Revue du Mauss permanente (https://www.journaldumauss.net)

Simon Borel, Valérie Guillard & Dominique Roux

Ce qui circule entre nous en ligne

Texte publié le 1er novembre 2016

Peut-il se déployer sur les plateformes dites « collaboratives » des formes de calcul distinctes de la calculabilité marchande ? A quelle(s) forme(s) de don a-t-on à faire dans ce type de contexte ? C’est ce que se propose d’examiner cet article en s’appuyant sur l’étude qualitative des usagers de Recupe.net, l’un des principaux sites de brocante gratuite sur lequel, à l’instar du Bon Coin, aucune participation financière n’est demandée à ses usagers.

L’essor de la consommation collaborative questionne la notion de partage avec laquelle elle est sémantiquement associée et souvent alternativement désignée. En dépit d’un manque de consensus sur la nature de son périmètre et de ses éléments définitoires [Borel, Massé et Demailly, 2015], on peut définir cette « économie du partage » comme l’ensemble des pratiques de consommation [1] basées sur les interactions (à distance et en face à face) entre les consommateurs qui veulent échanger des biens et services [Botsman & Rogers, 2010] essentiellement par l’intermédiaire des plates-formes numériques.

Ces dernières jouent un rôle essentiel dans la création d’une masse critique de coéchangistes dont elles participent à résoudre les problèmes d’appariement. En équipant leurs relations de dispositifs crédogènes dans un contexte de socialité entre étrangers, d’absence de lien préalable et de disparition des réseaux d’interconnaissance [Sennett, 1979 (1973), Lasch, 2000 (1979), Bauman, 2006], les plateformes collaboratives permettent aux individus de « s’abstraire du territoire » [Peugeot et al., 2015] et d’interagir sans réseau d’interconnaissance préalable. Ces échanges peuvent aussi bien prendre place à une échelle globale, nationale qu’hyper locale (entre étrangers au sein d’un même quartier ou d’une résidence par exemple). Les plateformes sont ainsi une des formes majeures actuelles de la « socialité tertiaire » – ou « socialité virtuelle » –, i.e. « le nouveau type de rapport social, typique de la société-monde en émergence, dans lequel les relations à distance et dans l’immédiateté/interactivité communicationnelle l’emportent sur les relations interpersonnelles de face à face et sur les relations fonctionnelles et impersonnelles » [Borel, 2014, p. 26]. Elles questionnent de fait le statut et la nature même du don qui s’y déploie.

Ce questionnement a déjà été en grande partie mené sur la dynamique du don maussien [Caillé, 2007] – demander-donner-recevoir-rendre – au sein des médias sociaux numériques [Borel, 2014] et des mouvements issus ou dans le sillage de/du logiciel libre [Broca, 2013]. Dans ces contextes, il a été montré que le don peut prendre des formes radicalisées (don pur, désintéressé et proche du partage), agonistiques (par la recherche de prestige et de célébrité) ou donnant-donnant (où l’acte de donner n’implique pas d’obligations ultérieures) [Borel, 2011]. Mais ce questionnement est encore un domaine en construction – malgré des études récentes [Nelson et al., 2009 ; Guillard et Del Bucchia, 2012 ; Willer et al., 2012 ; Aptekar, 2015 ; Foden, 2015 ; Philipps, 2015 ; Scaraboto, 2015] – en ce qui concerne les plateformes de consommation collaborative où circulent des biens matériels. Là aussi des hybridations et des tensions peuvent animer ces espaces où logiques marchandes et logiques du partage sont considérées comme incompatibles entre elles, alors que certains ont montré qu’elles obéissent chacune à un formatage différent mais bien réel des échanges [Callon et Latour, 1997] [2]. La mise au jour de la notion d’« économies hybrides » [Scaraboto, 2015], autrement dit d’une négociation sur ce qui peut ou doit être calculé, atteste en réalité de l’imbrication, plutôt que de l’étanchéité des formes d’échange à l’œuvre [Cochoy, 2012] [3]. Un site d’achat/vente en ligne comme Le Bon Coin fournit par exemple un cadre marchand à des coéchangistes qui doivent toutefois y mettre une forte part d’eux-mêmes (effort d’information de l’acheteur sur les raisons de la vente, effort de mise en scène de l’objet, effort d’hospitalité lors de la transaction physique) pour y créer la confiance nécessaire à l’aboutissement de leurs transactions [Garcia-Bardidia, 2014].

Symétriquement, que devient cette hybridation dans le cas d’une plateforme explicitement dédiée au don d’objets ? Peut-on imaginer que s’y déploient des formes de calcul distinctes de la calculabilité marchande et si oui, de quelle nature et comment se déploie-t-il ? A quelle(s) forme(s) de don a-t-on à faire dans ce type de contexte ? C’est ce que se propose d’examiner cet article en s’appuyant sur l’étude qualitative des usagers de Recupe.net, l’un des principaux sites de brocante gratuite sur lequel, à l’instar du Bon Coin, aucune participation financière n’est demandée à ses usagers.

