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Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Philippe Velilla

Vote ethnique, vote idéologique et vote de classe aux élections de 2017

Texte publié le 30 juin 2017

Les élections présidentielles et législatives de 2017 marqueront durablement la vie politique française. La fin des partis traditionnels, l’émergence d’une force centrale dépassant la droite et la gauche, l’élection d’un président inconnu trois ans auparavant, la nomination d’un gouvernement composé pour moitié de représentants de la ‘société civile’, tout cela a été abondamment commenté. Un autre aspect important et novateur de ces élections a été la présence massive de candidats issus de la diversité aux élections législatives, et l’élection de nombre d’entre eux à l’Assemblée nationale. Cette réalité n’est plus occultée, comme cela pouvait être le cas dans le passé [1], et la dimension ethnique des élections a désormais droit de cité dans les analyses politiques, les sondages et la presse. Mais, signe des temps, ce paramètre ethnique recouvre souvent une réalité sociale - le caractère de classe du vote - et une dimension idéologique : pour ou contre une Nouvelle France, une société ouverte inscrite dans la modernité.

Votes catholique, juif, musulman

Le rôle politique des catholiques pratiquants n’a pas seulement un intérêt historique. Après avoir mobilisé contre la loi sur le mariage pour tous, la frange la plus militante de l’église catholique a joué les arbitres au sein de la droite.

Les Catholiques pour Fillon

Sens commun, émanation de la Manif pour tous, intégra le parti Les Républicains (LR), et devait apporter au candidat François Fillon un soutien qui explique largement son succès à la primaire de novembre 2016. Plus encore, c’est ce courant qui permit au candidat de la droite de se maintenir, lorsque, mis en difficulté avec le Pénélope Gate, il refusa de se retirer au profit d’Alain Juppé, et rassembla plusieurs dizaines de milliers de personnes le 15 mars 2017 au Trocadéro. A l’occasion de la primaire de la droite et du centre, l’IFOP devait réaliser une intéressante étude [2] sur les votes des communautés religieuses. Selon cette étude, François Fillon aurait obtenu 59% des voix des Catholiques au premier tour de la primaire et 83% au second. Et l’étude de citer les pourcentages recueillis dans des bureaux de vote caractéristiques : à Versailles, dans les Deux-Sèvres, dans le Finistère … Cette tendance fut confirmée lors du premier tour de la présidentielle. Selon un sondage en ligne réalisé par l’IFOP le 23 avril 2017, les Catholiques pratiquants ont voté à 46% pour François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle, soit dans une proportion supérieure au double de sa moyenne nationale (20 %). Le soutien de Sens commun à François Fillon a un caractère idéologique marqué : catholique pratiquant lui-même, le candidat avait su cultiver une certaine ambiguïté quant au sort à réserver à la loi sur le mariage pour tous, promettant de mettre fin au droit à l’adoption plénière par les couples de même sexe. Il mit également au premier rang de ses préoccupations la dénonciation de l’islam radical, en y consacrant un livre : Vaincre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016). Par ailleurs, le profil du candidat de la droite correspondait parfaitement au cœur de son électorat, très « Vieille France » : plutôt âgé, provincial, et appartenant aux classes favorisées.

