Revue du Mauss permanente (https://journaldumauss.net)

Mohamed-Amokrane Zoreli

L’économie solidaire en Kabylie
Une économie de l’union et de la fraternité

Texte publié le 23 juin 2014

Ce travail a été présenté sous la forme d’une communication au colloque international « Développement Durable, Communautés et Sociétés » qui s’est déroulé les 16, 17 et 18 Juin 2010 à la Fonderie de Mulhouse (France).
Mohamed-Amokrane ZORELI est enseignant-chercheur en sciences économique à l’université de Bejai.

Introduction

Etant donné que l’économie solidaire est « un objet qui résiste à toute tentative d’inscription dans les moules établis à priori » (Neyret, 2006 :22) et considérant la diversité de ses pratiques, on ne peut parler de ce type d’économie qu’au pluriel (Fraisse, Guerin, Laville, 2007). Ainsi, il est recommandable que « dans chaque région, différents acteurs défendent leur propre définition de l’économie sociale et solidaire » (Develtere, 1998 :153), conceptualisent leur réalité et déterminent ainsi leur « idéal réalisable d’être » [1] (Zoreli, 2008 :1). Pour ce faire, « il est nécessaire de partir de l’environnement dans lequel l’individu vit » (Polard, 1997 :271) et des relations sociales qui s’y établissent.

Dans la majorité des pays du Sud, les politiques de développement appliquées ont provoqué l’aggravation de l’état de sous-développement (Gunder Frank, 1972) créant par la même un « déboitement entre l’action et ses cadres » (Stoessel-Ritz, 2008 :5). Nous posons l’hypothèse selon laquelle l’économie solidaire peut constituer une alternative de développement la plus adaptée à ces sociétés fondamentalement communautaires qui ont pu contrarier toutes les politiques visant leur transformation en ce que Polanyi a désigné de « société de marché » (1995 :54).

Cette économie solidaire se base, du point de vue théorique, sur deux principes suprêmes que nous faisons commodément nôtres. Le premier, maussien, consiste à rappeler que, pour la société, en tant que réalité globale, l’étatisme, « l’excès de générosité et le communisme lui seraient aussi nuisibles que l’égoïsme de nos contemporains et l’individualisme de nos lois » (Mauss, 1989 :165) et qu’ « il est inutile d’aller chercher bien loin quel est le bien et le bonheur. Il est là dans la paix imposée, dans le travail bien rythmé, en commun et solitaire alternativement, dans la richesse amassée puis redistribuée dans le respect mutuel et la générosité réciproque que l’éducation enseigne » (Mauss, 1989 :184 et 185). Le deuxième, polanyien, est que dans les ex-pays colonisés, une série de politiques visant « la transformation forcée » (Polanyi, 1995 :378) des sociétés locales en, selon les contextes, société de marché ou société sous l’hégémonie de l’Etat, commencée par les colons et continuée par les gouvernants de la période postindépendance, a, en définitive, provoqué « le fait saillant que les nouvelles institutions n’arrivent pas à être assimilées par la culture indigène qui, par conséquent, se désintègre sans être remplacée par un autre système cohérent de valeurs » (Polanyi, 1995 :378).

Notre thèse est qu’au niveau des pays du Sud, le développement durable par l’économie solidaire, en tant qu’« alternative à la société salariale » (Frère, 2009 :31), peut constituer une option de développement viable à la seule condition qu’on y satisfasse une exigence de rupture à trois niveaux. D’abord au niveau théorique en réalisant un travail de construction « des outils d’analyse et des concepts susceptibles de contribuer à la compréhension de la structuration » (Stoessel-Ritz, 2008 :2) des contextes d’action. Ensuite au niveau pratique par la réconciliation des acteurs avec leur territoire de vie. Enfin au niveau méthodologique par :

A partir du contexte de Kabylie [4], nous cherchons à saisir comment l’économie solidaire est conçue comme une réalisation d’un être territorial qui mobilise sa totalité universellement spécifique pour concrétiser des idéaux possibles d’existence dans le monde. Sa réalisation passe par des projets d’utilité collective à finalité humaine librement choisis par une conscience collective et réalisés par le moyen de « la solidarité agissante » [5] (Zoréli, 2008 :2). Plus précisément, nous proposons de réaliser la théorisation du développement durable par l’économie solidaire pour la Kabylie [6], en tirant du contexte pratique, par abstraction de la société Kabyle au sens sartrien [7], les justifications empiriques pour montrer qu’il s’agit bel et bien d’une économie solidaire qui se pratique d’une façon spécifique.

Successivement, nous exposons la nature spécifique du contexte d’analyse de l’économie solidaire, la dimension sociopolitique de cette économie solidaire spécifique, sa dimension territoriale et enfin sa réalisation par des collectifs d’acteurs responsables.

1. L’économie solidaire, une économie de l’union et de la fraternité

Parce que l’économie solidaire émerge de la pratique, ses théoriciens ont utilement recouru au sens pratique pour réaliser des définitions contextuellement valides. Ainsi, on parle de l’économie solidaire en France, de l’économie communautaire au Canada, de l’économie populaire au Brésil, etc.

Dans les ex-colonies françaises, « l’histoire de l’économie solidaire reste à écrire. L’écriture de cette histoire particulière supposerait une définition précise de ce qu’on entend par l’économie solidaire » (Baron, 2007 :331) dans chaque contexte. Dans le cas de la Kabylie en Algérie, si on observait le terrain à partir de définitions tirées des contextes français, on pourrait conclure légitimement qu’il n’y avait pas d’activités qui relèvent de l’économie solidaire. Pourtant, elles y foisonnent [8]. Il est vrai que celles-ci sont fragiles, mais c’est justement ce qui justifie la nécessité de faire un travail de théorisation et d’analyse devant permettre de comprendre la nature des projets faisant cette dynamique et, partant, de les consolider.

En recourant au sens que donnent les acteurs de la pratique à leurs activités solidaires [9], nous avons, dans ce texte, retenu les principaux éléments les plus partagés par ces acteurs interrogés, qui permettent de désigner l’économie solidaire en Kabylie d’économie de l’union et de la fraternité [10]. Cette économie peut être définie comme celle qui permet à la famille élargie et, par extension, au groupe d’appartenance d’avoir en partage des valeurs à consolider pour les générations actuelles et futures, par la réalisation en commun de projets librement choisis en mobilisant un capital social [11] et un fonds culturel [12], en recourant à la logique réciprocitaire et en faisant valoir son identité plurielle.