Entre don charitable et esprit du don : empathie, réciprocité élargie et lien social

En conformité avec le cadrage [Karpik, 2010] édicté par la plateforme dans le sens d’une culture du don [4], les motivations sociales mises en avant par les usagers [5] de Recupe.net relèvent d’un intérêt pour autrui avec qui l’échange demeure généralement ponctuel et contingent. Les offreurs donnent gratuitement leurs biens, sans intermédiaire fort (autre que la plateforme qui met en relation), à des étrangers récupérateurs (qui sont parfois eux-mêmes aussi donneurs), sélectionnés en ligne et rencontrés en face à face au moment de la prestation.

(Se) faire plaisir

Faire plaisir à l’autre en donnant, en répondant à ses besoins et en rendant service, dans une logique d’empathie et de sympathie sociale, apparaît comme une fin en soi pour de nombreux donneurs.

Donneur  : Il faut avoir de l’empathie pour les autres. Tout le monde n’est pas au même niveau. Il faut penser que d’autres ont des besoins aussi qu’il faut contribuer. Alors, je ne suis pas pour tout donner dans le sens asservir les gens, à recevoir, mais dans le sens plus où « vous avez besoin d’aide à un moment donné, mais je peux vous l’apporter, c’est gratuit ». Voilà ! C’est gratuit. (Marinette, 54 ans, cadre supérieur)

Rendre service pour faire plaisir donc, mais aussi pour la satisfaction personnelle d’avoir répondu à des demandes, ou encore avec l’idée que rendre service aujourd’hui c’est se rendre service à soi-même plus tard, lorsqu’on sera dans le besoin à son tour, dans une logique d’interdépendance et de solidarité mutuelle autour des biens matériels [Moody, 2008]. Ce sentiment de mutualité dans le don, dépourvu de sentiment d’obligation envers une personne en particulier, est présent chez de nombreux donneurs-récupérateurs - les donneurs purs étant davantage dans une logique d’inconditionnalité inconditionnelle et les récupérateurs purs dans une logique du recevoir à sens unique ou du « prendre ». Il se rapproche ici de la réciprocité élargie [6] classique dans laquelle A donne à B en espérant qu’un jour C lui donne à son tour, faisant naître un cycle de don expansif reliant les prestataires entre eux dans un esprit commun du don [Godbout & Caillé, 1992].

Création de liens faibles et esprit du don

Pour une majorité d’usagers interrogés, la phase de prestation et de transaction est de l’ordre d’un plaisir induit par l’expérience de la transaction. Les échanges sont ainsi l’occasion de rencontres agréables et sympathiques qui ne portent pas à conséquence mais qui changent du rapport plus impersonnel au don [Guillard et Del Bucchia, 2012]. La satisfaction peut également provenir de l’opportunité (peu fréquente néanmoins) de créer des liens nouveaux, parfois en rencontrant des gens de son voisinage que l’on ne connaissait pas. Des « liens faibles » [7] [Granovetter, 1973] à vocation d’entraide peuvent même être créés à l’issu des échanges.

Plus marginalement, les échanges peuvent aboutir à la création de liens durables/suivis à distance (mails, courrier, téléphone) ou en face à face. Des récupérateurs peuvent même offrir un contre-don en retour (cadeau, présent, attention). Cependant, celui-ci ayant lieu immédiatement (sans temps différé), il n’implique pas que se créent des relations d’obligation durables entre les personnes [Godbout & Caillé, 1992 ; Bourdieu, 1994]. Il est plutôt une manière – notamment pour les donneurs-récupérateurs – d’exprimer sa gratitude en introduisant de la réciprocité là où les dons cadrés par la plateforme relèvent plutôt d’un don aux étrangers sans réciprocité – les donneurs purs étant en l’occurrence plus en conformité avec ce principe.

Donneur et récupérateur : une fois, je donnais un siège à bascule pour enfant […] Puis, il y a une maman, là, qui attend un bébé,qui m’a dit : « voilà, cela m’intéresse ». J’ai dit : « OK. Venez chez moi récupérer cela » ... Et elle est venue. Et elle m’avait offert un petit cadeau. C’était une savonnette …Oui. Parce que ce n’est pas normal non plus de demander et de ne rien donner en échange ... Oui, mais je trouve que c’est plus équilibré déjà, parce que ne faire que recevoir, c’est quand même une certaine forme d’égoïsme. (Cẩm Tú H., 62 ans, cadre)

De l’anticipation, de la sélection et du calcul dans le don en ligne

Parallèlement à l’affichage de ces motivations sociales et des manifestations concrètes de cet esprit du don, le don d’objets sur Recupe.net est aussi marqué par des logiques d’anticipation, de sélection et de calcul. Il s’agit de déterminer qu’est-ce que l’on récupère, auprès de qui et comment ? Qu’est-ce que l’on donne ? A qui ? Comment ? Pourquoi ? En vue de quoi ? Pour quoi faire ? Ces logiques, que l’on retrouve sur les plateformes d’achat-vente en ligne, montrent l’hybridation à l’œuvre entre les mondes marchands et domestiques et repose à nouveaux frais la problématique de l’ambigüité et les réversibilités du don maussien entre liberté et obligation, intérêt pour soi et intérêt pour autrui [Caillé, 2009].

L’anticipation et la sélection des co-prestataires peuvent d’abord s’effectuer en fonction de l’attention portée à la nature et à la qualité des offres et des demandes.

