Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Mohamed-Amokrane Zoreli

Le territoire de Tizi-Ouzou, pour une réelle dynamique associative.
Don, réciprocité, démocratie et solidarité créative

Texte publié le 28 avril 2018

Riche compte-rendu du passionnant séminaire de l’Association pour une Société Agissant Librement par des activités Solidaires (ASALAS) de Tizi-Ouzou qui s’est tenu les 6 et 7 avril 2018 à Yakourène et Iguersafène à l’initiative de nos amis universitaires et militants de Kabylie.
Avec le soutien du MAUSS qui a déjà publié un précieux texte de synthèse sur l’économie solidaire en Kabylie, vue du don, de Mohammed Zoreli (Université de Bejaia) :
http://www.journaldumauss.net/?L-ECONOMIE-SOLIDAIRE-EN-KABYLIE-1357

« Le territoire de Tizi-Ouzou, pour une réelle dynamique associative. Don, réciprocité, démocratie et solidarité créative »

Rapport de synthèse du séminaire permanent BelkacemKrim, avril 2018

Organisé par :
L’Association Culturelle ALMA d’Iguersafène, l’Association Tarwa Iɛekouren de la commune de Yakouren, l’Association pour une Société Agissant Librement par des Activités Solidaires (ASALAS) de la wilaya de Tizi-Ouzou, l’Association ALM
A Vert d’Iguersafène, l’Association Village du Monde d’Iguersafène et l’Association Solidaire des Jeunes de Yakourène (MANEL), en partenariat avec la Revue MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociale), le Centre Européen de Recherche sur les Initiatives Sociales et les Entreprises Solidaires (CERISES) et la Revue Internationale de d’Economie Sociale (RECMA).
Rapport rédigé par  : Mohamed-Amokrane Zoreli, Université de Bejaia

La version 2018 du Séminaire permanent Belkacem Krim, qui s’est tenue les 6 et 7 avril 2018 à Yakourène et Iguersafène sur le thème : « Le territoire de Tizi-Ouzou, pour une réelle dynamique associative. Don, réciprocité, démocratie et solidarité créative », a réuni 11 universitaires, 54 associations participantes aux ateliers, 35 exposants et près de 7 000 visiteurs [1].

Lancée en 2015 par l’Association pour une Société Agissant Librement par des activités Solidaires (ASALAS) de Tizi-Ouzou, ce séminaire, qui traite spécifiquement de l’économie solidaire, en alternant conférences, ateliers, discussions, visite de la foire des produits du terroir et de villages, se veut un cœur nourricier de pratiques et d’analyses de l’économie solidaire Kabyle.

1. Introduction

Les acteurs associatifs et les scientifiques ayant pris part au colloque international intitulé : « Le territoire de Tizi-Ouzou, pour une réelle dynamique associative. Don, réciprocité, démocratie et solidarité créative », ont été réunis par et pour un projet original.

La construction est déjà en œuvre dans la Kabylie en modernisation. Nous pensons, en faisons notre la vision d’A Gorz, qu’il est temps justement que cette « modernisation se modernise ». Plus précisément, il est temps d’introduire la réflexion dans l’action, pour sa compréhension, son amélioration et sa diffusion.

En introduisant la réflexion dans l’action, la première vérité que nous saisissons est que Friot avait raison de dire que nos « ancêtres n’ont pas trahi ». En effet, en Kabylie les ancêtres ont pu construire ce que la génération instruite de la période postcoloniale n’a pas su préserver et encore moins valoriser : une société kabyle « qui, disait A. Camus, imposait à chacun sa solidarité ». Il s’agit pour nous donc, de construire à partir de leurs constructions de nouvelles réalisations, pour accomplir le vœu de Camus, qui est le notre aussi : « permettre à l’une des populations les plus humaines en ce monde de rester fidèle à elle-même et à son destin ».

L’objet donc de ce colloque est de permettre aux acteurs de l’économie solidaire kabyle de construire un projet structurant global à partir de ressources locales. A partir des ressources locales, parce que, s’il est vrai que, pétrie de savoirs universaux, la société kabyle donne de belles œuvres, il est vrai aussi, Belkacem Krim en est la preuve éloquente, que les plus belles choses que cette société a données à l’humanité ont été façonnées à partir des puretés de ses montagnes.