Si nous avons pu ressortir ces éléments de définition, c’est parce qu’il y a dans cette société un cœur culturel au sens de Demorgon (2004 :139) qui détermine le choix des actions par les acteurs agissants. L’investigation de ce cœur nous permet d’expliciter chacun de ces éléments.

1.1. L’union

Le dicton kabyle dit, à propos de l’union, que celui qui a des hommes derrière lui dans la montagne avance sans peur au niveau de la plaine. En effet le Kabyle sait qu’il peut compter sur les membres de son clan pour entretenir ce qu’il a laissé au village (famille et propriété) et qu’ils n’hésiteront pas à le rejoindre pour le soutenir en cas de besoin. L’union est considérée par les Kabyles comme le principal facteur permettant la réussite : pour expliquer le succès d’un groupe donné, on avance le plus souvent l’argument qu’il doit être soudé par l’union.

1.2. La fraternité

Dans la culture kabyle, les frères doivent toujours restés en accord [13]. Lorsque des parents voient leurs petits se chamailler, on les interpelle pour leur dire qu’ils sont frères, d atmaten leur dit-on, ce qui implicitement veut dire qu’il est inadmissible que des frères en arrivent là. A l’occasion, on leur rappelle la leçon que si l’autre, qui est toujours à voir comme une origine potentielle du mal pouvant leur arriver, avait connaissance de leur divergence, il n’hésiterait pas à tout mettre en œuvre pour les séparer et ainsi les affaiblir et les dominer [14]. Durant l’âge adulte, nnif, le sens de l’honneur, voudrait que lorsque quelqu’un est en besoin d’assistance, son frère doit lui présenter son aide qui, d’après les codes, passe avant celle des autres ; de même que le code d’honneur veut que la personne qui a besoin d’aide commence par la chercher auprès de ses frères.

1. 3. Famille élargie, groupe d’appartenance, communauté

La famille reste en Kabylie la structure sociale de base : l’individu existe par et pour elle (Bourdieu, 1974 :12). Un émigré a fait rentrer son beau frère travaillant en France au pays en lui assurant l’achat de cadeaux pour tous les membres de sa famille et les dépenses nécessaires durant le séjour, et ce dans l’espoir de le voir ainsi recréer des liens avec sa famille (visites annuelles régulières, envois de fonds, etc.). La petite famille est insérée dans la famille élargie qui, à son tour, est insérée dans des structures d’appartenance plus larges (Servier, 1994 :29) cimentées par des liens conventionnels (mariages) ou tacites (services et soutiens mutuels).

Dans la situation d’éloignement de leur territoire, les Kabyles établissent des contrats tacites d’entraide selon l’appartenance à la même communauté d’origine. Ainsi mmi-s n tmurt (l’enfant du pays) est celui avec qui on doit privilégier les liens de fraternité, et le pays, selon les cas, peut renvoyer à un village, à une commune, à un département ou à une région natal (e) partagé (e).

1.4. La dimension symbolique

En Kabylie, l’individu est très sensible à l’idée que l’opinion collective puisse se faire sur ses choix existentiels [15]. C’est tellement vrai que rien de contraire aux conventions sociales ne peut être engagé par l’individu sans que les membres de sa famille ne viennent l’interpeller en l’invitant à méditer sur ce que les autres se diront d’eux si son projet venait à être concrétisé. L’importance de la symbolique dans la société kabyle fait qu’on y tisse des liens moins pour en tirer des avantages matériels que pour voir sa personne gagner en considération en ayant des liens avec une personne qui est connue et reconnue pour ses actes socialement louables.

1.5. Le travail collectif

Par le passé, les Kabyles vivaient du travail de leurs terres qu’ils conservent dans l’indivision pour éviter le morcellement. La terre se conçoit comme une propriété commune de la famille qui la travaille collectivement et dont les produits sont partagés entre les membres du groupe d’une façon égalitaire (Zoréli, 2006 :24-32). Avec le passage progressif de la société au travail salarial, le principe de partage du produit du travail d’une façon collective au sein de la famille a survécu, par le fait que le passé communautaire y a continué d’agir silencieusement, comme des cellules protectrices, engloutissant tout nouveau principe qui venait la bouleverser totalement : un jeune, maçon de profession, consacre volontairement une partie de son salaire pour sa famille, et les raisons qu’il avance sont « qu’on est tenu de nourrir ses frères, d’assurer les dépenses de mariage de ses sœurs et de prendre en charge les besoins de ses parents ». Ainsi, lorsqu’une famille est contrainte de recourir au travail salarial, les revenus de ses membres salariés sont souvent gérés collectivement, de même que quand une personne conçoit un projet, le collectif familial en est le support de réalisation.

1.6. La réciprocité

Il y a lieu de faire en Kabylie la distinction entre la réciprocité positive et la réciprocité négative [16] d’une part et entre la réciprocité forte et la réciprocité faible, d’autre part [17].

1.6.1. La réciprocité forte et la réciprocité faible

La réciprocité positive se réalise fondamentalement au niveau de la famille élargie. Dans celle-ci, la réciprocité est forte entre les membres les plus proches (frères, cousins) et va en s’affaiblissant au fur et à mesure que la relation familiale devienne lointaine, en ce sens que la relation sanguine fait le noyau vital le plus animé par les rapports de réciprocité et, autour de ce noyau, se forment des couches superposées dont la réciprocité avec le centre est de moins en moins forte.

1.6.2. La réciprocité positive et la réciprocité négative

Si la réciprocité positive se pratique à l’intérieur des familles, clans ou communautés, la réciprocité négative se pratique entre familles, clans ou communautés. Autant la première travaille leur renforcement, autant la deuxième travaille leur affaiblissement. Si deux familles habitent à proximité dans un village, les membres de chacune s’affairent à se rendre utiles pour les leurs et au même temps travaillent pour empêcher les membres de l’autre famille de réaliser des exploits : un Kabyle souffre moins de son propre échec que de la réussite de son voisin, parce que, durant le processus de son éducation familiale, on n’a jamais cessé, pour le stimuler, de lui citer le voisin de son âge comme exemple à imiter. La formation de clans et communautés se base implicitement sur le principe que l’ennemi d’un membre constitutif est l’ennemi du groupe d’appartenance.

