Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Anne Frémaux

Le regard des enfants d’Idoméni et d’ailleurs : Lévinas et la crise migratoire

Texte publié le 9 mai 2016

Ce texte revisite la thématique lévinassienne du regard à travers le défi moral lancé aux européens qu’est la crise migratoire et, plus précisément, à travers une polémique née en Allemagne et alimentée par un membre de l’AFD (parti nationaliste et conservateur allemand) sur le « chantage effectué par les yeux des enfants migrants ». En analysant la « liberté impuissante » propre à la thématique du visage, ce travail entend montrer que c’est en puisant à la source pré-rationnelle et transcendante de l’expérience éthique contre une morale asséchée par des catégories intellectuelles abstraites, juridiques et totalisantes, que les peuples européens pourront inverser la mécanique nihiliste du paradigme individualiste (« impérialisme du moi ») dans laquelle ils sont enlisés et échapper à la propagation de ces modes d’existence et de pensée « pour le marché » qui visent et produisent l’anéantissement éthique de nos sociétés. L’article conclut en évoquant des pistes politiques possibles de « l’attention à l’autre », sous l’inspiration des philosophies du care et met en exergue la nécessité du contrôle continue de la politique par la « morale agissante ». L’éthique lévinassienne, parce qu’elle nous invite à ne pas oublier la légitimité fondamentale du politique, le souci concret de l’autre, constitue un rempart plus que jamais nécessaire contre l’institution de la violence opérée aujourd’hui par des États davantage préoccupés par leur propre continuation (conatus essendi) que par les fondements symboliques qui les ont fait naître.

« Toute la science du monde ne vaut pas les larmes des enfants »
Dostoïevski, Les Frères Karamazov.

Récemment, une polémique indirecte a pris place en Allemagne entre l’octogénaire Norbert Blüm, ancien ministre du travail de la CDU (droite chrétienne conservatrice) et Alexander Gauland, ténor de l’AFD (Alternative pour l’Allemagne), parti populiste de droite, équivalent allemand de notre front national. Le premier a planté sa tente une nuit de mars dans le camp de réfugiés grec d’Idoméni afin d’y dénoncer les conditions de vie insalubres et choquantes qui y règnent. Particulièrement sensible à la situation dramatique des enfants [1], une population fragile frappée par l’urgence sanitaire qui compose près de 30% des migrants de ce camp, il a appelé l’Europe à prendre ses responsabilités au nom de l’humanisme chrétien qui constitue notre socle moral historique. Quelques semaines auparavant, l’intellectuel national conservateur de l’AFD avait invité ses compatriotes « à ne pas se laisser prendre au chantage des yeux des enfants » [2]. Interrogé sur les propos de Gauland lors d’une interview télévisée, Blüm a affirmé en retour que celui qui n’éprouvait pas de compassion devant les yeux des enfants devait tout simplement se faire hospitaliser [3]

L’apparition de la question du regard dans le débat qui secoue l’Europe au sujet des réfugiés n’est pas anodine. Passage obligé de la rencontre avec l’autre, le regard est la porte de notre humanité, de l’humanité de celui qui regarde comme de celui qui est regardé. Primo Lévi, ancien déporté du camp d’Auschwitz, évoque dans Si c’est un homme (1947), ce regard d’un nazi marqué par une indifférence terrifiante et la rupture totale du lien humain… « regard échangé comme à travers la vitre d’un aquarium, entre deux êtres appartenant à deux mondes différents  » [4]. C’est également le visage d’un petit garçon, émergeant d’un charnier de Srebrenica, qui a fait baisser les armes des soldats serbes obéissant aux ordres de massacre. Le témoin anonyme « RM247 » raconte à la barre du tribunal pénal international comment, malgré l’ordre de l’officier de service d’exécuter ce petit survivant, tous les soldats ont, à l’unisson, désobéi. L’homme raconte : « [j]’étais un homme fort, à l’origine, j’avais la réputation d’être quelqu’un de solide. Mais la façon dont ceci vous saisit… » [5]. Nombreux sont aussi les témoignages de guerre où les soldats avouent leur incapacité de tuer lorsqu’il sont face à face avec le visage de leur ennemi.