Du côté des demandeurs : une sélection par la proximité géographique, l’intérêt du déplacement ou de l’objet

Du côté des récupérateurs, la sélection des biens et des donneurs s’effectue sur la base de considérations pratiques. La proximité géographique et les distances à parcourir sont un critère de sélection important car, dans la majorité des cas, ce sont les demandeurs qui font le déplacement pour récupérer le bien au domicile du donneur ou dans un lieu neutre consacré à cet effet. Un rapide calcul peut dès lors être réalisé par les récupérateurs rapportant le coût du kilométrage à l’objet considéré sans que ce calcul soit directement corrélé à la valeur économique du bien (le déplacement peut valoir le coût pour un objet sans valeur marchande mais à forte valeur affective et/ou symbolique).

De fait, la sélection porte majoritairement d’abord sur les objets (et non sur les offreurs), dont les fonctionnalités des plateformes accélèrent la mise en circulation, et qui constituent une opportunité d’acquisition gratuite quasi-immédiate pour les récupérateurs.

Du côté des offreurs : une sélection par le degré d’éloignement, la rapidité et l’acceptabilité des demandes

Les donneurs privilégient également les demandes peu éloignées d’eux géographiquement aussi bien pour s’assurer que les demandeurs accepteront sans difficulté de venir récupérer le bien à leur domicile que pour se garantir de la motivation de leur démarche. Car les donneurs ont souvent à cœur de se débarrasser le plus rapidement possible d’objets et de biens encombrants et espèrent ne pas s’éterniser dans d’interminables échanges en ligne afin de se mettre d’accord sur la prestation. Leur sélection est alors basée sur la rapidité, la disponibilité et la réactivité des demandes qui leur sont adressées.

Il s’agit également d’opter en faveur des demandes simples, sans exigences difficiles à réaliser ou suscitant la méfiance. C’est notamment le cas pour la phase de concrétisation [8] des prestations au cours de laquelle il apparaît plus simple aux donneurs de fixer un lieu de rendez-vous sans qu’ils aient à faire des envois postaux (posant des problématiques monétaires qui enlèvent l’esprit et la simplicité de la gratuité).

Du côté des demandeurs : l’importance accordée à la présentation de soi des offreurs

Si la nature des offres prime sur la sélection des offreurs, ces derniers peuvent néanmoins faire l’objet de considération en fonction de la présentation de soi [Goffman, 1973] qu’ils donnent à voir en ligne. Ainsi, la politesse, la courtoisie, les registres d’expression portant les marques de la civilité, les formulations de l’annonce, le nombre et qualité des photos mises en ligne sont autant de lignes de conduite qui peuvent favoriser la confiance et accélérer la prise de décision des récupérateurs.

Et ces marqueurs de confiance sont tout aussi importants une fois les phases d’anticipation et de concrétisation passées, au moment de la prestation.

Récupérateur  : Et en l’occurrence, la machine, je l’ai vu sur le site, j’ai dit : c’est impeccable pour elle. Il fallait la chercher à Roquefort-Les-Pins. Je suis allé la chercher. Puis, arrivé là-bas, la dame me dit : il y a quelqu’un qui veut la prendre aussi. « Mais, Madame, vous m’avez dit de venir. Je suis venu. Vous me la donnez ! » Oui, mais vous comprenez... « Non, Madame, vous respectez. J’étais la personne, je vous ai téléphoné avant, vous m’avez dit : venez. Je suis venu. J’ai fait le déplacement, alors vous me la donnez ». Elle me l’a donnée. Et le truc marche très, très bien. Et après, je l’ai retéléphoné pour la remercier, en lui disant : cela a fait beaucoup de plaisir à ma femme qui vous remercie. Oui, mais vous comprenez. « Oui, oui, je comprends très bien Madame. Je comprends. Merci, au revoir ». (Jean-Loup, 72 ans, retraité).

L’enjeu de la sélection apparaît nettement plus considérable du côté des offreurs.

Du côté des offreurs : de l’absence de sélection des demandeurs

Les donneurs qui s’inscrivent en priorité dans le pôle du donnant- ne s’encombrent pas outre mesure du profil du donataire qui doit avant tout être rapide, efficace et disponible.

Donneur : Ma règle, c’est le premier qui répond également, parce que je ne m’en sors pas autrement. Je n’ai pas trop le temps en fait, et puis à quoi cela sert ? J’ai trouvé que c’est plus objectif. (Mme Ch., 59 ans, cadre)

Ici, l’absence de classement et la mise en équivalence des profils s’apparentent à la fois au don charitable inconditionnel et au donnant-donnant impersonnel où il est respectivement question d’absence de réciprocité (donner sans savoir à qui l’on donne et sans demandes de retour) et de liquidation de la dette (absence de relations et de redevabilité au-delà de la prestation). Les donneurs ne veulent pas savoir ce qu’il advient de leur don et des donataires. Ils s’en lavent les mains et veulent effacer toute trace de l’esprit du donateur logé dans la chose donnée [Mauss, 2009 (1924-25)]. Ces donneurs vont même jusqu’à se dire indifférents face à l’éventualité d’une commercialisation par les récupérateurs des biens donnés voire valident et légitiment cette pratique au nom de l’utilité sociale et économique.