Dans ce rapport, il y a quelques réponses, des réponses provisoires, aux questions de départ : quels liens entre le don, l’action associative et le développement par l’économie solidaire en Kabylie ? Quelles sont les initiatives réussies d’économie solidaire en Kabylie et comment les améliorer et les diffuser ? Quelles sont les perspectives d’avenir commun par l’économie solidaire en Kabylie, désirable par et profitable pour tous, et comment agir collectivement pour les réaliser ?

Mohamed-Amokrane ZORELI

2. Discours d’ouverture du colloque

Chers (res) invités (ees), bonjour,

En mon nom personnel en tant que président du comité du village et au nom des citoyens et citoyennes, des associations et du comité du village, je vous souhaite la bienvenue à Iguersafene, village de paix, d’union et de fraternité, tout en espérant que vous passeriez une agréable journée tout au long des activités inscrites au programme.

Nous tenons à remercier les initiateurs et les concepteurs de ce colloque d’avoir choisi Iguersafène et Yakourène en sa troisième édition, et nous espérons être à la hauteur de l’événement.

Nous sommes profondément déçus par l’absence de Monsieur Jacques prades et de ses collègues, Patricia Toucas, Alain Caillé, Christian Pihet, Valérie Billaudeau et Philipe Chanial. Nous avions eu beaucoup d’espoir d’apprendre à leurs côtés au moment de leurs interventions. Nous tenons à les remercier vivement pour leur disponibilité à accomplir cette mission exaltante avec générosité. Nous tenons surtout à leur présenter nos excuses de n’avoir pas pu intervenir pour l’obtention de leur visa, de n’avoir pas pu faire plus que ce que nous avons fait pour leur venue effective.

Cette rencontre est très constructive pour toutes les associations présentes, elle est ce qu’il faut pour redynamiser le mouvement associatif en Kabylie et procéder AINSI à la réalisation de projets qui permettront à chacune de nos associations et chacun de nos villages de se prendre en charge.

Honorable assistance, nous voudrions tirer profit de tous les thèmes et de toutes les activités programmés.

Avant de terminer mon intervention, je vous dis qu’Iguersafène garde toujours ses portes ouvertes aux gens qui veulent nous rendre visite. Merci et je déclare le colloque ouvert.

Mezine Ali, Président du comité du village d’Iguersafène

3. La synthèse

La synthèse à postériori doit reconstituer la totalité pour faire connaitre une réalité. Autrement dit, la synthèse exige en même temps la créativité conceptuelle et la fidélité au réel. Ce qui en fait une tâche prestigieuse, Kant la disait même supérieure à l’analyse. Ce qui la rend également difficile. Difficile surtout dans des cas comme le notre où il y a à la fois des ateliers consacrés aux acteurs de terrain et des conférences d’analystes spécialistes, plusieurs sujets et plusieurs intervenant, en plénières autant que dans les ateliers. Nous allons ici tenter de restituer synthétiquement les présentations et discussions en leur établissant une complémentarité totalisante, de sorte que la totalité contienne les sens donnés à la réalité de l’économie solidaire en Kabylie. Réalité qui a un passé, un présent et un avenir. Réalité qui a également ses réalisations, ses contraintes et ses perspectives.