2. La dimension sociopolitique de l’économie de l’union et la fraternité

L’économie de l’union et de la fraternité baigne dans des logiques sociopolitiques qui déterminent la nature des « attentes objectives et intentions subjectives » (Stoessel-Ritz, 2008 :5) des acteurs : l’individu se conçoit comme une entité d’une structure sociale qui est segmentée en champs d’action faisant des strates. Sans être en rupture avec les autres, chacune de ces strates est structurée par deux types de relations interpersonnelles : des relations objectives et des relations subjectives. Les premières relèvent du concret et renvoient aux choses matérielles que l’individu, par sa position socioprofessionnelle, est moralement tenu d’assurer aux membres de sa strate. Ici la strate est objectivée en ce sens quelle assure à chaque membre l’accès à un certain nombre de services. En même temps, elle est objectivante, parce que chaque membre est tenu, selon ses aptitudes, de garantir au groupe l’accès à quelques utilités pratiques. Les deuxièmes sont de l’ordre de l’affect et renvoient aux choses relationnelles qui sont à l’origine de la formation d’une trame de fibres sentimentales garantissant la pérennité de la strate par le sentiment de confiance et d’interdépendance qui s’y installe.

Dans la grande Kabylie, la puissance matérielle et symbolique est collective : lorsqu’une personne arrive à changer sa condition positivement, tous les membres de son groupe d’appartenance la citent, à tout propos, comme exemple et, ce faisant, ils en tirent une fierté de même qu’ils imposent leur respect par l’autre. En dernière instance, c’est par et pour le réseau relationnel que l’individu agit, parce que les collectifs d’appartenance jouent un rôle important dans la construction de projets concrets.

2.1. Le choix individuel par et pour le réseau relationnel

Etant donné l’imbrication du social, de l’économique et du politique en Kabylie [18], le primat, à ce niveau contextuel d’analyse, doit être donné aux réseaux relationnels. Cette interdépendance, dans le contexte de la Kabylie, se fait concrètement dans des réseaux relationnels interpersonnels. En effet, les acteurs agissants sont souvent obligés de ou portés par la recherche de facilité à s’appuyer sur et de tenir compte des réseaux relationnels dans lesquels ils s’inscrivent. A titre d’exemple, le vote pour un candidat à une élection ne se fait pas selon les convictions idéologiques de chacun, mais selon le choix collectif du groupe d’appartenance. Les normes de fonctionnement de ces réseaux sont dynamiques, tacites et varient d’une combinaison relationnelle à une autre et ce, en fonction de plusieurs facteurs (importance des champs d’influence, de la position professionnelle, des affinités sociales, etc.). Dans tous les cas de figure, il y a en Kabylie une relation de renforcement mutuel entre l’individu et son réseau d’appartenance permettant à chacun d’eux d’avoir une marge de liberté et des capacités d’existence plus importantes. Dans la réalité, la relation symbiotique [19] de l’individu avec son groupe d’appartenance est régulièrement traversée par des états de tension, voir même de conflits larvés [20] : dans les tijmuyaε [21], tensions entre les anciens qui veulent maintenir intact les usages antérieurs et les jeunes qui veulent moderniser et rivalités entre familles et clans pour y prendre le commandement, dans les associations socioculturelles, rivalité entre clans idéologiques pour prendre le contrôle de la structure, dans les famille, rivalité et émulation aussi bien entre les hommes qu’entre les femmes. Mais la société Kabyle a intériorisé ses rivalités comme un élément vital pour la motivation de l’agir collectif [22]. Ainsi, si l’on veut réussir l’étude de cette « spécificité territoriale » couvant des potentialités de développement par l’économie de l’union et de la fraternité, il est fondamental de se focaliser sur la compréhension des liens d’interdépendance et des relations conflictuelles motivantes.

2.2. L’économie de l’union et de la fraternité est une construction collective

Comme le postulent les ethnologues, savoir que « la réalité sociale est constamment créée par les acteurs » (Demorgon, 2004 :12), l’économie de l’union et de la fraternité est perçue par les acteurs locaux comme une construction. En effet, dans cette société, le mariage se fait pour construire une vie, les membres d’une famille sont réunis pour construire ensemble des projets collectifs et lorsqu’un groupe donné subit des échecs répétés, ses membres se lamentent en disant : à chaque fois qu’on achève la construction d’un projet, il s’écroule.

Face à des problèmes jugés aussi urgents que prégnants, les acteurs des villages de Kabylie, parviennent facilement à se retrouver dans leur totalité sur simple appel à la mobilisation et c’est non moins facilement qu’ils arrivent à trouver des solutions consensuelles pour régler les problèmes qui surgissent. Cette rapidité de mobilisation et d’action est permise par l’historiquement construit qui permet, comme dirait Neyret, de « construire une construction, une capacité à coopérer volontairement, faire passer l’intérêt commun avant les intérêts personnels, construire des obligations morales » (2006 :49).

Par ailleurs, l’histoire de cette région nous montre que loin de dépendre fatalement et inexorablement du passé, les acteurs vont, en cas de nécessité, jusqu’à déconstruire et reconstruire l’historiquement construit pour le rendre adapté aux exigences des nouveaux défis : après la reconnaissance juridique de la liberté d’association par la législation algérienne à la fin des années 1980, les jeunes, particulièrement les instruits, de la Kabylie, sachant que les structures sociopolitiques villageoises traditionnelles n’étaient plus appropriées pour les ruptures positives, sont intervenus pour faire de l’association un nouveau cadre d’activité essentiellement bénévole pour réaliser des formations pratiques, l’animation culturelle et la protection de l’environnement.

3. La dimension territoriale de l’économie de l’union et de la fraternité

En Kabylie, les acteurs adhèrent aux projets d’utilité collective surtout lorsque ceux-ci sont conçus et réalisés par eux-mêmes dans leur territoire de vie partagée dans le respect et l’esprit de perpétuation des traditions. Dans le village Taguemount Azouz de la commune d’Aït Douala [23], la tajmayεit a pu mobiliser près de 2 600 000 DA pour l’organisation de timechret [24] d’octobre 2011. Ainsi la relation de l’économie de l’union et de la fraternité avec son territoire de réalisation est symbiotique et, par cela, d’idée que « si l’économie sociale et solidaire est modelée par les territoires, elle les modèle en retour » (Demoustier, 2006 :117) s’y trouve être validée. La relation des acteurs de l’économie de l’union et de la fraternité avec leur territoire de vie s’établit par plusieurs liens de proximité : la proximité physique permettant la régularité des rencontres, la proximité culturelle permettant le partage des sens, la proximité sociale permettant les interdépendances et le partage de valeurs sociales. Les détails suivants expliciteront bien ces liens de proximité : dans les villages de Kabylie, on fréquente un café malgré sa simplicité parce qu’on y rencontre des personnes du village pour à la fois partager un moment de convivialité et échanger des informations. De même on est client d’un épicier du village malgré ses prix relativement élevés parce qu’on partage avec lui à la fois des liens sociaux ou familiaux et un système de valeurs obligeant chacun de nous à prêter assistance à l’autre dans ses entreprises.

