L’objet de cette contribution est de montrer que la Kabylie manifeste une logique d’innovation sociale et solidaire différente des logiques de solidarité occidentales. Cet article présente des études pratiques qui permettent de souligner combien, baignés dans une culture particulière, les acteurs de la Kabylie ont leur propre façon d’être en communauté, voire en communion, et de se solidariser les uns avec les autres.
Mohamed-Amokrane ZORELI est enseignant-chercheur en sciences économiques à la faculté SECSG de l’université de Bejaia.
Zoreli.univbejaia@gmail.com
INTRODUCTION [1]
Avec seulement près de deux décennies d’existence théorique, l’économie solidaire en vient à d’être perçue, dans les pays développés même, comme une « alternative à la société salariale » [Frère, 2009 : 31] qui, dans chaque contexte et durant toutes les périodes de son existence, commence par promettre des eldorados et finit par conduire à « des situations concrètes de drames sociaux et environnementaux » [Rouille d’Orfeuil, 2004 : 113].
La tentative de transfert du modèle de l’Etat-nation par la France vers ses « ex-colonies, sans processus de co-construction des règles, faisant abstraction du contexte au sein duquel il a été construit » [Baron, 2007 : 338], a échoué, laissant place à un processus d’hybridation [Le Roy, 1996 : 91-97] des institutions calquées sur le modèle français et des coutumes locales très pratiquées mais officiellement déclassées.
Dans le contexte de l’Afrique francophone, « L’utilisation récente et encore balbutiante de la notion d’économie solidaire » [Fraise, Gerin, Laville, 2007 : 246] est loin de signifier que cette économie y est, en tant que pratique, inexistante. En effet, le fait que son « espace d’autonomie (y) est restreint, soit par la prédominance de solidarités familiales et communautaires plus hiérarchiques, soit par la situation politique dans laquelle l’autonomisation de la société civile vis-à-vis des pouvoirs publics reste embryonnaire » [Ibid] ne signifie pas une insuffisante maturation de l’économie solidaire dans les pays du Sud, comme le font croire les approches universalistes. Pour le cas de la Kabylie par exemple, bien au contraire, pour espérer voir s’y réaliser la vigoureuse et diffuse économie solidaire, il faut tenir compte des solidarités familiales qui ont depuis toujours cimenté les liens sociaux et alimenté les différents capitaux, et des sursauts d’honneur de la société pour réussir par elle-même des projets mieux que le feraient les pouvoirs publics et, dans quelques cas, malgré eux [2]. En ce sens, une économie solidaire particulière est le meilleur moyen qui puisse servir d’éléments de départ pour le lancement de projets d’une autre économie en Kabylie. Ceci d’autant plus qu’en Algérie, les stratégies de développement appliquées jusqu’ici, basées sur la transposition de modèles, ont toutes concouru à l’aggravation de la crise socio-économique et identitaire, créant par la même au niveau du subconscient collectif la haine de soi au sens de Fanon [1952].
Deux réalités incontestables de l’économie solidaire qui ont déterminé notre objectif de recherche et notre méthodologie de présentation doivent être présentées ici :
La diversité des pratiques de l’économie solidaire observées dans le monde montre que toute tentative d’homogénéisation conceptuelle ou méthodologie est inféconde. Ceci ne doit pas faire comprendre que nous plaidons pour que nous, gens du Sud, devons renvoyer à l’expéditeur, gens du Nord, son coli d’universaux ; notre avis est que la devise la plus sûre au plan méthodologique est celle qui soutient l’idée que les « universaux ne sont pas invariants et s’actualisent différemment selon l’épaisseur historique et culturelle dans laquelle ils s’inscrivent (…), et que l’accès à des universaux est médiatisé par un mode de connaissance historiquement situé » [Carvalho et Dzimira, 2000 : 55].
Dans les ex-colonies françaises, l’économie solidaire « ne suit pas un mouvement parallèle à celui de l’économie sociale et solidaire en France. (D’où l’importance d’aller) (…) au-delà des définitions juridico-institutionnelles proposées dont la neutralité et le caractère figé » [Baron, 2007 : 331] font qu’elles y reflètent peu les pratiques concrètes, en conceptualisant et en théorisant les pratiques concrètes spécifiques.