Après avoir défini l’économie solidaire en suivant Guesnier qui a repris « les principes fondateurs des pionniers de l’économie sociale et solidaire, pour qui l’homme doit être la finalité d’un développement durable intégrant les dimensions économique, sociale et environnementale. » (2010), le communicant a jugé utile de faire remarquer que, dans la réalité, le concept d’économie sociale et solidaire recouvre une diversité de situations contextuelles. D’où la diversité des appellations : économie solidaire en France, économie populaire dans quelques pays d’Afrique et d’Amérique Latine, entreprises à but non lucratif en Allemagne, économie de l’union et de la fraternité en Kabylie, etc. Ces fondateurs sont, entre autres, Leroux (de l’humanité, 1840) qui disait être ’ le premier à avoir utilisé le terme de solidarité pour l’introduire dans la philosophie, c’est-à-dire suivant moi, disait-il, dans la religion de l’avenir. J’ai voulu, expliquait-il, remplacer la charité du christianisme par la solidarité humaine’ ; Bourgeois (solidarité, 1889), qui a introduit le concept de quasi-contrat social pour assoir le principe de solidarité à base de dette intergénérationnelle ; Charles Gide (Economie sociale, 1905) qui, en postulant que l’économie sociale n’est pas une construction théorique, mais un ensemble de pratiques qui émergent de la réalité sous forme de coopératives, d’associations et de mutuelles, a plaidé pour le respect des spécificités contextuelles ; Mauss (Essai sur le don : 1925) qui a dévoilé le fait de nature que les êtres humains inscrivent leur relations dans le triptyque donner-recevoir-rendre, animé par le principe de liberté de participer au cycle de don et le pouvoir symbolique du donateur sur le donataire, et Polanyi (La grande transformation, 1944) qui, analysant les drames sociaux provoqués par la logique de l’Etat-nation et celle du marché régulateur, a introduit l’approche substantiviste de l’économie en plaidant pour une grande transformation basée sur le ré-encastrement de l’économique et du social au plan analytique et la cohabitation du triptyque Etat-marché-logique réciprocitaire au plan pratique.

Aujourd’hui avec ses différentes structures, ses différents acteurs, ses différents mécanismes et ses différentes expériences pratiques, l’économie sociale et solidaire peut constituer une alternative viable au binôme Etat-marché en crise. Une alternative viable, parce que, disait J Prades, ses modes de financement, ne visant pas le rendement de court terme, ne risquent pas de créer des crises financières, ses modes de productions et de distribution ne risquent pas de créer des crises environnementales, ses formes de propriété ne risquent pas de créer des crises sociales et ses modèles d’organisation démocratique ne risquent pas de créer une crise du travail et du sens du et dans le travail. Elle peut constituer une alternative viable également, parce que chaque initiative locale spécifique renferme des potentialités pouvant donner naissance à une autre dynamique aussi importante que le complexe coopératif de Mondragon qui, en 2008, comptait 150 coopératives réalisant la production, la conception technique, la distribution, la finance et la formation, avec 80 321 personnes employées, dont près de 20% en dehors de l’Espagne. Parce que aussi, malgré des contraintes institutionnelles ici, le problème de non reconnaissance là et l’absence de structures d’accompagnement ailleurs, en 2013, les coopératives comptaient un milliard de membres, un million d’entreprises, cent millions de personnes employées, 80 000 firmes multinationales et trois milliards de personnes concernées directement ; toujours en 2013, il y avait 13,2 millions de bénévoles travaillent au sein d’associations en France, 85 000 fondations en Europe occidentale, un marché mondial du commerce équitable représentant plus de 6 milliards d’euros et près d’un million d’épargnants et 49 000 emplois dans la finance solidaire.

Dans le contexte actuel de la Kabylie, il y a deux niveaux à éclaircir : l’état original et la situation actuelle.

A l’origine, les principes de solidarité en Kabylie coulaient dans toute la société, prenant plusieurs dimensions : le travail d’éducation des enfants à la solidarité de l’union fraternelle ; les multiples formes de solidarité féminine, travaux collectifs de collecte des olives, de montage et finition du métier à tisser, d’approvisionnement en argile, de cuisson des poteries et de préparation de fêtes, les secours mutuels en cas de besoins urgents (sucre, sel, semoule, etc.) ; les solidarités masculines pour la collecte des olives, le placement des toitures de maisons, les secours mutuels en argent, les compensations mutuelles de perte accidentelle de bétail ; les solidarités villageoises avec les travaux d’entretien de cimetières, de construction et d’entretien de fontaines, d’aménagement et d’entretien de routes et ruelles, de réalisation de fêtes rituelles, d’organisation des funérailles, de prise en charge de cas particuliers (veuve sans ressources, famille sans logis) ; les solidarités inter villages pour l’organisation et la sécurisation de souks, la dotation en ressources de zaouïas et la défense des intérêts commun contre les ennemis externes. Toutes ces formes de solidarité, qui impliquaient des formes diverses de don, visaient un seul objectif : une vie collective harmonieuse et égalitaire par une autogestion solidaire.