Les Juifs toujours à droite

Lors de la primaire de la droite et du centre, la communauté juive a plébiscité Nicolas Sarkozy. Ayant obtenu à Paris en moyenne 13,7 % des voix, il devait dépasser les 28 % rue Manin et rue d’ Aubervilliers dans le quartier juif du XIXe arrondissement de Paris. Il a réalisé des scores comparables à Sarcelles, à Saint-Brice, à Créteil ou encore à Saint- Mandé, là où se sont constituées des communautés juives importantes. Une illustration frappante de la popularité de l’ancien président de la République fut donnée par le vote du bureau 10 de Sarcelles, dans la « petite Jérusalem », où il obtint 60,8 % des voix. Cette préférence pour Nicolas Sarkozy est ancienne, les Juifs les plus ‘communautaires’ et les plus pratiquants le considérant comme le meilleur rempart contre l’antisémitisme et comme le plus fiable des soutiens à l’Etat d’Israël [3]. Mais plus fondamentalement, cette préférence s’inscrit dans un ancrage à droite des Juifs de France qui devaient voter massivement pour François Fillon lors de l’élection présidentielle. Ainsi, dans le bureau « le plus juif » de Sarcelles, selon les propos d’un élu local, le bureau 24, il devait obtenir 57,2%. Chez les Français d’Israël (juifs dans leur immense majorité), il dépassa les 59 %. Du reste, la 8e circonscription des Français de l’étranger, celle qui comprend Israël, devait être la seule de cette catégorie à ne pas élire un candidat de La République en marche (LREM) le 18 juin, le député sortant (UDI) réalisant un score de près de 58 % des voix, grâce à un record en Israël où il dépassa les 87 % en mobilisant notamment en sa faveur les électeurs religieux. Ici aussi, cet ancrage à droite a une double dimension : idéologique et sociale. Sur le plan idéologique, on l’a vu, la droite est considérée comme plus déterminée à lutter contre l’antisémitisme et à défendre Israël, y compris lorsque le gouvernement de Binyamin
Netanyahou prend des décisions controversées dans le conflit avec les Palestiniens. De surcroît, dans cette communauté de plus en plus religieuse, le conservatisme au plan social avait conduit nombre de ses responsables à prendre parti contre le mariage pour tous. Enfin, dans une population où les professions indépendantes (médecins, avocats, commerçants, artisans, consultants …) sont surreprésentées, des thèmes comme la fin des 35 heures ou la baisse drastique des dépenses publiques (et des impôts) bénéficient d’un préjugé favorable. Pourtant, Emmanuel Macron avait tout pour séduire les Juifs : son philosémitisme, son voyage réussi en Israël en 2015. Il est vrai que les militants de la droite de la communauté, très bien organisés avec une presse en ligne très influente, avaient réussi à jeter le trouble en caricaturant les positions prises par deux responsables LREM : Richard Ferrand qui avait consacré 2 000 euros de sa réserve parlementaire à une association pro-palestinienne, et Mohamed Saou qui avait posté sur Facebook des éléments qui, mis bout-à-bout, pouvaient le faire passer comme proche des islamistes. Finalement, compte tenu de la marginalisation des candidats de la gauche au sein de la communauté juive, Emmanuel Macron devait y réaliser un assez bon score, avec, par exemple, 31,15 % chez les Français d’Israël. Bien entendu, au second tour, un réflexe anti-Le Pen conduisit les Juifs à plébisciter son adversaire. Comme chez les Musulmans.

Les Musulmans encore à gauche

En 2012, l’IFOP avait estimé le vote musulman à 86 % en faveur de François Hollande. Les raisons de cet ancrage à gauche, ancien, sont bien connues : l’appartenance aux classes populaires qui dans cette communauté ne peuvent guère être tentées par le Front national ; le sentiment que la gauche est naturellement antiraciste ; qu’elle lutte plus contre les discriminations ... S’y ajoutait une forte hostilité à Nicolas Sarkozy (surtout après ses propos sur le « karcher », la « racaille », la viande halal ...). Comme nombre d’électeurs de gauche, des Musulmans prirent un malin plaisir à sanctionner l’ancien président en participant à la primaire de la droite et du centre. Ils plébiscitèrent Alain Juppé qui recueillit des scores impressionnants dans des quartiers où vit une importante population musulmane : 46,5 % à Saint-Denis 42% à Aubervilliers, avec des records à La Courneuve (82,8 %) et dans un bureau du IIIe arrondissement de Marseille (81,7 %).