Ce travail, par conséquent, s’inscrit dans une préoccupation de recherche. Celle de construire, par et pour le contexte de la Kabylie, un pont porteur de valeurs ajoutées entre la théorie de la pratique de l’économie solidaire à élaborer et les pratiques de cette théorie à comprendre et à consolider [Zoreli, 2010].
Plus précisément, en faisant notre le postulat que « du point de vue pratique (…), le don constitue une dimension fondamentale de l’économie solidaire » (Carvalho et Dzimira, op. cit : 15), nous proposons de présenter une pratique de l’économie solidaire spécifique au contexte sociohistorique de la Kabylie [Zoreli, 2004], construite selon le principe de résilience territoriale au sens de Girardot [2013], c’est-à-dire par des mutations territoriales douces vers des formes socio-productives plus solidaires et moins égoïstes, plus globales et moins économicistes, en revitalisant les invariants culturels vitaux et en intériorisant, suite à des chocs externes, des éléments substantiels universaux. Pour ce faire, nous allons d’abord revisiter la Kabylie de la période coloniale pour restituer les activités solidaires qui s’y pratiquaient, comme décrite par les analystes et témoins de cette période. Nous exposerons ensuite trois cas distincts d’innovation sociale par l’économie solidaire dans la Kabylie actuelle, chacun représentant une dimension analytique de l’économie solidaire en tant que concept, savoir le cas de restauration d’un patrimoine architectural, le cas de développement durable et le cas d’organisation de la société civile pour l’animation de l’espace public par la médiation, la communication et la revendication politique. Nous présenterons enfin, la quintessence qu’il est possible d’extraire du territoire objet d’étude, constituant des éléments moteurs de son développement par des innovations et des transformations sociales et solidaires.
Tous les analystes qui se sont penchés sur la société kabyle durant la période coloniale l’ont décrite solidaire et chargée d’humanisme par la solidarité sociale et intergénérationnelle chère à Leroux [1845] : « S’entraidant sans distinction de villages » [Masqueray, 20010 : 30] à l’extérieur de leur région, à l’intérieur des villages, c’est « le collectivisme porté jusqu’à l’extrême » [Ibid : 31] qui est pratiqué par ces montagnards qui apprécient « comme il convient l’avantage d’être unis (…), le bonheur d’avoir des voisins qui rendent service, aident, secourent, compatissent » [Feraoun, 2011 : 124-125]. Les règles tacites obligeant les parties « contractantes à partager la bonne et la mauvaise fortune » [Daumas, 2010 : 59] faisaient des principes partagés par toutes les structures sociopolitiques de cette société qui, ainsi, « imposait à chacun sa solidarité, (faisant par ça) une des populations les plus humaines en ce monde » [Camus, 2011 : 60 et 74].
Dans ce qui suit, nous allons exposer les principaux mécanismes de solidarité construits dans la Kabylie ancienne par lesquels la société a réussi à établir un état d’équilibre où, sans l’existante de l’Etat régulateur, la mendicité était inconnue [3].
Les rites d’égalité et de fraternité
Thimechret et thahmamth sont deux formes rituelles permettant la réaffirmation de la sacralité des principes d’égalité et de fraternité au niveau des villages de la Kabylie ancienne dans l’affrontement de la destinée commune. Thimechret, qui signifie la saignée, est un rituel qui s’organise par les thijmuyaâ [4] des villages de Kabylie durant le début de harthadhem (période des labours) depuis la haute antiquité. Elle consiste à égorger des bœufs, le nombre varie d’un village à un autre selon le nombre d’habitants, et à répartir la viande sur tous les villageois d’une façon égalitaire. Concrètement, on commence par la programmation de l’événement et la détermination de la cotisation que chaque foyer doit donner pour l’occasion. Ensuite, on diffuse l’information de sorte que même les villageois qui sont hors du village, momentanément ou durablement, soient touchés. Enfin, après la collecte des cotisations, on procède à l’achat des bœufs puis à l’organisation effective de la cérémonie à la date prévue.