Donneur : Donc, mon objectif c’est de le rendre (cf. matériel informatique) utilisable par des personnes à l’extérieur qui ne me posent pas de questions. Qu’ils embarquent et que je n’en entende plus parler. Si ces personnes en font commerce en Afrique ou en Asie, cela m’est complètement égal. L’essentiel c’est que ces matériels ne partent pas à la benne. Ce serait vraiment une aberration. Si quelqu’un fait commerce de ce que je donne, tant mieux. S’il permet à quelqu’un de vivre tant mieux. Vous voyez ? (Xavier, 43 ans, ingénieur)

Mais les donneurs de Recupe.net peuvent aussi refuser de choisir les demandeurs afin de ne pas créer d’iniquité entre donataires. On ne doit pas ici établir de sélection et de discriminations entre les personnes à l’image du don inconditionnel (universaliste et charitable) aux étrangers, le don s’adressant potentiellement à tout le monde sans exigence de réciprocité. Les offreurs essayent aussi de répartir les biens entre tous lorsque plusieurs demandeurs se présentent en même temps.

Donneur-récupérateur : L’an dernier j’ai donné des plants d’artichauts. Un monsieur m’a appelée et m’a dit qu’il en voulait une vingtaine. Je dis : non. Il disait : « mettez-moi au moins une douzaine ». Il était intéressé. Le monsieur m’a dit : « donc, vous m’en donnez combien ? ». « Je ne sais pas, deux/trois ». J’essaie de répartir entre tout le monde… (Christine, 49 ans, mission dans l’humanitaire).

… à la discrimination active des demandeurs

A côté de ces comportements d’indifférence face à la sélection ou d’absence de sélection, s’affirment les donneurs qui pratiquent une anticipation et une sélection très approfondie des demandeurs. Le travail de sélection des récupérateurs par les donneurs est souvent nettement plus important et développé que celui des récupérateurs. D’une part, car les donneurs se séparent d’une partie d’eux-mêmes en choisissant celui ou celle à qui ils donnent, avec le souci de donner à bon escient, à la bonne personne, pour un usage qu’ils estimeront légitime et vertueux, avec à la clé des demandes de reconnaissance (être un donneur généreux et réfléchi qui ne donne pas que pour se débarrasser). D’autre part, parce que les donneurs veulent s’assurer de la maîtrise du processus de don en se prémunissant contre ses aléas. Ce travail de sélection s’effectue sur des bases diverses.

Certains donneurs sélectionnent les demandeurs sur la base de principes d’égalité et d’équité dans la répartition des dons : on ne donne pas toujours aux mêmes, la culture du don impliquant une logique circulaire s’adressant au plus grand nombre possible de participants qui ne doivent pas être unis par des relations privilégiées.

Donneur-récupérateur : Comme je dis, quand on commence à donner beaucoup, on voit souvent les mêmes personnes qui reviennent on connaît éventuellement leur e-mail, leur pseudo ou leur nom. Enfin, on fait un pré-tri. Si on a l’e-mail qui se présente, on dit « lui, je lui ai déjà donné quelque chose, je vais peut-être en donner à d’autres ». (David, 30 ans, cadre)

Inversement, d’autres donneurs s’attachent des bénéficiaires réguliers qui vont pouvoir être informés prioritairement des dons, la plateforme servant ici de première modalité de contact vis-à-vis de laquelle on peut ensuite s’émanciper (en donnant à « ses » récupérateurs réguliers) par souci de praticité et d’efficacité plus que de pouvoir et d’emprise personnelle sur les récupérateurs.

Donneur : Il y a quatre internautes qui répondent à toutes les annonces, qui sont intéressés, qui bricolent à mort, et à qui je propose le matériel. Quelquefois, je court-circuite le site et je vais directement les contacter. La plupart d’entre eux ont leurs petits business. Ils ont leurs petites boutiques où ils vendent l’appareil un peu bricolé, un peu rafistolé. (Xavier, 43 ans, ingénieur)

Les récupérateurs les plus pertinents peuvent aussi être élus en fonction des biens donnés.

Donneur : Genre, je donne un ordinateur. J’indique le type de l’ordinateur, le modèle, le disque dur et la mémoire. J’indique, par exemple, que le lecteur CD ne marche pas. Puis j’indique qu’il y a une alimentation avec l’ordinateur. Et la personne va revenir derrière, en me disant : ah, merci pour ce don. Je suis intéressé mais je voudrais savoir quelle est la mémoire cache de l’ordinateur ? La mémoire qui est à l’intérieur, elle est sous forme de barrette intégrée ou sous forme de barrette rajoutée ? Est-ce que je pourrai changer la rame ? Des questions, les unes sur les autres, et les unes sur les autres. Et je ne peux pas rentrer dans ce temps, je n’ai pas le temps pour cela (Xavier, 43 ans, ingénieur).

