Revue du Mauss permanente (https://www.journaldumauss.net)

Sylvain Pasquier

Villain-Carapella Florian, Napoli sublime

Texte publié le 7 juin 2023

Villain-Carapella Florian, Napoli sublime, Le Bord de l’Eau, 2022, 111 p., 18 €.
https://www.lamuette.be/produit/napoli-sublime/

Quand le sublime est l’accès privilégié à la réalité d’une ville comme Naples. La rencontre de l’auteur avec le photographe Jean-Luc Dubin au cours de ces pages nous fait toucher à ce sublime auquel la ville et ses habitants se donnent. Le point de rencontre est celui du culte des crânes ou du Purgatoire qui, jusque dans les années 1980, rassemblait secrètement les femmes dans une « complicité » qui nous montre le sacré sous un jour nouveau. Florian Villain-Capella interprète dans cette continuité l’adoration du footballeur argentin Maradona qui, pour avoir été reçu comme un dieu, s’est donné totalement en retour à une ville qui a trouvé dans cette figure une icône permettant de perpétuer ses croyances et la tradition d’une socialité spécifique. La thèse est doublement maussienne, influencée par Mauss et le MAUSS, et tire son originalité de la mobilisation de l’analyse des cadres proposée par l’interactionniste américain E. Goffman. Elle est celle d’un renversement d’une vulgate utilitariste voyant dans l’intérêt la cause profonde et dans le don une illusion : « Dans la théâtralité de la vie sociale napolitaine : celle-ci met en scène et, par là même, simule la logique de l’intérêt pour dissimuler les véritables relations de dons ! » (p. 94). Mauss et Goffman se combinent à merveille dans cette exposition du sublime napolitain, donné à voir également par des photographies dont la force ne peut les réduire à une simple illustration. Cette dramatisation sublime, faite de différentes strates et d’un jeu avec les cadres dont Napolitaines et Napolitains, apparaissent comme de grands maîtres, donne chair à un sacré inscrit au cœur du quotidien et du profane et montre l’élasticité des croyances à son égard. Loin donc d’être le principe d’une soumission, il apparaît au contraire comme le symbole du lien, une protection et une ressource face au regard porté sur la ville et ses habitants par une société italienne dominée par le Nord. Cette savoureuse présentation ouvre l’appétit pour d’autres développements sur ce terrain particulier. Elle offre également des pistes à explorer à partir d’autres situations, où se niche peut-être un sublime, où se tisse du sacré et des traditions dans les conditions d’un monde sécularisé.

NOTES