Se réalisant en moyenne une fois par an, thimechret consiste donc à faire le sacrifice de moutons ou de bœufs et leur répartition sur les membres, en veillant scrupuleusement à ce que, dans le processus de réalisation, chaque maison va apporter du sien selon ses capacités (force de travail et/ou organisation et/ou argent), sont exemptes de ces contribution les familles qui n’ont ni ressources suffisantes ni membres mal en âge de travailler, et, dans le processus de répartition, chacun va obtenir la part qui lui revient parmi ces frères (répartition de la viande en portions chacune devant contenir la même quantité de bonne et de moins bonne viande, et le nombre de portions auxquelles va ouvrir droit un représentant d’une maison est proportionnel au nombre des membres de sa famille).
Thahmamth, qui est relativement moins courante parce qu’économiquement plus couteuse, s’organise durant les saisons où la pluie hivernale tarde à venir. Elle consiste, en plus du sacrifice de bêtes comme dans le premier cas, à préparer sur une place publique, par les femmes du village, d’un repas collectif (couscous aux légumes et viande) que se partagent égalitairement et fraternellement les villageois présents. Dans les deux cas, la répartition est toujours précédée de prières faites aux divinités implorant la bénédiction et la consolidation de l’union et de la fraternité villageoises.
Thimechret et thahmamth remplissent trois valeurs symboliques essentielles : une valeur spirituelle en faisant une offrande aux divinités au début des labours les exhortant de faire que la saison soit fertile, une valeur humaine par la répartition de la viande ou du repas collectif égalitairement sur les citoyens du village, réaffirmant par la-même l’attachement de la communauté à l’égalitarisme, et une valeur sociopolitique en faisant de thimechret ou thahmamth un moment sacret où tous les délits et écarts à l’origine des conflits et différents entre les citoyens du village doivent être absous, explicitement pour que les divinités soient clémentes et implicitement pour que la fraternité et l’union au sein de la communauté soient totalement rétablies. Outre ces fonctions, thimechret et thahmamth réalise aussi un travail important d’humanisation de la société et de son économie : faire que les moins bien lotis du village accèdent de la même façon que les autres de la communauté à la consommation de la viande au moins durant ces occasions de l’année. Ces différentes fonctions qu’elles remplissent font de thimechret et de thahmamth des événements sacrets que personne d’un village organisateur ne peut vouloir rater, ce qui a fait d’ailleurs que les premiers recensements en Kabylie ont été fait en se basant sur les personnes rassemblées en ces circonstances rituelles, comme en témoigne Masqueray : « Ces chiffres qui sont ceux du recensement de 1866 vérifiés seulement quand on l’a pu faire au moyen des timecheret ou partages de viande ». [Ould-Braham, 1996 : 53].
Thiwizi
Plusieurs activités rurales nécessitaient pour leur réalisation beaucoup plus que la main-d’œuvre familiale. Etant contraints par le temps à l’exécution rapide de ces activités, plutôt que de recourir à une main-d’œuvre génératrice de lourdes charges, les Kabyles, sachant que chaque membre de la société va, à un moment ou un autre, se retrouver dans l’obligation de réaliser de ces activités, ont trouvé une formule, thiwizi, qui ne coûte pour chaque membre qu’un don de son temps et de sa force de travail pour l’autre, en s’appuyant sur la norme sociale instituant la réciprocité dans les rapports d’entraide.
La thiwizi désigne cette espèce de coopérative qui se constitue spontanément dès qu’un besoin en main-d’œuvre supérieur aux capacités de la famille se manifeste chez un membre de la petite société. Souvent, la thiwizi est activée pour la récolte des olives, le montage de métier à tisser, la réalisation de toiture de maison et la moisson. Concrètement, les membres d’un village ou d’une famille élargie, selon la nature de l’activité, ça peut s’agir d’hommes, de femmes ou des deux, se retrouvent pour accomplir conjointement une activité pour tous les membres à tour de rôle ; et à chaque occasion, le bénéficiaire prend en charge la restauration collective des coopérants pendant les journées de travail réalisées à son profit.
