Le prochain numéro de La Revue du MAUSS, « La crise de l’Université. Mort ou résurrection » (numéro 33) impulse ce manifeste, déjà signé par diverses personnalités représentatives de la communauté universitaire.
Préambule
Il est désormais évident que l’Université française n’est plus seulement en crise. Elle est, pour nombre de ses composantes, à peu près à l’agonie. Qu’on comprenne bien ce que cela signifie. L’Université n’est pas tout l’enseignement supérieur français. Les classes préparatoires, celles de BTS, les IUT (lesquels font formellement partie des universités), et l’ensemble des petites, moyennes ou grandes écoles, publiques ou privées recrutent largement. Mais c’est au détriment des formations universitaires, que les étudiants désertent de plus en plus, et cela tout particulièrement pour les études scientifiques. Le secteur non universitaire de l’enseignement supérieur offre des formations techniques et professionnelles, parfois de qualité, mais parfois aussi très médiocres. Même si la situation évolue depuis quelques années pour sa fraction supérieure (les « grandes écoles »), ce secteur n’a pas vocation à développer la recherche et à donner des outils de culture et de pensée, et guère les moyens humains et scientifiques de le faire. C’est dans les universités que l’on trouve la grande majorité des savants, des chercheurs et des professionnels de la pensée. Pourtant, alors qu’on évoque l’émergence d’une « société de la connaissance », nos universités ont de moins en moins d’étudiants et ceux-ci sont rarement les meilleurs. Une telle situation est absurde. Dans aucun pays au monde l’Université n’est ainsi le maillon faible de l’enseignement supérieur.
Le processus engagé depuis déjà plusieurs décennies ne conduit pas à la réforme de l’Université française, mais à son contournement. Il ne s’agit pas en disant cela de dénoncer un quelconque complot, mais de prendre acte de la dynamique d’un système à laquelle chacun contribue par ses « petites décisions » ou par sa politique : les étudiants, leurs familles, les lycées, publics et privés, les entrepreneurs d’éducation, les collectivités locales et, in fine, l’État lui-même. Le déclin de l’Université, matériel, financier et moral, est désormais bien trop avancé pour qu’on puisse se borner à repousser les réformes proposées. Si des solutions susceptibles de réunir un très large consensus parmi les universitaires et les chercheurs mais aussi au sein de l’ensemble de la société française ne sont pas très rapidement formulées, la catastrophe culturelle et scientifique sera consommée. Or de qui de telles propositions pourraient-elles procéder sinon des universitaires eux-mêmes ? C’est dans cet esprit que les signataires du présent manifeste, très divers dans leurs choix politiques ou idéologiques, y compris dans leur appréciation de la loi LRU, ont tenté d’identifier les points sur lesquels un très large accord pouvait réunir tous les universitaires responsables et conscients des enjeux. L’enjeu n’est rien moins que de refonder l’Université française en la replaçant au centre de l’enseignement supérieur.
Propositions
Plus spécifiquement, un tel ministère aura pour mission première de créer un grand service public propédeutique de premier cycle réunissant (ce qui ne veut pas dire normalisant dans un cycle uniforme) IUT, BTS, classes préparatoires et cursus universitaires de licence. Il lui faudra également procéder à une sorte d’hybridation entre la logique pédagogique des classes supérieures de l’enseignement secondaire et des écoles professionnelles d’une part, et celle des universités d’autre part ; c’est-à-dire introduire davantage l’esprit de recherche dans les premières et, symétriquement, renforcer l’encadrement pédagogique dans les secondes.
Par ailleurs il est clair que l’autonomie ne peut avoir de sens que pour des universités qui voient leurs ressources augmenter et qui n’héritent pas seulement de dettes. En ce qui concerne la recherche, cela signifie que les ressources de financement proposées sur appels d’offre par les agences ne soient pas prélevées sur les masses budgétaires antérieurement dédiées aux subventions de financement des laboratoires, mais viennent s’y ajouter. De manière plus générale, en matière de recherche, il convient de mettre un terme à la concurrence généralisée entre équipes, induite par la généralisation du financement contractuel, lequel engendre souvent un véritable gaspillage des ressources, en garantissant aux laboratoires un certain volume de soutien financier inconditionnel accordé a priori et évalué a posteriori, notablement plus important qu’il ne l’est aujourd’hui.
Conclusion
Bien d’autres points mériteraient assurément d’être précisés. Mais les principes énoncés ci-dessus suffisent à dessiner les contours d’une Université digne de ce nom. Nous appelons donc tous ceux de nos collègues – et nous espérons qu’ils représentent la très grande majorité de la communauté universitaire et scientifique – à nous rejoindre en signant ce Manifeste
Celui-ci pourrait servir de point de départ à une véritable négociation, et non à des simulacres de concertation, et être à la base d’une auto-organisation d’États généraux de l’Université.
Les collègues désireux de nous rejoindre sont invités à donner leur signature à l’adresse électronique suivante :
http://petitions.alter.eu.org/refonder
Premiers signataires :
Olivier Beaud, professeur de droit public à Paris II
Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’université de Nice Sophia-Antipolis
François Bouvier, président de l’association des délégués régionaux à la recherche et à la technologie
Alain Caillé, professeur de sociologie à Paris Ouest-Nanterre- La Défense
Guy Carcassonne, professeur de droit public à Paris Ouest -La Défense
Jean-François Chanet, professeur d’Histoire, Lille III
Philippe Chanial, maître de conférences en sociologie à Paris IX-Dauphine
Franck Cochoy, professeur de sociologie à Toulouse II
Jean-Pierre Demailly, Mathématicien, Professeur à l’Université de Grenoble I, Académie des Sciences
Vincent Descombes, philosophe, directeur d’études à l’EHESS
Olivier Duhamel, professeur de droit public à l’IEP
François Dubet, professeur de sociologie à Bordeaux II et directeur d’études à l’EHESS
Pierre Encrenaz, professeur de physique a l UPMC et à l’Observatoire de Paris, membre de l’Académie des Sciences
Olivier Favereau, économiste, professeur à Paris Ouest-Nanterre- La Défense
Marcel Gauchet, philosophe, directeur d’études à l’EHESS
Bruno Karsenti, philosophe, directeur d’études à l’EHESS
Philippe de Lara, maître de conférences en science politique à Paris II
Guy Le Lay, professeur de physique à l’Université de Provence
Franck Lessay, Professeur à Paris III (Institut du Monde Anglophone)
Yves Lichtenberger, professeur de sociologie à Paris Est- Marne la Vallée
Bernadette Madeuf, économiste, présidente de Paris Ouest-Nanterre- La Défense
Dominique Méda, sociologue, directrice de recherches au Centre de Recherches pour l’Emploi
Pierre Musso, Professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université Rennes I
Catherine Paradeise, professeur de sociologie à Paris Est- Marne la Vallée
Philippe Raynaud, philosophe, professeur de sciences politiques à Paris IV
Philippe Rollet, président de Lille I
Pierre Schapira, professeur de mathématiques à Paris VI, Université Pierre et Marie Curie
Pierre Sineux ; historien, vice-président de l’université de Caen
Frédéric Sudre, professeur de droit public à Montpellier
François Vatin, professeur de sociologie à Paris Ouest-Nanterre- La Défense
Michèle Weidenfeld, maître de conférences de mathématiques