Entre ces deux extrémités, se trouvent les pratiques, plus nombreuses, des donneurs qui cherchent à s’assurer qu’ils donnent à un récupérateur soigneux et digne de confiance dont ils peuvent attendre un fort degré d’implication, le respect de la parole donnée et des engagements pris telle la présence au rendez-vous pour récupérer l’objet, le respect des lieux et des horaires, la gratitude et la courtoisie (et non les plaintes et les demandes supplémentaires) après la réception des objets.

Les donneurs vont rechercher ces gages de confiance dans les façons dont sont formulées les demandes (conventions de politesse) : expression écrite, registre langagier, courtoisie, civilité. Les expressions de gratitude, les bonnes manières et les marques de considération pour le donneur sont les contre-dons immatériels indispensables en échange des dons effectués.

Donneur-récupérateur : Bon, des fois, c’est la première personne arrivée. Il faut qu’elle soit, il faut qu’elle réponde plus ou moins à plusieurs critères, c’est-à-dire que, bon, elle soit polie. Déjà une personne qui ne dit pas « bonjour », qui ne commence pas son message avec un mot de politesse voilà ! […] Si ce n’est pas cela, la personne qui m’envoie un message, « toujours disponible ou dispo », voilà, je ne réponds même pas […] il faut au moins un minimum de politesse. (David, 30 ans, cadre).

De plus, afin d’être sélectionnés, les récupérateurs doivent généralement travailler leur comportement et leurs réactions afin d’allier humilité et absence de déférence. En effet, il faut savoir demander sans avoir l’air de le faire (sans exigences formulées et sans injonctions) et exprimer sa demande sans misérabilisme, afin de ne pas faire perdre la face au donneur qui ne veut apparaître ni en situation de faiblesse (donneur facile cédant à n’importe quelle demande de récupérateurs opportunistes ou compulsifs), ni en situation de force (bienfaiteur créditeur). Les donneurs de Recupe.net veulent ainsi se libérer d’un certain nombre de contraintes et d’inquiétudes propres au don traditionnel en atténuant notamment le risque du refus de la chose donnée [Guillard et Del Bucchia, 2012], ou le risque de relations trop fortement asymétriques entre donateur et donataire.

Donneur : Voilà ! Donc, en fait, c’est celui qui a l’approche la plus sympathique. Je n’ai pas besoin qu’ils pleurent misère, simplement, mais ils m’expliquent avec leurs mots, gentiment ce qui se passe et puis, le ton qu’ils emploient dans leur lettre, s’ils sont cordiaux ou pas. Voilà ! … Quelqu’un qui me prend à rebrousse-poil, je n’ai pas du tout envie de l’aider ... Voilà ! Il faut que ce soit courtois. Et puis après, et je n’ai pas envie non plus qu’ils étalent leur vie. Enfin, voilà ! Il faut qu’ils restent pudiques, qu’ils expliquent, cela les intéresse, OK, l’objet à donner, cela leur rend service, tant mieux. (Marinette, 54 ans, cadre supérieur)

A côte de cette sélection par les conventions de politesse, les récupérateurs peuvent aussi être examinés, analysés, questionnés, interrogés, choisis sur des critères sociaux, économiques et culturels par les donneurs. Ainsi, bien qu’ils se défendent de toute emprise sur les donataires, les donneurs évaluent la légitimité et la véracité de leurs besoins et de leurs demandes (situation socioéconomique, précarité, situation familiale, capacités d’utilisation des biens demandés). Ils réalisent de fait un véritable travail de scrutation de la morale et des motivations du bénéficiaire bien loin du don unilatéral, inconditionnel et purement gratuit cadré par la plateforme. Une forme d’utilitarisme du don et d’intrusion dans la vie (sociale et domestique) des personnes est à l’œuvre autour de questions évaluatrices récurrentes : avez-vous réellement besoin de ce bien ? Pourquoi ? A quoi va-t-il vous servir concrètement ? Pour quel usage ? Savez-vous vous en servir ? Autant de questions qui poussent les demandeurs à se justifier et à dévoiler une part d’eux-mêmes.. Les questions posées par les offreurs peuvent dès lors placer ces derniers en position d’arbitres de la légitimité de l’histoire et de la condition individuelles des demandeurs au regard du don et de la réception qui fait parfois écho à un modèle relationnel paternaliste entre bienveillance et condescendante [Foden, 2015], entre protection/ souci de l’autre et domination.

Donneur-récupérateur : Et quand je donne - mais je ne donne pas que comme cela en fait - c’est-à-dire que j’essaie quand même de donner, mais en questionnant la personne. Pourquoi est-ce que vous avez besoin de cela ? ... Pour évaluer un petit peu les besoins de, par exemple, s’il y a plusieurs personnes qui ont besoin d’un lit que je donne, je vais demander : « pourquoi est-ce que vous le voulez ? À qui ça sert ? » Tout cela. Et peut-être que là, ce qu’elle dit est vrai parce que souvent les gens disent voilà, je suis au chômage, je n’ai pas les moyens, voilà. J’aimerais bien récupérer votre don. Pourquoi pas ? Mais j’attends de voir plusieurs demandes, puis, après, j’essaie de voir si la personne est sérieuse ou pas, ou en fait, elle essaie de me mener en bateau, simplement comme cela. (Cẩm Tú H., 62 ans, cadre)

Cette logique intrusive peut être poussée jusqu’à l’instauration implicite de formes de discrimination positive en direction des plus démunis (avec une démarche qui dépasse le simple don de l’objet) ou des récupérateurs jugés les plus « pertinents ». Ainsi, les personnes au chômage, les mères seules avec enfants, les jeunes couples qui s’installent, les étudiants sans ressources, les populations immigrées, sont autant de publics privilégiés par les donneurs, à l’image des « bons pauvres » méritant assistance dans le don aristocratique [Fontaine, 2008 ; Zelizer, 2005].