Le contexte actuel de la Kabylie est principalement marqué par la résurgence renouvelée de ses formes de solidarité. Les nouvelles initiatives d’économie solidaire de la Kabylie sont des réponses collectives aux multiples défis actuels, réalisées en réactualisant les patrimoines ancestraux et en se nourrissant des expériences d’initiatives solidaires modernes dans le cadre de partenariats et échanges avec des associations et des ONG étrangères. Autogestion villageoise pour la prise en charge des problèmes quotients de déchet, d’eau potable, d’infrastructures et de routes et, secondairement, pour concourir au prix du village le plus propre, organisation de fête et festival pour promouvoir les produits du terroir, sauvegarder des patrimoines et créer une désirabilité et une vitalité territoriales, initiatives de développement durable et de solidarité.

Au cours des débats, plusieurs idées ont émergé. Il n’est pas possible de parler de l’économie solidaire en Kabylie sans évoquer les problèmes d’absence de reconnaissance officielle et de structures de soutien, ainsi que les différentes contraintes qui l’empêchent de se développer, a dit à juste titre un intervenant.

Communication 2 : De la permanence de la solidarité ancestrale au renouveau du mouvement associatif, de Kara Sonia

La conférencière a commencé par signaler que l’économie solidaire a existé en Kabylie depuis toujours.

Par la suite, elle a enchainé avec une rétrospective du cadre juridique régissant les associations en Algérie, en montrant l’impact des principales lois sur le nombre et la nature des associations créées : la loi-19-01 a permis l’apparition d’associations religieuse (3000 associations créées). Par la suite est venue la loi 87-15 qui a permis l’émergence d’associations de parents d’élèves et d’associations scientifiques (93000 associations créées). En 1990 est venue la loi 90-31 qui autorise la création d’association de tous les champs d’activité (92627 associations créées). Enfin, en 2013 a été instituée la loi 12-06 qui a porté le nombre d’associations de tous les champs d’activité à 108940 (dont 6% de la wilaya de Tizi-Ouzou). Pour la conférencière, la loi 12-06 vague et imprécise, est plus limitative qu’incitative de l’action associative.

Le dernier volet de la conférence a été consacré aux principaux facteurs de blocage de la dynamique associative dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Le premier facteur souligné est lié au fait qu’à partir du début des années 1990, les comités de village traditionnels ont été contraints par la loi à devenir formels pour à fois être autorisés à réaliser des activités et avoir droit aux subventions publiques. Beaucoup de comités de villages ont préféré ne pas s’inscrire dans la démarche formelle : à Ait Oumalou, par exemple, sur 15 comités de village, 7 ont choisi de garder la forme traditionnelle et rester dans l’informel, afin d’éviter les risques de récupération politique et de déviation des principes associatifs originels. Le deuxième facteur souligné est ce que la conférencière a désigné de conflit intergénérationnel, entre les anciens qui veulent rester et s’organiser en conservant les méthodes organisationnelles et le mode d’être anciens et la nouvelle génération qui veut la modernisation et le renouvellement des pratiques. Le troisième facteur est lié aux blocages administratifs qui freinent toutes les innovations sociales. La conférencière cite en exemple l’association de prise en charge de personnes avec handicaps, qui a lancé le projet de réalisation d’un centre d’insertion par le travail : le dossier du projet a été déposé au ministère concerné près de quatre fois, mais le projet reste à ce jour non encore mis en œuvre à cause d’absence de soutien administratif, et ce bien qu’un particulier ayant pris connaissance du projet a déjà fait à l’association don d’un terrain approprié pour la réalisation d’une ferme pédagogique. Le dernier facteur révèle un problème de leadership, récurrent dans le contexte des associations socioculturelles et environnementales : la différence d’approche entre les acteurs associatifs amène des acteurs d’un village à créer plus d’une association pour les mêmes objectifs.

