires [28]. L’ambition impérialiste aurait été alors plus importante que la sécurité. Certains individus, notamment les membres du parti religieux, comme le ministre de l’intérieur M. H. Shapira ou celui de la défense M. Dayan ont très probablement eu l’espoir de récupérer des terres « saintes » [29]. Toutefois, cet argument ne semble pas valable pour l’ensemble du gouvernement. La thèse d’une guerre purement impérialiste et déjà planifiée à l’avance est peu compatible avec l’évolution de l’attitude du gouvernement israélien au cours de la crise. Le cabinet s’opposa à l’entrée en guerre jusqu’au 27 mai, avec dix-sept ministres contre un seul favorable à la guerre [30]. En outre, l’existence d’une arme nucléaire pouvait-elle réellement sauver Israël en toute circonstance, compte tenu du parapluie nucléaire soviétique dont les Etats syrien et égyptien pouvaient se prévaloir ?
Les décideurs israéliens étaient aussi vulnérables au défi identitaire. R. N. Lebow rappelle le poids du syndrome « Holocaust » dans la construction identitaire israélienne, allant de pair avec des craintes souvent exagérées pour la survie de la nation. Le chef d’Etat-major, Rabin, admit ouvertement dans une interview avec le politiste M. Brecher cette réalité psychologique des perceptions « victimaires » :
« Le problème n’est pas la liberté de navigation mais le défi est l’existence même de l’Etat israélien et ceci est une guerre pour cette existence » [31].
Dans l’imaginaire israélien, Auschwitz impose la leçon de résister dès le début énergiquement à une agression. Or le gouvernement était perçu comme trop mou et conciliant à l’égard des pays arabes par une partie de la population et l’institution militaire. Rabin conclut le 28 mai :
« Il devient de plus en plus évident que la seule force sur laquelle on puisse compter dans ce pays est l’armée ».
Le président Nasser se trouvait dans une situation comparable. L’initiative de la crise déclenchée par Nasser est expliquée dans l’autobiographie d’Anouer el Sadate de la manière suivante :
« Nasser semblait être en faveur d’une telle mesure (fermer le golfe d’Akaba, TL) pour faire cesser l’opposition arabe à sa politique et pour maintenir sa popularité dans le monde arabe » [32].
Le Roi Hussein de Jordanie ne manquait pas une occasion de critiquer l’immobilisme égyptien, non seulement à l’égard des palestiniens, mais aussi à l’égard des Syriens, liés à l’Egypte par un pacte d’assistance mutuelle. L’armée égyptienne était taxée de tigre de papier [33].
Les décideurs américains face à l’Irak en 2001-2003
Parmi les quatre crises examinées, celle-ci incarne sans doute le plus ce que R. Lebow qualifie de crises qui servent avant tout aux « justifications de l’hostilité », c’est-à-dire comme prétexte pour déclencher une guerre déjà décidée [34]. En faveur de l’hypothèse d’une guerre impérialiste, c’est-à-dire caractérisée par des objectifs stratégiques, économiques et idéologiques offensifs, milite l’existence d’une coalition entre néo-conservateurs « idéologiques » regroupés autour de P. Wolfowitz et de R. Perle et représentants proches de l’industrie de l’armement et de l’industrie pétrolière – D. Rumsfeld ou D. Cheney. Ce groupe de décideurs voulait depuis longtemps renverser le régime de Saddam Hussein [35].
Toutefois, le groupe des décideurs américains n’était pas homogène. Les conservateurs plus classiques comme C. Powell, son secrétaire adjoint R. Armitage, les responsables de l’armée, C. Rice ou G. Tenet hésitaient davantage à entrer dans un tel conflit [36]. Le responsable du Central Command, et les chefs de trois armées exprimèrent également leurs inquiétudes [37]. Ce groupe des réticents était soutenu par les anciens de l’administration Bush père comme J. Baker, l’ancien secrétaire d’Etat ou B. Scowcroft, l’ancien chef de Rice, conseiller à la sécurité nationale. Le 5 août 2002, C. Powell exposa ses réticences au président américain lors d’un dîner [38]. Le président ne fut apparemment pas insensible aux arguments de son secrétaire d’État. Le 7 septembre 2002 lors d’une rencontre entre T. Blair et G. Bush à Camp David, les diplomates anglais trouvèrent le vice-président Cheney bien silencieux. Ceci pourrait indiquer la faiblesse de sa rhétorique belliqueuse à ce moment précis [39].
Il ne faut pas écarter la composante défensive, à la fois sécuritaire et identitaire, des responsables américains dans leur politique contre l’Irak même si elle reposait très largement sur des perceptions erronées. Si l’on se réfère aux documents publiés par les services secrets ainsi qu’aux témoignages des inspecteurs de l’AIEA et de l’UNSCOM, des journalistes ou des acteurs politiques américains, on peut difficilement nier en bloc la sincérité des craintes sécuritaires des responsables politiques. La supposition que l’Irak possédait des armes de destruction massive n’était pas absurde sur la base des informations alors disponibles et surtout psychologiquement compréhensible dans le climat post-traumatique du 11 septembre. Le fait que les décideurs politiques aient délibérément exagéré la menace irakienne ne prouve pas qu’ils aient cru Saddam Hussein inoffensif.
Ce sont surtout les fausses informations des services de renseignement qui expliquent la croyance dans l’existence d’armes de destruction massive. Le rapport du National Intelligence Estimate d’octobre 2002 conclut ainsi :
« L’Irak poursuit son programme ADM, et fabrique des missiles dont la portée dépasse largement les 150 km fixée par la résolution des Nations Unies » [40].
La CIA parvenait à des conclusions semblables et voyait dans l’acquisition de tubes aluminium à haute résistance et dans le prétendu achat d’uranium au Niger une preuve que l’Irak cherchait à enrichir de l’uranium à des fins militaires. Son directeur, G. Tenet, affirma le 21 décembre 2002 face au président Bush qui commençait avoir des doutes sur la solidité du dossier qu’il possédait des preuves en « béton » pour les activités nucléaires de l’Irak [41] (« It’s a slam dunk case », un point ultrafacile au basket). Le président affirma rétrospectivement face à Woodward que les propos de Tenet « ont été déterminants ». Même les services de renseignement français estimaient que l’Irak possédait des armes de destruction massive [42]. En outre, il convient de ne pas oublier le passé du régime irakien en la matière. Lors de la guerre contre l’Iran, le régime irakien utilisa à grande échelle des armes chimiques contre les vagues humaines iraniennes. La résurrection kurde de l’Halabja en 1988 fut réprimée à l’aide de gaz moutarde et d’agents neurotoxiques. En 1991, les inspecteurs de l’AIEA menés par David Kay avaient découvert que l’Irak avait secrètement enrichi de l’uranium sans être détecté [43]. En 1995, la défection d’un des gendres de Saddam Hussein, le général H. Kamel, permit aux inspecteurs de l’AIEA de trouver que l’Irak avait bel et bien placé des charges chimiques dans les armes balistiques [44]. En outre, les inspecteurs avaient découvert l’entrée de milliers de tonnes de produits chimiques et d’autres matières premières en Irak. En 1996, ils avaient mis à jour deux cents caisses d’un matériel de production à parois de verre pour une usine VX [45].
La vulnérabilité des dirigeants américains comportait un second versant identitaire. De nombreux responsables politiques américains s’estimaient défiés dans leur statut de grande puissance démocratique par l’Irak. Cette image de grande puissance veillant au respect des libertés mondiales est depuis la guerre froide si profondément ancrée dans la mémoire collective américaine qu’elle a persisté même après la confrontation bipolaire. L’attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center n’a pas seulement signifié la perte de trois mille vies humaines, mais aussi infligé une formidable blessure narcissique à la puissance américaine. Le fait que l’Irak ait été quasiment le seul État au monde à ne pas condamner cet attentat conforte la vision des responsables américains. Dans son allocution du 11 septembre 2001, G. Bush proclama :
« L’Amérique a été prise pour cible parce qu’elle est le phare le plus brillant de la liberté et du progrès dans le monde » [46].
Saddam Hussein n’a pas simplement maintenu sa place après la première guerre irakienne mais à de multiples reprises, il a défié la puissance américaine en inspirant un attentat contre Bush père et surtout en refusant par la suite, malgré plusieurs avertissements américains, l’accès des inspecteurs de l’AIEA aux sites éventuels de fabrication d’armes de destruction massive. La guerre contre l’Irak était pour la puissance américaine un moyen de supprimer un leader qui avait constamment défié son autorité. H. Kissinger remarqua que les Irakiens démontraient symboliquement que l’on pouvait défier les Nations Unies par la violation de leurs 17 résolutions [47]. Les propos du président américain traduisent aussi le souci de préserver la crédibilité de la puissance américaine face à l’Irak. G. Bush remarqua face à C. Rice dans son ranch présidentiel de Crawford au début du nouvel an 2003 :
« Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de rester dans cette position pendant que Saddam s’amuse à mener les inspecteurs par le bout du nez ! » [48].
Le jeudi ou le vendredi après le nouvel an, Bush prit très probablement la décision définitive d’entrer en guerre. Face à C. Rice, ses préoccupations de face ressortent clairement :
« Loin de perdre de l’assurance (il se réfère à Saddam Hussein, TL), il est de plus en plus sûr de lui. …Nous allons sûrement devoir y aller » [49].
Le président américain fut particulièrement sensible aux offenses en raison de l’image virile qu’il tentait de projeter. B.Woodward rapporte sa réaction quelque peu « agressive » face à l’ambassadeur saoudien prince Bandar :
« Bush fulminait…Bush ne supportait pas qu’on le soupçonne d’être hésitant. ‘Je vous le répète, vous n’aurez pas à attendre trop longtemps’… » [50].
Il faut se rappeler que le père du président était souvent qualifié de « whimp » par ses adversaires. Rétrospectivement, G. Bush admet sa difficulté à reculer une fois qu’il avait proclamé son objectif de « désarmer » Saddam [51].
