Camille Tarot
PRÉCIS DE RELIGION
LES TRANSFORMATIONS D’UN REFOULE
Le Bord de l’eau – www.editionsbdl.com
Format 16,5 x 23 cm – 224 pp. – 20 €
ISBN 9782356877642
Collection « bibliothèque du Mauss » dirigée par Alain Caillé & Philippe Chanial
En deçà de la profusion des religions historiques, des Églises et des sectes, la religion tient à la nécessité pour les sociétés humaines de se créer des symboles et des interdits pour lier leurs membres et refouler leur violence. On peut donc voir dans cette combinaison de symbolique et de sacré, comme dans les langues d’Esope, la meilleure ou la pire des choses, une exigence anthropologique ou un obstacle à l’historicité. La modernité avait espéré dépasser cette ambiguïté par le progrès de la rationalité ou la réalisation d’utopies politiques qui promettaient un monde de valeurs univoques. Leur disqualification permet d’entrevoir les raisons socio-anthropologiques des transformations actuelles de ce refoulé religieux, qui ne nous avait jamais vraiment quittés et avec lequel il faudra réapprendre à vivre.
Cet ouvrage de synthèse veut offrir un condensé ou un précis centré autour d’une trentaine de mots-clefs, qui reçoivent un traitement égal de quelques pages. Il s’adresse donc à un public pressé ou inquiété par quelques-uns des défis que, parmi tant d’autres, nous impose notre actualité historique.
Camille Tarot, professeur émérite des Universités, a enseigné la sociologie des religions à l’Université de Caen-Normandie. Il est l’auteur de Sociologie et anthropologie de Marcel Mauss. La Découverte . Le Symbolique et le sacré. Théories de la religion. La Découverte/MAUSS, 2008 (Prix Crouzet de l’Institut de France. Académie des sciences morales et politiques). L’actualité de la religion. Introduction critique aux sciences sociales des religions, Le Bord de l’Eau.
Introduction
PREMIERE PARTIE : CONTEXTES ET SITUATIONS
Chapitre 1 : Les religions et la religion
Chapitre 2 : De l’actualité des religions à l’actualité de la religion
Chapitre 3 : Du théologico-politique à son en deçà
Chapitre 4 : Situation des sciences sociales des religions
DEUXIEME PARTIE : ARCHEOLOGIE, VERS LES FONDEMENTS
Chapitre 5 : Mythes et rites
Chapitre 6 : Symboles et symbolique
Chapitre 7 : Sacré et violence fondatrice
Chapitre 8 : Sacrifices et logiques sacrificielles
Chapitre 9 : Autosacrifice et dette
Chapitre 10 : Don et don empoisonné
Chapitre 11 : Pharmacologie, pharmakologie, pharmac/kologies
Chapitre 12 : De la définition de la religion à l’idéal-type de l’archéoreligion
TROISIEME PARTIE : CONFRONTATIONS SECULIERES
Chapitre 13 : Quotidien/extraquotidien, ordinaire/extraordinaire
Chapitre 14 : Valeurs, contre-valeurs, antivaleurs
Chapitre 15 : Idéologies
Chapitre 16 : Utopies
Chapitre 17 : Sécularisations
Chapitre 18 : Laïcités
Chapitre 19 : Populismes et nationalismes
Chapitre 20 : Révolutions
QUATRIEME PARTIE : CONFRONTATIONS RELIGIEUSES
Chapitre 21 : Radicalisations
Chapitre 22 : Sunnites et chiites
Chapitre 23 : Orthodoxies, sectes et hérésies
Chapitre 24 : Spiritualités
Chapitre 25 : Dialogue des religions
Conclusion : Le sacré et le divin.
Cet ouvrage a l’ambition d’offrir une synthèse autour d’une trentaine de mots clefs pour cerner le fait religieux. L’entreprise est risquée. Mais dans le contexte actuel, elle voudrait d’abord être utile à un large public.