« Être saisi », c’est là sans doute une description que ne renierait pas Lévinas, philosophe de l’expérience éthique par excellence, lorsqu’il décrit l’appel du regard comme une expérience de transcendance, un « ruissellement de l’infini » qui surprend le sujet, fait effraction dans sa vie tout en le renvoyant à sa responsabilité morale : quand je regarde autrui, je ne regarde pas « quelque chose », je rencontre une présence qui me dépasse. Le visage, dont le sens dépasse celui donné par les contours de la plastique, est éthique car il est infini. La meilleure manière de ne pas rencontrer autrui, en effet, c’est de ne pas le regarder, de ne pas croiser ses yeux, de détourner le regard ou pire encore, de le dévisager, c’est-à-dire de le scruter comme un objet (on remarquera aussi à quel point la violence devient sournoise et humiliante lorsqu’elle s’exprime sur le visage : le crachat, la gifle, le coup de poing, etc.). Devant un visage, je ne peux pas rester là à le contempler. Je dois répondre. Le regard se présente comme un signifiant : il me parle avant même de proférer une seule parole. En ce sens, il s’écoute davantage qu’il ne se regarde. À vrai dire, sans doute sommes-nous nombreux à tenter de nous fermer aux appels qui nous sont lancés, à ignorer, lorsque nous rentrons chez nous d’un pas pressé, le regard des mendiants qui encadrent nos rues ou des autres êtres en détresse que nous croisons sur nos routes. Nous ignorons ainsi efficacement - du moins le pensons-nous - le visage nu, sans protection, totalement exposé à la violence, des appels à l’aide que nous rencontrons … « Ce n’est pas mon problème  », « ce n’est pas ma responsabilité  », « on ne peut pas aider tout le monde  » … sont autant d’excuses et d’alibis ratiocinants que l’on oppose alors à cette inaction socialement encouragée par l’éthique minimaliste et de nos sociétés occidentales (plutôt remplacée par le droit). Maladivement mues par ce que Lévinas, dans la lignée de Spinoza, dénomme le « conatus essendi » ou l’instinct de préservation dans sa réalité brute (la tendance à vouloir persévérer dans son être), nos sociétés néo-libérales ont en effet élevé au rang de modèle anthropologique, l’égoïsme, l’égotisme, la recherche de l’intérêt personnel et le désintérêt à l’égard de l’autre. Ces caractéristiques de l’homo oeconomicus moderne, un concept abstrait inventé par l’économie classique pour décrire nos choix économiques théoriquement rationnels, sont ainsi devenues la norme de nos quotidiens rationalisés.

La révélation morale fait partie de ces expériences qui échappent cependant à l’emprise « technique » et intéressée du monde et qui montrent que l’être humain ne se réduit pas à l’être mécanisé dépeint par les sciences économiques. Lévinas décrit l’expérience éthique telle qu’elle se présente à la conscience, c’est-à-dire lorsque l’autre se révèle dans la nudité de son visage, comme antérieur à tout choix rationnel. Nous sommes ainsi parfois frappés, « saisis », par l’intrusion d’autrui sur la scène de notre intériorité sans que notre raison ne parvienne à nous prémunir contre les effets d’une telle irruption. Nos dispositifs psychologiques de mise à distance ne fonctionnent plus : le regard, le visage s’est immiscé dans notre conscience et ne nous quitte plus, nous arrachant malgré nous à la complaisante préoccupation de nous-même. L’appel de l’autre (qui pourrait aussi être celui d’un animal et pourquoi pas davantage… [6]) s’infiltre en nous comme un défi lancé à la vie repliée sur elle-même que nous aimerions autrement pouvoir mener. « L’accueil de l’autre, nous dit Lévinas, est ipso facto la conscience de mon injustice  » [7]… « La conscience morale accueille autrui. C’est la révélation d’une résistance à mes pouvoirs, qui ne les met pas, comme force plus grande, en échec, mais qui met en question le droit naïf de mes pouvoirs, ma glorieuse spontanéité de vivant  » [8]… Face à l’appel de l’autre, nous ne nous découvrons pas seulement injuste et coupable [9], nous nous trouvons également investi d’obligations et d’interdictions, dont l’universel « tu ne tueras point ». La vulnérabilité d’autrui nous confère alors une impérieuse responsabilité : « Autrui (…) a la face du pauvre, de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin  » [10] qui nous sollicitent par leur misère nous obligent et nous laissent sans alibis et sans excuses. Leurs besoins matériels deviennent alors pour nous des besoins spirituels. Ma réponse à leur appel est simple et consiste en ceci : « me voici » [11]. Cette relation, de nature asymétrique dans la mesure où elle n’exige aucune réciprocité (d’où l’erreur fondamentale qui consiste à se demander si les migrants ont une « valeur » économique), n’est cependant pas denuée de contrepartie concernant l’advenue de notre être. La bonne nouvelle, en effet, c’est que nous avons tout à gagner de cet abandon à l’autre car en me présentant sa faiblesse et sa finitude essentielle, autrui me donne aussi l’occasion d’échapper à la loi de la simple survie individuelle et d’entrer dans la dimension éthique de l’existence. Grâce à lui, j’accède à mon humanité.

On l’aura bien compris : rien n’apparaît plus éloigné de l’adulation du soi et de l’indifférence, du règne autocratique de l’ego et de l’apologie de l’individualisme propres à notre modernité que l’éthique phénoménologique lévinassienne. Loin de constituer une fantaisie idéaliste ou une conception naïve destinée à échouer face à l’épreuve de la réalité, la préoccupation de l’autre, si chère au philosophe lituanien et si contraire au modus vivendi moderne, est ce qui nous constitue en tant que sujets et plus particulièrement en tant que sujets moraux : l’autre n’est pas celui qui remet en question ma liberté mais celui par qui, au contraire, ma liberté advient, celui par lequel je peux m’extirper de l’engluement primaire dans la simple « persistance (égotique) de l’être ». L’autre est la condition d’existence même de la moralité. Le face-à-face nous conduit en effet directement hors de la sphère du soi, hors des préoccupations égoïstes ou des considérations de clocher, vers la prise de conscience transcendante de la précarité dans laquelle se trouve l’autre en face de moi et auquel, en raison de sa fragilité et de sa vulnérabilité, je dois donner mon soutien. C’est sans doute pour cette raison que l’aide accordée au prochain constitue l’un des piliers majeurs de toutes les grandes religions. Elles ne s’y sont pas trompées : aucun système moral digne de ce nom ne peut faire l’impasse sur la place d’autrui, sur l’importance de la compassion, de la solidarité et de l’oubli de soi comme éléments constitutifs de l’expérience éthique.