Le vote à gauche des Musulmans de France a bien évolué, ceux-ci figurant au premier rang des déçus du Parti socialiste. D’une part, pour des raisons qui tiennent à la désaffection qui marquait tout l’électorat socialiste, notamment du fait de la persistance d’un niveau élevé de chômage. D’autre part, pour des raisons spécifiques aux Musulmans : la non mise en œuvre des promesses du candidat Hollande sur les contrôles au faciès ou le droit de vote des étrangers, et l’hostilité de cette communauté - conservatrice au plan des mœurs - à des réformes comme le mariage pour tous. Ce dernier thème, bien exploité par des candidats de droite, permit le basculement de bastions de gauche dans l’escarcelle de la droite lors des élections municipales de 2014 : Aulnay-sous-Bois, Bobigny, Saint-Ouen … [4]. Mais aux élections présidentielles, les Musulmans sont restés à gauche, tout en manifestant leur désamour à l’égard du Parti socialiste. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, selon le sondage IFOP précité, ils auraient voté à 37% pour Jean-Luc Mélenchon, à 24 % pour Emmanuel Macron, à 17 % pour Benoît Hamon et à 10 % pour François Fillon. Autrement dit, les candidats de gauche ont obtenu chez les Musulmans près du double de leurs scores nationaux pour celui de la France insoumise (LFI), et près du triple pour celui du PS. Le candidat d’En Marche ! obtint exactement son pourcentage national, et le candidat de la droite deux fois moins. Cette préférence des électeurs musulmans pour LFI était lisible dans les scores enregistrés dans les grandes villes de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Montreuil, Saint-Denis) et les arrondissements de Paris qui comptent des communautés musulmanes importantes : les XIXe et XXe, où Jean-Luc Mélenchon arriva en tête. Logiquement, aux élections législatives, la Seine-Saint-Denis envoya trois députés LFI à l’Assemblée nationale ainsi que Clémentine Autain et deux députés PCF soutenus par LFI. Ici aussi, le caractère ethnique du vote n’est pas seul en cause : dans toutes les catégories populaires, le discours anticapitaliste de Jean-Luc Mélenchon est très bien passé. On ajoutera que les prises de position du candidat de La France Insoumise, sur l’islam ou la reconnaissance unilatérale de la Palestine (proches en ces matières de celles de Benoît Hamon) ont conforté le choix des électeurs musulmans les plus politisés. D’autant que ces questions ont été au cœur de polémiques, et ont entraîné bien des dérives.

Un nouvel acteur : l’islam politique

Les élections législatives devaient voir se multiplier les candidatures de partis affichant des convictions religieuses.

L’échec des partis confessionnels

Après avoir tenu meeting en France pour rallier les immigrés turcs au vote AKP, les autorités d’Ankara sont allées plus loin en créant le Parti Égalité Justice (PEJ) qui a présenté 52 candidats aux élections législatives recueillant de faibles scores. Plus ancienne, l’Union des Démocrates Musulmans de France avait recueilli lors des élections régionales en 2015 jusqu’à 5,9% des voix en 2015 à Mantes-la-Jolie. Le 11 juin 2017, l’UDMF, avec de nombreuses candidatures, a enregistré quelques résultats relativement bons, notamment dans la première circonscription des Hauts de Seine où la suppléante de Abdelmajid Aodella, président de l’Union Gennevilloise et figure locale, était Sandra Fourastier, jeune française de 21 ans convertie à l’islam et voilée, que son parti mit beaucoup en avant. Ce « binôme en or » selon le site Oumma.com, obtint 2,06 %, avec des pointes de 2,74 % à Gennevilliers et de 3,18 % à Villeneuve-la-Garenne. On doit signaler aussi la création de Français et Musulmans avec des dissidents de l’UDMF qui a présenté cinq candidats dans la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, recueillant entre 0,57 % et 2,94 % des voix. On observera à la lecture du programme de ces partis communautaristes que les questions concernant l’islam y figurent aux côtés des thèmes du conservatisme social, avec notamment la dénonciation du mariage pour tous. Globalement, ces partis musulmans obtinrent de faibles scores, comme du reste les partis catholiques : le Parti démocrate-chrétien ne parvint même pas à conserver à la droite la très ‘catho-tradi’ 10e circonscription des Yvelines, où Jean-Frédéric Poisson, qui y avait succédé à Christine Boutin, fut battu par Aurore Bergé, candidate LREM. Dans cette France du XXIe siècle où les partis confessionnels ne sont guère prisés, l’islamisme ne reste cependant pas sans influence, comme devait le prouver un candidat sans parti, mais doté d’une grande notoriété : Samy Debbah. Ancien prédicateur du Tabligh et organisateur de tournées de conférences de Tariq Ramadan, Samy Debbah avait fondé, dans la mouvance des Frères musulmans, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) en 2003. Samy Debbah a réussi une percée spectaculaire en se hissant au deuxième tour des élections législatives dans la 8e circonscription du Val d’Oise face au maire PS de Sarcelles, François Pupponi. Il a en partie bénéficié de l’abstention massive (67,9%) et de l’absence de candidature LREM pour atteindre au premier tour 13,9% des suffrages, soit 2 352 voix. Au second tour, il devait être battu, avec 34,2 % des voix, mais recueillit 55% des voix dans sa ville de Garges-les-Gonnesse, score exceptionnel pour un candidat sans étiquette. Notons qu’après avoir présenté un programme très social au premier tour, Sammy Debbah fit campagne au second tour avec d’autres thèmes, notamment en dénonçant chez son adversaire le « clientélisme » sans précision. Mais chacun comprenait de quoi il s’agissait : François Pupponi est régulièrement accusé de favoriser la communauté juive de Sarcelles. Sammy Debbah pointait aussi le bout de l’oreille avec des slogans comme : « Non à l’ami de Manuel Valls dans notre circonscription ».

