Sur sept théâtres d’opération, Tsahal, le Shin Bet et le Mossad [1] ont emporté des succès dont l’État juif avait bien besoin après le fiasco du 7 octobre 2023. Á Gaza, le Hamas voit son hégémonie vaciller. En Cisjordanie, les factions terroristes subissent les coups de boutoir de l’armée israélienne. L’affaiblissement du Hezbollah au Liban, le déclin des milices pro-iraniennes en Irak, la fin du régime de Bachar el-Assad en Syrie et la guerre des Douze jours, ont porté un coup sévère à l’Iran. Cette défaite de l’axe mis en place par le régime des mollahs devrait aussi minorer, à terme, la capacité de nuisance des Houtis du Yémen.
Au banc des nations
Ces victoires militaires n’ont pas conforté la position d’Israël aux yeux de la communauté internationale. Bien au contraire. Le droit de l’État juif à se défendre a été reconnu, mais pas à n’importe quel prix.
Le meilleur ennemi de l’Onu
Dès le lendemain du 7 octobre, les relations de l’État juif avec l’Onu, qui n’étaient déjà pas au beau fixe, se sont détériorées. A priori, rien ne devrait opposer systématiquement l’État juif à l’organisation universelle. La création de l’État d’Israël a été approuvée par une résolution adoptée le 29 novembre 1947 partageant la Palestine mandataire en un État juif et un État arabe. Mais les relations entre les deux entités se sont dégradées depuis la constitution du groupe des Non-alignés issu de la conférence de Bandoeng (1961). Avec les indépendances et la naissance des organisations des pays du sud, Israël s’est trouvé confronté à une majorité hostile à l’Assemblée générale. Le gouvernement israélien fait remarquer qu’entre 2015 et 2023, sur les 208 résolutions de condamnation votées par l’Assemblée générale, 140 visaient l’État juif. Seul le véto des États-Unis au Conseil de sécurité assure à Israël une relative immunité.
Dès le 7 octobre 2023, un lourd contentieux opposa le gouvernement israélien au secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres. Celui-ci, tout en condamnant « les actes terroristes horribles et sans précédent du Hamas en Israël », estimait que ces massacres ne s’étaient « pas produits en dehors de tout contexte ». Plus tard, estimant qu’Israël était coupable de « claires violations » du droit humanitaire à Gaza, il réclama à plusieurs reprises un cessez-le-feu. Les diplomates israéliens réagirent violemment en réclamant la démission d’Antonio Guterres accusé d’être « compréhensif face au terrorisme et aux meurtres » du Hamas. L’outrance du propos devait s’avérer contreproductive. Au sein de l’organisation universelle et de ses institutions spécialisées, l’État juif s’est vu opposer une fin de non-recevoir, les représentants de la communauté internationale estimant que les moyens utilisés par Israël pour se défendre étaient « disproportionnés ». Nombre de pays ont souscrit à cet argumentaire.
Ruptures
Avec l’Union européenne, les choses avaient bien commencé pour Israël. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’afficha résolument pro-israélienne. Débarquant à Tel-Aviv dès le 13 octobre 2023, elle y affirma le droit de l’État juif à se défendre après les attaques terroristes du Hamas. Cette prise de position lui sera reprochée par des États membres, mais aussi, mezza voce, par des commissaires. Le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell, exprima un point de vue beaucoup plus critique : « Israël a le droit de se défendre… mais il doit le faire dans le respect du droit international, du droit humanitaire, et certaines décisions sont contraires au droit international… ». Au fil des mois, l’Union européenne, et plusieurs de ses États membres, devaient se distancer d’Israël. Au Parlement européen, des députés entendaient – et entendent toujours - suspendre l’accord d’association qui fait de l’Union européenne le principal partenaire commercial d’Israël. Trois États membres, l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie ont reconnu l’État de Palestine. La Norvège aussi, et la France s’est engagée à le faire lors de la session de l’Assemblée générale de l’Onu en septembre 2025. Elle devrait entraîner dans son sillage d’autres pays de l’UE et au-delà. Dans la deuxième Europe née de l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale, des États, la Hongrie notamment, font preuve de plus de mansuétude à l’égard d’Israël.