Sorte d’organisation coopérative se constituant, comme déjà signalé, spontanément dès que la situation l’exige, et mêlant dans son fonctionnement le don et le volontariat, l’obligation et la liberté, l’engagement individuel et l’engouement collectif, désintéressés dans leur moment de réalisation et intéressés par toutes les retombées positives d’une société coopérative pour ses membres à sa genèse, la thiwizi véhicule dans la société villageoise un grand sens politique, celui de « réaffirmer la valeur de toutes les existences, même des plus brisées, de redire l’attachement de tous à la vie de chacun » [Rigaux, 2004 : 10]. C’est, d’ailleurs, ce sens politique qui a fait que la thiwizi est toujours active dans la Kabylie actuelle : en 2016, au village Adrar Nath-Koudia de la commune d’Agherive, « grâce à la solidarité traditionnelle, une famille d’orphelins ont pu bénéficier d’un toit décent (…) une belle histoire de générosité humaine » [Semmar, 2016]. Cette autre page de l’histoire de l’humanisme en Kabylie, ces auteurs la savent écrite par la main du don : « ce que nous avions souhaité vient d’être réalisé sans faire recours à la baguette magique. Cette maison d’une famille orpheline (…) n’est qu’une idée qui se réalise après une année et demi des travaux qui sont quasiment achevés, basés sur des dons (…) Sans aucune ressource ni revenu, cette famille, pauvre et orpheline composée d’une mère et ses trois petits enfants, se logera bientôt dans sa nouvelle maison » [Ibid.], se réjouissent les porteurs de ce projet.
Thimeâmarth
Dans chaque grand village ou constellation de villages de la Kabylie ancienne, il y a une thimeâmarth qui est l’équivalent d’un monastère occidental. La thimeâmarth est tenue par un chef ayant une filiation religieuse connue pour avoir accompli un certain nombre de miracles, secondé par plusieurs subordonnés. La thimeâmarth tient lieu d’espace de formation religieuse destinée aux enfants de marabouts [5]. Outre la formation, la thimeâmarth est ouverte à tous les passants pour les nourrir et les héberger en cas de besoin, contribuant ainsi grandement à faire que « les tourments de la faim et le vagabondage restent ignorés des Kabyles » » [Daumas, 2010 : 75] et des étrangers qui la traversent ou s’y établissent.
Durant plusieurs périodes de l’année, la thimeâmarth organise des journées religieuses, avec des cérémonies de conjuration du mal, ouvertes à toute personne désirant y assister, durant lesquelles des festins sont offerts à tous les présents. C’est en ce sens que Daumas voit la thimeâmarth Kabyle être « tout ensemble une université religieuse et une auberge gratuite » [2010 : 74] qui permet aux convives de manger à leur faim. Le financement des activités de thimeâmarth se fait par les dons que font des particuliers pour écarter le mauvais œil, demander l’ancêtre miraculeux de la thimeâmarth d’exaucer un vœu, remercier ce même miraculeux pour un vœu exaucé, etc.
Le don
Même s’il y avait une agriculture et une industrie diversifiées et prospères, la société kabyle traditionnelle a existé en tant société collectiviste par le don sous toutes ses formes distinguées par Godbout [2000 : 20]. Nous allons dans ce qui suit présenter trois principales formes de don de cette société : l’offrande, l’hospitalité et les services.
L’offrande
Suite au décès d’un de ces membres [6], la famille kabyle traditionnelle mobilise l’ensemble des affaires du défunt qui sont encore utilisables pour les confier à un nécessiteux. Le principe officiel de réalisation de ce don est que, dans l’au-delà, le défunt ne pourra faire usage que des outils offerts comme don par sa famille et en son nom dans la vie. Ce principe permet à un nécessiteux de bénéficier de ces outils sans que lui et sa famille ne subissent la honte d’avoir été assistés ; au contraire, en contribuant à l’accomplissement de ce principe par l’acceptation du don, les bénéficiaires vont gagner en mérite et estime.
Dans les jours de fête évoquant un mythe donné, la célébration implique toujours la préparation d’un repas particulier relativement raffiné. La veille de la fête, on fait déposer un grand plat des plus garnis dans un lieu de passage des villageois, et chaque passager est tenu par les croyances de prendre une bouchée, au moins, du repas qui est destiné aux décédés de la famille donatrice ; le principe est que ceux-ci ne bénéficieront que des bouchées prises par les passagers. Ainsi, les pauvres ne vont pas hésiter de prendre du repas collectif, étant donné que tous les passager vont en prendre et ils ne vont pas se gêner non plus à se rassasier puisque plus en on prend, plus on est bienfaiteur envers les destinataires du repas, les décédés.