B. L’affirmation identitaire et les craintes pour l’avenir contre la dissuasion
Quel fut l’effet des postures dissuasives contre ces États qui s’estimaient avant tout vulnérables ? Dans aucun des deux cas, nous n’avons trouvé d’indices prouvant qu’une dissuasion crédible aurait pu éviter la guerre. Au contraire, la fermeté dont firent preuve les dirigeants égyptiens et israéliens en 1967 et Saddam Hussein en 2002/2003 face à leurs adversaires conduisit à une escalade incontrôlée et finalement belliqueuse.
La guerre des Six Jours
Nasser, soucieux de montrer sa nouvelle détermination, n’opta pas seulement pour le retrait pur et simple des troupes de l’ONU du Sinaï (qu’il obtint le 18 mai) mais décréta quelques jours plus tard (le 22 mai) la fermeture du détroit de Tiran à la navigation israélienne [52]. Ses troupes paradèrent à la frontière israélienne. Nasser avait envoyé près de 100.000 hommes et 600 tanks dans le désert de Sinaï. À cela s’ajouta un traité d’alliance entre le roi Hussein de Jordanie et l’Egypte signé le 30 mai et les commandos d’El-Fatah au Nord d’Israël. C’est surtout le survol de la centrale nucléaire israélienne de Dimona effectué par deux chasseurs Mig-21, le 17 mai, qui « déclencha une véritable tempête au sein de l’état-major israélien » [53]. La peur d’une attaque contre cette centrale nucléaire fut peut-être l’une des causes principales de la décision israélienne de mener une sorte de guerre « préventive » [54]. Toutefois, le 21 mai, L. Eshkol fit prévaloir au sein d’une réunion du comité de défense « une ligne de conduite modérée visant à désamorcer la crise » [55].
La posture menaçante de Nasser se heurta surtout au syndrome d’Holocaust et de Massada [56]. Au lieu d’intimider les responsables israéliens, les menaces d’anéantissement proférées par les dirigeants arabes et par les speakers de Radio le Caire ravivèrent le traumatisme créé par le souvenir du génocide. Les radios arabes multiplient alors leurs injures envers les sionistes [57]. Radio le Caire s’exclame :
« Nous vous mettons au défi, Eshkol, de tester vos armes…elles conduiront à la mort et à l’annihilation d’Israël ».
Le 23 mai, Nasser réplique :
« Si les dirigeants israéliens…veulent la guerre, ils sont les bienvenus, nous les attendons ! » [58] .
La décision du président Nasser de fermer le détroit de Tiran le 22 mai joua un rôle critique dans l’évolution de la crise. Cette décision impliquait le blocus de tout trafic maritime à destination du port israélien d’Eilat [59]. Bien que Nasser sache certainement que cette décision pouvait entraîner la guerre, il espérait qu’elle pourrait être évitée [60]. Pris au piège par la vague nationaliste, le président égyptien ne fit rien pour indiquer le caractère limité de ses objectifs. Par ailleurs, le secrétaire général des Nations Unies le Birman U. Thant ne prit pas en compte les considérations « faciales » dans la gestion du conflit. Nasser n’avait pas remis en cause la présence de la FUNU dans les endroits les plus sensibles, respectivement Gaza et Sharm El Sheikh. Le retrait des casques bleus de Sharm El Sheikh aura des conséquences particulièrement néfastes. Privées de la FUNU, les forces égyptiennes se retrouvent désormais face aux bateaux israéliens qui passent dans le détroit de Tiran. Or si Nasser accepte cette situation, il se ridiculise « lui le héros de l’arabisme qui proclame depuis toujours liquider l’Etat sioniste, resterait les bras croisés alors que les navires ennemis passent à quelques encablures de ses forces » ? [61]. L’Etat-major israélien estima « qu’une ligne rouge avait été transgressée » [62]. La décision d’une guerre ne fut pas encore prise à ce moment-là car le cabinet nourrit l’espoir d’un soutien britannique et surtout américain dans l’endiguement de l’Egypte. Le 26 mai constitue un autre tournant. Nasser affirme ce jour là que le Golfe d’Akaba ne serait qu’une petite partie d’un problème plus grand, à savoir celui de l’agressivité israélienne. J. Stoessinger rapporte : « La réaction en Israël fut électrique » [63].
Paradoxalement, les maladresses de L. Eshkol lui-même sont à l’origine de la radicalisation de la politique israélienne. Les 27 et 28 mai, le cabinet israélien hésite encore à entrer en guerre [64]. Le président Johnson promet une action internationale, destinée à ouvrir le golfe d’Akaba aux navires de tous les pays [65]. Or, le 28 mai au soir, L. Eshkol intervient à la radio d’État en direct. Epuisé et mal préparé, le premier ministre bafouille et donne l’impression d’être indécis, voire incapable de résister à la pression des États arabes. Les responsables de l’État-major, reçus le soir même par Eshkol, se montrent désormais intraitables et déterminés à entrer en guerre. Le général Sharon lance au Premier ministre :
« Vos atermoiements nous coûteront des milliers de morts » [66] .
Ces maladresses furent d’autant plus désastreuses qu’elles allaient de pair avec de nouvelles provocations égyptiennes. Le 28 mai, Nasser convoque dans son palais une importante conférence de presse :
« Si Israël veut la guerre, nous lui répétons : faites donc ! » [67].
Le 29 mai, l’affaiblissement de la position pacifique de Eshkol devient tangible [68]. L’éditorialiste du quotidien influent Haaretz estime « tel qu’il est actuellement composé, le gouvernement ne réussit pas à diriger le pays, au milieu des dangers » [69]. Le roi Hussein débarque au Caire le 30 mai pour signer avec Nasser un pacte de défense mutuelle selon lequel l’armée jordanienne passerait, en cas de conflit armé, sous commandement égyptien. Ce pacte renforce le sentiment de vulnérabilité des décideurs israéliens. Le 1er juin, la nomination de M. Dayan à la tête du ministère de la défense constitue une sorte de pré-décision d’entrer en guerre. Le 2 juin, le président Johnson transmet un message à Eban qui montre nettement les limites de ce que les Américains veulent faire [70]. À l’issue d’une réunion très longue qui voit le ralliement du ministre des affaires étrangères aux thèses de l’État-major, le principe de déclenchement de la guerre est voté par douze voix contre deux [71].
La guerre contre l’Irak
Avant le 11 septembre, l’Irak constituait une préoccupation secondaire dans la politique étrangère américaine. Le secrétaire d’État Powell affirma en février 2001 que les États-Unis avaient réussi à maintenir Saddam dans sa « boîte » (« We have kept him constrained, kept him in his box ») [72]. Seuls les néo-conservateurs mettaient en garde contre Saddam Hussein [73]. La réaction de l’Irak après les événements du 11 septembre fut donc cruciale. Alors que la télévision irakienne ne se gêna pas pour évoquer la « leçon infligée à l’arrogante Amérique », Saddam Hussein déclara le 12 septembre que les États-Unis auraient récolté les « épines semées par leurs dirigeants dans le monde entier » [74]. Il fut le seul dirigeant arabe à ne pas protester contre les attentats. Le 13 septembre 2001, Saddam Hussein adresse une lettre ouverte aux peuples américains et occidentaux [75]. Il souligne le caractère réactif des événements du 11 septembre en prenant ses distances avec leur désignation comme acte d’agression (« American military retaliation on what they call aggression ») [76]. Il oppose la lâcheté des responsables américains au courage des auteurs des attentats du 11 septembre :
« Quant à ceux qui ont agi le 11 septembre 2001, ils l’ont fait d’une distance proche et avec une détermination absolue, j’imagine » [77].
Ces déclarations provocatrices ont nourri des soupçons envers les projets irakiens à l’égard de la puissance américaine. L’émotion causée par les attentats favorisa peu les nuances [78]. Le 14 septembre, soit un jour après la lettre ouverte de Saddam Hussein aux Américains, G. Bush réunit ses principaux conseillers à Camp David, la résidence de week-end des présidents américains. P. Wolfowitz profite de l’occasion pour mettre en avant que « plusieurs pays dans le monde » soutiennent le terrorisme et en particulier l’Irak [79]. Deux jours plus tard, le président déclare face à C. Rice :
« l’Irak est sur mon agenda, je pense qu’ils sont dans le coup » [80].
Le 21 novembre, en pleine guerre contre l’État taliban, le président se renseigne auprès du secrétaire à la défense Rumsfeld au sujet d’un éventuel plan d’attaque contre l’Irak. Il demande à T. Franks, commandant du CENTCOM, « d’étudier les moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour protéger l’Amérique en renversant au besoin Saddam Hussein » [81].
Les déclarations de Saddam Hussein furent également susceptibles de provoquer des blessures narcissiques chez les responsables américains. Les propos très « passionnels » du président américain à l’encontre du dirigeant irakien soulignent le caractère « identitaire » de l’opposition à l’Irak. En mars 2002, le président dit ainsi à Rice :
« Fuck Saddam. Nous allons l’écarter » [82].
Dans son discours du 7 octobre 2002 de Cincinatti, le président relève :
“Nous savons que le régime de Saddam Husssein a joyeusement célébré les attentats du 11 septembre » [83].
Relativement tôt, l’administration américaine envisage donc un recours à la force armée contre l’Irak et les déclarations provocatrices de Saddam Hussein n’y sont certainement pas pour rien. Si en février 2002, « personne ne semblât pressé de jouer de la gâchette » [84], Saddam Hussein est dans le collimateur de l’administration américaine, à la fois comme menace sécuritaire et comme défi à son autorité et à l’honneur national.
Même après l’approbation de la résolution 1441 par le Conseil de Sécurité le 8 novembre et l’admission des inspecteurs de l’AIEA et de l’UNMOVIC en Irak le 18 novembre 2002, Saddam Hussein poursuivit les obstructions, ce qui a contribué à alimenter les soupçons. Alors que la menace de guerre se précise, il refuse le survol du territoire irakien par les avions espions U2. Sous prétexte des attaques quotidiennes des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans les zones d’exclusion aérienne, il ne garantit pas la sûreté des avions britanniques et américains. L’Irak fait aussi un important battage médiatique autour des inspecteurs qui ont visité une mosquée de Bagdad et qui sont accusés d’avoir posé des questions sur la présence éventuelle d’abris souterrains [85].