Cette dimension territoriale ne manque pas de provoquer des situations conflictuelles entre une conception du territoire comme une spécificité qui doit rester immaculée [25] et une conception du territoire comme une pluralité spécifique ouverte sur l’extérieur.

3.1. Le territoire de l’économie de l’union et de la fraternité, une complexité spécifique

L’apparition en Kabylie d’une situation de « déconstruction destructurante et destructive, caractérisée pratiquement par l’insécurité, le chômage, le malaise social et l’absence de perspectives » (Zoreli, 2010 :13) , suite au passage brutal et bouleversant de l’Algérie à la logique de l’économie de marché à partir de la fin des années 1980, phénomène aggravé par l’application de la politique d’ajustement structurelle durant la première moitié des années 1990, a fait renaître dans cet espace de vie culturellement homogène la vision de ce territoire par ces acteurs comme étant une réalité universellement spécifique, tissée et revigorée par des liens de solidarité et d’entraide et créatrice de sens et de valeurs spécifiques salvateurs. Telle est la conception partagée des Kabyles de leur territoire et c’est ce que prouvent ces exemples : un jeune enseignant, qui est de surcroit pour la diffusion des valeurs occidentales dans les pays du Sud, a, à son retour d’un stage scientifique réalisé à Paris, exprimé sa déception à cause de la réalité occidentale observée, et son argument était que, en France, les individus sont atomisés et sans liens sociaux, livrés aux lois de l’économie de marché ; alors que (dans son pays kabyle), la logique réciprocitaire fait que la satisfaction des besoins nutritifs et de liens sociaux est garantie pour tout le monde. Un autre exemple est donné par les Kabyle résidant hors du pays qui, en réalisant des succès, se sentent fiers d’être kabyles plutôt que d’être soi, et ce par l’impression qu’ils ont que leur culture locale est à l’origine de leurs réussites. Pour un Kabyle, au-delà des frontières du territoire des Kabyles, tamurt n leqvayel, on est dans un pays étranger, différent du sien par la culture, le mode de vie, les normes et les lois. Au total, l’économie de l’union et de la fraternité est une autre « façon singulière de vivre, de voir, de faire » (Frère, 2009 :33), d’interagir, bref, d’être dans le monde, et le territoire de cette économie est à voir comme étant universellement spécifique.

3.2. Le territoire de l’économie l’union et de la fraternité est ouvert sur l’extérieur

Nonobstant le fait que le savoir-faire artisanal en Kabylie « constitue un capital social qui est porteur de valeur et sur lequel peut se fonder une dynamique de développement autour des artisans » (Donsimoni et al, 2010 :39) et que « dès 1849, la Kabylie avait donné quelque 40 000 hectolitres d’huile au marché français » (Ageron, 2010, p. 12), l’artisanat et l’agriculture rurale sont, au niveau de quelques villages de Kabylie, des activités en voie d’extinction. Une des explications principales tient au fait que cette région n’a pas construit des relations d’échange équitable avec l’extérieur qui puissent permettre aux artisans et agriculteurs locaux de recevoir la juste valeur de leurs produits. L’enseignement à en tirer est que l’un des défis majeurs qui attendent l’économie de l’union et de la fraternité est l’inscription de son existence « dans le grand monde » (Frere, 2009 :385), c’est-à-dire une existence relationnelle avec d’autres territoires : l’intégration du savoir faire et du savoir être de l’autre à sa vision, sa façon de faire, et l’adaptation de ses spécificités à la recherche par l’autre de se procurer « la différence » pourraient jouer un rôle important dans la dynamique de développement par l’économie de l’union et de la fraternité.

4. L’économie de l’union et de la fraternité est le produit de choix existentiels

En Kabylie, il y a tellement de particularismes marquant chaque sous-région qu’on y a multiplié les adages justificatifs [26]. Chaque région de la Kabyle constitue, par conséquent, une complexité spécifique avec une histoire propre qui, pour paraphraser Marcon et Moinet, « fonde sa personnalité » (2006 :93) : « Je trouvais, disait Aït Mansour Amrouche, beaucoup de différences entre mon village de Tizi-Hibel et Ighil-Ali (village de sa belle famille) ; chez ma mère, nous n’achetions rien ; même le bétail était engraissé à la maison » (2009 :111).

De chaque territoire peut jaillir une originalité existentielle nouvelle selon les projets choisis par les acteurs et les combinaisons concrètement privilégiées ; parce que l’économie solidaire, comme le rappelle justement Frère, « émerge de la pure et simple nécessité » (2009 :27) de réaliser par soi des alternatives à des situations de crises.

Plusieurs projets ont été rejetés par les populations locales de Kabylie, parce que jugés nuisibles à l’environnement, en contradiction avec leurs valeurs morales, inadaptés à leurs besoins sociaux ou inadéquats avec leurs choix existentiels.

Dans le cas de problèmes pendants, ces mêmes populations, par sursaut d’honneur, choisissent librement de se mobiliser, pour suivre le bon exemple des ancêtres, disent-ils, qui réglaient par eux-mêmes et d’une façon collective et solidaire leurs problèmes, en vue de trouver et réaliser leurs propres solutions ; ce qui, parfois, les amène à réaliser des innovations sociales : à M’kira, commune située au sud-ouest de la wilaya de Tizi-Ouzou, on a créé une association pour le développement rural, parce que son territoire est favorable pour l’agriculture rurale alors qu’à Aït Yanni , commune située au sud-est de la même wilaya, on a créé une association pour la protection de l’environnement et la promotion du tourisme solidaire.

4.1. Le développement par l’économie de l’union et de la fraternité est un projet collectivement et librement choisi

Même si en Kabylie les structures sociopolitiques plus au moins traditionnelles sont prégnantes, les individus, Imaziyen (hommes libres) (Lacoste-Dujardin 2002 :122), sont toujours très attachés à leur liberté. En effet, les structures politiques traditionnelles de la Kabylie, qui sont formées dans le but de prendre des décisions collectives sur les questions d’intérêt commun, laissent l’individu totalement libre d’en faire partie ou non, tout en stipulant que les individus non membres ne peuvent bénéficier des réalisations de ses structures.

Actuellement, les communes de cette région où la situation est critique sont celles qui, pour avoir abandonné leurs structures politiques traditionnelles au profit du compter sur soi ou sur l’Etat, ne sont pas d’une façon permanente en projet collectif de développement.