La chute de la maison Valls et ses non-dits

Les échecs de Manuel Valls tiennent pour l’essentiel à des considérations de politique générale : l’image négative attachée au quinquennat de François Hollande, l’autoritarisme manifesté par l’ex Premier ministre etc. Pour les Musulmans, y compris les plus modérés, s’y ajoutent des critiques de son projet de déchéance de la nationalité (qui aurait frappé les seuls binationaux) ou son soutien aux maires voulant interdire le burkini. Cette hostilité a également sa part de non-dits : Manuel Valls, philosémite, pro-israélien et marié à une Juive, ‘chouchou’ des institutions et de la communauté juive, cristallise aussi pour ces raisons inavouées l’hostilité de nombre de nombre de Français, et sans doute pas seulement chez les Musulmans. De façon très significative, ses interdictions des spectacles de Dieudonné en décembre 2013 lui valurent dès le mois suivant une chute dans les sondages auprès de deux catégories : les jeunes et les sympathisants de gauche [5]. Manuel Valls, dans une interview accordée à l’écrivain Christine Angot, raconte : « Dans les rues piétonnes du centre commercial de ma ville, j’étais ministre de l’Intérieur à l’époque, j’avais des gardes du corps, mais vous ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui me faisaient des quenelles quand je passais » [6]. La chute définitive de la maison Valls fut évitée de justesse dans sa 1re circonscription de l’Essonne où il finit par l’emporter avec 50,3 % des voix au terme d’une campagne très tendue contre la candidate de La France Insoumise, Farida Amrani. Dans une interview au journal en ligne Quartiers libres, le suppléant de Farida Amrani, Ulysse Rabaté, devait déclarer à propos de son adversaire : « Au Ministère de l’Intérieur il aura prolongé l’action de Sarkozy en stigmatisant, les Musulmans, les Roms, en méprisant toujours plus les quartiers populaires. C’est la vision ‘karsher’ de la fonction … » On notera qu’à Sarcelles, LFI et le PCF ne donnèrent aucune consigne de vote pour le second tour. Dans la première circonscription de l’Essonne, Dieudonné qui s’était présenté contre Manuel Valls recueillit 3,8 % des voix au premier tour. Pour le second tour, dans un soutien « spontané et sincère », il appela à voter pour Farida Amrani sans que celle-ci y trouve rien à redire … En d’autres termes, la chute de la maison Valls résulte en partie de la conjonction de deux phénomènes idéologiques : l’irruption de l’islamisme dans le débat politique, et des ambiguïtés au sein de l’extrême gauche qui laissent prise à un antisémitisme masqué. Au même moment, et ce n’est sans doute pas un hasard, une nouvelle France beaucoup plus constructive s’est manifestée dans les urnes.

Une nouvelle France

L’affirmation de la diversité, confortée par un rajeunissement et une féminisation de la classe politique traduisent la volonté de voir la société française refuser l’enfermement.