La dernière possibilité pour l’Irak d’obtenir une résolution pacifique du conflit résidait dans la déclaration de décembre. Le 7 décembre, les autorités irakiennes remirent en conformité avec la résolution 1441 un rapport de 11 807 pages affirmant que l’Irak ne possédait aucune arme de destruction massive. Or, ce rapport était pour la grande majorité des experts, peu crédible et même maladroit. L’Irak avait précédemment déclaré aux inspecteurs de l’ONU la possession de 8500 litres d’anthrax ainsi que de plusieurs tonnes du gaz VX [86]. La déclaration irakienne reprenait essentiellement des documents plus anciens et était un remaniement d’une déclaration présentée à l’UNSCOM en septembre 1997. Certains passages et documents se trouvaient de manière répétée dans le rapport comme s’il s’agissait de gagner en volume. Pour H. Blix, cette déclaration de près de 12000 pages révélait une certaine attitude agressive de la part des autorités irakiennes qui semblaient dire : « Vous nous réclamez trop d’informations. Tenez, prenez ça et débrouillez-vous » [87].
L’effet de cette déclaration fut désastreux et créa une bonne dose de ressentiment [88]. L’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, J. Negroponte, affirma face à Blix que cette déclaration était « une insulte au Conseil de Sécurité » [89]. Le manque de clarté de Bagdad convainc l’ensemble de l’administration Bush, y compris C. Powell, que Saddam n’avait nullement l’intention de procéder à un désarmement [90]. Les membres les plus modérés du gouvernement américain étaient désormais convaincus que l’Irak jouait au chat et à la souris avec les inspecteurs de l’ONU et que le seul moyen de désarmer complètement le pays était l’intervention armée. Le 18 décembre, le président Bush reçoit en privé J.M. Aznar. G. Bush remarque à propos de la déclaration irakienne que :
« la plaisanterie a assez duré et nous le virerons. C’est un menteur et il n’a aucune intention de désarmer » [91].
L’alternative : La politique de la reconnaissance apaisante
Si les postures dissuasives sont le plus souvent impuissantes face à des États qui s’estiment vulnérables, il existe néanmoins une politique alternative visant à la fois à diminuer les craintes sécuritaires d’autrui et à confirmer son identité via une reconnaissance surtout symbolique. Les deux cas que je présenterai démontrent qu’il est souvent possible d’apaiser l’État cible sans nécessairement faire des concessions matérielles compromettantes.
Des Etats vulnérables mais pacifiques
Khrouchtchev et le « missile gap »
La crise des fusées de Cuba a été déclenchée par la découverte d’engins balistiques soviétiques sur l’île cubaine, le 14 octobre 1962, par un avion espion américain U2. Outre ces fusées SS4 et SS5 d’une portée dépassant les 2000 km, les Américains constatèrent la présence de 42000 militaires soviétiques sur l’île [92]. Comment comprendre la décision des responsables soviétiques de mettre en place des fusées à Cuba ?
L’initiative soviétique peut être interprétée comme une tentative de redresser ce qu’ils estimaient être un déséquilibre global. Au cœur des préoccupations des décideurs soviétiques se trouvaient la viabilité de la RDA, la reprise américaine des essais nucléaires et le déséquilibre nucléaire par rapport aux États-Unis [93]. Les Soviétiques avaient remarqué que le fameux missile gap était en fait en leur défaveur. Alors que les États-Unis possédaient 300 missiles et 1600 bombardiers à long rayon d’action, l’URSS ne possédait que 100 missiles et 300 bombardiers. Ce rapport de forces était connu depuis l’été 1961 au moment où les satellites Corona avaient révélé aux États-Unis qu’ils possédaient quatre fois plus de missiles intercontinentaux ICBM que l’Union Soviétique [94]. Objectivement, la puissance américaine avait même une capacité de première frappe contre l’arsenal soviétique [95].
Ensuite, les Soviétiques pouvaient craindre que la sécurité de leur allié cubain ne soit pas assurée [96]. Les nouveaux documents « confèrent de la crédibilité aux affirmations de Khrouchtchev selon lesquelles la motivation principale de l’Union Soviétique était la défense de Cuba contre une invasion américaine ». [97] La tentative américaine de renverser le régime de Castro en 1961 était encore dans les mémoires. Le président américain n’avait nullement renoncé à son objectif car il avait autorisé le 30 novembre 1961 l’opération Mongoose prévoyant des actes de sabotage et d’infiltration contre le régime de Castro.
Enfin, selon la perception du secrétaire général soviétique, les Américains avaient « entouré notre pays de bases militaires…nous ne faisons jamais que leur rendre – en plus petit – leur politesse » [98]. Pour N. Khrouchtchev, les missiles américains déployés en Turquie étaient particulièrement menaçants. Il avait demandé en vain leur retrait de sa rencontre avec Kennedy à Vienne [99].
Il convient aussi de ne pas négliger les questions de prestige dans le comportement soviétique. Un des proches de Khrouchtchev, O. Troyanowski, le confirme :
« Khrouchtchev était toujours soucieux de notre prestige. Il était inquiet du fait que les Américains ne nous forceraient à reculer quelque part »
[100]. Pour Y. Haine, « Moscou recherchait une égalité de statut, une crédibilité équivalente à celle de Washington » [101]. L’obsession du prestige de Khrouchtchev était d’autant plus grande qu’il estimait que les États-Unis avaient refusé d’accorder à l’URSS le statut de grande puissance lors du sommet de Vienne de 1961. Khrouchtchev remarqua en septembre 1961 devant un membre du cabinet du président Kennedy :
« Ça fait bien longtemps que vous avez pu nous commander comme un petit garçon - maintenant, nous pouvons vous botter le cul » [102].
Les survols du territoire soviétique par les U2 stimulèrent l’irritation « identitaire » de Khrouchtchev :
« Ils faisaient ces vols afin de montrer notre impuissance » [103].
Selon lui, les États-Unis voulaient faire de l’Union Soviétique un écolier bien sage avec ses mains sur le bureau [104]. Khrouchtchev « ne supportait pas les ‘violations arrogantes’ de la souveraineté russe par les États-Unis qui démontraient ainsi leur refus de traiter l’Union Soviétique d’égal à égal » [105].
En octobre 1961 lorsque le secrétaire américain à la défense révéla que le missile gap était en fait en faveur des Etats-Unis, Khrouchtchev considéra cela « comme une humiliation gratuite » d’autant plus amère qu’il avait toujours considéré les armes nucléaires comme « l’apanage ultime de la puissance » [106]. Les décideurs américains avaient conscience de cette dimension identitaire de l’arsenal nucléaire [107].
La protection de l’île cubaine constituait un enjeu « identitaire » pour l’Union Soviétique. Son image de grande puissance communiste, patrie mère de la révolution socialiste, était en jeu [108]. En outre, Cuba risquait de se tourner vers la Chine [109]. Khrouchtchev, « tenta de pallier cette infériorité stratégique par une gageure nucléaire » [110]. L’arme nucléaire était, durant la guerre froide, synonyme de prestige et de « modernité » pour Khrouchtchev.
Khrouchtchev considérait la présence de missiles Jupiter en Turquie comme un autre affront. L’historien américain J. Gaddis [111] rapporte que lorsque Khrouchtchev recevait des visites durant ses vacances en Bulgarie, il regardait l’horizon en direction de la Turquie pour dire à son invité qu’il y avait là bas des missiles pointés sur sa datcha. C’est apparemment lors de l’un ses séjours en Bulgarie en avril 1962 que Khrouchtchev développa l’idée de rendre aux Américains la pareille [112].
En 1962, le prestige de Khrouchtchev était amoindri auprès de l’institution militaire et d’un public plus large de sorte que certains parlaient même d’une crise de légitimité du Kremlin [113]. Il y avait un débat important sur la réduction drastique des dépenses militaires en 1960 et l’augmentation du prix des produits alimentaires de base. Ses alliés, la Chine et Cuba, attendaient de l’Union Soviétique un comportement plus « ferme » [114].
Le cas des relations américano-libyennes (1986-2006)
Pendant longtemps, la puissance américaine perçut le régime du colonel Kadhafi comme une menace. En 1973, elle retira son ambassadeur. L’administration américaine qualifiait depuis 1981 la Libye d’Etat terroriste. En 1986, celle-ci procéda même à des bombardements aériens sur Tripoli tuant au passage la fille de Kadhafi [115]. En juillet 2001, les Etats-Unis reconduisirent pour cinq ans les sanctions économiques unilatérales imposées à l’Iran et à la Libye. Un recours à la force armée contre la Libye n’était pas exclu. En mai 2006, le secrétaire assistant à la Défense D. Welsh annonça la reprise intégrale des relations diplomatiques avec la Libye. Comment comprendre cet antagonisme, puis sa résolution spectaculaire ?
D’abord, aux yeux des Américains, le régime libyen était l’incarnation de l’État « voyou ». La Libye chercha au début des années 70 à se procurer de l’uranium, des centrales nucléaires et des technologies balistiques, par l’intermédiaire de la Chine, puis de l’Egypte et du Pakistan. En 1981, les responsables libyens refusèrent une offre d’uranium enrichi à 20% proposée sous une fausse identité par un agent de la CIA. Les responsables libyens estimaient que cette offre n’était pas assez « bonne » (ils aspiraient à un taux d’enrichissement de 80%) illustrant par là leur volonté de se doter sérieusement de l’arme nucléaire [116]. Toutefois, l’embargo imposé par la communauté internationale à partir de 1992 après l’implication libyenne dans l’attentat de la Pan Am sur Lockerbie en Ecosse, limita les possibilités pour la Libye de se doter de l’arme nucléaire. Ses capacités nucléaires restaient limitées à un réacteur de recherche de 10 Méga Watt à Tajura, équipé avec l’aide de l’Union Soviétique au début des années 1980. En mars 2002, Kadhafi proclama que les nations arabes devaient avoir le droit de fabriquer des armes nucléaires en raison de la nucléarisation d’Israël [117].