Par opposition, la posture immorale, fasciste par exemple, est celle de la fermeture drapée de rhétorique idéologique : fermeture des portes, des frontières, du dialogue, fermeture de l’accès aux droits, fermeture des lieux et bien sûr, fermeture à ce qui n’est pas « soi ». On notera, en passant, que la logique néo-libérale, qui émousse la sensibilité morale en privilégiant les attitudes de clôture à l’égard de l’autre (exception faite des échanges marchands intéressés), ouvre grand la brèche en direction de cette fondamentale fermeture à l’autre que constitue le fascisme [12] . Celui qui ne fait pas partie du « Même » en raison de ses origines ethniques, de sa foi, de sa sexualité, de sa provenance est rejeté de manière allergique par les idéologies totalisantes, par les impérialistes de l’homogénéité qui, en refusant l’autre, s’enlisent dans la mécanique d’une conception primitive, répétitive et aveugle de l’être. En résumé, l’immoralité consiste dans le manque de considération pour l’autre en raison d’un attachement naïf et nihiliste à soi-même.

{}Cette posture d’enfermement s’exprime dans la bouche de Gauland par son exhortation à ignorer le regard des enfants pour éviter de se laisser prendre au « chantage » de leurs yeux. Face à une telle mise en garde, une question d’ordre conceptuelle surgit immédiatement : « Les enfants peuvent-il exercer sur nous un chantage par l’intermédiaire de leur regard ? ». Cela supposerait une intention malicieuse qui n’est majoritairement pas là mais surtout, comme le dit Lévinas, le visage est « en dehors de la rhétorique qui est emprise, ruse, exploitation » (17). Le face-à-face avec autrui est une expérience authentique, rarement trompeuse. Peut-être faudrait-il alors poser la question différemment : « le regard de ces enfants peut-il exercer un chantage sur nous ? ». Bien entendu l’expression paraît cruelle et insincère tant elle inverse la charge de la faute et semble exsuder le ressentiment d’une mauvaise conscience en travail. Mais elle recèle pourtant une part de vérité : pris au sens propre, le chantage est un moyen de pression par lequel on entend extorquer des valeurs en menaçant de révéler un scandale. Or, le regard des enfants a bel et bien le pouvoir de révéler un scandale [13], ou encore, une pierre d’achoppement morale sans commune mesure (ce que les religieux appellent un péché). Politiquement parlant, le scandale est une tâche faite à la réputation de quelqu’un par le mauvais exemple qu’il donne. Or le regard des enfants nous livre véritablement un scandale aux deux sens de ce terme. Il s’agit du scandale constitué par la révélation de notre inhumanité… l’inhumanité de ceux qui refusent de répondre à l’appel ou, pire encore, de ceux qui voudraient que cet appel soit recouvert pour dissimuler leur propre monstruosité. Concernant les valeurs que le regard des enfants entendrait nous extorquer, malgré nous, par devers nous mais certainement pas contre nous, ce ne sont autres que les vertus de solidarité et de compassion exigées par leur vulnérabilité essentielle. L’humanité, telle est en effet la valeur suprême qu’ils exigent de nous afin de ne pas révéler le scandale de notre corruption intérieure. Par son dénuement, le regard nous arrache à l’indifférence bourgeoise que nous estimions autrement être juste et légitime. Le pouvoir qu’il comporte n’est pas un pouvoir opérant, positif mais un pouvoir révélateur, en négatif. Autrui en effet n’est pas plus puissant que moi (il n’y a pas de retournement dialectique de type hégélien chez Lévinas) [14] ; il n’est pas non plus une liberté identique à la mienne mais il a la capacité de me révéler comme liberté éthique véridique, comme liberté meurtrière ou comme non-liberté astreinte à ses pulsions de vivant, ces deux derniers cas se découvrant dans la conscience comme sentiment de honte.

Tel est finalement ce pouvoir exorbitant de l’enfant en détresse qui effraie tant Gauland et les membres de son parti : il est là, devant moi. Il me regarde. Son appel est immense, infini mais je n’y réponds pas. Ce pouvoir me terrifie au point que je voudrais le faire taire en le diffamant, en le niant, voire en l’anéantissant (ce que font les régimes totalitaires en général afin d’éliminer toute preuve vivante de leur abomination). Ce pouvoir si fragile qui effraie tant, c’est celui de l’infini, celui d’une transcendance personnifiée qui ne se terminera pas même en se terminant [15], d’où l’illusion de sa négation (les regards terrifiés, interdits, pétrifiés des victimes d’Auschwitz hantent encore et toujours notre monde et nos consciences).