Sous cette réserve, une vraie crise oppose l’Union européenne à Israël et donne lieu à de vifs échanges. Le 21 juillet dernier, dans une déclaration commune, 25 ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne appelaient à la fin immédiate de la guerre à Gaza. Ils exigeaient également un accès sans entrave de l’aide humanitaire pour aider la population gazaouie dont « la souffrance a atteint de nouveaux sommets ». Ils demandaient enfin au Hamas de libérer les derniers otages. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a repoussé ces demandes : « La déclaration ne parvient pas à concentrer la pression sur le Hamas et ne reconnaît pas le rôle et la responsabilité du Hamas dans la situation ».
Dans le Sud global, ni la Chine, ni la Russie n’ont condamné l’attaque du Hamas le 7 octobre. La plupart des pays d’Afrique ont voté les résolutions de l’Onu en faveur d’une « trêve humanitaire » ou d’un cessez-le-feu. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, le soutien traditionnel à la cause palestinienne s’est exprimé de façon virulente, l’Argentine du très pro-israélien Javier Milei faisant exception. L’affaiblissement de la position d’Israël sur la scène internationale est compensé par l’appui des États-Unis. Mais ce soutien, conditionné au respect des priorités de Washington, est de moins en moins partagé par l’opinion publique.
Pressions américaines
Dès le 7 octobre 2023, le Président Joe Biden prononça un discours d’une voix parfois vibrante de colère en évoquant les « bébés tués » et les « familles entières massacrées » dans l’offensive terroriste du Hamas. Il afficha résolument son soutien : « À cette heure, nous nous devons d’être absolument clairs. Nous nous tenons aux côtés d’Israël ». Les États-Unis fournirent armes et munitions, une aide financière conséquente (elle finira par atteindre plus de 14 milliards de dollars en 2024), et envoya deux porte-avions dans la région afin de dissuader l’Iran d’intervenir. Le soutien de l’administration Biden était d’autant plus méritoire qu’il était critiqué par la frange la plus à gauche de l’électorat démocrate, et cela devait jouer un certain rôle dans la défaite de Kamala Harris le 5 novembre 2024. Contrairement aux calomnies de l’extrême-droite israélienne, l’administration Biden a soutenu l’État juif contre vents et marées, sans pour autant s’aligner sur les choix du gouvernement Netanyahou. Ainsi, au printemps 2024, Joe Biden a exprimé son opposition à une offensive terrestre à Rafah, en soulignant que cette opération entraînerait un nombre élevé de victimes civiles, aggraverait la crise humanitaire, et isolerait davantage Israël sur la scène internationale. En conséquence, les États-Unis ont suspendu la livraison de cargaisons d’armes comprenant des bombes très puissantes.
L’élection de Donald Trump était espérée par le Premier ministre Binyamin Netanyahou qui, entre 1996 et 2000, avait obtenu de son ami républicain la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et celle de la souveraineté de l’État juif sur le plateau du Golan. Il oubliait que ce président imprévisible entendait surtout faire valoir les intérêts américains. Pour les entreprises américaines, et surtout pour le family business des Trump, au Moyen Orient comme ailleurs, sky is the limit. Le nouveau président élu fit un voyage dans la région en mai 2025 sans passer par Israël. Il y signa des contrats mirobolants avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar. Depuis son installation en janvier 2025, l’administration américaine a établi avec Israël une relation où la dépendance de l’État juif apparaît clairement. Le président américain a fait intervenir son aviation lors de la guerre des Douze jours, mais a interdit à Israël de répliquer à une violation du cessez-le feu qu’il avait obtenu le 24 juin 2025. Donald Trump, et son très actif envoyé spécial Steve Witkoff, essaient d’imposer la fin de la guerre à Gaza et voudraient aussi étendre les accords d’Abraham à d’autres pays, notamment à l’Arabie saoudite. Pour peser de tout leur poids sur leurs homologues israéliens, les responsables américains disposent de l’arme budgétaire (3,8 milliards d’aide militaire à l’État juif chaque année), et plus généralement d’un non-dit connu de tous : sans les États-Unis, Israël n’existerait plus. Les pressions sur le gouvernement Netanyahou sont souhaitées par de nombreux Américains qui prennent leurs distances avec l’État juif. Ils ne sont pas les seuls.
