Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Sylvain Pasquier

Le désengagement des jeunes bénévoles

Texte publié le 12 septembre 2012

Répondant aux questions d’un gratuit caennais à propos de l’engagement ou du « désengagement » associatif des jeunes, Sylvain Pasquier contredit certaines idées reçues et apporte quelques précisions sur les changements de formes de ces engagements. Il en appelle également à une « réinvention de l’esprit associatif » face aux difficultés de reconnaissance de ce secteur aujourd’hui.

S. P.— Selon vous, pourquoi observe t-on cette tendance de désengagement des jeunes bénévoles au sein des associations caritatives caennaises ?

Enquêtés.— Rien dans les statistiques ou dans les enquêtes par entretiens ne permet de conclure à une tendance au désengagement des jeunes bénévoles. C’est un cliché répété par les différents responsables associatifs et repris paradoxalement par les jeunes eux-mêmes qui disent ne pas suffisamment s’engager alors qu’ils peuvent être membres d’une ou plusieurs associations. Beaucoup ont complètement intégré ce discours qui stigmatise leur individualisme mais le désir d’engagement est toujours là et est peut-être plus fort qu’à d’autres époques. Simplement, il n’est pas toujours facile pour les jeunes, comme pour d’autres catégories sociales, de se faire une place au sein des associations dominées par des personnes souvent à la retraite, possédant temps, expérience et réseaux. Il y a, de plus, souvent un fossé entre les jeunes et cette génération car plus que les jeunes, la catégorie sociale la plus absente des associations est celle des actifs avec enfants. Ce que traduisent donc les représentations sur le désengagement, c’est davantage une mécompréhension intergénérationnelle, voire des conflits, entre des personnes qui n’ont pas les mêmes positions de pouvoir et, surtout, qui ne conçoivent pas l’engagement associatifs et ses formes de la même façon. Cela est patent dans le fait que, selon les associations, ceux que l’on désigne comme « jeunes » ne s’inscrivent pas dans une classe d’âge homogène. Cela peut aussi expliquer le fait qu’ils peuvent privilégier des « associations de jeunes » qui manquent souvent de visibilité.

S. P.— Quels sont les phénomènes de société qui pourraient faire que les jeunes soient de moins en moins actifs au sein de ces associations ?

Enquêtés.— Le principal facteur est que la jeunesse est une phase de vie transitoire. Cela les définit davantage sociologiquement que ne le peut le faire une limite d’âge qui peut aussi être variable selon les milieux sociaux d’origine. Ils se rapprochent ainsi des populations dans la précarité dont il est avéré qu’elles adhèrent très peu. Cela est manifeste dans la plainte des responsables associatifs qui disent ,sur un mode un peu paternaliste, « perdre leur jeunes » lorsque ceux-ci entreprennent des études les conduisant à quitter le lieu de résidence de leur enfance. De leur côté, les jeunes se disent désorganisés durant leurs premières années d’études. Ils repoussent donc des engagements à un moment où ils pourront mieux organiser leurs différents temps sociaux ou se sentir mieux installés. L’autre facteur est contemporain et renvoie plus généralement à la place qui n’est pas faite aux jeunes dans nos sociétés et en France en particulier. L’actualité en témoigne à travers les manifestations qui parcourent le monde. Le sentiment de n’être pas accueilli par la société peut ainsi conduire certains d’entre eux à un rejet des investissements reconnus et à privilégier des engagements informels aux marges de celle-ci et parfois en révolte contre cette société. L’impression de ne pas recevoir suffisamment des formes instituées les incitent à ne pas vouloir rendre au sein de ces formes.

S. P.— Seraient-ils moins solidaires ? Ou le font-ils simplement sous une autre forme ? Si oui, sous quelle forme ?

Enquêtés.— Malgré ce que laissent entendre beaucoup de sociologues diagnostiquant le déclin du lien social, la sociologie n’a toujours pas découvert le thermomètre pouvant prendre la température objective de la solidarité. Et c’est tant mieux ! De plus, la critique massive de l’individualisme contemporain est souvent aveugle au fait que dans une « société d’individus », les personnes n’ont jamais eu autant besoin des autres ni autant désiré la solidarité. L’importance de la socialisation au sein des « groupes de pairs » en est l’illustration. Ainsi, si les jeunes peuvent apparaître plus individualistes ils n’en sont que plus altruistes. Simplement, ils n’opposent pas celui-ci à l’égoïsme : le souci de soi et celui des autres ne se contrarient pas mais sont, au contraire, complémentaires. Aussi, la forme associative peut apparaître, aujourd’hui, trop structurée pour les attirer. Il y a quelques années, elle apparaissait plus souple que celle des partis politiques ou des syndicats et on a pu remarquer un déversement des engagements de ces structures traditionnelles vers les associations. Cette tendance liée à la personnalisation des engagements et au refus de la représentation s’est encore accentuée et pourrait expliquer un déversement vers « des collectifs » qui réinventent les modes d’organisation et d’action.

S. P.— Quel est le visage du bénévolat associatif aujourd’hui ?

Enquêtés.— Ce visage m’apparaît aujourd’hui déconcerté et triste à cause d’une conception utilitariste dominante. Le bénévolat est à la fois fortement valorisé par différentes publicités mais le sens de sa reconnaissance se perd. La principale raison en est que cette activité ne semble pouvoir être reconnue qu’en tant que travail et sur le même mode que l’activité salariée. Quantitativement, on demande aux associations de mesurer en nombre d’heures de travail la valeur de l’activité bénévole. La plupart agréent d’ailleurs à ce mode d’évaluation. Qualitativement, on parle de plus en plus de professionnalisation des bénévoles. Non seulement, on évoque la nécessité d’une montée en compétence de leur part et on argue de la valorisation du curriculum vitae individuel. Enfin, les pouvoirs publics considèrent de plus en plus l’apport des associations comme des offres de services rentrant en concurrence les unes avec les autres au même titre que l’offre privée. Par ailleurs, beaucoup de sociologues développent une critique dénonçant le retrait des services publics se déchargeant sur les associations en matière d’intervention sociale et en stigmatisant l’exploitation des « travailleurs bénévoles ». Une telle critique se voulant radicale s’inscrit en fait dans les mêmes schémas de la position qu’elle prétend combattre et contribue à saper un peu plus la signification spécifique du bénévolat. Même chez ces auteurs, le bénévolat compris comme activité gratuite et désintéressée apparaît suspect. Plus que jamais, donc, l’enjeu est bien de réinventer l’esprit associatif.

Sylvain Pasquier, Maître de conférence à l’Université de Caen-Basse-Normandie, chercheur au CERReV (Centre d’Étude et de Recherche des Risques et Vulnérabilités).

NOTES