Ceci signifie que l’existence territoriale est façonnée aussi par un existant humain choisissant dans un « espace de liberté qu’est le territoire de l’économie sociale et solidaire » (Neyret, 2006 :22). Cette existence est une réalisation réfléchie, programmée et organisée d’un vouloir être d’une certaine façon choisie librement et sans cette « conscience d’une nécessité » (Neyret, 2006 :31) d’agir collectivement pour un idéal possible d’existence, on tombe nécessairement dans la stagnation qui fait le « mal développement » [27] territorial.

4.2. Le développement par l’économie de l’union et de la fraternité est une perpétuelle recréation de soi

Malgré son semblant de stagnation, la Kabylie a toujours subi des changements : « J’ai bien remarqué que tu te modernises », disait Feraoun à son village natal (2011 :6). Ces mutations territoriales sont réalisées par le moyen de projets collectifs de recréation de soi permettant des mutations. A titre illustratif, les structures villageoises ont progressivement évolué des formes traditionnelles (présidence confiée aux personnes ayant une expérience et un sens pratiques, une rigueur inflexible dans la mise en application de principes moraux hérités des ancêtres) vers des formes organisationnelles hybrides (le savoir pratique des anciens est combiné avec le savoir scientifique des jeunes, le traditionnel tolère les exigences de la modernité). Ce processus a donné plus de vitalité par la jeunesse des acteurs, plus d’engagement par l’organisation de débats sur la question du comment sont et du comment devraient être gérées les affaires publiques et d’enrichissement par des manifestations culturelles et par l’investissement de nouveaux projets (la formation, l’éducation, l’art).

Au niveau des villes, l’exemple de la commune d’Azazga, située à une quarantaine de kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, qui n’a rien à envier à une commune rurale occidentale, est un cas illustratif du fait que la dynamique de développement par l’économie de l’union et de la fraternité est le résultat d’un choix conscient par les acteurs locaux de réaliser collectivement des projets de recréation de soi : au niveau du chef-lieu de cette commune, on trouve plus de services supérieurs, de sécurité, de propreté, de civisme et d’urbanité que partout ailleurs en Kabylie. L’investigation de cette ville-type nous apprend que le type d’existence et le type de conscience qui y règnent sont en concordance : on y remarque à la fois un mouvement associatif appréciable, une forte animation de l’espace public de proximité, une émancipation remarquable de la femme et une forte valorisation des patrimoines locaux, un solide attachement des compétences à leur territoire et une remarquable expression des valeurs traditionnelles.

Au niveau des campagnes, les villages dénommés successivement Zouvegua [28] et Achallam [29] sont à la fois édifiants et instructifs. Edifiants du fait que, dans ces contextes territoriaux, les transformations sociales [30] sont l’œuvre du génie, de l’intelligence et du vouloir collectifs, parce que la tajmayεit de chacun d’eux a, durant ces dernières années, concrétisé des projets d’utilité collective que les autorités locales et régionales peinent à réaliser dans d’autres contextes de la région : le village Zouvgua a concrétisé la construction d’une bibliothèque, d’une maison de jeunes, d’une école de couture, d’une salle d’étude, d’une salle de soins et d’une salle des fêtes, la réfection des fontaines publiques, l’acheminement de l’eau potable, la réalisation d’un réseau d’assainissement, la construction d’une aire de jeux et l’aménagement de sentiers et caniveaux. Le village Achallam, pour sa part, a à son actif la canalisation de l’eau de source et son acheminement de la montagne au village, l’aménagement des routes et ruelles du village, la restauration de fontaines publiques, l’aménagement d’un espace pour des activités sportives, la réalisation annuelle de travaux d’entretien des routes et ruelles du village. Ces deux villages sont, par conséquent, des cas instructifs de la dynamique d’évolution de la structure transformatrice qu’est la tajmayεit de la Kabylie, parce qu’ils nous renseignent sur :

– Le renouvellement des accords mutuels pour un agir collectif dans le cadre de structures en transformation : aux réunions presque hebdomadaire de la tajmayεit dans sa totalité se substitue la réunion régulière de délégués, teman, mandatés pour prendre en charge la concrétisation d’actions décidées en assemblée générale, tajmayεit, qui, elle, est devenue une instance délibérative qui se réunit moins régulièrement que par le passé ;

– L’adaptation des modes de financement des projets de l’union et de la fraternité en fonction de l’évolution de la société au plans socioéconomique, culturel et politique : par le passé, la caisse de la tajmayεit était alimentée par les amendes payées par les contrevenants aux lois, les dons (faits par des particuliers soit pour renforcer la position symbolique et politique, soit pour remercier les divinités pour un vœu exaucé, un malheur évité ou une réussite réalisée), les contributions des membres selon les côte-parts individuelles prédéfinies par la tajmayεit selon l’importance du projet à réaliser et par les virements annuels des émigrés du village à la fois comme contribution aux projets réalisés et comme contrepartie de leur absence aux réunions et travaux de la tajmayεit. Actuellement ce mode de financement est renforcé par la contribution matérielle des autorités locales (notamment par l’offre de matières premières et d’engins de réalisation de travaux), les dons de personnes originaires du village ayant réussi dans les affaires et les financements venant de l’Etat et des ONG ;

– La redistribution de la parole et du pouvoir de décision en tenant compte du rôle positif que peuvent jouer les jeunes, moins expérimentés mais plus cultivés et donc plus au fait des exigences de l’heure ;

– Le rôle des conflits qui sont à la fois bloquants (les membres sont de moins en moins portés à faire le travail de délégué, parce que ceci les expose de plus en plus à des critiques) et stimulants (les villages limitrophes de Kabylie concrétisent presque les mêmes projets par le phénomène d’imitation stimulée par des rivalités) ;

– La capacité du génie collectif à réaliser des transformations sociales : la tajmayεit du village Achallam a réalisé l’achat d’un minibus grâce à un don de 40 000 euros fait par l’association des villageois en émigration en France. Cet investissement permet à tous les citoyens, en particulier aux écoliers, d’avoir un moyen de transport régulier, à deux citoyens du village d’avoir une activité rémunérée et au comité du village de renflouer régulièrement sa caisse. Pour sa part, la tajmayεit du village zouvgua organise annuellement une fête du village. Ce qui permet aux artisans de bénéficier d’une exposition-vente de leurs produits, aux enfants du village de bénéficier d’une cérémonie de circoncision collective et au comité du village de consolider ses ressources financières avec des dons et des cotisations qui se font en la circonstance. Outre cela, ce village assure régulièrement des formations en couture et des cours de soutien et d’alphabétisation au bénéfice de tous les villageois ;

– La fertilité de la combinaison de l’esprit traditionnel, subjectif, de l’autonomisation du collectif par le compter sur soi pour trouver des solutions malgré l’autre, l’élément étranger, avec l’esprit, plutôt rationnel, de coopération avec les autorités locales : dans les deux villages, l’initiative, le choix des projets et leur réalisation est une affaire de la tajmayεit, mais on essaye, toujours et dans la mesure du possible, d’arracher quelques aides matérielles ou financières des autorités locales par l’engagement coopératif ou revendicatif.