Lors des débats, des intervenants ont essayé d’interroger quelques notions avancées par la conférencière pour voir leur pertinence dans le contexte de la Kabylie. Les conflits entre acteurs locaux ne sont peut être pas des conflits intergénérationnel, puisqu’il y a surtout des conflits entre acteurs associatifs de la même catégorie d’âge. De même, le problème de leadership n’est peut être pas un, puisque, souvent, les adversaires des leaders associatifs n’ont pas l’ambition de prendre leur place. Le concept de conflits motivants-conflits bloquants (Zoreli, 2014), qui permet de mieux saisir le phénomène conflictuel caractérisant la dynamique associative en Kabylie, est peut être plus approprié ici.

Communication 3 : la transmission intergénérationnelle de titres de propriété foncière, gage de solidaire locale, de Mustapha Bakli

Dans sa présentation, l’auteur part du constat que, du point de vue lois régissant la transmission de la propriété foncière, il y a présentement enchevêtrement de lois appartenant à des registres différents : lois coutumières héritées des ancêtres, lois relevant du régime capitaliste héritées de la colonisation et lois religieuses introduites par les gouvernants de la période post indépendance.

Durant la guerre de libération, les villageois ont été souvent contraints de quitter leur village. Après l’indépendance, beaucoup de villageois ont préféré rester dans les centres urbains ayant plus de commodités. Aujourd’hui, ces villageois veulent regagner leurs anciens villages et reprendre leurs anciennes terres pour y faire de l’agriculture rurale. Mais, ils se confrontent à un problème : leur terres ont été cadastrées.

Ainsi, présentement, on se retrouve avec près d’un tiers des terres villageoises qui sont cadastrées et près de trois sur quatre des conflits en justice entre villageois qui sont liés au foncier. Il est donc urgent de trouver une solution juridique qui puisse permettre aux villageois de reprendre leurs terres et de vivre ensemble en harmonie comme par le passé.

Durant les discussions, un intervenant a souligné le fait étrange que le droit algérien permet d’avoir un titre de propriété avec une signature de quelques témoins, quelque soient leur origine géographie et leur lieu de vie. Or, les seules personnes qui devraient être autorisées à se porter témoin dans le cas d’établissement d’actes de propriété foncière, ce sont les propriétaires de terres limitrophes des parcelles objet d’acte de propriété. Un autre intervenant a rappelé la pertinence de travailler pour la réhabilitation les comités de villages traditionnels qui, par un quasi contrat social, faisaient que ce genre de conflits et de problèmes n’existaient pas en leur temps.

Communication 4 : vulnérabilité de la cohésion sociale et hypothèses de développement d’une économie solidaire, par Akli Moussouni

Le déplacement des populations vers les grands centres urbains fait que les villages deviennent de plus en plus des lieux résidentiels et de moins en moins des lieux de vie. Ceci, conjugué à la dégradation de l’environnement, à l’érosion des sols et aux incendies de forêts, a provoqué la dévitalisation des territoires ruraux.

La seule solution pour les territoires ruraux face à la mondialisation, consiste à promouvoir les produits du terroir. Les pouvoirs publics au niveau national, avec la baisse des prix des hydrocarbures, sont pris de panique. Mais il n’y a pas un programme cohérent de développement rural. On nous déclare régulièrement, dit le conférencier, que tel ou tel produit du terroir a été exporté à tel niveau de prix ou de quantité, mais en vérité, ce n’est pas un individu ou un produit qui fait le développement rural. Le développement nécessite la construction d’une toile.

Au niveau territorial, il y a des tentatives de revitalisation des territoires, mais ces tentatives ne promettent pas des résultats probants : par exemple, il y des fêtes et festivals partout en Kabylie, mais ces événement festifs ne peuvent pas nous faire avancer, ce sont des événements qui ne sont ni culturelles ni culturales.

Le conférencier a par la suite signalé une dualité dangereuse, des contradictions dans la pensée des villageois, contradictions qui se répercutent négativement sur leurs projets. Cette dualité s’exprime ainsi : d’une part on veut être moderne et d’autre part on veut garder nos traditions ; on veut exporter l’olive de consommation de la Kabyle et, en même temps, on veut continuer à fabriquer ces olives selon nos savoir faire ancestraux, sans tenir compte des normes universelles. Il est nécessaire, dit-il, que les villageois règlent ce problème conflictuel au niveau de soi.