Le sujet, originairement et malgré lui affecté par autrui, n’a pas de sortie de secours. Quelle que soit sa décision, il se trouve dans l’impossibilité de se dérober à la responsabilité qui lui incombe, à la nécessité de prendre en charge les souffrances d’autrui. Il peut certes concrètement le refuser mais son acte le poursuit alors sous la forme de la honte, de la mauvaise conscience ou du remords. Notre responsabilité vis à vis d’autrui est bel et bien une « responsabilité d’otage » [16] : « Le prochain me concerne avant toute assomption, avant tout engagement consenti ou refusé. Je suis lié à lui (…) avant toute liaison contractée. Il m’ordonne avant d’être reconnu. Relation de parenté en dehors de toute biologie, « contre toute logique  ». Ce n’est pas parce que le prochain sera reconnu comme appartenant au même genre que moi, qu’il me concerne  » [17]. Il faut alors apprendre, contre toute logique, à « se dé-prendre de soi, (…) à se déposséder, jusqu’à se perdre [soi]-même » [18]. Finalement, je suis bien otage du regard et ne peux m’échapper sans me dérober à mon humanité. En ce sens, M. Gauland a parfaitement raison de craindre le pouvoir inassimilable qu’exercent ces yeux d’enfants sur ses concitoyens : partisan de la chute irréparable et de la fermeture, il ne peut accepter l’idée qu’ils entendent l’appel et y répondent. Son idéologie provinciale et « clôturante » (« moi », « mon sang », « ma race »), qui ne reconnaît que le « tu » du semblable et du même, ne peut supporter l’abandon à l’altérité que contient l’appel des lointains.

Les appels à l’indifférence de M. Gauland masquent en réalité la peur secrète que suscite un pouvoir incompréhensible, entièrement étranger à la rationalité, tant il l’excède et la précède. Rappeler à l’ordre du jour la nécessité des petits calculs et des intérêts bien comptés ne suffit jamais à désamorcer la puissance du sacré, la force de cet ordre supérieur capable de transformer les points de vue
mesquins en ruissellements de générosité (ce que l’Allemagne a sans aucun doute expérimenté). N’oublions pas que c’est la photo du corps du petit Alan Kurdi, massivement diffusée, qui a produit un tournant (certes provisoire) dans la gestion allemande (et donc française) de la crise migratoire. Il existe, bien entendu, des individus dépourvus de tout sens moral et de réactions émotionnelles (compassion, honte, culpabilité). On désigne en psychiatrie cette pathologie sous le nom de « psychopathie » ou « sociopathie » [19], deux termes qui décrivent un ensemble de troubles graves de la personnalité qui nécessitent, ainsi que le prescrit M. Blüm, l’hospitalisation. Mais on sait également – et l’histoire du XXe siècle en a été largement témoin - qu’il existe certaines formes d’organisation de la société qui rendent la négation totale de l’autre tout à fait banale, légale, voire même obligatoire. Cette monstruosité institutionnalisée, ainsi que l’on démontré des travaux effectués dans le sillage de l’œuvre philosophique d’Hannah Arendt [20], est le fruit de dispositifs rationalisants, de chaînes de commandements abstraits et désincarnés qui coupent les individus de leur socle émotionnel et de leur sensibilité. L’interdiction de se laisser émouvoir par le regard des enfants au nom d’intérêts relevant de la realpolitik monolithique s’inscrit plus vraisemblablement dans ce registre d’habituation institutionnelle et progressive à la barbarie, c’est-à-dire dans un registre idéologique de l’acceptation de l’horreur et de mise à l’honneur d’une politique de « fils barbelés » dans laquelle l’Europe est malheureusement en train de sombrer.

Ce phénomène a sans doute de multiples causes dont l’une, essentielle, est la disparition de la culture critique et politique au profit de l’industrie culturelle et des échanges marchands dont la fonction, comme l’a montré Adorno, est de faciliter l’oubli de ceux qui souffrent. La culture consumériste est finalement bien « du même acabit que la musique d’accompagnement dont les SS aimaient à couvrir les cris des victimes » [21]. D’où la nécessité, urgente, d’un renouvellement de la théorie critique telle qu’initiée par l’école de Francfort [22] et de la mise à l’index de ces chiens de garde, de ces penseurs de métier qui peuplent l’espace médiatique et qui, comme le disait Nizan [23], au milieu des ébranlements, ne dénoncent pas, n’avertissent pas, ne sont ni retournés ni transformés. « Indignez-vous », nous exhortait Stéphane Hessel en 2010 dans un best-seller quelque peu inoffensif. L’indignation, toutefois, ne suffit pas encore à faire un engagement politique. Il nous faut donc réinvestir notre citoyenneté, rappeler nos représentants à leurs devoirs, investir leur mauvaise conscience, la titiller -au risque d’apparaître moralisateur (et donc résolument anti post-moderne)-, leur rappeler que derrière chaque anonyme qui meurt aux frontières, il y a un visage dont certains expriment ainsi tragiquement leur incompréhension : « vous nous faites regretter d’avoir survécu » [24]