Le dit retour du religieux a multiplié la bonne et la moins bonne information sur les religions. Il a souvent suscité un essayisme pressé, des expertises improvisées. D’autant plus que la demande et le style de la communication contemporaine sont dominés par l’impératif de rapidité, comme le cou du condamné dans la lunette est dominé par le couperet de la guillotine. Au pire, au lieu de l’analyse, on convoque les émotions collectives pour répondre aux questions de fond qui sont posées. On risque de consolider les préjugés simplistes qu’on entend un peu partout sur les et la religion, que ce soit pour les idéaliser ou au contraire les accuser de tous les maux.
Face à ces risques, il faut rappeler que l’expérience religieuse vécue intimement est difficilement communicable à quiconque lui est étranger. Le monde des religions en général, avec ses vécus intenses, ses mythes parfois brillants, son langage fort peu scientifique, ses interférences variées avec la culture, l’art ou la politique est celui de la complexité et des différences des vécus. Il a de longue date donné lieu à des interprétations diverses, sinon contradictoires, fort loin d’être closes. Les religions sont-elles libératrices, comme elles le prétendent souvent, ou aliénantes ? Ou les deux ? Les croyances religieuses ne sont-elles pas le domaine de l’irrationnel et de l’extravagance, entre le loufoque et le fanatisme trop souvent meurtrier ? Pour l’historien, les textes religieux, sacrés ou classiques, posent plus de questions qu’ils n’en résolvent. Ils ont fait l’objet de tant d’interprétations, qu’ils appellent des approches archéologiques° difficiles faisant droit à toutes leurs couches de sens 1.
. Dans ces conditions, la première tâche est de déployer les faits religieux, de les mettre à plat sous le regard sans les aplatir, de les faire exister dans leur diversité, fût-elle contradictoire, pour qu’on puisse tenter de les comprendre dans leur contexte. L’honnêteté est d’abord de ne rien simplifier arbitrairement et sans raison formelle et explicite. La science a certes le droit de procéder à des réductions, mais à condition de dire pourquoi, pour quel bénéfice de connaissance, pour quel intérêt épistémologique. Elle ne peut s’autoriser à rien amputer, à rien caricaturer, ce qui passe par des descriptions exigeant beaucoup de temps et de patience. Les spécialistes savent bien tout cela. Aussi, quand ils sont sollicités d’intervenir dans le débat public, ils le font en restant dans leur spécialité. Ils évitent ainsi les questions générales et transversales sur la religion, qui sont pourtant celles que se pose le grand public. Aussi restent-elles généralement sans réponse.
La plus coriace de ces questions est bien de définir une religion ou la religion, ou le religieux, si l’on ne renonce pas à l’usage de ces mots. Qu’est-ce qui distingue les croyances proprement religieuses de toutes les autres qui ne le sont pas, et qui forment un champ bien plus vaste encore ? Le sacré est-il la marque du religieux, une pure illusion ou une manipulation ? Faut-il comprendre les religions parmi les idéologies et les utopies ? Voilà quelques unes des questions que j’appelle transversales qui nous retiendront.