A la fin, l’orateur a avancé trois idées-hypothèses fondamentales et des perspectives d’amélioration des pratiques associatives :

La communication a suscité un riche débat qui a permis de nouveaux éclairages, notamment sur rôle des fêtes et festivals et des tradition de Kabylie dans la formation d’une dynamique structurante : Des études montrent qu’ils permettent de maintenir en vie des patrimoines et des produits locaux (poterie, bijoux, robes, etc.), qu’il permettent la transformation des villages organisateur par des travaux d’aménagement (Houra, Ihitoussene) et le développement de l’image des territoires et de leurs produits (le village de Houra est de plus en plus visité et le burnous de Houra est de plus en plus demandé de l’extérieur, notamment de pays d’Europe), grâce à ces festivals et fêtes, il y a eu des innovations sociales (labellisation des produits locaux et transformation de produits agricole), des projets d’avenir (projet de constitution de coopératives) et émancipation de la femme (la fête du tapis d’At Hichem est organisé par l’association des femmes tisseuses d’At Hichem). Plusieurs études ont montré également que les produits du terroir de Kabylie se vendent mieux lorsqu’ils sont conformes aux modèles traditionnels, sans modifications modernisantes.

Les travaux d’atelier

Les travaux dans les trois ateliers ont été organisés en trois volets : la présentation de la réalisation la plus importante de chaque participant (nom du projet, ses objectifs, son porteur, la date de son lancement, les moyens mobilisés, les partenariats induits, les résultats atteints, les problèmes rencontrés et les perspectives d’évolution du projet), les difficultés rencontrées par les acteurs associatifs en général et les perspectives d’avenir pour les initiatives solidaires.

Dans ce qui suit, nous allons présenter une à deux réalisation(s) par atelier, puis nous allons exposer d’une façon globale les principales difficultés et perspectives de l’économie solidaire kabyle.

*Atelier développement durable
Président : Ouchen Mourad

Rapportrice : Raab Zahia

Dans cet atelier, plusieurs projets ont été présentés par les différents acteurs associatifs présents.

Le projet « forêt école » de l’Association de protection de l’environnement, par Rachid Belmelat

Lancé en 2009, le projet Foret-Ecole a été réalisé par l’Association de protection de l’environnement de wilaya de Tizi Ouzou (APE) à l’entrée du massif forestier d’Azazga, sur une superficie de près vingt-sept hectares. Ce projet a été réalisé en plusieurs étapes : l’installation des infrastructures nécessaires, la plantation d’arbres, la constitution d’une pépinière de plantes médicinales à la « forêt-école » et l’organisation de stages de formation au profit de citoyens.

Les objectifs du projet sont la sauvegarde du patrimoine d’arbres et de plantes médicinales de Kabylie, la protection de l’environnement par la sensibilisation et la formation, et la vulgarisation des méthodes et périodes de plantation des plantes médicinales et des vertus thérapeutiques de ces plantes.

Le projet, ayant coûté près de 7 millions de dinars, a nécessité plusieurs partenariats :

Globalement, le projet est une réussite, puisqu’il suscite de l’engouement chez beaucoup de personnes voulant avoir des connaissances sur les vertus des plantes utiles. Les stages suscitent également de l’intérêt pour des échanges de connaissances sur l’utilisation de ces plantes pour des soins traditionnels divers, ou pour cuisiner.

Comme projet d’avenir, l’Association de Protection de l’Environnement prépare :

* Atelier Innovation sociale

Président : Kamel Raab
Rapporteur Ouamar Ouled-Braham

Cet atelier consacré aux projets qui peuvent être rangés dans le registre des innovations sociales, a attiré une vingtaine d’acteurs associatifs. Deux idées prégnantes ont émergé des discussions : des innovations sociales pour l’insertion par l’emploi et des innovations sociales par le don en tant que phénomène social total.

Le projet « Recyclerie Créative du Djurdjura » de l’Association APAM, par Ouamar Ouled-Braham

Comme son nom l’indique, l’Association pour la Promotion de L’Agriculture de Montagne (APAM) est statutairement de vocation agricole, avec « l’objectif d’encourager, de promouvoir l’agriculture de montagne et de protéger l’environnement, en ciblant les femmes et les hommes du milieu rural ainsi que les universitaires, désireux s’investir dans l’agriculture ».