Lévinas lui-même nous fait passer du plan éthique et religieux à la scène politique grâce à la notion du « tiers ». Il n’est en effet pas question de s’arrêter aux limites de la relation interpersonnelle et d’abandonner à notre impuissance tous ces êtres lointains qui n’ont pas de visages et qui pourtant font partie de la communauté éthique. Loin d’enfermer dans une relation duelle, la responsabilité revêt une dimension multiple dans la mesure où elle s’étend jusqu’à tout autre (le frère, l’ennemi, le semblable). La politique, selon Lévinas, n’est pas au service de l’intérêt mais au service de la fraternité. L’État (ou l’organisation d’États), à ce titre, a le devoir de me remplacer dans la tâche d’organiser un ordre juste. Le critère qui juge toute politique et que l’on oublie facilement derrière les codes de lois abstraits, est le regard particularisant, « détotalisant » de l’autre. Notre responsabilité, là encore, est entière. La tendance naturelle de la politique à s’exposer au risque de tyrannie [25] nécessite une vigilance redoublée de la part de chacun : « [v]igilance tout autre que l’intelligence politique, lucidité qui ne se borne pas à s’incliner devant le formalisme de l’universalité, mais qui soutient la justice elle-même dans ses limitations  » [26]. Ainsi, par exemple, les actions de ceux qui portent assistance aux réfugiés alors que les lois l’interdisent (je pense particulièrement au cas de Rob Lawrie [27]) se fondent-elles sur une inspiration éthique « révolutionnante », une inspiration de révolte contre la dimension strictement étatique de la justice. Ces actes relèvent d’un enracinement de l’ethicité dans les mœurs de la communauté ou dans « le secret de l’ipséité ». Contestations éthiques anarchiques qui se manifestent dans les interstices du système, elles définissent l’esprit même de la démocratie. Les pratiques d’inspiration éthique viennent opportunément déranger le caractère abstrait du pouvoir politique. Comme le résume très bien Bensussan, « [s]ujet pris dans le face-à-face avec le visage, je réponds ou pas, mais il me faut inventer dans le dessaisissement, une règle, un devoir qui n’est inscrit nulle part » [28]. Ces micro-conflits, ces refus subjectifs, ces résistances inorganisées constituent, comme l’explique admirablement Václav Havel dans ses Écrits Politiques, une « morale agissante » [29] capable de gêner le pouvoir impersonnel, anonyme et inhumain de l’État. La question sera, dès lors, de se demander comment réhabiliter l’expérience vécue de l’homme comme critère originel de la politique, ou encore, comment placer « la morale au dessus de la politique et la responsabilité au-dessus de l’utilité » [30]. Lisant Havel avec Lévinas, on comprendra que cette inspiration par l’éthique de la politique ne constitue pas un programme de mobilisation visant à prendre le pouvoir mais un appel des « intentions » singulières qui, par leur agrégation, peuvent donner un nouveau sens à l’histoire.

Ce renouvellement de la culture politique s’accompagnera sans aucun doute, pour sa part positive et constructive (et non plus seulement critique), d’une réappropriation collective des valeurs du souci des autres, de la sensibilité, de l’empathie et de la responsabilité telle qu’elles sont présentées par l’éthique du care (ou de la sollicitude) [31]. D’essence féministe (puisque les vertus dont il s’agit ont été traditionnellement portées par les femmes), ce corpus théorique récent entend renouveler l’anthropologie sociale et morale à la lumière de la vulnérabilité et de l’interdépendance des êtres humains contre l’universalisme abstrait de la morale libérale. « Les fondements d’une telle éthique, comme le dit Fabienne Brugère, tiennent dans la nécessité de considérer les êtres humains comme des êtres relationnels et incarnés contre toute tentation objectivante de la morale » [32]. L’éthique du care entend mettre fin à la conception d’un individu faussement abstrait, désincarné (sans visage) et coupé de tout ce qui fait la vie ordinaire, telle qu’il est par exemple présenté par la rationalité libérale (chez Rawls par exemple). L’éthique du care entend mettre fin à la conception d’un individu faussement abstrait, désincarné (sans visage) et coupé de tout ce qui fait la vie ordinaire, telle qu’il est par exemple présenté par la rationalité libérale (chez Rawls par exemple). Il s’agit ici de nourrir un projet politique fondé sur la prise en charge de la vulnérabilité et l’attention à l’autre contre la vision d’un homme entrepreneur de lui-même et coupé des autres en dehors du lien économique et marchand (idéal néolibéral). Bien entendu, les travaux anthropologiques de Marcel Mauss, qui montrent que les liens sociaux ne sont pas seulement faits de calculs et d’intérêts, constituent ici une source d’inspiration importante [33]. La rationalité de l’action, contrairement à l’image de l’Homo oeconomicus cher aux sciences économiques, déborde largement l’intérêt. Mais la référence au care participe d’un raisonnement encore plus profond dans la mesure où il est question ici de recomposer la logique sociale d’un point de vue également politique, en promouvant une « démocratie sensible et relationnelle » qui se rapporte aux êtres concrets et singuliers.. En ce sens les éthiques du care constituent sans doute, avec l’écologie politique, les adversaires théoriques les plus fécond au libéralisme économique. Pour les philosophes du care, tout comme pour Lévinas, il est impossible de laisser l’autre à son destin et de fuir sa responsabilité [34]. D’inspiration essentiellement féministe, l’éthique du care s’accorderait sans doute sur l’inspiration défendue par Lévinas selon laquelle le féminin incarne l’essence de l’hospitalité et donc de l’accueil de l’autre : « la femme est la condition du recueillement, de l’intériorité de la maison et de l’habitation » [35]. La présence du féminin (qui dépasse la question du genre) est en ce sens l’aide accordée à ma vulnérabilité essentielle contre la « virilité » de la puissance qui prône l’injustice et le meurtre de l’autre. La philosophie du care qui se constitue peu à peu en force politique représente peut-être l’occasion d’incarner concrètement la « politique antipolitique » voulue par Havel et Lévinas. Cependant, comme tout projet politique, un tel mouvement recèle en lui-même le risque de sa propre négation et nécessite, en ce sens, comme tout mouvement politique en marche, la vigilance accrue des citoyens pour que l’élan spontané des institutions vers l’englobant et le totalisant soit toujours interrompu par l’éthique.