La Libye était impliquée dans de nombreux attentats terroristes contre les États-Unis. Le 5 avril 1986, un attentat à la bombe fut perpétré contre la discothèque « La Belle » fréquentée par des soldats américains à Berlin et commandité par le colonel Kadhafi [118]. En avril 1986, l’administration Reagan autorisa des frappes aériennes de cibles choisies à Tripoli et de Benghazi. Le 21 décembre 1988, un attentat contre le Boeing 747 du vol 103 de la Pan Am au-dessus du village écossais de Lockerbie fit 270 victimes. En 1991, l’implication de la Libye dans cet attentat est avérée. Le 27 novembre une déclaration conjointe anglo-américaine exige la livraison des agents libyens suspects. Le 19 septembre 1989, le DC-10 de la compagnie française d’UTA s’écrase au-dessus du désert du Ténéré au Niger, faisant 171 victimes. Une fois encore les autorités libyennes semblent être impliquées [119].
La Libye représenta en outre une menace « identitaire » pour la puissance américaine. Elle incarna le mépris des droits de l’homme et l’autoritarisme militaire le plus brutal. Kadhafi s’imposa comme le champion des diatribes anti-américaines en se présentant comme victime du « terrorisme américain ». Peu après avoir pris le pouvoir en 1969, Kadhafi demanda aux États-Unis de fermer leurs bases militaires sur le territoire libyen. L’ensemble du personnel diplomatique américain fut retiré de Libye en 1979 après qu’une foule (probablement « inspirée » par les responsables gouvernementaux) eût attaqué et incendié l’ambassade américaine à Tripoli. Se posant en héros de la lutte anti-impérialiste, Kadhafi proclama que le Golfe de Grande Syrte était libyen et de ce fait, il interdit son accès aux navires américains. En juin 1981, le président Reagan prit la décision, sur les conseils de son secrétaire à la défense C. Weinberger, de défier la Libye en organisant une manœuvre aéronavale dans le Golfe de Syrte. Il craignait que l’autorité de la puissance américaine ne soit mise en cause dans la région. Des escarmouches se produisirent alors avec les forces libyennes, un avion libyen étant abattu. Peu importe si la Libye de Kadhafi s’affirma comme la championne de l’unité arabe, de l’islam, des non-alignés ou de la lutte anti-impérialiste, c’était manifestement le leadership américain qui était remis en question [120].
La politique de reconnaissance
Pourquoi la guerre a-t-elle pu être évitée dans ces deux crises internationales ? À l’opposé d’une politique de dissuasion « pure », les responsables politiques ont pu apaiser les craintes de l’autre partie via une politique de considération qui présente certaines similitudes dans chaque cas. Le cas de la crise de Cuba est encore celui où la composante dissuasive a joué le rôle le plus important. Le président Kennedy opta avec le blocus pour une politique de fermeté modérée. Dès le début de la crise, il songe à la mobilisation de l’outil militaire afin de forcer les Soviétiques à retirer leurs fusées [121]. Toutefois, cette posture dissuasive fut accompagnée de multiples concessions qui permirent à Khrouchtchev de se retirer sans « perdre la face » [122].
L’apaisement des relations américano-soviétiques
La politique de l’administration américaine à l’égard de l’Union Soviétique se caractérise par un effort pour éviter une escalade du conflit. Le président Kennedy avait compris que l’emploi de l’outil militaire comme instrument d’une politique d’intimidation pourrait être une arme à double tranchant en créant une incitation pour des frappes préemptives ou préventives. Kennedy ordonna à la marine américaine de resserrer le blocus naval autour de l’île afin d’éviter une interception précoce des navires soviétiques [123]. Grâce à ces précautions, il avait plus de temps pour négocier une solution diplomatique avec les responsables soviétiques. De même, le 27 octobre, le président Kennedy est intervenu pour éviter que les militaires américains ne ripostent à la destruction de l’avion espion par la défense anti-aérienne cubaine [124]. Quant à la reconnaissance mutuelle des belligérants potentiels, l’engagement du président Kennedy à respecter l’intégrité territoriale de Cuba a considérablement facilité la résolution de la crise des fusées. En outre, il était habile de la part du président de faire appel à l’ONU et à son secrétaire général pour négocier l’arrêt de fournitures militaires à Cuba contre l’arrêt du blocus naval. L’inscription même de la négociation au sein de l’ONU signifiait la reconnaissance qu’il ne s’agissait pas d’un diktat mais d’une solution de compromis entre deux partenaires égaux.
Quant à la politique de reconnaissance au sens propre, l’administration américaine portait une grande attention à la « gestion de la face ». T. Sorensen estima qu’il était primordial de « donner » aux responsables soviétiques « une porte de sortie » [125]. Un premier fait devrait être noté à propos du respect de « l’égale dignité » : malgré son immense supériorité stratégique, la puissance américaine s’est abstenue d’adresser un ultimatum à l’Union soviétique. Le président Kennedy considérait que :
« S’il existe une chose que j’ai appris dans mon métier, c’est de ne pas émettre d’ultimatums… Ni notre nation ni l’Union soviétique ne peuvent se permettre d’être humiliées…. » [126].
Le choix du blocus plutôt que les frappes aériennes et a fortiori d’une intervention massive était dicté par la réflexion selon laquelle les décideurs soviétiques devaient avoir l’occasion de retirer « dignement » leurs missiles de l’île cubaine [127]. Les décideurs américains voulaient aussi donner une bonne image de la puissance américaine. Ils craignaient que, dans l’opinion mondiale, l’analogie avec « l’odieuse attaque » japonaise de Pearl Harbor ne s’établisse tout de suite [128]. Quant au resserrement de blocus autour de l’île cubaine, c’est l’ambassadeur britannique aux Etats-Unis Ormsby Gore qui en émit l’idée. A l’origine, le blocus devait englober 700 à 800 miles, alors que Ormsby-Gore proposa de réduire « la quarantaine » à 500 miles. T. Sorensen décrit ainsi les motivations américaines : « Khrouchtchev avait de graves décisions à prendre et chaque heure supplémentaire l’aiderait à trouver le moyen de faire une retraite honorable … ? » [129].
La grande souplesse dans l’application du blocus autour de l’île cubaine était destinée à préserver la face des décideurs soviétiques. Ainsi, le 24 octobre, le président donna l’ordre de faire passer le navire Bucarest en direction de l’île cubaine. Contre le conseil des militaires, le président décida de donner plus de temps à Khrouchtchev afin d’éviter de le pousser « dans un coin d’où il ne peut plus échapper » [130]. De même le 25 octobre, l’Ex com laissa passer le navire civil est-allemand le Völker Freundschaft [131], malgré la quarantaine. En revanche, le 26 octobre, le navire Marcula fut intercepté par la marine américaine. Le choix de ce navire était soigneusement médité. Robert Kennedy s’explique sur ce choix :
« Il (le président Kennedy, TL) démontra à Khrouchtchev que nous étions en mesure d’imposer la quarantaine et pourtant, parce que ce n’était pas un navire appartenant à l’Union soviétique, cela ne représenta pas un affront direct pour les Soviétiques exigeant une réponse… » [132].
Le moment le plus crucial de la crise fut peut-être la retenue des responsables américains après la destruction de leur avion espion le 27 octobre 1962 par la défense anti-aérienne cubaine. Une riposte musclée aurait probablement conduit les responsables soviétiques à s’engager dans les hostilités pour préserver leur face. T. Sorensen rapporte :
« Il (le président, TL) insista à nouveau pour que les Russes aient le temps de réfléchir à ce qu’ils faisaient » [133].
Le secrétaire à la Défense Robert Mc Namara estime :
« Si le Président avait répliqué par des frappes aériennes et l’invasion de l’île cubaine, les forces de l’invasion se seraient sûrement heurtées au feu nucléaire, exigeant une riposte nucléaire de la part des Etats-Unis » [134].
Nous savons aujourd’hui que 162 têtes nucléaires étaient déjà installées sur l’île cubaine.
Les États-Unis ont en plus proposé des concessions substantielles à Khrouchtchev. Outre la garantie de la souveraineté cubaine, ils proposaient de retirer leurs fusées Jupiter quelques mois après la crise. L’accord négocié entre R. Kennedy et l’ambassadeur soviétique Dobrynin est resté tacite. La rencontre eut lieu le soir du 27 octobre [135]. Le Président eut très tôt conscience de la nécessité d’offrir aux Soviétiques une contrepartie substantielle pour leur permettre de sortir honorablement de la crise. Les fusées Jupiter déployées en Turquie s’imposaient comme « objet d’échange » par leur proximité des frontières soviétiques [136].
Le 27 octobre même, les responsables américains prirent une autre décision, bien astucieuse pour sauvegarder la face soviétique : ils répondirent favorablement à la première lettre de Khrouchtchev, tout en ignorant la seconde qui exigeait un engagement public américain de retirer les missiles Jupiter de la Turquie. De cette manière, les décideurs américains n’avaient pas besoin de brusquer leurs homologues soviétiques tout en ouvrant la voie à une solution négociée. Dans sa réponse du 27 octobre, le Président américain proposa que l’Union soviétique retire immédiatement ses fusées sous l’égide de l’ONU alors que les États-Unis et leurs alliés s’engageaient à ne pas envahir l’île cubaine. Toutefois, par crainte d’affaiblir sa position devant l’opinion interne américaine, le président Kennedy ne chercha pas à négocier publiquement l’accord dans le cadre des instances de l’ONU [137].
La politique de reconnaissance américaine prit aussi en compte le respect du statut particulier de la puissance soviétique. Khrouchtchev et Kennedy s’étaient mis d’accord durant la crise pour ne pas remettre en cause « l’idéologie » de l’autre [138]. Dans sa lettre du 26 octobre, Khrouchtchev se prononça pour une mise entre parenthèse des « problèmes idéologiques et économiques » afin mettre en avant ce qui est partagé par les deux puissances, à savoir leur désir de survie.