Donneur : Oui, je fais le choix un peu de celui à qui je vais donner en pensant que, effectivement, ils en ont vraiment besoin. Là, les cinq colocataires, je connais un petit peu le milieu parce que je vois, mes neveux se sont mis beaucoup en collocation pendant leurs études, je vois un petit peu comment cela fonctionne. Et effectivement, ils n’ont pas trop de moyens, ils sont étudiants, ils ont déjà les parents qui sont déjà bien embarqués dans leurs coûts d’école. Donc, quelque part, je me dis « allez, j’aide des étudiants à vivre un petit peu mieux quoi ! » (Marinette, 54 ans, cadre supérieur)

Les détails sur la nécessité et les besoins économiques des demandeurs peuvent être destinés à asseoir et assurer les donneurs dans leur générosité, et parfois gommer les inégalités de classe sous-jacentes entre donneurs et récupérateurs [Aptekar, 2015].

Toujours dans cette logique de sélection d’après la situation socioéconomique des demandeurs, certains donneurs (minoritaires) s’inscrivent davantage dans le « care » ou dans une morale solidariste en allant jusqu’à livrer à domicile les demandeurs qui n’ont pas de véhicule pour se déplacer. D’autres vont chercher à savoir si les récupérateurs n’ont pas besoin d’aide, d’assistance ou d’autres dons au regard de leur situation.

Donneur-récupérateur : parce que vous savez, quand on donne comme cela, on donne à donnons.org ou recupe, souvent, quand même, il y a des personnes qui sont dans le besoin et qui font appel à ce genre de dons. Je ne dis pas que dès fois il y a des gens qui trichent en disant qu’ils sont au chômage, peut-être, mais la plupart du temps c’est vrai, ils n’ont pas de moyens. Donc, quand je les vois, j’essaie toujours, non seulement de donner, mais aussi de discuter, de voir un peu qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi ils ont besoin de telle ou telle chose ? Puis, voir si je peux les aider. (Cẩm Tú H., 62 ans, cadre)

On le voit, sélection, calcul, intrusion et générosité, attention à l’autre et sélection sur critères, bienveillance et condescendance s’entremêlent ici pleinement dans une logique prudentielle du don. Si le don maussien est un pari de la relation où l’on donne sans assurance d’un retour de la chose donnée (mais avec l’espérance d’en avoir un), le don en ligne serait plutôt caractérisé par le fait de donner en s’assurant contre les risques négatifs de cette incertitude via un travail de sélection préalable analysant et cadrant les demandes des donataires et anticipant leurs comportements réceptionnaires futurs.

Le don en ligne : au risque de la discrimination négative et de la défiance

Cette pratique implicite de la discrimination positive a dès lors son pendant négatif avec la discrimination de tous les profils qui rebutent et que redoutent les donneurs. Ainsi, l’économie collaborative au sens large est concernée par un « paradoxe d’ouverture et de distinction » [Schor et al., 2015] : malgré les discours sur son caractère ouvert et égalitaire, les pratiques de distinction et de reproduction des inégalités (de genre, de race, de classe) sont à l’œuvre (aussi) dans l’économie collaborative.

Les disqualifiés du don

Les usagers les plus dotés culturellement se distinguent et se séparent des personnes faiblement pourvues en capital culturel qui ne répondent pas aux critères vus précédemment en pratiquant une homophilie sociale larvée. Les personnes discriminées peuvent être disqualifiées par leur goût et/ou leur manière d’écrire et de communiquer, parfois en corrélation avec une appartenance ethno-raciale étiquetée comme porteuse d’attitudes déplacées et/ou agressives risquées voire dangereuses.

Donneur : Puis, dès fois, il y en a qui vraiment, la façon dont ils me répondent, cela me défrise. Il y en a très peu qui m’ont défrisée. Il y en a un ou deux ... Cela, mauvais français, il y a pas mal d’étrangers évidemment (Hélène, 64 ans, cadre supérieur)

D’autres formes de discriminations négatives existent également en lien avec les compétences (bagage technique trop faible) et les profils (professionnels de la brocante et revendeurs) impropres au don. Ainsi, à l’inverse des donneurs indifférents décrits plus haut, les récupérateurs (professionnels et/ou amateurs) qui revendent les objets reçus sont ici disqualifiés parce qu’ils contreviennent à la culture du don basée sur la gratuité des prestations tout au long de la vie de l’objet (dans lequel se loge encore symboliquement l’esprit du donateur) et parce qu’ils vampirisent une partie des dons à des fins marchandes et d’enrichissement personnel au détriment des besoins et usages « sociaux » d’autres demandeurs. Au-delà même de la revente, certains récupérateurs compulsifs sont décrits comme étant dans un esprit du « prendre » (opportunisme de la gratuité) – voire de profitabilité – opposé à celui du « recevoir ».