Conclusion

A l’aube de l’ère de la nouvelle économie, qui ne peut être que solidaire pour répondre à l’espoir d’un développement durable, nous avons essayé de théoriser dans et pour la Kabylie l’économie solidaire pour permettre à ce territoire d’en tirer parti pour son développement.

Ce travail nous a permis de savoir que, dans ce contexte territorial, les acteurs locaux se réfèrent utilement à une logique globale historiquement construite au niveau de leur territoire pour réaliser leur propre développement.

Cette logique, qui, à non point douter, s’apparente à l’économie solidaire, est désignée par les acteurs la pratiquant d’économie de l’union et de la fraternité qui, pour être repérée et comprise, appelle l’investigation de mobiles propres de formation d’acteurs collectifs en projet de développement de soi : la fraternité, l’union et l’entraide à base de la proximité plurielle, l’attachement solide à la famille, au clan et au pays, la croyance en la spécificité et la supériorité socioculturelles de son pays et la fierté que l’on y tire, le fonds culturels et le capital social valorisant les principes de solidarité, d’entraide, de confiance mutuelle, de réciprocité, d’égalité et d’engagement politique collectif et les tension conflictuelles stimulantes.

Cette économie de l’union et de la fraternité, si on la dotait d’une reconnaissance juridique et d’institutions appropriées de promotion, pourrait permettre à la population de cette région de se réconcilier pleinement avec son être socioculturel spécifique et, par cela, de (re)trouver par elle-même la voie menant vers un développement humain et durable.

L’histoire de la Kabylie nous montre que le mal développement succède fatalement à l’état de stagnation et que les territoires qui se caractérisent par une dynamique pérenne de développement sont ceux qui se sont continuellement faits en projet de régénération existentielle à partir d’un soi spécifique dans le cadre de leur existence dans le monde en relation d’échange avec d’autres territoires.

Ainsi, le développement par l’économie de l’union et de la fraternité est à concevoir comme développement d’un territoire culturellement homogène par soi et à partir de soi. En d’autres termes, il définit une forme de réalisation de soi, en émanant d’une volonté consciente de collectifs-acteurs de se transformer pour mieux exister, de se recréer en créant de nouvelles valeurs valorisantes, de s’inventer en inventant de nouvelles ressources et institutions, et la solidarité agissante et les rivalités émulatives en constituent les éléments principaux de vitalisation de l’agir ensemble et d’incitation à l’engagement dans des projets d’utilité collective.

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NOTES

[1En rupture avec le rationalisme froid et le pragmatisme plat, la logique de l’économie solidaire telle que nous la concevons, exige du chercheur de faire comme les artistes romantiques qui « retouchent le rêve de Dieu » (d’Ormesson, 1980 :476) : il s’agit pour ce chercheur de retrouver le rêve de la société, qui est dans ses créations, comme les contes, le retoucher pour le rendre à la fois vivable et réalisable et par la suite, le restituer à sa société pour sa réalisation.

[2La démarche de rétrospection/prospection, que nous avons emprunté à Sartre, a comme soubassement l’idée-force que « toute existence réelle se donne avec des structures présentes, passées et futures, donc le passé et l’avenir en tant que structures essentielles du réel sont également réels, c’est-à-dire corrélatifs d’une thèse réalisante » (Sarte, L’imaginaire, 2005 :350).

[3Il est courant d’entendre en Kabylie des personnes dire à leur adversaire qui manigance contre eux : « Je comprends le Kabyle » ; ce qui signifie qu’elles sont capables de saisir le non dit qui est le vrai sens du geste réalisé ou du discours tenu.

[4Le choix du contexte de la Kabylie se justifie par le fait que tous ceux qui ont écrit sur ou à partir de cette région durant la période coloniale l’ont décrite solidaire : « S’entraidant sans distinction de villages » (Masqueray, 20010 :30) à l’extérieur de leur région, à l’intérieur des villages, c’est « le collectivisme porté jusqu’à l’extrême » (Ibid :31) qui est pratiqué par ces montagnards qui apprécient « comme il convient l’avantage d’être unis (…), le bonheur d’avoir des voisins qui rendent service, aident, secourent, compatissent » (Feraoun, 2011 :124-125). Les règles tacites obligeant les parties « contractantes à partager la bonne et la mauvaise fortune » (Daumas, 2010 :59) peuvent être actualisées pour y réaliser des transformations sociales utiles pour le développement durable par l’économie solidaire ; il nous appartient de le faire ou, du moins, de montrer l’intérêt et les moyens pour le concrétiser. Ce défi est d’autant plus tentant que le groupe euro méditerranéen de recherches en sciences sociales, constitué, entre autres, de J. Stoessel-Ritz, F. Kern, N. Mathieu, M. Blanc et M. Djenane, a bien commencé ce travail.

[5Contrairement à la solidarité dormante, qui est passive, la solidarité agissante est en action pour réaliser des projets concrets de transformation. De la deuxième jaillit la première comme « la vie jaillit de l’ultime résignation » (Polanyi, 1995 :334) : en Kabylie, il est courant d’observer des situations de conflits, de tiraillements et de rivalités entre clans, villages, tributs ou confédérations durer des années qui donneraient à un regard naïf de conclure qu’il n’y a point de solidarité dans ce territoire. C’est aussi couramment que l’on y voit soudainement, au moindre facteur permissif, apparaître la solidarité agissante qui se substitue avec une rapidité et efficacité déconcertantes à ces rivalités et tiraillements.