Dans d’autres fêtes religieuses, on fait déposer à l’aube de la journée de la fête quelques friandises par un enfant de la famille dans un endroit conventionnel près de la nécropole du village qu’un autre enfant [7] du village doit secrètement récupérer. D’après les croyances, si une famille quelconque ne déposait pas ses friandises comme les conventions le précisent, ses morts vont se lamenter et leurs âmes vont repartir à la levée du soleil dans leur tombe avec du chagrin dans le cœur et la fin dans le ventre.
Lorsqu’une personne adulte fait un mauvais rêve, les Kabyles anciens l’interprètent comme signe d’un malheur s’approchant qu’on peut écarter en déposant quelque nourriture près d’un aâssas, un arbre divinisé ayant des forces bienfaitrices extraordinaires, généralement un vieux chêne ou olivier. Ainsi, pour celui qui n’a plus de provisions à la maison, il suffit de se rendre à l’un de ses iâassassen [8] pour avoir quelque chose à manger.
Ces traditions, il est évident, permettent aux nécessiteux de se régaler de nourriture raffinée faite comme don, en leur évitant l’humiliation de recevoir en tant que nécessiteux. Mais le don dans la Kabylie traditionnelle est loin de se limiter aux actions en faveur des nécessiteux, puisqu’il en constitue même ce qui fait bien panser la société, comme le montre cet exemple : durant la deuxième moitié des années mille neuf cents cinquante, c’était la guerre d’Algérie, « Said n Goute a été tué par les gens ayant pris le maquis, le soupçonnant de se préparer pour faire un informateur de l’armée coloniale, et il a laissé une veuve avec trois enfant de bas âge, raconte Dhahvia, témoin oculaire âgée de 86 ans. juste après, dit-elle, tous les hommes accoururent vers sa maison, chacun apportant à la veuve de ce qu’il avait. Je me souviens, précise-t-elle, mon père (gérant d’un café maure) lui avait apporté de la viande, de la semoule et un peu d’argent ». Par ailleurs, la quasi-totalité des terrains où se situent les sources d’eau, qui faisaient l’élément vital, et les nécropoles des villages de Kabylie ont été à l’origine des propriétés privées offertes comme don aux villages par leurs propriétaires. Ainsi, le don en Kabylie ancienne apporte un argument concret en faveur de Chanial contre Lévi-Strauss et Bourdieu, puisqu’une fois levé cet « interdit (…) de nature méthodologique » [Chanial, 2008 : 14], ce qui fait prendre le don pour un voile qui masque « la vérité objective de la pratique et des rapports, qu’ils reposent sur l’intérêt ou le pouvoir » [Ibid. : 16], en chaussant les lunettes du don, on voit le don couler dans toutes les artères des rapports sociaux de la Kabylie traditionnelle et être dans tout ce qui en fait société, c’est-à-dire « des croyances religieuses et des rituels (…) (ainsi que des) rapports sociaux et matériels » [Godelier, 2016] qui les fondent.
L’hospitalité
La société kabyle traditionnelle se distingue par son hospitalité. Daumas témoigne que « le principe d’hospitalité s’étend même si loin dans ce lieu, qu’un cheval, un mulet égarés, y arrivant sans conducteur et par hasard, seront toujours reçus, installés et nourris jusqu’à ce qu’on vienne les réclamer » » [2010 : 74]. La plus haute forme d’hospitalité de la société kabyle traditionnelle est la règle tacite en vigueur, que dans tous les villages, les citoyens prennent en charge, à tour de rôle, l’hébergement et la restauration des étrangers que les contraintes obligent à séjourner dans le village pendant une ou plusieurs nuits. Dans quelques villages, on fait d’une modeste construction appartenant au domaine communal, un endroit qui sert généralement de lieu de rencontre des villageois et de dépôt de leurs instruments commun de travail, de akham ebbagherive, maison de l’étranger. Dans ce cas, les familles du village, à tour de rôle, envoient la nuit tombante un membre de leur famille au akham ebbagherive voir s’il y a un étranger qui s’y trouve pour lieu apporté le diner. Ainsi, les voyageurs dans la Kabylie anciens trouvent dans chaque village le moyen d’y passer la nuit en cas de nécessité dans la sécurité et la sérénité. Il va sans dire que cette règle réciprocitaire sert en premier les villageois eux-mêmes qui faisaient des déplacements réguliers pour l’échange de biens [9].