Élever l’attention à la souffrance d’autrui au rang de principe éthique suprême, tel est le devoir d’une communauté qui vient après les cruautés du siècle précédent. Ce changement doit venir d’un renouvellement de notre subjectivité ou plus précisément d’un renversement du paradigme anthropologique que notre « modernité encore clignotante » a érigé en idéal : attention à l’autre (ou « souci de l’autre »), solidarité, interdépendance, compassion doivent venir de toute urgence remplacer les injonctions égoïstes et égotiques ou les distinctions faites entre citoyens de première et de seconde zone lancées par une rationalité froide et purement technicienne. Lévinas défend avant tout un « humanisme de l’autre homme » [36] qui nie l’utilisation de la violence comme force de conquête et qui n’oublie pas, comme l’a fait « [h]umanisme des superbes » (l’humanisme triomphaliste et intellectualiste de l’occident), « les vaincus, les victimes et les persécutés de l’histoire comme s’ils n’avaient aucune signification » [37]. Lévi-Strauss, pour sa part, dénonçait cet humanisme occidental « dévergondé » qui, après avoir tracé des frontières entre lui et la nature a fini par tracer des frontières au sein même des hommes [38]. Tous deux à leur manière et au-delà de leurs divergences [39], dénoncent « l’ontologie du sujet » colonne vertébrale du libéralisme individualiste et des délires néo-libéraux qui l’ont suivi, c’est-à-dire l’arrogance du sujet rationnel cartésien, qui nous a mené sur la voie de l’impérialisme ontologique (colonisation, racisme, néo-colonialisme, destruction des civilisations dites « primitives » car proches de la nature) de l’exploitation économique (son corollaire) et de l’aporie morale. Chacun, à sa manière appelle dès lors à une humilité de principe. Havel, quant à lui, analyse la crise éthique de notre monde industrialisé comme la conséquence du projet scientifique sur le monde, qui a substitué à l’expérience personnelle – y compris celle du mystère et de l’absolu- « l’absolu impersonnel et inhumain de la soi-disant objectivité de la connaissance rationnelle objective » [40]. On comprendra dès lors que ce n’est pas d’un surcroît de raison que viendra le salut, surtout lorsque celle-ci se réduit à sa part instrumentale et calculatrice (sur les couts et les bénéfices), mais d’un surcroît d’intuition éthique et d’engagement. Cela signifie peut-être, dans l’optique d’une anthropologie optimiste (une fois n’est pas coutume), de balayer « le vernis d’inhumanité » dont nous recouvre une organisation sociale de plus en plus aliénante qui ne laisse plus guère de place pour le « souci des autres ». En ce sens, le regard des enfants d’Idoméni et d’ailleurs, constitue une chance pour les européens de renouer avec l’expérience épiphanique, une opportunité unique de prendre conscience de la nature profonde et lumineuse du sens de l’existence cachée aujourd’hui derrière la façade vide et creuse de vies dédiées à la consommation et à la consumation (de soi-même, de la nature et des autres). L’institution politique, quant à elle, n’a de raison d’être que parce qu’elle aide les sujets à réaliser la tâche éthique qui leur incombe et qu’ils ne peuvent compléter eux-mêmes. Elle doit répondre à leur place aux appels des visages anonymes. « L’institution politique vient compenser pour les limites du moi » [41] ; elle vient en aide à la responsabilité individuelle. L’éthique inquiète de la responsabilité doit venir constamment déranger l’hégémonie du politique et de ses calculs abstraits. « Que nous apprend Levinas à propos de l’engagement ? », s’interroge Joël Madore. « Qu’il nous confronte à plus grand que soi. Qu’il se produit sous l’égide d’une éthique qui interrompt, furtivement et sporadiquement, la logique tyrannique du politique » [42].

Aujourd’hui, au moins deux enfants meurent par jour dans les eaux de la Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. D’autres succombent aux épidémies dans les bidonvilles que nous leur accordons comme lieux de transit. L’enfant sacrifié est une porte sur l’infini que l’on ferme, un espoir de sens que l’on tue. Tous ces cadavres pourront bien demeurés anonymes, mais leurs corps et leurs visages meurtris risquent de se dresser éternellement entre nous et le rêve toujours ajourné d’une conscience en paix. Ils demeureront comme des places laissées vides par notre humanité absente, dispersés comme autant de singularités humaines broyées par l’horreur de l’indifférence. Lévinas voulait que nous nous oubliions pour le bien de l’autre mais c’est peut-être aujourd’hui plus que jamais une histoire en attente de sens, de réparations et de promesses d’avenir qui l’exige. Pour que l’humanité retrouve sa vocation symbolique première et que l’espoir renaisse, l’Europe doit impérativement réussir ce test moral.