[6Au Maroc, plus précisément A Marrakech, il y a une récente expérience de tourisme solidaire et durable réalisée conjointement par des français et des marocains, qui est très instructive : un village touristique y a été réalisé près des villages berbères où les eaux usées sont canalisées et progressivement traitées vers l’aval par la plantation de plantes se nourrissant des déchets aux bordures des bassins recevant ses eaux. En 2011, ce système de traitement était sur le point de permettre la réutilisation des eaux traitées dans les piscines ! Cette expérience de développement durable, tout comme les autres de même nature, nous montre que dans la Kabylie ancienne, on a, sans contre dit, pratiqué le développement durable dans sa dimension globale sans le savoir : l’agriculture rurale y était florissante, l’arbre y était entretenu est protégé, les déchets ménagers se jetaient aux figuiers de barbarie qui s’y nourrissaient, les rejets domestiques d’eaux usées étaient canalisés par des rigoles aux bordures desquelles on plantait des arbres, comme des amandiers, se nourrissant de ses eaux, des plantes odorantes, comme la menthe, consommatrices d’eau et faisant le contre mauvaises odeurs et moustiques ; pour assurer une propriété foncière à cultiver au générations futures, la propriété foncière y était inaliénable est la vendre était considérerai comme le plus grand signe de déchéance, l’essentiel de ce qui restes d’un repas était garder pour le repas suivant et le peu qu’on y jetait se mettait en tas près des champs, parfois sous terre dans les champs, faisant, dans les deux cas, fertiliser les terres…

[7Sartre soutient que « l’abstraction hante le concret, (elle) est le sens du ceci en tant qu’il se révèle à l’avenir », (1943 :225).

[8Deux enquêtes de terrain récentes basées sur des échantillons représentatifs étayent cela. La première, de J. Bellache (2012), montre qu’au niveau de Bejaia pullulent des activités de l’économie solidaire, près de 36% des activités globales, en sachant qu’il s’agit d’une enquête non exhaustive et que beaucoup d’entrepreneurs de l’économie solidaire, par peur de représailles fiscales et pénales, ne se déclarent pas, parce qu’on les considère comme étant informels. Plus que ça, cette enquête nous révèle que ces activité relèvent d’une diversité de domaines d’activité (services, textile, artisanat, agriculture, etc.) et que, parfois, ces activités rapportent jusqu’à trois fois plus que le SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti). La deuxième, de B. Abrika, a révélé qu’au niveau de la Wilaya de Tizi-Ouzou, les entreprises qui, du point de vue juridique et logique de fonctionnement, ne sont ni publiques, ni privées, recourent exclusivement à la finance solidaire ; plus exactement, « elles mobilisent des ressources humaines, matériels et financières à partir des liens familiaux et amicaux » (2012 :1). Il est important de signaler ici que le fait que ces deux auteurs n’aient pas qualifier ce potentiel d’économie solidaire n’est qu’un problème d’optique : comme à la période d’avant le siècle des lumières on considèrent tout ce qui n’est conforme ni au normes religieuses, ni aux normes juridiques, comme étant de la sorcellerie, les économistes algériens, qui sont formés pour ne voir que deux couleurs, qualifient toute activité économique qui n’est ni publique, ni privée, comme étant de l’informel. Comme dans le premier cas, il fallut congédier les fanatiques religieux pour que Les lumières semèrent le rationalisme, dans le deuxième cas, il faut congédier ce qui prennent la vitalité et le génie collectifs pour de l’informel pour que l’économie solidaire réalise l’optimisme.

[9Notre définition est construite à partir d’éléments signifiants prégnants qui ressortent des réponses données par des acteurs de la société kabyle à leur interrogation sur le sens des pratiques de l’économie solidaire, dans le cadre d’une étude pratique sur l’économie solidaire en Kabylie réalisée durant la période allant de l’année 2007 à l’année 2011.

[10Pour la quasi-totalité de ses acteurs, l’association et le comité de village (tajmayεit) symbolisent la fraternité et l’union, vues comme panacées garantissant la vie sereine et la dignité. Ces mêmes acteurs voient derrière chaque réussite la main visible de l’union et de la fraternité agissantes. Nous avons tenu compte aussi des discours politiques et moralisateurs, des chants et des écrits, anciens et nouveaux, qui, selon les contextes, louent les bienfaits où regrettent l’absence de la fraternité et de l’union. Ainsi, « l’économie de l’union et de la fraternité » a un sens socio-anthropologique des pratiques de l’économie solidaire en Kabylie.

[11La définition du capital social qui nous parait être la plus appropriée pour le contexte de la Kabylie est celle qui le présente comme « un bien qui amplifie l’autonomie du collectif en élevant son pouvoir d’organisation et de représentativité, et se caractérise par la participation sociale du groupe impliquant souvent la confiance entre les membres » (Girard, Nunes, 2007 :381).

[12Nous considérons, dans la logique de l’économie solidaire, la culture locale en Kabylie comme un fonds inestimable et inépuisable parce que, pour reprendre le constat d’un esprit des plus clairvoyants, dans le passé, elle « imposait à chacun sa solidarité, (faisant par ça) une des populations les plus humaines en ce monde » (Camus, 2011 :60 et 74).

[13Le grain magique de Taous Amrouche (1996) recense des contes kabyles que les mères et grands-mères racontent aux enfants dont la morale est que, en dernière instance, seul le frère est toujours disponible pour tout sacrifier en vue de nous sauver des périls qui nous guettent.

[14Le vouloir faire mieux que l’autre famille ou clan est le plus grand stimulant de la solidarité active en Kabylie : « la famille d’en bas jalousait celle d’en haut, et celle d’en haut n’avait guère d’estime pour celle d’en bas » écrivait Aïth Mansour-Amrouche (2009 :106) ; mais juste après, elle relatait que « dans le village, une fille venait d’être répudiée, et comme son père appartenait à notre clan, c’est Taïdhelt (sa belle famille), avec la permission du grand père qui payait la dot restituée au mari »(2009 :108).

[15Histoire de ma vie de Fatma Aït Mansour-Amrouche, un livre qui représente un des travaux qui expliquent le mieux la société kabyle, montre par une histoire véridique, comment cette société est capable de briser la vie d’une famille si elle venait d’afficher des contradictions importantes avec les conventions sociales.

[16Nous faisons nôtre le principe de Servet (2007 :263-264) que la réciprocité, qui suppose que des partenaires adoptent volontairement la complémentarité et l’interdépendance, peut, selon les cas, être positive ou négative.

[17Mouloud Feraoun (1913-1962), un romancier naturaliste, ayant présenté par son œuvre un témoignage aussi fidèle de la réalité de sa société kabyle que d’actualité, explicite clairement dans ses romans, notamment La Terre et le sang (1953), Le fils du pauvre (1954) et Les chemins qui montent (1957), aussi bien l’importance de la réciprocité que la distinction à faire entre la réciprocité forte et la réciprocité faible et entre la réciprocité positive et la réciprocité négative en Kabylie.