Quant à l’empathie, les décideurs américains se sont efforcés de se mettre dans la peau des responsables soviétiques, en premier lieu pour comprendre quelles étaient leurs intentions [139]. Le secrétaire d’Etat Mc Namara tire comme leçon particulière de la crise le fait que :
« Nous devons tenter de nous mettre dans leur peau (celle de nos ennemis) et de nous regarder à travers leurs yeux… » [140].
Lors du débat décisif du 27 octobre au sein de l’Ex Com, c’est cette démarche empathique permettant de comprendre les besoins sécuritaires de la puissance soviétique qui pesa le plus fortement en faveur des options privilégiant les tentatives de maintenir la paix. L’argument de l’ex ambassadeur américain à Moscou « Tommy » Thompson, selon lequel Khrouchtchev cherchait à éviter le conflit mais qu’il avait besoin d’une concession pour dire à ses compatriotes « J’ai sauvé Cuba. J’ai stoppé une invasion », avait convaincu le Président [141]. L’exemple le plus flagrant de l’empathie fut fourni par les responsables soviétiques eux-mêmes après la destruction d’un U2 américain par la défense anti-aérienne sans autorisation de Moscou le 27 octobre. Khrouchtchev avait compris que l’absence de réaction forte face à la mort d’un pilote américain était susceptible d’amener les Américains sur une pente belliqueuse [142].
L’apaisement des relations américano-libyennes
Un premier tournant dans les relations américano-libyennes se produisit lorsque les États-Unis acceptèrent en 1999 de faire juger les suspects libyens des attentats de Lockerbie par un tribunal écossais aux Pays-Bas (choisi comme territoire « neutre malgré la quarantaine »). La Libye accepta à son tour d’extrader les suspects libyens à la Haye. Le procès s’ouvrit en 2000 [143]. Cette concession conduisit en avril 1999 à la suspension des sanctions du conseil de sécurité de l’ONU contre la Libye. Décidées en 1992, elles prévoyaient un embargo sur le transport aérien et le commerce des armes [144].
La Libye se présenta à partir de 2000 comme championne de la lutte anti-terroriste en jouant un rôle d’intermédiaire dans deux libérations : celle des otages occidentaux de l’île de Jolo aux Philippines en 2001 et celle des touristes européens retenus par des groupes islamiques en Algérie en 2003. La Libye adhérait à plusieurs conventions internationales contre le terrorisme international, par exemple celles de la Haye contre la piraterie aérienne (1970) ou du Caire (1998) pour la suppression du terrorisme. Lors des attentats du 11 septembre, Kadhafi saisit l’occasion, contrairement à Saddam Hussein, pour exprimer sa compassion envers le peuple américain. Il proposa une assistance humanitaire aux victimes de la catastrophe [145]. La Libye approuva aussi la guerre américaine contre l’État taliban [146]. Le colonel Kadhafi expulsa l’organisation Abou Nidal de son territoire. Cette politique de « réassurance » fut couronnée de succès. La Libye ne fit ainsi pas partie de « l’axe du mal », dans le discours du président américain sur l’état de l’Union du 2 janvier 2002.
La reconnaissance par la Libye de sa responsabilité dans les attentats de Lockerbie fut peut-être le pas le plus décisif dans la normalisation des relations américano-libyennes. Ainsi, le 15 août 2003, Kadhafi envoya une lettre officielle adressée à l’ONU :
« La Libye comme État souverain a facilité l’extradition des deux suspects accusés d’avoir saboté le Pan Am 103 et accepte la responsabilité pour l’action de ses fonctionnaires » [147].
Le 13 août 2003 un accord officiel entre Tripoli, Londres et Washington est signé dans lequel la Libye reconnaît sa responsabilité. Elle s’engage à verser 2,7 milliards de dollars aux familles de victimes. En échange, les membres du Conseil de sécurité - et plus tard aussi les États-Unis (qui s’étaient abstenus dans un premier temps) - décidèrent la levée des sanctions le 12 septembre avec la résolution 1506. Les États-Unis supprimèrent la Libye de la liste des États terroristes [148].
Kadhafi chercha à démontrer aux responsables américains qu’il était comme eux opposé aux « islamistes » radicaux. Ainsi que le relève son fils S. Aleslam dans un article destiné au public américain en été 2003 : « …la Libye n’a jamais montré de sympathie pour le radicalisme islamique… la Libye a émis un mandat d’arrêt contre Ousama Ben Laden » [149]. Cet intérêt partagé pour le combat contre le fondamentalisme islamique a été essentiel pour donner une certaine crédibilité aux propositions libyennes de normalisation des relations avec Washington. Saddam Hussein a manqué cette occasion car il aurait pu mettre en avant, par exemple, le caractère laïc de son État de façon beaucoup plus nette que le leader libyen.
Les responsables libyens s’étaient même résolus à reconnaître le rôle spécial des États-Unis en tant que superpuissance démocratique. Ainsi, lors de son discours du 31 août 2003, le Colonel Kadhafi déclare :
« J’ai dit aux dirigeants arabes que l’Amérique voulait déclarer la guerre aux régimes dictatoriaux. Les États-Unis ont annoncé : ‘nous sommes contre les dictatures !…Mais c’est très bien tout ça ! C’est exactement ce que nous croyons aussi’ » [150].
Le seul obstacle à la normalisation complète des relations américano-libyennes restait désormais le soupçon américain d’une éventuelle tentative de la Libye de se doter de l’arme nucléaire ainsi que d’armes chimiques et biologiques. La Libye annonça, via une déclaration publique du colonel Kadhafi en décembre 2003, son intention de renoncer définitivement aux armes de destruction massive et de démanteler sous contrôle de l’inspection internationale son programme d’armes biologiques, chimiques et nucléaires ainsi que de supprimer tous les missiles balistiques d’une portée supérieure à 300km [151]. Le 27 décembre 2003, le directeur de l’A.I.E.A, Mohammed El Baradei, arriva à Tripoli avec son équipe d’experts. Selon ses déclarations, la Libye semblait très loin de pouvoir produire des armes nucléaires et enrichir de l’uranium [152]. En mars 2004, la Libye signa le protocole additionnel du Traité de non-prolifération nucléaire. Ces concessions ont conduit à une normalisation progressive des relations américano-libyennes. Le 20 septembre 2004, le président G.W. Bush annula une grande partie des sanctions économiques contre la Libye et autorisa aussi la reprise du trafic aérien entre les deux pays [153].
Outre des concessions sécuritaires (terrorisme, prolifération des ADM), la satisfaction des demandes symboliques (Lockerbie) a été le facteur le plus décisif dans l’apaisement de la position des Etats-Unis à l’égard de Tripoli. Contrairement aux explications libérales mettant en avant les intérêts économiques et notamment énergétiques des Etats-Unis, il convient de noter que les milieux d’affaires qui militaient en 2001 pour une levée des sanctions ne sont pas parvenus à s’imposer face aux groupes d’intérêt, tels que l’« American Israel Public Affairs Committee » ou les parents des 1003 victimes du vol 103. La Libye était toujours associée à des positions anti-israéliennes et terroristes. À cette époque, les coûts moraux et intérieurs d’une normalisation étaient pour les responsables américains bien trop importants [154]. En 2001, l’Administration Bush revendiqua sans ambiguïté que la Libye devait, préalablement à toute normalisation, assumer sa responsabilité dans l’attentat et dédommager les familles des victimes.
Le constat que les démarches coercitives favorisent la guerre apparaît comme l’une des leçons les plus importantes de l’analyse des quatre crises. Certes, la modération de Kennedy et de Khrouchtchev fut aussi dictée par le souci d’éviter à tout prix une apocalypse nucléaire [155]. La dissuasion est compatible avec le maintien de la face de l’autre si elle ne s’accompagne pas de menaces explicites. En revanche, les cas étudiés réfutent la thèse selon laquelle l’issue d’une crise tient uniquement à la fermeté des protagonistes. Dans le cas de la crise précédant la guerre des Six Jours, l’échec d’une posture d’intimidation est particulièrement patent. Le tournant intervient précisément au moment où le Premier ministre L.Eshkol apparaît comme incapable de résister à la pression des États arabes. Quant à la crise entre les Etats-Unis et l’Irak (2001-2003), ce n’est pas l’apparente faiblesse de l’Irak qui a amené les Etats-Unis à intervenir contre lui. De même, la politique de fermeté n’a pas à elle seule résolu la crise de Cuba et encore moins celle entre les États-Unis et la Libye. Selon l’explication traditionnelle, Khrouchtchev se retira parce qu’il respectait la capacité militaire américaine [156] et la fermeté du président américain [157]. Or, cette interprétation ne résiste pas aux faits car il existe une corrélation chronologique entre la résolution de la crise et les concessions américaines. La rencontre du 27 octobre entre R. Kennedy et A. Dobrynin marqua le tournant décisif de la crise. Même si le démantèlement des fusées Jupiter devait rester secret, tout indique qu’il s’agissait là pour les responsables soviétiques d’une concession substantielle [158]. R. Kennedy précisa que son souhait d’obtenir une réponse le lendemain était « une demande et non un ultimatum ». Quant à la crise entre la Libye et les États-Unis, tout rapprochement entre ces deux pays aurait été vain sans reconnaissance de la responsabilité libyenne dans les attentats de Lockerbie.
Les explications de la guerre en termes de profit doivent aussi être nuancées. Dans les deux crises belliqueuses, des considérations de gains - la récupération des « terres saintes » pour Israël ou l’approvisionnement énergétique pour les États-Unis – n’étaient certes pas absentes. Toutefois, la décision d’entrer en guerre fut prise au cours de la crise et peut donc difficilement être ramenée à des mobiles durables. Dans les deux cas, seule une minorité de décideurs était en permanence favorable à une guerre à tout prix. En Israël, le cabinet s’opposa longtemps à la guerre. C’est uniquement vers le 28 mai qu’une majorité belliqueuse se désigna. Quant à la crise irakienne, au moins avant le 11 septembre, il n’était nullement question d’entrer dans un conflit. Même jusqu’à la déclaration de décembre 2002 il exista une chance de préserver la paix. En revanche, l’issue des crises est liée à des concessions matérielles aussi bien dans le domaine sécuritaire qu’économique. Les gains matériels obtenus avaient aussi un effet identitaire. Les concessions de Kennedy étaient en grande partie destinées à garantir à Khrouchtchev une sortie de crise honorable [159]. De même, le dédommagement financier de la Libye aux familles victimes représenta une reconnaissance morale de sa responsabilité.