Un soutien vacillant
Jusqu’à la guerre de Kippour (1973), l’État juif bénéficiait d’une position solide sur la scène internationale. Ce soutien a connu une nette dégradation scandée par les deux guerres du Liban (1982, 2005) et les deux Intifadas (1987, 2000). L’occupation des territoires palestiniens et la multiplication des colonies sont condamnées par une fraction croissante des Occidentaux. Les violences perpétrées par de jeunes Israéliens fanatiques en Cisjordanie – de véritables pogromes commis souvent en toute impunité - soulèvent l’indignation.
Dirigeants irresponsables
Après le 7 octobre, les Israéliens espéraient bénéficier de la sympathie des Occidentaux. Mais la compassion manifestée lors de la révélation des atrocités commises par le Hamas ne dura que quelques jours. Elle fut rapidement dépassée par celle éprouvée à l’égard des Palestiniens au vu des images montrant les Gazaouis sous les bombes. Des dirigeants israéliens, sourds aux réactions du monde extérieur, ont alimenté cette hostilité en multipliant les déclarations irresponsables. Avant même le lancement de l’offensive terrestre à Gaza, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, déclarait : « Nous imposons un siège total à la ville de Gaza. Il n’y a pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ». Cette prise de position publique traduisait une opposition à l’aide humanitaire que la suite des événements devait imposer. Le vocabulaire employé (« animaux ») ne distinguait pas les terroristes du Hamas des autres Gazaouis et cautionnait des bombardements massifs atteignant nombre de civils. Le 14 novembre 2023, dans une tribune du Wall Street Journal, deux députés très imaginatifs, Dany Danon et Ram Ben Barak, proposaient une solution aux problèmes des Gazaouis : s’exiler « volontairement » dans des pays qui pourraient les accueillir, sans préciser à quelles destinations ils songeaient. En dépit de cette faille dans le raisonnement, l’idée d’exil « volontaire » a été reprise par de nombreux responsables politiques, notamment à l’extrême-droite. Après l’élection de Donald Trump, le gouvernement israélien fit bon accueil à l’idée délirante du président américain de transformer Gaza en une nouvelle Côte d’Azur (Riviera) débarrassée d’une population décidément bien encombrante.
Depuis le début de la guerre, le gouvernement israélien souligne que le Hamas déploie son moyen de défense habituel : l’utilisation comme boucliers humains de populations civiles dans les hôpitaux, les mosquées ou les universités. L’organisation terroriste détourne aussi à son profit l’aide humanitaire pour la revendre à des prix exorbitants. Ces faits - incontestables - prouveraient que les autorités israéliennes font tout pour protéger les civils gazaouis en ordonnant leurs déplacements hors des zones de combat, et qu’elles ne peuvent contrôler la distribution de l’aide humanitaire. Le simple bon sens infirme cette argumentation. Les autorités israéliennes sont en charge de facto de la population gazaouie. Il leur appartient de limiter au maximum les bombardements dans les zones à forte densité et de faciliter par tous les moyens l’acheminement de l’aide. Un ancien chef d’État-major devenu député Likoud et ministre de la Défense, Moshé Yaalon, tira, dans plusieurs médias, la leçon qui s’imposait : « Je ne dis plus que Tsahal est l’armée la plus morale du monde… Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et il m’est difficile de dire cela » [2]. Des penseurs, comme le célèbre philosophe Yuval Noah Harari, vont encore plus loin : Israël serait en train de perdre son âme [3]. Dans la diaspora, des points de vue similaires s’expriment : aux États-Unis avec les prises de disposition du groupe J Street ; en France, par des déclarations de personnalités influentes comme Delphine Horvilleur, Anne Sinclair ou Joann Sfar.