NOTES

[1Une photo qui circule sur les réseaux sociaux montre par exemple un couple lavant leur nouveau né dans la boue. Voir « L’enfer du camp d’Idomédi », Le Soir, 15/03/2016 [en ligne]. http://www.lesoir.be/1151386/article/actualite/monde/2016-03-15/l-enfer-du-camp-d-idomeni-photos

[2« Wir können uns nicht von Kinderaugen erpressen lassen », Die Zeit online, 24/02/16 [en ligne].

http://www.zeit.de/politik/deutschland/2016-02/alexander-gauland-afd-fluechtlingskrise-fluechtlingspolitik-grenzen

[3« Blüm zu Idomeni », Berliner Zeitung, 17/03/2016 [en ligne]. http://www.berliner-zeitung.de/kultur/medien/bluem-zu-idomeni—wer-mit-diesen-kinderaugen-kein-mitleid-hat—gehoert-ins-krankenhaus—23741654

[4Primo Lévi, Si c’est un homme, Paris, Julliard, (1947) 1987, p. 113.

[5« Vingt ans après, Srebrenica attend la justice », Le Monde, 10/01/2015 [en ligne]. http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/07/10/vingt-ans-apres-srebrenica-attend-la-justice_4678285_3214.html

[6Sur l’application de l’éthique phénomélogique de Lévinas à la nature, voir Edelglass, Hatley & Diehm (eds), Facing nature, Levinas and Environnemental Thought, Duquesne University, Press, USA, 2012

[7Lévinas, Totalité et Infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1961, p. 59.

[8Lévinas, Totalité et Infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1961, p. 56.

[9Culpabilité qui fait écho à la parole du frère ainé du starets Zosime, âgé de dix-sept ans et qui va bientôt mourir : « Chacun de nous est coupable devant tous pour tous et pour tout, et moi plus que les autres (…) Comment pouvions-nous vivre sans savoir cela ? » in Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Gallimard, 1952, p. 310.

[10Lévinas, Totalité et Infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1961, p. 229.

[11Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Martnius Nijhoff, La Haye, p.145

[12Il est à ce titre intéressant de noter que le développement du néolibéralisme dans les années 80 est allé de pair avec celui des partis fascistes quand ils n’ont pas tout simplement fait cause commune (comme dans le cas de Jean-Marie Le Pen ou aujourd’hui, de Donald Trump).

[13Le mot « scandale » vient du grec skandalon, « obstacle », « pierre d’achoppement ». Il traduit le mot hébreu mikchöl : ce qui fait trébucher » (Source : Le grand Robert)

[14Autrui échappe à mon pouvoir en tant qu’autre insaisissable : « Le visage se refuse à la possession (…) Dans son épiphanie, dans l’expression, le sensible encore saisissable se mue en résistance totale à la prise (…) la résistance de ce qui n’a pas résistance : la résistance éthique ». Lévinas, Totalité et Infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1961, p. 215-217.

[15C’est pourquoi « le meurtre exerce un pouvoir sur ce qui échappe au pouvoir » (ibid. p. 216). La mort se définit comme ce qui ne se termine pas tout en se terminant (le mort est mort mais il est toujours présent). L’angoisse de la mort réside précisément dans cette impossibilité de cesser (p.49).

Lévinas, Au-delà du verset, Ed. de Minuit, 1982, p.177

[16Lévinas, Au-delà du verset, Ed. de Minuit, 1982, p.177

[17Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Le Livre de poche, p.109

[18Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Le Livre de poche, p.140-141.

[19« Le mot psychopathie désigne un trouble permanent de la personnalité caractérisé par un sévère manque de considération pour autrui, découlant d’une absence de sentiment de culpabilité, de remords et d’empathie envers les autres. Affichant une apparente normalité en matière de moralité et d’expression émotionnelle, le psychopathe se révèle incapable d’éprouver au plus profond de lui-même des émotions sociales. Sérieusement carencé sur le plan émotionnel, le psychopathe parvient, par mimétisme, à exprimer, verbalement ou physiquement, de tels sentiments sans toutefois les ressentir. Pareille dislocation entre la forme et la substance d’un message émotionnel serait, selon bon nombre d’études neurologiques, générée par une connexion défectueuse entre les réseaux cognitifs et émotionnels du cerveau du psychopathe. [en ligne].https://harcelementmoral.wordpress.com/2013/03/04/pervers-narcissique-ou-psychopathe/

[20Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, (1963) 1997 ; Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, Paris, Calmann-Lévy, (1974) 1994 ; 2014 ; Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande, Paris, Les Belles Lettres, 2002 ; Johann Chapoutot, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Éditions Gallimard, coll. « NRF Bibliothèque des histoires », 2014. Ces travaux réfutent les explications mentalistes ou psychologiques des crimes de masse données par exemple par Michel Terestchenko, Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, Paris, La Découverte, 2005 ou par Abram De Swaan, The Killing compartments : the mentality of mass murder, Yale University Press, 2014.