Génération Y

Dans les quartiers populaires, l’image d’Emmanuel Macron « le banquier » n’a pas facilité le travail des militants LREM. Dans ces quartiers, c’est la France Insoumise qui a raflé la mise, on l’a déjà noté, mais dès le premier tour, Emmanuel Macron y emportait 20 à 25 % des voix, soit presque son score national (24 %). Comme le note le sociologue Yves Domargen, qui depuis vingt ans observe le vote dans les quartiers populaires : « Les électeurs qui ont d’emblée voté pour lui dans ces quartiers sont ceux qui sont dans une trajectoire ascendante … Les plus enthousiastes sont plutôt diplômés, le plus souvent entrepreneurs ou occupant des postes dans des entreprises publiques. [7] » Parmi eux, on relève en effet l’importance quantitative de jeunes créateurs d’entreprises. Ils expliquent souvent que cette initiative était la seule solution pour échapper au plafond de verre sur le marché du salariat, ressenti qui en dit long sur la réalité des discriminations, ce qu’un observateur devait traduire ainsi : « Pour les jeunes des quartiers, c’est plus facile de créer son emploi que d’en trouver un » [8]. Tous ces jeunes de la génération Y dans les banlieues ont été séduits par le discours d’Emmanuel Macron sur la baisse des charges, l’extension des droits au congé maternité et aux allocations chômage aux indépendants, la simplification etc. Mais plus fondamentalement, comme le dit une ancienne militante socialiste passée à LREM, Djamila Haddad, tous ces jeunes et moins jeunes issus de l’immigration ont été séduits par « sa fraîcheur, son opiniâtreté, la manière dont il voulait tout chambouler », et de conclure que le mouvement d’Emmanuel Macron a pour eux le mérite de « donner une chance à tout le monde ». Elle n’est pas la seule à avoir eu ce sentiment. Selon le Courrier de l’Atlas du 16 juin 2017, 39 Franco-Maghrébins se sont qualifiés pour le second tour, dont une majorité de femmes, principalement au titre de La République En Marche. Du reste, LREM déclara ouvertement que pour le choix de ses candidats, « il sera tenu compte de la diversité ». L’électoralisme n’est pas absent de ce choix. Ce n’est pas un hasard si les partis présentent des candidats beurs et blacks dans le Neuf-Trois, arméniens ou comoriens à Marseille ou encore chinois dans le XIIIe arrondissement de Paris. Ainsi, Pascal Chamassian, candidat LREM dans la 1re circonscription de Marseille qui abrite une forte communauté arménienne, eut beau mettre en avant son militantisme en faveur de cette communauté, cela ne fut pas suffisant pour lui permettre de battre Valérie Boyer, député LR sortante. Il est vrai qu’au cours de ses mandats, elle s’était aussi beaucoup impliquée dans la défense de la cause arménienne, ce qu’elle ne manquait jamais de souligner. Car, dans les quartiers très typés, c’est au sein même des communautés que peuvent s’effectuer les arbitrages électoraux. Ainsi, dans le XVIIe arrondissement de Paris, devenu le quartier le plus juif de France, la candidate REM, Ilana Cicurel, très populaire au sein de cette communauté, ne parvint pas à confirmer au second tour son avance de dix points : la maire du XVIIe arrondissement, Brigitte Kuster (LR), finit par la battre de justesse avec 1,5 % soit 1 000 voix d’avance. Au sein de la communauté juive, il se murmure qu’Ilana Cicurel aurait été « trahie » par nombre de ses coreligionnaires, plus soucieux de soutenir la droite que d’élire l’une des leurs. Car, la carte ethnique ne suffit pas pour gagner les élections. Ainsi, on observera que les six députés élus au titre de La France insoumise ou soutenus par ce parti en Seine-Denis, sont tous ‘blancs’, même si quatre sur six de leurs suppléants étaient issus de la diversité.