Le présent ouvrage tente donc de relever le défi d’offrir un condensé au public, qu’il suppose pressé, sans en prendre prétexte pour éviter de le confronter aux problèmes de fond. Ce précis vaut en lui-même, bien qu’il soit aussi le résumé d’ouvrages antérieurs 2, plus gros et plus analytiques, adressés en particulier à des étudiants, désireux de se donner une compétence dans le domaine des sciences sociales des religions. On pourra prendre celui-ci, au choix, soit comme un volume indépendant, destiné au tout venant, soit comme un résumé des précédents dont il reprend les conclusions et quelques pages soit, au contraire, comme une introduction ou un guide qui y conduira le lecteur mis en bouche et désireux de plus de preuves. Il fait la plupart du temps abstraction des méandres de la recherche, des discussions avec les auteurs en vue. Il réduit les notes et la bibliographie propres à l’usage universitaire. Son contenu en reste toutefois entièrement dépendant, même quand il ne le dit plus. Il s’appuie sur l’histoire des sciences des religions en France du XVIIIe au XXe siècle, pour estimer la force et les limites de l’outil employé3. En effet, la naissance de la critique historique au XVIIe siècle, des sciences de l’homme à la fin du XVIIIe et des sciences sociales au tournant du XIXe et du XXe siècle sont de petites révolutions dont nous sommes toujours tributaires. Elles sont trop méconnues du grand public. Il s’appuie ensuite sur l’analyse de ce qui m’a paru le contenu principal de ces sciences des religions, le grand débat sur la nature même de la religion qui a dominé les sciences sociales françaises dans le court XXe siècle, de Durkheim (1912) à Marcel Gauchet (1983) 4. Mais le monde a beaucoup et même dramatiquement changé entre les années 70-80 du siècle précédent et la période actuelle du premier quart du XXIe siècle. Je me suis donc demandé, dans mon dernier travail5, si tous ces détours historiques et théoriques offraient une quelconque utilité pour comprendre l’actualité de la religion en la resituant dans l’actualité particulièrement chaotique du nouveau millénaire.
Ici, je garde ces contenus en les résumant. Mais j’inverse la méthode d’exposition, abandonnant les lenteurs et les longueurs des démarches inductives, des descriptions et des discussions avec les principaux auteurs, pour une approche bien plus hypothético-déductive. Je centre l’exposé autour de « mots outils », en gros une trentaine, dont j’essaie de cerner les définitions et l’apport respectif à l’analyse des phénomènes religieux.
Le livre se divise en quatre parties. La première, intitulée « Contextes et situations », situe la problématique du parcours et répond à la question : pourquoi parler de la religion aujourd’hui et pas seulement, comme tout le monde, des religions ? Je dis bien la religion au singulier, ce qui paraîtra provocateur, rétro ou en tout cas décalé. La deuxième partie, intitulée « Archéologie°, vers les fondements » nous emmène en deçà des religions vers les couches les plus profondes de ce que j’appelle l’archéoreligion° et que je traite comme un idéal-type°, dont j’espère qu’il sera heuristique5. Il est à confronter à un autre idéal-type, celui des religions de la période axiale°. Tester sa fécondité dans le champ séculier et religieux contemporain, toujours marqué par le conflit des deux, est donc l’objet des troisième et quatrième parties, intitulées « Confrontations ». Elles nous ramènent à l’actualité, montrant ce que notre voyage éclaire aussi bien de la vie de nos sociétés sécularisées que des religions qui sont présentement parties prenantes de leurs contradictions.
Il reste vrai qu’en science, l’autorité revient à l’expérience, puisqu’un seul fait décrit de manière exhaustive peut suffire à renverser les théories régnantes ou naissantes. Mais avant de condamner les thèses en effet toutes discutables du présent ouvrage, j’invite le lecteur à se reporter aux travaux précédents plus explicites que celui-ci sur l’interminable travail de la preuve. La modestie de ce condensé cache néanmoins une ambition certaine : recentrer les sciences sociales des religions sur ce qu’elles ont de spécifique à faire et à dire, qui tient grandement, on s’en rendra compte à la lecture, à leur nécessaire et difficile neutralité axiologique°. La croire toujours impossible est idéologique. La croire toujours atteignable est utopique. Entre ces deux écueils, il n’y a que travail et débat critique.
Je remercie Claude Bazin, Michel Couenne, Jean-Louis Déclais, Henri Droguet, Jean-Claude Dumoncel, Danièle Hervieu-Léger, Xavier et Clémence Le Coutour, Jacques Lehoussel, Jean-Marc Roy, Lucien Scubla dont les relectures et les remarques ont permis d’améliorer ce texte. Ses imperfections ou ses erreurs restent les miennes.
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Une toute récente recension de l’ouvrage ici : https://journals.openedition.org/lectures/50154