La guerre d’usure
Pour défendre son image dans le monde, l’État d’Israël a mis en place, depuis l’origine, un dispositif : la hasbara (« explication » en hébreu) géré par le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Affaires stratégiques. Mais toutes les explications du monde ne peuvent justifier une politique devenue injustifiable. En juillet 2025, un sondage révèle que 62,3 % des Israéliens (juifs) estiment que la libération des otages doit être la priorité nationale, même si cela implique d’arrêter les opérations militaires à Gaza [4]. Ce point de vue se rapproche de celui dominant dans l’opinion occidentale. Cinq mois après le début de la guerre, on observait déjà un déclin du soutien des Américains à l’offensive israélienne : 36 % contre 50 % en novembre 2023 [5]. Et 68 % des sondés estimaient qu’Israël devait appeler à un cessez-le-feu. Ce désamour n’est pas le fait des seuls électeurs démocrates. Il s’exprime aussi au sein de l’électorat républicain. Une étude récente montrait que plus de la moitié des adultes américains (53 %) ont une opinion défavorable d’Israël. Chez les républicains de 18 à 50 ans, le pourcentage d’avis négatifs est en forte croissance : 35 % en 2022, 50 % aujourd’hui. Des voix hostiles à l’État juif se font également entendre parmi les polémistes les plus virulents de la sphère MAGA (Make America Great Again), à commencer par celle de l’ancien chroniqueur de la chaîne trumpiste Fox News, Tucker Carlson. C’est le plus grave échec de la politique extérieure du gouvernement israélien : la population américaine s’éloigne d’Israël, et à l’avenir, l’État juif pourrait perdre le soutien des États-Unis. Sans pour autant obtenir l’appui d’autres pays occidentaux, et surtout pas dans la jeune génération.
La jeunesse contre Israël
Sur les campus américains, toute une jeunesse présente le soutien à la Palestine comme le combat du siècle. En Grande Bretagne, la solidarité avec les Palestiniens est principalement le fait d’étudiants très actifs dans les manifestations (qui ont réuni jusqu’à 200 000 personnes à Londres). En France également, on constate un clivage générationnel. Selon un sondage Ipsos de septembre 2024, 70 % des moins de 35 ans estimaient qu’Israël ne cherche pas la paix. 40 % des jeunes interrogés ont exprimé des opinions favorables aux Palestiniens. Seuls 21 % des jeunes ont une opinion positive d’Israël, en baisse par rapport à 2020, et 12 % d’entre eux approuveraient même le départ des Juifs de France (!). Comme le constate Frédéric Dabi, directeur de l’Ifop, « cette population perçoit la société comme inégalitaire et discriminante. Chez une partie des jeunes, le Hamas est vu comme un symbole de lutte contre l’oppression ». De son côté, le président du Crif, Yonathan Arfi, parle d’une « jeunesse en perte de repères, sensible aux réseaux sociaux où l’activisme propalestinien et islamiste est efficace ». Cette situation traduit une véritable dissonance entre la jeune génération et les précédentes. Frédéric Dabi parle d’une « fracture » [6] : les jeunes font sécession sur la plupart des grands enjeux politiques culturels et sociétaux. On rappellera que dans les années soixante, une génération privilégiant la lutte contre la guerre du Vietnam et « l’impérialisme américain » avait provoqué le choc de mai 68 et préparé la victoire de la gauche en 1981 [7]. Aujourd’hui, c’est toute une jeunesse – minoritaire mais pas marginale - qui construit son identité politique avec le slogan « From the river to the sea, Palestine will be free ». Cela n’est pas de bon augure pour l’avenir de l’État juif sur la scène internationale.
Deux ans de guerre d’Israël contre ses ennemis pourraient s’achever sur un résultat paradoxal : un rapprochement historique entre l’État juif et les pays arabes, une pax americana faisant la part belle au monde des affaires. Loin d’emboîter le pas à ce mouvement, une fraction influente de la jeunesse occidentale se verrait confortée dans sa critique virulente d’Israël, allant jusqu’à contester sa légitimité. Pour les Israéliens sur ce huitième front, le travail de reconquête dépendra étroitement des réponses qui seront apportées à une question qui, jusqu’ici, n’a guère mobilisé les responsables politiques en Israël et aux États-Unis : la place des Palestiniens dans le nouveau Proche Orient.
Philippe Velilla, Tel-Aviv, 28 juillet 2025
L’auteur est docteur en droit et essayiste. Dernier ouvrage paru : La Gauche a changé, L’Harmattan, 2025.