Nouvelle France d’en bas, Nouvelle France d’en haut

La nouvelle Assemblée nationale est plus féminine (223 députées, soit 38,65 % des élus, contre 26,9 % dans la législature précédente) plus jeune (48 ans contre 54 en 2012), et plus diverse. En clair, sa composition traduit une rupture avec « représentation nationale » de « Blancs jusqu’aux cheveux » : une assemblée d’hommes, blancs, quinquagénaires et bourgeois. Pour nous en tenir au sujet qui nous occupe, le volontarisme politique manifesté par le choix de la diversité finit par payer : en 2017, plusieurs dizaines de Beurs ont été élus, ainsi que de nombreux Blacks africains ou antillais en métropole. Pour la première fois, des candidats issus de l’importante minorité asiatique font aussi leur entrée à l’assemblée nationale, comme Buon Tan, notable de la communauté chinoise du XIIIe arrondissement dont il devient député, et Stéphanie Do élue dans la 10e circonscription de Seine-et-Marne. La promotion de la diversité permet de donner l’exemple de réussites qui sont autant de stimulants pour les enfants de l’immigration. Elle permet aussi de lutter concrètement contre les discriminations. Ainsi, Alexandre Aïdara, candidat LREM à Aubervilliers déclara dans sa campagne : « Moi aussi, j’ai vécu les discriminations, au logement, à l’entrée des boîtes de nuit … Des expériences assez terrifiantes. Je sais ce que c’est de se sentir méprisé et maltraité. » Et ce Franco-Sénégalais devenu ingénieur centralien et énarque d’afficher sa volonté d’être « un modèle pour les jeunes ». Last but not least, la diversité contribue aussi à une meilleure représentation des catégories populaires qui en ont bien besoin. Car ces élections en 2017 ont surtout vu la victoire du parti de l’abstention. Avec 57 % d’abstention au second tour des élections législatives, dont 70 % chez les moins de 35 ans et près de 70 % chez les titulaires de bas revenus, la France d’en bas est la grande perdante de ce cycle électoral. Dans son enquête publié le 6 juin 2017, « Qui sont les candidats de La République en Marche », Le Monde notait la surreprésentation des cadres et des professions intellectuelles et des diplômes prestigieux (souvent Science Po et les grandes écoles). De façon encore plus précise, l’enquête montrait qu’un tiers de ces candidats étaient propriétaires de leurs entreprises (156 professions libérales ou autres), alors qu’il n’y avait que deux ouvriers. L’élection d’enfants de l’immigration permet de compenser relativement cette carence sociale. On citera à ce titre Laetitia Avia, enfant de la Seine-Saint-Denis, née de parents congolais, devenue brillante avocate d’affaires après avoir bénéficié des conventions ZEP avec Sciences Po (la Zep Academy), élue députée de Paris le 18 juin 2017. On pourrait encore mentionner Naïma Moutchou, elle aussi avocate (elle plaide notamment pour la LICRA). De cette fille d’une famille ouvrière de six enfants originaire du Maroc, « bonne élève du Val d’Oise » (qui l’élira députée), l’ancien bâtonnier de Paris, Maître Christian Charrière- Bournazel, dit : « Elle est l’exemple même de nos compatriotes français qui ont des parents venus d’ailleurs … et qui représentent ce qu’il y a de meilleur dans la nation française, c’est-à-dire l’ouverture aux autres et la capacité à être frères en République ». On pourrait en dire tout autant de Mounir Mahjoubi, élu dans le XIXe arrondissement de Paris et secrétaire d’Etat au Numérique. Le « geek du gouvernement » est très représentatif de cette nouvelle élite venue de la France d’en bas : ce trentenaire a travaillé jeune, mais est diplômé de Sciences Po et créateur de plusieurs start-ups.

On l’aura compris : la promotion de la diversité permet aussi de faire progresser l’égalité, une idée toujours neuve en Europe. Car le risque est que la Nouvelle France reste une France d’en haut si elle ne s’attelle pas à une mission prioritaire : la réinsertion des classes populaires, et d’abord de la jeunesse ouvrière qui restent exclues de la fête.

NOTES

[1Voir notre ouvrage La République et les tribus (Buchet-Chastel, 2014), et notre article complémentaire « Marine superstar, la droite Inch’Allah et le Premier ministre Mazel Tov », Club Mediapart, 26 mai 2014. Le présent article peut être considéré comme une actualisation de ces écrits.

[2Le Figaro, 7 décembre 2016.

[3Philippe Velilla, Les Juifs et la droite, Pascal, 2010.

[4Philippe Velilla, « Marine … » Ibid.

[5Philippe Vellila, « Dieudonné, Gaza, 11 janvier, ce qui s’est brisé », Revue du MAUSS permanente, 10 septembre 2015.

[6Libération, 26 juin 2017.

[7Lise Couverlaire, « Avec Macron, les entrepreneurs dans les banlieues auront plus de chance », Le Monde, 12 juin 2017.

[8Voir l’importante étude menée par Marie-Anne Valfort avec l’institut Montaigne en 2015, Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité. On y apprend notamment que les chances d’obtenir un entretien d’embauche après l’envoi d’un CV sont deux fois moins importantes pour les candidats musulmans (quatre fois moins pour les garçons). On notera également que les Juifs sont aussi victimes de discriminations à l’embauche dans une proportion non négligeable.