Durant la période de cueillette [10], tous les pauvres du village et les étrangers qui y soient de passage ont le droit d’aller dans les vergers pour cueillir des fruits ou des légumes sans que personne ne les inquiète, à condition qu’ils n’en prennent pas avec eux.
Les services
En matière de services, il y avait dans la Kabylie ancienne une panoplie qui se rendait par le moyen des différentes structures sociales.
Les services s’appuient d’abord sur la famille. La femme en état de veuvage est systématiquement prise en charge par sa famille. Lorsqu’elle est répudiée, elle regagne le domicile de ses parents qui, de droit, lui donne une part de la propriété familiale. La solidarité familiale fait que personne ne peut tomber dans le dénuement, ceci parce que l’état d’un individu n’engage pas seulement sa personne, ça influence aussi l’image de sa famille élargie. Les personnes âgées et les handicapés sont à la charge de leur famille ; les premières bénéficient en plus d’une position privilégiée dans la prise de décision.
Le deuxième élément d’appui des services est le village [11]. Quand une personne tombe dans le besoin d’un soutien, les membres de son village se trouvant dans les parages sont tenus par les normes sociales d’être le premier recours.
La troisième structure d’appui des services est la région d’appartenance. Si un individu kabyle se trouve dans la nécessité d’être pris en charge momentanément, le premier kabyle qu’il croise commence par le prendre en charge dans l’urgence. Ensuite, il l’oriente vers un enfant du pays le plus proche de lui du point de vue appartenance régionale qui, par devoir moral, prend la relève en matière de sa prise en charge. C’est ainsi que, par exemple, jusqu’à la fin des années 1980, s’est perpétuée la tradition que lorsqu’un Kabyle se rend à l’étranger pour y travailler ou y passer des vacances, le réseau des « enfants de son pays » [12] le prennent en charge avec enthousiasme jusqu’à ce qu’il perçoit son premier salaire ou rentre au pays.
Il est possible qu’on tire une conclusion hâtive considérant tous ces beaux principes comme relevant d’une société archaïque donc inadaptés à une société moderne. Nous rétorquons que ces institutions d’une société archaïque régie principalement par le don ont réalisé mieux que les institutions d’une société moderne régie principale par l’intérêt à la même période, en prenant en considération quelques principales valeurs d’une société civilisée : « le Juge de Paix de Aın-Hammam me disait que le vol et le mensonge sont beaucoup moins fréquents dans sa circonscription que dans certaines communes de France » [Ouled-Braham, 1996 : 39], rapporte Masqueray en 1881.
La période coloniale a été marquée par un invariant politique consistant à vouloir substituer aux structures et institutions kabyles traditionnelles, des structures et institutions françaises et arabes [13].
Durant la phase post coloniale, deux grandes périodes sont distinguables : la période du socialisme et la période de l’économie de marché.
Ces deux périodes ont marqué profondément le contexte territorial kabyle par leur travail de nivellement, selon la logique du compter sur le tout Etat dans le premier cas, selon les principes de l’individu opportuniste dans le deuxième cas. Depuis près de deux décennies, suite aux transformations sociales permises par l’éducation de la population et à la désillusion collective par rapport aux capacités du binôme Etat/marché en matière de réalisation d’un développement équitable et durable, nous voyons la société kabyle faire un retour progressif aux activités solidaires. Trois exemples tirés du contexte de cette société méritent d’être exposés pour montrer l’existence en son sein de l’économie solidaire spécifique en tant que pratique dans sa totalité, c’est-à-dire dans ses dimensions sociale, politique, économique et écologique.
