Tout le débat politique courant est structuré par l’opposition entre partisans des politiques de l’offre (baisse des coûts) et de la demande (relance de la consommation par augmentation es coûts ou endettement). Il ya là de vrais enjeux. Cf. la situation de la Grèce. Néanmoins tous ces débats sont polarisés par une même question : comment accroître le PIB ? Or la question la plus importante n’est peut-être pas tant celle là que celle de savoir comment vivre mieux à niveau de PIB, i. e, de revenu monétaire moyen constant. Prospérité sans croissance. L’essentiel de la réponse passe par une politique de démarchandisation (i.e. de réeencastrement de l’économie). Les grandes lignes d’une telle politique sont parfaitement définies par Bernard. Perret dans son livre Au-delà du Marché. Les nouvelles voies de la démarchandisation, Les Petits matins, 2015. Elles s’organisent en 8 grands axes :
- Limiter les besoins monétaires
- Mobiliser pour cela le secteur public
- Développer un service civique et un service public collaboratif
- Favoriser la démocratie participative et organiser la gouvernance des communs
- Engager une politique du temps au service de la pluralisation de l’activité
- Prendre en compte le non monétaire dans les processus de décision et de négociation
- Utiliser le levier de l’éducation
- Limiter le pouvoir évaluateur et prescripteur de la finance
Limiter les besoins monétaires
L’idée générale serait de réduire les besoins monétaires à la source en agissant sur la durée de vie et l’usage réel des biens, l’offre de services collectifs et la capacité des gens à coopérer dans leur intérêt mutuel.
- Allonger la durée de vie des biens
En bref, lutter contre l’obsolescence programmée et pour l’allongement de la durée de vie des biens
- Informer les consommateurs sur les coûts complets
Sur le vrai prix d’usage (avec coûts d’entretiens etc.) à la fois pour le consommateur individuel et pour la communauté
- Instaurer une tarification progressive de l’eau et de l’électricité
Cette mesure aurait pour double avantage de pénaliser la surconsommation et de réduire les dépenses des ménages à faible revenu.
- Encourager l’autoproduction
- Accompagner le développement de l’économie collaborative
- Rendre possible une vie sans voiture
- Limiter le coût et les nuisances de la publicité
Par exemple, L’interdiction de la publicité à domicile non sollicitée
S’appuyer sur le secteur public
- Le secteur public pourrait contribuer de diverses façons à la réduction des consommations matérielles et à la mutualisation des biens. Sa taille lui permet d’avoir un effet de levier conséquent sur l’évolution de l’offre productive et sur les comportements.
- Utiliser le levier de l’achat public
Pour favoriser tout ce qui va dans le sens de la politique de démarchandisation
- Prendre en compte l’usage efficace des ressources dans l’évaluation des décisions publiques
L’approche par les coûts complets (incluant les externalités) devrait prévaloir le plus en amont possible dans les processus de décision et dans l’organisation des services publics.
- Développer les pratiques de mutualisation dans le secteur public
Développer un service civique et un service public collaboratif
Comme on l’a observé plus haut, la cohérence globale d’une stratégie de démarchandisation suppose de pouvoir répondre aux besoins collectifs par d’autres moyens que la création d’emplois dans la fonction publique. Les mesures suivantes peuvent y contribuer.
- Relancer le service civique
- Promouvoir le service public collaboratif
- Développer le financement participatif des projets
Démocratie participative et gouvernance des communs
- Co-construire les politiques publiques
La co-construction des politiques publiques avec les associations est une pratique bien ancrée dans de nombreux domaines (social, environnement, culture, activités sportives), mais des marges de progrès existent.
- Organiser et outiller la gouvernance des communs
Envisager par exemple la création de nouvelles formes d’organisations coopératives d’intérêt général [1])
Une politique du temps au service de la pluralisation de l’activité
Les pistes qui restent à explorer sont celles qui exploitent au mieux les potentiels de synergie entre la réduction du temps de travail et d’autres pratiques et processus de démarchandisation.
- Organiser la transition travail-retraite et l’activité sociale des retraités
Vaste sujet sur lequel BP avance des propositions assez précises, mais conclut :
Cette piste de réforme se combine de manière évidente avec l’idée de service public collaboratif. Sa mise en œuvre supposerait toutefois une gestion personnalisée et contractualisée des droits sociaux que la société française n’est peut-être pas prête à accepter.
- Promouvoir une écologie des temps sociaux
L’aménagement du temps de travail à l’échelle de la journée ou de la semaine ne pourra être réabordé utilement que dans un cadre élargi …il faut de toute évidence limiter la colonisation du temps par les activités marchandes (illustrée par le travail de nuit et du dimanche).
Prendre en compte le non monétaire dans les processus de décision et de négociation
- Donner un rôle effectif aux nouveaux indicateurs de richesse
- Apprendre à négocier sur le qualitatif
Promouvoir des indicateurs non monétaires comme mesure de la performance collective n’a de sens que si les acteurs sociaux s’en emparent et apprennent à défendre leurs intérêts sur d’autres terrains que le pouvoir d’achat.
- Imposer la prise en compte du social et de l’environnement dans les négociations commerciales et financières internationales
En 2015, prétendre organiser le commerce mondial en oubliant le climat est une absurdité.
- Encourager et faciliter l’achat responsable
Les pouvoirs publics doivent leur faciliter la tâche à travers l’étiquetage environnemental obligatoire, la réglementation de la signalétique et le contrôle des allégations sociales et environnementales de la part des producteurs.
Utiliser le levier de l’éducation
Cela passe notamment par :
- L’éducation civique : développant le sens de la gratuité et du bien commun (à travers la participation à des activités sociales et humanitaires) ;
- Des contenus de formation adaptés aux impératifs de la transition : formation à l’économie des ressources, à l’écologie, à la coopération (y compris dans les cursus de formation des fonctionnaires) ;
- La limitation de l’impact de la publicité sur les jeunes par la réglementation et l’éducation : apprendre à décrypter et à démystifier les messages publicitaires ;
- La lutte contre l’hégémonie des approches néoclassiques dans l’enseignement et la recherche
Limiter le pouvoir évaluateur et prescripteur de la finance
- taxer plus lourdement les transactions financières.
- séparer les activités de banque de dépôt de celles de banque de marché, en allant plus loin que la loi de 2013, qui se contente de filialiser les activités spéculatives ;
- renforcer les obligations des entreprises en matière de RSE :
- contrôler plus étroitement la « finance verte » pour éviter le greenwashing,
- aller vers une « constitutionnalisation » de l’entreprise.
- utiliser les monnaies locales complémentaires et/ou les chèques services comme outils de redistribution et de financement des associations agissant comme compléments de salaire et de prestations sociales dédiés à l’achat de services sociaux et de biens essentiels.
Conclusion
Il me semble (A.C.) que l’ensemble de ces mesures dessine une politique cohérente, assez aisément opérationnalisable. Ce n’est pas un catalogue de niakas, mais tout serait assez aisément transposable en textes de loi, décrets ou règlements. Pourrait servir à une politique de labellisation convivialiste.