Donneur : Puis, il y a aussi ce que j’appelle les hamsters. Des écureuils. Les hamsters, c’est des gens qui récupèrent des tas de trucs, on ne sait pas pourquoi. Qui remplissent leur garage. Parce que c’est gratuit, en fait. Les hamsters c’est embêtant parce que, ils piquent du matériel qui pourrait servir à d’autres personnes. Donc, si je vois une personne qui me demande un objet, puis qu’il a trente demandes, c’est louche. (Yves, 66 ans, ingénieur).

Ces arguments moraux, importants et sincères dans les justifications des donneurs, recouvrent aussi une dimension intéressée qui renvoie à la volonté de se prémunir aussi bien du manque de sérieux de certains récupérateurs (les récupérateurs-revendeurs jouant la concurrence entre donneurs) et des demandes immatérielles supplémentaires potentielles des récupérateurs quant au fonctionnement ou à l’état du bien récupéré. Les exigences, les demandes et les conduites de certains récupérateurs jugées inappropriées (demandeurs avides, tricheurs, exigeant le paiement des frais de transport, posant trop de questions, au ton désagréable) sont ainsi des repoussoirs aux yeux des donneurs qui veulent garder la maîtrise d’un bout à l’autre du processus de don sans en subir aucun désagrément.

Récupérateurs profiteurs/oublieux et défiance

Mais les discriminations ici à l’œuvre sont autant synonymes de reproduction sociale que de mesures protectrices vis-à-vis des pressions exercées par et des exigences émanant des récupérateurs qui ne sont en aucun cas en situation de faiblesse et qui peuvent même apparaître en position de force. D’autant plus lorsqu’ils savent jouer de leur situation sociale ou de motivations – réelles ou inventées – pour des donneurs qu’ils savent sensibles et réceptifs à ces arguments. Les donneurs savent par exemple qu’ils peuvent se « faire avoir » par certains profiteurs et réagissent avec malice, fatalisme – renvoyant les récupérateurs-profiteurs à leur « conscience ».

Donneur : Je pense que ce sont aux gens à garder la responsabilité de l’usage de ce site. Je donne pour aider, je prends parce que j’en ai besoin. Voilà ! Cela doit rester comme cela. Maintenant, vous ne pourrez jamais éviter que des brocanteurs ou des professions viennent se servir, récupèrent, racontent une histoire simple pour finalement récupérer des objets qu’ils vont aller revendre plus cher. Je me dis que quelque part, si je cherche à savoir quand on sent qu’on est trompé, on n’a plus confiance et on ne donne pas […] Après, ceux qui trichent, dans le sens « je prends, mais finalement, je pourrais faire autrement et puis j’enlève l’opportunité à quelqu’un qui en a vraiment besoin, d’accéder à ces objets-là », finalement, ce sont eux qui se mettent à mal par rapport au système. Donc, à la limite, j’utiliserais un langage très chrétien et c’est avec leur conscience quoi ! (Marinette, 54 ans, cadre supérieur).

Outre les profiteurs qui n’impactent pas la prestation en tant que telle, mais l’usage du bien qui en résultera, de mauvaises expériences de donneurs sont relatées avec les « oublieux », les gens peu fiables qui n’honorent pas les rendez-vous. Ici, le don en ligne peut conduire à la conflictualité et à la défiance plus qu’à l’alliance et à la confiance mutuelle.

Donneur  : J’ai beaucoup appris sur la naïveté. C’est-à-dire que quelqu’un qui me dit qu’il va venir absolument à telle heure, récupérer tel matériel. C’est très important pour lui pour sauver sa fille, pour sauver son fils, pour l’aider à faire des études et tout cela, en fait c’est quelqu’un qui va me poser aussi bien un lapin qu’un autre. C’est-à-dire que, ne pas mettre d’affect dans un don. Les gens qui vous promettent monts et merveilles et qui vous expliquent par A plus B que c’est très utile peuvent être des gens qui se la racontent, des malotrus, des goujats, des (rires), voilà (Xavier, 43 ans, ingénieur)

Conclusion : une forme de don hybride

A l’issue de ce tour d’horizon des pratiques de don et de récupération en ligne sur Recupe.net, nous avons pu approfondir l’idée d’hybridation à l’œuvre dans les plateformes et pratiques collaboratives. S’il y a de la relation sociale et du don dans la vente d’occasion entre particuliers en ligne pour faire tenir ensemble les coéchangistes sans cadre ni organisation marchande préétablis [Garcia-Bardidia, 2014], il y a aussi, à l’exception notable des récupérations opportunistes destinées à la revente, de l’intérêt et du calcul dans le don en ligne (mais non économique et non marchand) pour appréhender les étrangers à qui l’on va donner et rencontrer dans la phase de prestation. Le don en ligne sur Recupe.net est donc différent de celui, charitable, universel, désintéressé et sans réciprocité cadré par la plateforme. L’économie du don en ligne mêle générosité, sollicitude, bienveillance, empathie et anticipation, étiquetage et discrimination. Quoi de neuf pourrait-on dire ? On sait en effet que le don maussien mêle indissociablement et réversiblement intérêt pour soi et intérêt pour autrui, liberté et obligation, et qu’il est toujours en bascule entre l’alliance et le conflit. L’apport tient plutôt ici en la mise en lumière d’une forme inédite, émergente, de don hybride, qui relève et se dissocie en même temps de toutes les formes de don existantes.