Le village de Zouvga, d’un espace de décharge publique à un exemple de développement éthique
Du point de vue développement durable par l’économie solidaire, le village dénommé Zouvga [14]est à la fois un exemple édifiant et instructif. Edifiant du fait que, dans ce contexte territorial, les transformations ou les innovations sociales [15] sont l’œuvre du génie collectifs, parce que la thajemaâth du village a, durant ces dernières années, concrétisé des projets d’utilité collective que les autorités locales et régionales peinent à réaliser dans d’autres contextes de la région. En effet, durant ces dix dernières années, ce village a concrétisé les projets d’acheminement de l’eau potable de la montagne au village sur une distance de près de sept kilomètres, de la mise en place d’un système de ramassage des déchets, de la construction d’un centre culturel à trois étages, d’une maison de jeunes, d’une école de couture, d’une salle d’étude, d’une salle de soins, d’une salle des fêtes, d’une crèche, d’un musée d’objets traditionnels du village, d’une salle informatique et d’une salle de sport, d’installation de toilettes publiques, de réfection des fontaines publiques, de réalisation d’un réseau d’assainissement et l’aménagement d’une aire de jeux et de sentiers et caniveaux. Il est important de signaler que, parallèlement, le village Zouvga organise annuellement plusieurs fêtes traditionnelles, dont la fête timechret et la fête Asensi n Uzru n T’hur [16].
Le fait que la totalité des agglomérations chefs-lieux de commune de la Kabylie ne disposent pas de toilettes publiques et que leur quasi-totalité ne disposent pas d’un mussé d’objets traditionnels atteste que le modèle de l’économie solidaire spécifique de la Kabylie appliqué dans un petit village de près de mille quatre cents habitants permet de réaliser plus et mieux que les pouvoirs publics et élus locaux gérant des localités d’une moyenne de près de vingt et deux mille habitants avec des budget colossaux [17]. par ailleurs, l’importance des budget nécessités par la réalisation et la mise en fonctionnement de ces différents projets est illustratif de la vitalité des valeurs ancestrales lorsqu’elles sont mises au service des exigences de la vie sociale actuelle : à titre d’exemples, le coût du projet d’adduction d’eau potable est de près de cinq millions de dinars ; la réalisation du centre culturel a nécessité près de 1,5 milliards de dinars ; le revêtement des ruelles du village a occasionné des dépenses de près de deux millions de dinars rien que pour l’achat de pierres bleues et l’acquisition d’un engin spécialisé pour le ramassage des déchets a coûté neuf cents vingt mille dinars. Concernant le budget de fonctionnement, nous citons, à titre indicatif, les salaires de l’infirmière du centre de santé, du conducteur de l’engin de ramassage des ordures et des employées de la garderie d’enfants, qui sont intégralement à la charge du comité de village de Zouvga fonctionnant à base de loi ancestrales de la thajemaâth Kabyle, actualisées [18].
Outre ces réalisations, le village de Zouvga s’est distingué au niveau de la région par l’obtention, pour la troisième fois successivement, du premier prix attribué au village le plus propre de la wilaya de Tizi-Ouzou [19]en 2013. Cet exploit s’explique, d’après les citoyens du village interrogés, par des mécanismes plutôt simples : « nous avons, disent-ils, légiférer des lois dans la thajemaâth en vue d’interdire tout acte pouvant porter atteinte à la propreté et à l’environnement écologique du village. Par la vaillance de tous les membres de la thajemaâth à l’application stricte de ces lois, les citoyens du village ont fini par intérioriser celles-ci et c’est ainsi qu’une culture nouvelle s’est installée : se comporter de sorte que le bon état de l’environnement du village soit préservé est devenu un comportement naturel pour chacun des membres de notre société villageoise ». Ce village est, par conséquent, un cas instructifs de la dynamique d’évolution de la structure transformatrice qu’est la thajemaâth de la Kabylie, parce qu’ils nous renseignent sur :
Le renouvellement des accords mutuels pour un agir collectif dans le cadre de structures en transformation : aux réunions presque hebdomadaire de la thajemaâth dans sa totalité se substitue la réunion régulière de délégués, e-temmane, mandatés pour prendre en charge la concrétisation d’actions décidées en assemblée générale, thajemaâth, qui, elle, est devenue une instance délibérative ;