Enfin, les approches utilitaristes ignorent l’effet réel des dommages identitaires induits par des évènements qui n’ont pas une très grande signification si l’on les réduit à leurs effets matériels. Ainsi, les déclarations de Saddam Hussein à propos du 11 Septembre n’ont pas coûté matériellement cher aux États-Unis mais elles constituaient une remise en question importante de son image. Les cas examinés varient nettement en regard des critères d’une politique de reconnaissance. Ces variations correspondent à l’issue belliqueuse ou pacifique de la crise. Les différences constatées peuvent être systématisées ainsi :
La reconnaissance de l’existence.
Toute politique d’entente suppose au préalable la reconnaissance mutuelle entre deux belligérants potentiels. L’engagement du président Kennedy à respecter l’intégrité territoriale de Cuba a facilité la résolution de la crise. De même, le colonel Kadhafi a reconnu l’existence des États-Unis en condamnant le terrorisme international et en assumant la responsabilité libyenne dans les attentats de Lockerbie. En revanche, la négation de l’État israélien par Nasser en 1967 et la salutation même des attentats du 11 septembre par Saddam Hussein contribuèrent à l’escalade de ces crises. Assurer autrui sur son droit d’exister suppose aussi la maîtrise des opérations militaires durant la crise. Le président Kennedy intervint directement dans les opérations militaires en ordonnant à la marine américaine de resserrer le blocus naval autour de l’île [160]. Quant au colonel Kadhafi, il a ôté aux États-Unis toute incitation pour une guerre préemptive en renonçant à l’arme nucléaire. En revanche, dans la crise de 1967, le retrait des forces onusiennes et le déploiement consécutif des forces syriennes et égyptiennes aux frontières israéliennes créèrent un dilemme de sécurité pour l’État hébreu. De même, Saddam Hussein en jouant au chat et à la souris avec les inspecteurs de l’AIEA a entretenu des soupçons sur ses intentions à l’égard de la puissance américaine.
2. La reconnaissance de l’égale dignité
L’égale dignité implique de s’abstenir d’émettre des ultimatums, des menaces explicites ou de dévaloriser le statut hiérarchique ou moral d’autrui au cours d’une crise. La facilité du maintien de la face dépend aussi des engagements pris par les États devant leur opinion interne. La politique américaine lors de la crise de Cuba illustre bien cette politique : absence d’un ultimatum et de déclarations blessantes et acceptation de l’Union soviétique comme interlocuteur égal [161]. Ce tact diplomatique fut d’autant plus crucial que Khrouchtchev était excité par son allié. Aussi bien E. Che Guevara que F. Castro se déclaraient à l’époque disposés à accepter l’apocalypse nucléaire plutôt que le déshonneur [162]. Le colonel Kadhafi mena aussi à partir de 1999 une politique attentive aux considérations de prestige de la puissance américaine. En revanche, lors de la crise de 1967, le président Nasser multiplia des déclarations fanfaronnes de sorte qu’il pouvait difficilement reculer. Saddam Hussein se mit dans une position comparable devant son opinion interne. Par ailleurs, la préservation de la face exige de laisser à l’adversaire une porte de sortie honorable en lui proposant une concession minimale. Le président Kennedy avait ainsi offert à Khrouchtchev un succès de prestige en lui proposant le retrait des fusées Jupiter en Turquie. Quant au colonel Kadhafi, ses concessions à la fois sécuritaires et économiques aux États-Unis étaient si importantes qu’il était impossible de ne pas les pas présenter comme un succès de la politique américaine. En revanche, à aucun moment de la crise, Nasser ou Saddam Hussein n’ont offert à leur adversaire une concession.
3. La reconnaissance de l’identité particulière
L’ignorance ou le « mépris » des religions, des mémoires ou des régimes politiques peut déclencher ou entretenir des conflits armés [163]. La reconnaissance des identités particulières suppose des connaissances historiques et culturelles [164]. Lors de la crise de Cuba, aussi bien le président Kennedy que le secrétaire général Khrouchtchev ont tenté de mettre en parenthèse leurs divergences idéologiques en mettant en avant la coexistence pacifique. Le colonel Kadhafi s’est même efforcé de saluer la politique américaine de « démocratisation » du monde. En revanche, le déni de reconnaissance d’une particularité est particulièrement flagrant dans le cas des responsables politiques égyptiens en 1967. L’effet des déclarations égyptiennes sur « la mort » et « l’annihilation d’Israël » se trouva amplifié par le souvenir israélien de Massada et du génocide durant la Deuxième guerre mondiale.
4. La reconnaissance par l’empathie
Le manque d’empathie vis-à-vis de certains États, l’indifférence envers leur sort, constitue un déni de reconnaissance qui peut conduire à la guerre. Les réactions de l’Irak et de la Libye face aux attentats du 11 septembre ont joué un rôle non négligeable dans l’issue de la crise. De même l’absence d’argumentation intersubjective ou un manque de sincérité favorise un sentiment de mépris en suggérant qu’autrui nous considère comme des objets de manipulation [165]. Le sentiment des décideurs qu’autrui se moque d’eux peut induire l’agressivité. Ce fut le cas par exemple des décideurs américaines comme C. Powell qui estimaient à propos de la crise irakienne que l’Irak n’était pas honnête en jouant au chat et à la souris avec les inspecteurs de l’AIEA. Positivement, l’empathie est favorisée par la mise en avant d’une identité partagée [166]. Or aussi bien Kennedy que Kadhafi ont mis en avant l’appartenance à une communauté de destin avec leur adversaire : le premier en soulignant le spectre de l’apocalypse nucléaire, le second en mettant en avant l’opposition partagée à l’islamisme radical.
La prémisse centrale de l’article se fonde sur l’idée que les États cherchent non seulement la sécurité (homo politicus), la prospérité (homo economicus) mais aussi la confirmation d’une certaine identité (homo symbolicus). Une objection probable contre notre démarche est celle de la « personnalisation » de l’État [167]. Pourquoi des décideurs d’un État devraient-ils se sentir offensés lorsque c’est leur entité politique et non leur personne qui est visée par des « dénis de reconnaissance » ?
Face à cette objection, on soulignera la valeur « identitaire » et même « affective » que peut revêtir une entité institutionnelle abstraite pour les responsables d’une telle institution. Les dynamiques « émotionnelles » déclenchées par un acte de mépris contre un État sont loin d’être négligeables. Les repères de l’identité collective constituent un espace « émotionnellement investi » [168] comme l’illustre le patriotisme américain après le 11 septembre. La charge affective associée aux symboles de l’identité collective est probablement encore plus grande pour les responsables politiques d’une entité étatique que pour un citoyen « ordinaire ». Pour qu’un individu puisse assumer un rôle tel que celui de la fonction présidentielle, il lui faudra s’identifier au moins partiellement à l’institution qui lui confère ce rôle. L’identification d’un responsable politique avec son État est d’autant plus probable que son estime de soi et celle qu’il reçoit des autres est nécessairement liée au prestige plus au moins grand de son institution.
Même un décideur émotionnellement indifférent aux offenses de sa collectivité peut difficilement les ignorer. Un responsable politique risque de perdre le soutien de l’opinion interne et de son entourage s’il ignore les émotions exprimées à propos d’une offense à sa collectivité. Le caractère plus public et organisé des politiques étrangères des entités différenciées rend les décideurs politiques plus vulnérables aux pertes de face et aussi plus perméables à l’influence des émotions venant « d’en bas ». Aussi bien les décideurs égyptiens qu’israéliens furent entraînés lors de la crise de 1967 dans une surenchère rhétorique et militaire en raison de leurs opinions internes « inflammables ». Une deuxième difficulté associée à une politique attentiste face aux provocations réside dans le fait qu’un État humilié et faible risque de perdre une partie de son autorité sur la scène internationale [169]. La réputation et la crédibilité sont au cœur même du raisonnement réaliste sur la capacité d’un Etat à dissuader une agression de la part d’un autre [170]. Si une réputation de faiblesse dépend de multiples variables [171], beaucoup de responsables politiques estiment qu’une politique conciliatrice pourrait mettre en question leur autorité. Ainsi, l’attitude intransigeante des États-Unis à l’égard de l’Irak s’explique en grande partie par la crainte de l’administration américaine de perdre la face et de ce fait son leadership dans la communauté internationale. Il existe bien donc bien un intérêt symbolique « froid » des décideurs d’État à défendre une bonne image de leur entité politique.
Une autre objection consiste à affirmer qu’une politique de reconnaissance serait inefficace si les décideurs de l’État adverse sont animés par l’appétit de gains matériels. Toutefois, une politique de reconnaissance augmente les coûts moraux d’une agression armée pour l’État agresseur. Ainsi, la politique de reconnaissance certainement calculée du colonel Kadhafi envers la puissance américaine ôta aux décideurs américains tout prétexte pour faire une guerre. La chance des « hardliners » dans l’administration américaine de déclencher la guerre aurait été sensiblement réduite si Saddam Hussein avait accepté sans restriction les inspections de l’AIEA et publiquement annoncé sa condamnation des attentats du 11 septembre.
L’approche en termes de reconnaissance permet de poser de nouvelles questions à l’égard de l’éclosion de la violence. Par exemple, les acteurs recourent-ils aussi à la violence pour défendre ou maintenir une image valorisée de soi ou de leur collectivité ? Quel est le rôle des normes et des identités partagées comme inhibition morale (en termes d’image de soi) à la violence ? Quel est le lien entre « dénis de reconnaissance » - des discriminations multiples et des offenses mais aussi des actes de mépris contre des identités « particulières » (des cultures etc.) - et éclosion de la violence ? La violence est-t-elle une prophétie auto-réalisatrice dans la mesure où les comportements de stigmatisation sont susceptibles de produire des identités exclusives qui risquent à leur tour de se muer en agressivité ?