Lancé en 2013, le projet « Recyclerie Créative du Djurdjura » vise à permettre à des femmes rurales de passer de la situation de femmes au foyer à la situation de femmes autonomes en société, par l’insertion par le travail. Il consiste à ramener des femmes au foyer qui n’ont pas de ressources ni de savoir faire, célibataire ou avec une famille à charge, des villages, et leur donner une formation et des outils de travail dans un atelier de couture, pour transformer des textiles, tissus et habits usagés, en nouveaux produits par le recyclage. Pratiquement, il y a un système constitué de quatre étapes principales : la collecte et la sensibilisation, la formation, la fabrication et la distribution. La sensibilisation vise les citoyens pour mettre à la disposition de l’association leurs textiles usagés plutôt que de le jeter ailleurs. Cette sensibilisation offre deux possibilités de dépôt aux citoyens : soit déplacer leurs objets au siège de l’association, soit les déposer dans des bacs spéciaux que l’association place dans des endroits particuliers, et l’association passe par la suite les récupérer. La formation cible les femmes au foyer qui n’ont pas de ressources, ni de qualifications, acceptant l’alternative de travailler dans l’atelier de recyclage. Après la première vague formée par l’aide de l’Association Migration Solidarité et Echanges pour le Développement (AMSED) de Strasbourg, l’association APAM réalise des formations régulières par le moyen des femmes tisseuses. La production et le stockage des produits se font dans l’atelier situé au centre ville d’Ain El Hammam, où une soixantaine de femmes couturières travaillent quelques heures par semaine en transformant par le recyclage les textiles usagers en nouveaux produits : sacs à dot, portes documents, habits pour petits enfants, tabliers, etc. Enfin la distribution se fait par l’association au niveau de la wilaya, par commandes avec des écoles et autres institutions publiques nationales et internationales, par exposition-vente en participant à des foires et autres manifestations culturelles et par catalogue à Strasbourg.

La réalisation et le développement du projet à impliqué une multitude de partenariats. A titre illustratif, nous citons :

Difficultés :

Projets d’avenir :

Le projet de construction de la maison des orphelins, par l’association Adhrar N’ath Khoudhia

En 2015, se posait un problème social au sein du village d’Ath Khoudhia. Un citoyen qui venait de décéder a laissé une jeune femme et des enfants en bas âge. Le père de la veuve, considérant que sa fille est encore jeune, a décidé qu’elle rentre chez lui, pour une question de principes culturels toujours en vigueur en Kabylie. Ceci devient un problème parce que la jeune veuve ne voulait pas quitter le village de son mari qui est aussi le village de ses enfants. Et ce problème devient une affaire de l’association et du comité du village, parce que depuis la nuit des temps, ce sont les structures associatives, les djemaa, qui se chargent en Kabylie du règlement de ce genre de problèmes, lorsque les familles concernées directement n’arrivent pas à trouver une solution satisfaisant toutes les parties impliquées directement dans le conflit.

Après réunions et consultations, pour permettre à cette veuve avec ses enfants de rester dans le village, il faut la réunion de deux conditions, ont conclu les membres de l’association : une habitation décente et une ressource permanente.

C’est ainsi que l’association a entrepris deux démarches. La première est la constitution d’une caisse alimentée par les villageois. De cette caisse est attribuée mensuellement une somme de 15 000 DA à la famille. Parallèlement, il a été demandé au commerçant du village d’ouvrir un registre pour cette famille et de répondre à tous ses besoins alimentaires, registre que l’association règle mensuellement. La deuxième démarche est la construction d’une maison à la famille. La premier étape à consisté à convaincre le beau père de la veuve pour qu’il cède avec acte de propriété un terrain constructible à ses petits enfants orphelins. Une fois ce terrain acquis, les membres de l’association ont entrepris des démarches administratives pour acquérir à la famille une aide public dans le cadre de l’aide pour construction de l’habitat rural. Parallèlement le chantier à été lancé par les moyens de l’association en lançant un appel au don et au volontariat. Pour faire sortir la famille de la dépendance financière du comité et de l’association du village, les membres de l’association ont réservé le rez-de-chaussée de la maison pour des locaux commerciaux. Avec les dons des citoyens, la première partie de la maison a été achevée et les locaux ont été octroyés à la meilleure offre de location.