Ainsi, le don en ligne ni ne relève, ni ne se sépare pleinement :

Dès lors, le don en ligne peut être compris comme un don pair-à-pair (médiatisé en ligne et en face à face) entre étrangers qui se rencontrent et mènent entre eux des prestations sans devenir des alliés, dans lequel on retrouve (à géométrie variable) du calcul, de la sélection et de la générosité/sollicitude. Le don en ligne est à la fois désintéressé et utilitaire, dans la redistribution et l’accès des/aux ressources et la reproduction des inégalités, dans l’universalité et la distinction. Mais il n’est pas un don maussien mis au goût du jour de la socialité virtuelle. La présence de la sélection et du calcul peut en effet ici être davantage interprétée comme le souci de se prémunir, de se préserver, de se garantir, de s’assurer contre les effets et les méfaits du don, en recherchant la relation tout en la tenant à distance. Le don en ligne n’est pas (ou très peu) vecteur de liens et d’endettement mutuel positif, les étrangers du départ restant (dans la majeure partie des cas) des étrangers à la fin des prestations.

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NOTES

[1Il s’agit d’un champ très vaste puisqu’il concerne à la fois les échanges entre particuliers, offline ou online, de biens matériels (don d’objets, achat et revente comme location, prêt, troc, achats groupés, etc.) ; les échanges de services liés à la mobilité (auto-partage, covoiturage, co-livraison) ; les échanges de services divers (logement, services à la personne, cours, garde d’enfant etc.), etc.

[2Les différentes pratiques collaboratives et le cadrage opéré par les plateformes permettent en effet de distinguer celles où les échanges sont essentiellement monétaires et effectués en fonction d’objectifs mercantiles (basés sur un échange de propriété, comme l’achat-vente d’occasion en ligne sur Le Bon Coin, ou non, à l’image de la location d’objets en pair à pair sur Placedelaloc par exemple), de celles faisant davantage référence à des prestations non marchandes et basée sur la réciprocité élargie (là aussi avec ou sans transfert de propriété) : les plateformes de don comme Donnons.org ou Recupe.net ou celles de prêts entre particulier comme Peerby.

[3On peut affirmer dans le sillage de Callon et Latour [1997], notamment pour parler de la consommation collaborative et de l’économie des plateformes, que « la seule chose qui change » entre l’échange marchand et le don réside dans « la répartition entre ce qui est calculé et ce qui ne doit pas l’être » [Latour et Callon, 1997] (dans la logique marchande la distinction « internalités » et « externalités » permettrait de tendre abstraitement vers un point d’équilibre et une mise en équivalence généralisée des acteurs humains et non humains et, dans la logique du don, la distinction intérêt et désintéressement permettrait de faire vivre l’endettement mutuel positif entre tous). Mais la question reste entière (et légitime) de savoir ce qui relève davantage de l’esprit du don et de l’utilitarisme (qui ne sont pas de purs construits arbitraires), et des rapports d’hégémonie et de d’encastrement d’une sphère sur/dans l’autre (qui, si elles sont construites, n’en n’ont pas moins aussi une existence autonome tangible).

[4« Recupe.net n’est pas un site d’aide à la vente ou d’échange (de tels sites existent déjà), mais un site de don : il doit rester un lieu de partage où chacun peut trouver des objets de récupération gratuits. » http://www.recupe.net/

[5Parallèlement et de manière équivalente à des motivations pratiques (se débarrasser de bien surnuméraires), économiques (substitution d’un bien récupéré à un bien acheté neuf ou d’occasion) et environnementales (réduire le nombre de déchets et la surconsommation).

[6Une étude sur la plateforme de don américaine Freecycle révèle que plus de la moitié des interlocuteurs interrogés soulignent leur expérience de réciprocité élargie (“a give and a take”), les utilisateurs estimant qu’ils retournent systématiquement la faveur qu’il leur a été faite. [Philipps, 2015 ; Willer et al., 2012]

[7Mark Granovetter [1973] définit les liens faibles comme les connaissances dont disposent un individu avec lesquelles il n’a qu’un contact bref et occasionnel, évoluant dans d’autres cercles sociaux que lui, mais qui leur sont des « instruments indispensables » « pour saisir certaines opportunités qui s’offrent à eux, ainsi que pour leur intégration au sein de la communauté ».

[8La revente et le don d’objets s’articulent le long d’un processus en cinq phases : l’ « amorçage » (mis en ligne des annonces sur la plateforme), l’ « anticipation » (des offreurs par les demandeurs et des demandeurs par les offreurs en ligne), la « concrétisation » (fixation du moment, du lieu et des conditions de la prestation), la « prestation » (don et récupération du bien) et la « reformulation » (réactions positives ou négatives du récupérateur et reconsidération de la pratique pour le donneur). [Borel, Guillard et Roux, 2016].