Enfin, la perspective de la reconnaissance suggère des moyens alternatifs à la carotte et au bâton dans la pacification des puissances contestatrices comme la Chine, la Russie, la Corée du Nord ou l’Iran. Il conviendrait d’abord d’examiner plus en détail les besoins sécuritaires de ces États. En outre, c’est surtout l’inclusion de ces puissances dans les institutions internationales et leur acceptation comme interlocuteur « digne » des grandes puissances qui pourrait calmer leurs aspirations révisionnistes au lieu de les qualifier de « détestable pygmée ». L’analogie puissante mais souvent fausse des leçons de Munich 1938 nous empêche de voir que la plupart des crises sont probablement déclenchées par des craintes. Des gestes largement symboliques et donc non compromettants pour la sécurité d’un État peuvent considérablement diminuer les suspicions d’un autre Etat souhaitant renverser le statu quo par crainte de l’avenir. La politique de reconnaissance ne coûte pas cher mais ses bénéfices peuvent être énormes.
Pour poursuivre la réflexion : vient de paraître de Thomas Lindemann Penser la guerre. L’apport constructiviste, L’Harmattan, 2008. (Bon de commande ci-joint)
[1] Voir par exemple Richard N. Lebow, Between Peace and War, Baltimore, John Hopkins University Press, 1981, Yuen Foong Khong, Analogies at War : Korea, Munich, Dien Bien Phu, and the Vietnam decisions of 1965, Princeton, Princeton University Press, 1992, Graham Allison, Philip Zelikov, Essence of decision : Explaining the Cuban Missile Crisis, New York, Longman 1999, Steve A Yetiv, Explaining Foreign Policy. US Decision-making and the Persian Gulf War, John Hopkins University Press, 2004
[2] G. Evans, « Prévenir les conflits : un guide pratique », Politique Etrangère, 1/2006, p. 93-104.
[3] Voir R. Jervis, Perceptions and Misperceptions in International Politics, Princeton University Press, 1976, chapitre 3. Quant à la domination des approches utilitaristes en sciences sociales : A. Caillé, Critique de la raison utilitaire, Paris, La Découverte, 1989.
[4] R. Lebow, Between Peace and War, op. cit., conclusion.
[5] Ibid.
[6] Nous estimons qu’une politique de reconnaissance peut être dite « réussie » si elle a au moins garanti la paix pour une durée de cinq ans.
[7] À ce propos : A. George, « Case Studies and Theory Development : The Method of Structured, Focused Comparison », 43-68, in : Paul Gordon Lauren, ed., Diplomacy. New Approaches in History, Theory, and Policy, New York : The Free Press et P. Vennesson, « Science politique et histoire militaire », op. cit.
[8] Pour une première orientation bibliographique : R. N. Lebow, Between Peace and War, John Hopkins University Press, Baltimore, 1981 ; M. Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1986 ;C. Gelpi, The Power of Legitimacy. Assessing the Role of Norms in Crisis Bargaining, Princeton, Princeton University Press, 2003.
[9] Stephen Van Evera, Causes of War, Ithaca, Londres, Cornell University Press, 1999, p. 11.
[10] Peter Katzenstein, éd. , The culture of national security, Ithaca, op. cit.
[11] E. Goffman, Les rites d’interaction, Editions de Minuit, 1974, p. 9-24. Barry Buzan, People, States and Fear, op. cit.,.
[12] R. Jervis, Perceptions and Misperceptions in International Politics, op. cit.
[13] Jack Levy, “Misperception and the Causes of War : Theoretical Linkages and Analytical Problems”, World Politics, vol. 36, no. 1, octobre 1983, p. 76-99.
[14] Robert Axelrod, Donnant-Donnant, Paris, Odile Jacob, 1992 (trad. de The Evolution of Cooperation).
[15] John Burton, Conflict Resolution. It’s language and processes, Londres, Scarcecrow Press, 1996, p. 5 et surtout J. Burton, Conflict. Human Needs Theory, St. Martin’s Press, 1990.
[16] E. Ringmar, Identity Interest, Action. A cultural explanation of Sweden’s intervention in the Thirty Year’s war, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 179 sq.
[17] Ibid.
[18] Charles Osgood, An Alternative to war and surrender, Urbana, University of Illinois Press, 1962.
[19] P. Brown, S. Levinson, Politeness. Some universals in langage use, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
[20] A. Wendt, « Anarchy is what states make of it”, International Organization, 46 (2), 1992, p. 391-425.
[21] Voir à ce sujet H. Blumer, op. cit., p. 13 sq .
[22] Stephen Van Evera, op. cit., p. 66.
[23] Stein, « Arab-Israeli War of 1967 », op. cit., pp. 140-142.
[24] Stephen Van Evera, op. cit., p. 66.
[25] Cité par Charles Enderlein, Paix ou guerres. Les secrets des négociations israélo-arabes 1917-1997, Paris, Stock, 1997, p. 235.
[26] Van Evera, op. cit, p. 40.
[27] Pierre Razoux, La guerre des 6 jours, Paris, Economica, 2003.
[28] Cité par ibid, p. 36.
[29] Ibid.
[30] Michael Bar-Zohar, Histoire Secrète de la Guerre d’Israël, Paris, Fayard, 1968, p. 169.
[31] Richard N. Lebow, Between Peace and War, op. cit., p. 241 sq.
[32] Cité par Enderlein, op. cit., p. 231.
[33] Pierre Milza, Les relations internationales 1945-1973, Paris, Hachette, 1996, p. 201.
[34] R. N. Lebow, « Between Peace and War », op. cit., chapitre I.
[35] Dieter Ruloff, Wie Kriege beginnen. Ursachen und Formen, München, Beck’sche Reihe, 2003.
[36] Steve A. Yetiv, op. cit., p. 232 et I. H. Daalder, J. M. Lindsay, America Unbound, New York, John Wiley and Sons, 2005, p. 133.
[37] E. Laurent, La guerre des Bush, Paris, Pocket, 2003, p. 139
[38] Bob Woodward, « Bush s’en va-t-en guerre », op. cit , p. 355.
[39] Quentin Peel, Robert Graham, James Harding, Judy Dempsey, « How the US set a course for War with Iraq, Financial Times, 26.05. 2003.
[40] National Intelligence Estimate, Key Judgements. Iraq’s Continuing Programs for Weapons of Mass Destruction, Washington D.C., Oc. 2002.
[41] B. Woodward, « Plan d’attaque », op. cit., p. 372.
[42] H. Blix, op. cit., p. 210.
[43] H. Blix, op. cit., p. 48.
[44] H. Blix, op. cit., p. 57.
[45] S. Ritter, op. cit., p. 61.
[46] Allocation du Président, le 11 septembre 2001 à 20h30.
[47] H. Kissinger cité par alternet.org).
[48] Ibid, p. 378.
[49] Ibid, p. 379.
[50] Ibid, p. 511.
[51] Ibid, p. 493.
[52] P. Milza, p. 201 sq.
[53] P. Razoux, p. 23.
[54] Michael Oren, Six Days of War, Oxford University Press, 2002, p. 76.
[55] P. Razoux, op. cit., p. 23.
[56] Référence à la destruction du dernier foyer juif par les légions romaines, en l’an 73.
[57] J. Guerdon, « La guerre éclair d’Israël », Historia, no. 283, 1970, p. 47.
[58] Cité par P. Razoux, op. cit., p. 24.
[59] Ibid, p. 24.
[60] Pierre Razoux, op. cit., p. 21.
[61] P. Hazan, op. cit., p. 20.
[62] Ibid, p. 25.
[63] J. Stoessinger, op. cit., p. 132 : « the response in Israel was electric ».
[64] P. Hazan, op. cit., p. 28.
[65] B. Zohar, op. cit., p. 168.
[66] P. Hazan, op. cit., p. 29.
[67] B. Zohar, op. cit., p. 167.
[68] Ibid, p. 175.
[69] Ibid.
[70] Ibid, p. 203.
[71] Ibid, p. 35.
[72] Colin Powell, « Press Briefing on Route to Cairo, Egypt », 23 février, 2001 (www.state.gov/secretary
[73] Ivo H. Daalder, James M. Lindsay, America Unbound. The Bush Revolution in Foreign Policy, Brookings Institution Press, 2003, p. 129.
[74] Voir « Solidarité sans faille des capitales étrangères », Libération, jeudi 13 septembre, 2001, « La BCE se veut rassurante elle », L’Humanité, 14 septembre 2001. Haitham Rashid Wihaib, Dans l’ombre de Saddam Hussein. Les révélations inimaginables de son chef du protocole, Paris, Michel Laffont, 2004, p. 224.
[75] Open letter from Saddam Hussein to the American peoples and the western peoples and their governements »
[76] « Many countries of the world have suffered from America’s technological might, and many peoples do recognize that Amercica had killed thousands or even millions of human beings in their countries ».
[77] “There is, however, one difference, namely that those who direct their missiles and bombers to the targets, whether Amercicans or from another Western country, are mostly targeting by remote controls, that is why they do so as if they were playing an amusing game. As for those who acted on September 11, 2001, they did it from a close range, and with, I imagine, giving their lives willingly, with an irrevocable determination”.
[78] Cité par R. Burbach, J. Tarbell, Imperial Overstretch. George Bush and the Hubris of Empire, Zed Book, Londres New York, p. 126.
[79] E. Laurent, « La guerre des Bush », op. cit., p. 123.
[80] B. Woodward, Bush at War..., op. cit., p. 133.
[81] B. Woodward, « Plan d’attaque », op. cit., p. 17.
[82] (We’re taking him out ») (Lindsay, p. 132).
[83] « we know that after September the 11th Saddam Husseins’ regime gleefully celebrated the terrorist attacks on America » (www.Whitehouse.gov ).
[84] B. Woodward, « Plan d’attaque », op. cit., p. 168.
[85] H. Blix, op. cit., p. 196.
[86] S. Yetiv, op. cit, p. 224
[87] H. Blix, « Les armes introuvables », op. cit., p. 175.
[88] Ibid, p. 165.
[89] Ibid, p. 177.