Cette location permet à la famille d’avoir des ressources propres et à l’association de réserver les moyens de la caisse noire à d’autres besoins imprévus. La finalisation du projet a permis à la famille bénéficiaire d’avoir la meilleure villa du village et au orphelins de suivre un processus de formation correct : l’ainé des enfants a décroché le titre de champion d’Algérie dans un sport individuel.

Les partenariats :

La réalisation du projet a impliqué un partenariat avec :

C. Atelier « tourisme solidaire »

Président : Rafik Raab
Rapporteur : Salem Kessal

Cet atelier, qui a porté sur ce qui se fait et ce qu’il y a lieu de faire dans le contexte du territoire de Tizi-Ouzou pour promouvoir le tourisme solidaire, a réuni plusieurs acteurs associatifs, des professionnels et des étudiants en tourisme de montagne. Le groupe a pris connaissance d’une diversité d’expériences pratiques.

Le projet randonnée Mohand Messaoudène, présenté par Salem Kessal

Commencée en 2008 sous forme de groupe de randonneurs par feu Mohand Messaoudène, enfant du village d’Iguersafène de profession enseignant-chercheur en biologie, cette initiative a été reprise en 2016 par un autre enfant du village, lui aussi enseignant-chercheur de formation, après la disparition de l’initiateur du projet qui, depuis, porte son nom.

Réalisant en moyenne une randonnée par semaine, le groupe Randonnée Messaoudène est une structure informelle visant plusieurs objectifs : découverte de la nature, épanouissement, rencontre de l’autre, thérapie et épanouissement par l’activité sportive.

Après avoir réalisé jusqu’ici une vingtaine de randonnées pédestres mixtes (femmes, hommes et enfants, jeunes et moins jeunes, habitués et non habitués) dans la wilaya de Tizi-Ouzou et participé à plusieurs échanges avec d’autres groupes de randonneurs des autres wilayas algériennes, le groupe Randonnée Messaoudène a commencé à introduire progressivement les principes de tourisme solidaire dans ses activités.

A titre illustratif, les dernières randonnées organisées par le groupe ont consisté à recevoir des randonneurs venus des autres régions du pays en les hébergeant dans l’auberge de jeunes d’Azazga.

Les contraintes :

Le groupe a durant les discussions, exposé plusieurs difficultés qui empêchent la réalisation effective du tourisme solidaire :

Les projets d’avenir :

Les difficultés et perspectives générales

Les riches discussions qui ont eu lieux dans les trois ateliers ont fait ressortir un certain nombre d’obstacles à prendre en charge et des perspectives d’avenir, constituant le socle des actions à entreprendre.

Obstacles :

Perspectives :

Plusieurs propositions ont émergé des débats :

Annexe : Projet de création d’un réseau d’association

Considérant le fait que les acteurs associatifs et les scientifiques ayant participé à ce séminaire sont dans la recherche-action, recherche de solutions et actions pour leur mise en œuvre, et étant donné que la proposition la plus partagées par les participants est l’idée de création d’un cadre de concertation des acteurs associatifs, un groupe restreint d’acteurs associatifs et d’universitaire ont entériné le principe de réunion dans les prochains jours des acteurs associatifs de la région de Tizi-Ouzou au village Iguersafène, pour finaliser et concrétiser le projet suivant de création d’un réseau d’association.

Nom du réseau :

Réseau d’Associations pour des Coopératives et des Initiatives de Nature Environnementale et Solidaire (RACINES).

Objectifs du réseau :

Qui peut participer au réseau ?

Les acteurs associatifs présents sur le territoire de la wilaya de Tizi-Ouzou, travaillant dans les domaines de l’environnement, du développement patrimonial et durable et de l’économie solidaire. L’intégration se fait par représentation d’une association existante et avec la conformation à la charte éthique et au règlement intérieur du réseau.

NOTES

[1On regrettera que le Consulat n’ait pas attribué de visa à certains universitaires français. On ignore les raisons puisqu’aucune justification n’a été produite par l’Administration algérienne. On regrettera aussi que même les médias et les partis d’opposition se sont ligués avec l’administration pour boycotter cet événement.