[18Une position sociale, économique ou politique d’une personne profite toujours d’une certaine façon à tous les membres du clan, et une personne, quelle qu’elle soit, a le droit d’avoir et fait l’effort pour avoir effectivement trois statuts : social, économique et politique. D’après les règles tacites, une personne qui a une position politique ou bureaucratique doit servir en priorité les siens, et d’après les règles formelles, lorsque, dans un village donné, la décision d’engager des démarches auprès des autorités pour régler un problème commun est prise par le comité du village (tajmayεit), toutes les personnes majeures disponibles jouissant de leurs capacités morales et physiques (à l’exception des femmes) doivent participer à l’action. Précisons au passage que la femme n’est autorisée à se présenter à la tajmayεit que lorsqu’elle a un problème à exposer et qu’il n’y a personne que les règles morales (nécessité d’un lien familiale) et les relations sociales (nécessité d’entente et de confiance) autorisent à la représenter. Dans ce cas elle assiste juste durant le temps nécessaire pour régler son problème que, d’ailleurs, on traite en premier. Une des explications acceptables de cela est que, durant les séances de la tajmayεit, qui sont fréquentes et longues, il faut bien que la femme s’occupe de la maison et des enfants, ce qui s’inscrit dans un consensus général : « l’intérieur est rendu agréable par la femme, l’extérieur est l’affaire de l’homme » (Genevois, 1969 :2). Il est important de souligner que, souvent, par « la vaillance des femmes » (Lacoste-Dujardin, 2008), ce sont celles-ci qui décident en dernière instance, parce que, la veille de la réunion de la tajmayεit, la plupart des hommes consultent leur femme et/ou leur mère sur les positions à prendre. Pour leur présence physique, même si les femmes n’assistent pas à la « djemaa comme les hommes ; la fontaine en tient lieu. On y va en groupes, on s’y assemble par affinités, on y apprend des nouvelles, on y échange des potins, on y lie des amitiés » (Feraoun, 2011 :81).

[19Dans la société Kabyle, qui, par le phénomène d’apprentissage, a compris l’importance de l’union et de la solidarité pour la sérénité et la prospérité collectives, le système de valeurs est conçu de sorte que la résolution de conflits intra-groupe travaille en premier lieu et au mieux le rétablissement de l’union et de la solidarité.

[20Dans le village Amedah de la commune de Tizi-Gheniff (située à près de 50 km au sud-ouest du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou), la tajmayεit s’est fissurée en deux clans suite à un différent lié a l’utilisation par une partie des clans d’une parcelle de terrain qui est dans l’indivision pour réaliser d’une voie de passage sans le consentement de l’autre partie. Ce différent, qui parait anodin, a provoqué la suspension des réunions de la tajmayεit du milieu des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990.

[21Pluriel de tajmayεit qui signifie à la fois une assemblée politique qui fonctionne à la façon de l’agora grec avec, en plus, le droit à la parole pour tous les membres du village et la prise de décision par consensus général, et un espace public de proximité qui « appartient à tout le monde. On y vient pour tenir un langage d’homme, regarder les autres en face. On y vient pour écouter les vieux et enseigner les jeunes. On y vient pour ne pas céder sa place » (Feraoun, 2011 :13-14).

[22Explicitement ou implicitement, c’est souvent contre l’autre ou, du moins, pour montrer à l’autre qu’on lui est sinon supérieur, du moins égal, que des collectifs agissants solidairement se manifestent en Kabylie. Ce qui n’est pas en contradiction avec les principes de l’économie solidaire en tant que pratiques sociales : d’après Mauss, dans les sociétés communautaires, « l’association qu’on tend à créer établit une sorte de clan entre les partenaires. Concurrence, rivalité, étalage, recherche de la grandeur et de l’intérêt, tels sont les mobiles qui sous-tendent tous » (1989 :53) les actes de leur membres.

[23La commune d’Aït Douala est située à près de 30 km du chef de la wilaya de Tizi-Ouzou.

[24Timecheret, qui signifie la saignée, est un rituel qui s’organise par les tijmuyaε des villages de Kabylie durant le début de hartadem (période des labours) depuis la nuit des temps. Elle consiste à égorger des bœufs, le nombre varie d’un village à un autre selon le nombre d’habitants, et à répartir la viande sur tous les villageois d’une façon égalitaire. Concrètement on commence par la programmation de l’événement et la détermination de la cotisation que chaque foyer doit donner pour l’événement. Ensuite, on diffuse l’information de sorte que même les villageois qui sont hors du village, momentanément ou durablement, soient touchés. Enfin, après la collecte des cotisations, on procède à l’achat des bœufs puis à l’organisation effective de la cérémonie à la date prévue. Timechret remplit trois valeurs symboliques essentielles : une valeur spirituelle en faisant une offrande aux divinités au début des labours les exhortant de faire que la saison soit fertile, une valeur humaine par la répartition de la viande égalitairement sur les citoyens du village, réaffirmant par la-même l’attachement de la communauté à l’égalitarisme, et une valeur sociopolitique en faisant de timechret un moment sacret où tous les délits et écarts à l’origine des conflits et différents entre les citoyens du village doivent être absous, explicitement pour que les divinités soient clémentes et implicitement pour que la fraternité et l’union totales de la communauté soit rétablies.

[25Les traditionnalistes reviennent à la charge à chaque fois que l’occasion leur est donnée pour montrer par la référence aux faits que les valeurs importées ne font que souiller et pervertir la société.

[26Citons entre autres adages : « chaque pays pourvoit à sa façon aux besoins de ses enfants », « les traditions divergent d’un pays à un autre » et « chaque pays a ses propres traditions ».

[27Durant un cycle de conférences données à l’université de Bejaia entre le 13 et le 17 février 2012, Claude Courlet insistait à juste titre sur l’idée que le développement n’est que du changement qui, selon la façon de le réaliser, peut être bon ou mauvais.

[28Zouvegua est un village de la commune d’illilten située à près de 70 km au sud-est du chef lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou.

[29Le village d’Achallam est situé dans la commune d’Ifigha (daïra d’Azazga), soit à près de 50 km du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou.

[30Le concept d’innovation est emprunté au vocabulaire de l’économie orthodoxe et est chargé d’un sens qui l’inscrit dans la logique libérale. C’est pourquoi, malgré son avantage d’être une clé qui permet une entrée sur le réel, nous lui préférons le concept de transformation qui, malgré son l’inconvénient d’être imprécis, permet, entre autres, de substituer le principe de propriété collective à celui de propriété individuelle et le principe de réalisation du bien être collectif à celui de réalisation de l’objectif d’amélioration du profit des entreprises privées.