[90] Daalder, Lindsay, op. cit., p. 142.
[91] Cité par ibid.
[92] Jean-Louis Dufour, Les crises internationales de Pékin-1990 à Sarajevo–1995, Editions Complexe, 1996, p. 148.
[93] Stein, Lebow, We all Lost the Cold War, Princeton, N.J., 1994, p. 161.
[94] R. Pious, « The Cuban Missile Crisis and the Limits of Crisis Management », Political Science Quaterly, Spring 2001, p. 85.
[95] N. K. Khrushchev, Khrushchev remembers, éd. Strobe Talbott, Londres, Deutsch, 1971, p. 488-505.
[96] Ibid.
[97] L. Chang et P. Kornbluh, op. cit. : « The documents lend credence to Khrushev’s claim that a primary Soviet motivation was the defense of Cuba against a US invasion. For years, US analysts have dismissed ths as a face-saving, after-the-fact rationale”.
[98] Sur le site de l’APHCQ, « Dossiers/La crise des missiles de Cuba en octobre 1962 ».
[99] Cité par D.D. Johnson, D. Tierney, “Essence of Victory. Winning or Loosing International Crises”, Security Studies 13, hiver 2003-2004, p. 330-381., p. 364 : « You are worried over Cuba. You say that it worries you because it lies at a distance of ninety miles accross the sea from the shor of the United States. However, Turkey lies next to us”.
[100] Jean-Yves Haine, “Débat, la crise des missiles de Cuba”, in : Jean-Yves Haine, Cultures et Conflits, Paris, L’Harmattan, 2000, (note 35) : “Khrushchev was always anxious about our prestige, he was afraid that Americans would force us to back down somewhere”
[101] Ibid, p. 4.
[102] May, Zelikov, Kenedy Tapes, op. cit., p. 39. “it’s been a long time since you could spank us like a little boy – now we can swat your ass”.
[103] Khroutchev, op. cit., p. 504 : “We were more infuriated and disgusted every time a violation occured. We were sick and tired of being subjected to these indignities. They were making these flights to show up our impotence”.
[104] Ibid : “The USA simply wanted the USSR to sit like a schoolboy with his hands on his desk”.
[105] Haine, op. cit., p. 3sq.
[106] Ibid, p. 4.
[107] R.L. Garthoff, Reflections on the Cuban Missile Crisis, Washington DC, The Brooking Institution, 1987, p. 25.
[108] Cité par D. Ganser, “Retour sur la crise des missiles à Cuba”, www.monde-diplomatique.fr
[109] J.-Y. Haine, op. cit..
[110] Ibid.
[111] J. Gaddis, We now knew,
[112] R. Pious, op. cit., p. 86.
[113] D.D. Johnson, D. Tierney, “Essence of Victory. Winning or Loosing International Crises”, Security Studies 13, hiver 2003-2004, p. 330-381., p. 368.
[114] P. Grosser, Guerres et conflits, op. cit., p. 156.
[115] D. Perrin, op. cit., « La politique juridique extérieure de la Libye », dans Olivier Pliez, La nouvelle Libye. Sociétés, espaces et géopolitique au lendemain de l’embargo, Paris, Karthala, 2004, p. 21-42, p. 21.
[116] SIPRI Yearbook 2004.
[117] SIPRI Yearbook 2004, chapitre 15, Oxford, Oxford University Press, 2004.
[118] Jean-Louis Dufour, op. cit., p. 226 sq.
[119] William H. Lewis, « U.S.-Libya Relations : a new chapter ? », Bulletin, The Atlantic Council of the United States, vol. XII, no.4, mai 2001.
[120] Voir à ce suiet : Younis Ali Lahwej, Ideology and Power in Libyan Foreign Policy, Department of Politics, University of Reading, UK, sep. 1998 (thèse non publiée).
[121] S. P. Rosen, War and Human Nature, op. cit., p. 59.
[122] R. N. Lebow, J. Gross Stein, “Nuclear lessons of the Cold War”, dans Ken Booth, éd., Statecraft and security, Cambridge University Press, 1998, p. 71-86, p. 72
[123] G. Allison, Essence of Decision, Boston, Little, Brown, 1971, p. 130. Voir désormais la réédition de son ouvrage en collaboration avec P. Zelikov de 1999.
[124] R. Pious, op. cit., p. 96.
[125] T. Sorensen, Kennedy, Paris, Gallimard, 1966, p. 734.
[126] Cité par Kratochwil, op.cit., p. 50 : “”The is one thing I have learned in this busines and that is not to issue ultimatums. You just can’t put the other follow in a position where he has no alternative except humiliation. This conuntry cannot offered to be humiliated neither can the Soviet Union. Like us, the Soviet Union has many countires whick look to her for leadership and Khrushev would be likeley to do something desperate before he let himself be disgraced in their eyes”.
[127] R. Sorensen, op. cit., p. 721 sq.
[128] R. Kennedy, op. cit., p. 49 : “The strongest argument against the alle-out military attack, and no one could answer to his satisfaction, was that a surprise attack would erode if not destroy the moral position of the United States thoughout the world”.
[129] T. Sorensen, op. cit., p. 731.
[130] Cité par R. Kennedy, op. cit, p. 76 sq. (« I don’t want to put him in a corner from which he cannot escape »).
[131] M. White, No. 24, p. 216 sq.
[132] R. Kennedy, 25 octobre :”The Marcula had been crefully and personally selected by President Kennedy to be the first ship stoped and boarded. He wwas demonstrating to Khruschechev that we were going to enforce the quarante and yet, because it was not a Soviet-owned vessel, it did not represent a direct affront tho the Soviets, requiring a response...” “our decision to board a non-Russian vessel...not carry a public humiliation”
[133] T. Sorensen, op. cit., p. 740.
[134] Mc Namara : « If the president had gone ahead with the air strike and invasion of Cuba, the invasion forces almost surely would have been met by nuclear fire, requiring a nuclear response from the United States ».
[135] Scott/Smith, op. cit., p. 3.
[136] May, Zelokov, Kennedy tapes,
[137] D.D. Johnson, D. Tierney, “Essence of Victory”, op. cit., p. 370.
[138] “I am concerned that we both show prudence and do nothing to allow events to make the situation more difficult to control than this”. Cité par M. White, op. cit.
[139] R. Kennedy, op. cit., p. 124 : “During the crisis, President Kennedy spent more time trying to determine the effect of a particular course of action on Khrushchev or the Russians than on any other thing of what he was doing”.
[140] Mc Namara, The Fog of War, « We must try to put ourselvers inside their (our ennemis) skin and look at us through theirs eyes, just to undersantd the thoughts that lie behind their decision and their actions ».
[141] Voir à ce propos l’interview de Mc Namara dans le documentaire « Fog of war » : « He (Thompson, TL) said to Kennedy : ‘The important thing for Khruschchev, it seems to me, is to be able to say : ‘I saved Cuba. I stopped an invasion”.
[142] R. Mc Namara, J. B. Blight, « The Miracle of October : Lessons from the Cuba Missile Crisis, », p. 10 sq.
[143] Deplhine Perrin, in Pliez, op. cit., p. 26.
[144] Delphine Perrin, op. cit., p. 26.
[145] Voir : « Statement by the Leader of the Revolution on 11 September, « Irrespectively of conflict with America it is a human duty to show sympathy to the American people and be with them at these horrifying awesome events… ». Voir à ce propos aussi les développements de son fils Saif Aleslam al Qadhafi, « Libyan-American Relations », Middle East Policy Council Journal, vol. X, spring 2003, no. 1
[146] Voir l’interview accordée par le Colonel Kadhafi dans Newsweek du 20/1/2003.
[147] “Libyan Payment to Families of Pan Am Flight 103 Victims”, American Journal of International Law, vol. 97, No. 4, p. 989
[148] Voir Saïd Haddad, op. cit., p. 176.
[149] « It should be noted that Libyan has never been sympathetic to islamic radicalism. Though deeply Islamic, its religious practices do not ressemble those of so-called fundamentalist societies”.
[150] Cité Saïd Haddad, op. cit., p. 175.
[151] SIPRI Yearbook 2004, chapitre 15, op. cit.
[152] “U.N. Nuclear Chief Welcomed in Libya”, The New York Times, 28 décembre 2003, p. 12.
[153] « United States Lifts some sanctions on Libya », The American Journal of International Law, vol. 99, No. 1, janvier 2005, pp. 253-254.
[154] Saïd Haddad, op. cit., p. 174.
[155] Lebow, Stein, ibid., p. 163.
[156] Mc George Bundy, Danger and Survival, New York, Random House, 1988.
[157] Scott, Smith, op. cit., p. 2.
[158] R. Pious, op. cit., p. 89, Scott/Smith, op. cit., p. 2.
[159] R. Kennedy, op. cit. Voir aussi : S. Ting-Tooney, A Face Negociation Perspective Communicationf for Peace, Sage, 1990.
[160] Janice Gross Stein, « Reassurance in International Conflict Management », Political Science Quarterly, vol. 106, no. 3, 1991, p. 431-451, p. 435.
[161] Ibid, p. 62 « for the same reasons of security, pride, or face, would bring about a counterresponse and eventually an escalation into armed conflict ».
[162] J. Blight, J. Lang, The Fog of War, chapter I, p. 68-79.
[163] P. Braud, « Violences politiques », op. cit.
[164] Penguin Books, 1991, p. 28, p. 32 sq.
[165] T. Risse, op.cit., p. 18.
[166] Voir A. Wendt, “Anarchy is what states make of it”, op. cit. J. Stein, op. cit. Marschall Rosenberg, Nonviolent Communication, Puddle Dancer Press, 1999).
[167] Je dois cette objection à Tobias ten Brink et A Honneth lors d’une discussion à l’Institut für Sozialforschung à Francfort a. M. le 9 juillet 2007.
[168] P. Braud, « Les violences symboliques dans les relations internationales », op. cit.
[169] Voir à ce propos J. Mercer, op. cit.
[170] Voir T. Schelling, Strategy of Conflict, Harvard University Press, 196O.
[171] Voir J. Mercer, op. cit., p. 14-73.