[21T.W. Adorno, Dialectique Négative, Payot, Paris, 1992 (1966) p. 286

[22Dont Axel Honneth avec ses travaux sur la lutte pour reconnaissance est l’un des dignes héritiers. Je ne citerai pas ici Habermas dont le réformisme libéral, légèrement infléchi ces dernières années, s’inscrit en contradiction avec la radicalité des penseurs de l’école de Francfort.

[23Paul Nizan, Les Chiens de garde, Agone, Marseille, (1932)1998

[24« You make us regret to have survived » Inscription lue sur une pancarte au camp d’Idomédi.

[25« La politique laissée à elle-même, porte en elle une tyrannie. Elle déforme le moi et l’Autre qui l’ont suscitée, car elle les juge selon les règles universelles et, par là même, comme par contumace » Paul Ricoeur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, Seuil, Paris, 1986, pp. 398 sq.

[26Lévinas, Hors Sujet, Fata Morgana, 1987, p. 185

[27[en ligne]. http://www.lefigaro.fr/international/2015/11/09/01003-20151109ARTFIG00003-calais-un-britannique-risque-la-prison-pour-avoir-aide-une-refugiee-de-quatre-ans.php

[28Gérard Bensussan, « Lévinas et la question politique », Noesis, 3, 2000 [en ligne]. http://noesis.revues.org/9#ftn16

[29« La politique telle que je la comprends est une des manières de chercher et d’acquérir un sens dans la vie ; une manière de protéger et de servir ce sens ; c’est la politique comme morale agissante ; comme service de la vérité, comme souci du prochain, souci essentiellement humain, réglé par des critères humains. » Václav Havel, Essais politiques, Ed. Calmann-Lévy, Paris, 1990, p.243.

[30Václav Havel, Essais politiques, Ed. Calmann-Lévy, Paris, 1990, p.239.

[31Voir pour les textes fondateurs, Carol Gilligan, Une voix différente, Paris, Flammarion, Coll. « Champs essais », (1982) 2008 ; Virginia Held, Justice and Care. Essential Readings in Feminist Ethics, Westview Press, 1995 ; Michael Slote, The Ethics of Care and Empathy, Routledge, New York, 2007.

[32Fabienne Brugère, L’éthique du care, Puf, Paris, 2011, p.6.

[33Il faut cependant noter, comme le fait Arnsperger que l’approche de la « gratuité pragmatique » de Mauss, fondée sur la réciprocité des obligations n’est pas la « gratuité transcendantale » de la relation avec autrui (en dehors de toute intentionnalité) défendue par Lévinas. Voir Christian Arnsperger, « Gratuité, don et optimisation individuelle : Lévinas, Derrida et l’approche économique ». [en ligne]. https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/documents/DOCH_034_%28Arnsperger%29.pdf

De même, les éthiques du care qui proposent une approche sensible « rationnelle » de l’approche à l’autre ne recouvrent pas la transcendance et la profondeur métaphysique de l’éthique lévinassienne.

[34Pour un parallèle entre la philosophie de Lévinas et celle de l’éthique du care, voir Joseph Cohe, « Après Lévinas, l’éthique aujourd’hui » in Y.C. Zarka (ed.) La Philosophie en France aujourd’hui (2), Cités, n°58, 2014.

[35Lévinas, Totalité et Infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1961, p. 128.

[36Lévinas, Humanisme de l’autre homme, Fata Morgana, Paris, 1972.

[37Lévinas, Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, Paris, Le Livre de Poche, Biblio-Essais, 1988, (1963), p. 239

[38Lévi-Strauss, « On m’a souvent reproché d’être antihumaniste », Le Monde 04/11/2009 (1979) [en ligne]. http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2009/11/04/1979-on-m-a-souvent-reproche-d-etre-antihumaniste_1262644_3382.html

[39Lévinas voua une antipathie marquée à l’égard de ces intellectuels juifs qu’il jugeait trop athées, trop rationalistes trop sourds à la mystique d’Israël. Lévi-Strauss fut en ce sens l’une de ses cibles privilégiées : « le judaïsme est troublé par trois juifs, par trois grandes œuvres : par Éric Weil, par Raymond Aron, et par Lévi-Strauss ». Il critiqua radicalement son ouvrage Tristes Tropiques (1955) pour « l’indifférentisme absolu » qu’il incarne (autrement dit : « toutes les sociétés se valent ») : « L’athéisme moderne, ce n’est pas la négation de Dieu, c’est l’indifférentisme absolu des Tristes tropiques. Je pense que c’est le livre le plus « athée » qu’on ait écrit de nos jours, le livre le plus désorienté et le plus désorientant. » Lévinas, « Entre deux mondes », in Difficile Liberté, Paris, Albin Michel, (1959) 1995, p.250.

[40Václav Havel « Essais politiques », Ed. Calmann-Lévy, Paris, 1990, p.225.

[41Joël Madore, « Levinas et l’engagement civique, Entre éthique et politique », Revue du MAUSS permanente, 1er juillet 2014 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/?Levinas-et-l-engagement-civique

[42Ibid.