L’adaptation des modes de financement des projets de l’union et de la fraternité en fonction de l’évolution de la société au plans socioéconomique et politique : par le passé, la caisse de la thajemaâth était alimentée par les amendes payées par les contrevenants aux lois, les dons (faits par des particuliers soit pour renforcer sa position symbolique et politique, soit pour remercier les divinités pour un vœu exaucé, un malheur évité ou une réussite réalisée), les contributions des membres selon les quotes-parts individuelles prédéfinies par la thajemaâth selon l’importance du projet à réaliser et par les virements annuels des émigrés du village à la fois comme contribution aux projets réalisés et comme contrepartie de leur absence aux réunions et travaux de la thajemaâth. Actuellement ce mode de financement est renforcé par la contribution matérielle des autorités locales (notamment par l’offre de matières premières et d’engins de réalisation de travaux), les dons de personnes originaires du village ayant réussi dans les affaires et les financements venant de l’Etat et des ONG ;
La redistribution de la parole et du pouvoir de décision en tenant compte du rôle positif que peuvent jouer les jeunes, moins expérimentés mais plus instruits et donc plus au fait des exigences de l’heure ;
Le rôle des conflits qui sont à la fois bloquants (les membres sont de moins en moins portés à faire le travail de délégué, parce que cela les expose de plus en plus à des critiques) et stimulants (les villages limitrophes de Kabylie concrétisent presque les mêmes projets par le phénomène d’imitation stimulée par des rivalités) ;
La capacité du génie collectif à réaliser des transformations sociales : la thajemaâth du village de Zouvga organise annuellement une fête du village. Ce qui permet aux artisans de bénéficier d’une exposition-vente de leurs produits, aux enfants du village de bénéficier d’une cérémonie de circoncision collective et au comité du village de consolider ses ressources financières avec des dons et des cotisations qui se font en la circonstance. Outre cela, ce village assure régulièrement des formations en couture et des cours de soutien et d’alphabétisation au bénéfice de tous les villageois ;
La fertilité de la combinaison de l’esprit traditionnel, subjectif, de l’autonomisation du collectif par le compter sur soi pour trouver des solutions malgré l’autre, l’élément étranger, avec l’esprit, plutôt pragmatique, de coopération avec les autorités locales : dans ce village, l’initiative, le choix des projets et leur réalisation est une affaire de la thajemaâth, mais on essaye, toujours et dans la mesure du possible, d’arracher quelques aides des autorités locales par l’engagement coopératif ou revendicatif.
Thajemaâth n Djebla, une structure politique traditionnelle qui relève le défi de restauration d’un patrimoine architectural
Créée en 2006, thajemaâth n Djebla est une association qui fonctionne à la façon d’un comité de village traditionnel de la Kabylie avec des délégués élus parmi les membres qui sont les citoyens du village Djebla [20], et des lois de fonctionnement constituées des principes hérités des ancêtres les ayant construites dans le temps par la règle consensuelle et selon les besoins qui apparaissent dans la vie pratique à l’intérieur du village et des règles universelles de fonctionnement des associations.
Ayant comme objectifs la gestion des affaires quotidiennes du village, la protection de l’environnement et des patrimoines et le développement de l’écotourisme, thajemaâth n Djebla a concrétisé quatre projets principaux :
Le projet, intitulé « Gite Kabyle », de restauration et d’aménagement des anciennes habitations du village Djebla, en vue d’avoir un cadre de vie favorable pour le développement du tourisme solidaire. Lancé en 2008, la réalisation de ce projet a coûté 3 800 000 DA, 5% étant à la charge de l’assemblée du village, 15% à la charge de l’assemblée populaire de la wilaya de Bejaia et le reste, soit 80%, est à la charge d’ONG II (Union Européenne).
Le projet d’organisation de tameghra ou dharyis ou amenzu n tefsuth [21], ayant comme finalité de faire revivre les fêtes traditionnelles par lesquelles les spécificités et les produits du village vont se faire découvrir par les visiteurs[Durant sa cinquième édition, en 2014, l’événement a drainé 3500 visiteurs.
]]. Réalisé en 2010, ce projet de cinq mille euros a été financé intégralement par un groupe d’ONG espagnoles.
Le projet, réalisé en 2011, de revitalisation du village de Djebla dont l’objectif est d’équiper deux maisons traditionnelles restaurées et de réaliser une formation en tissage traditionnel au profit d’un groupe de jeunes filles du village. Ce projet de cinq mille euros a été financé par Solidaridad Internationnal et réalisé par la thajemaâth n Djebla en partenariat avec l’association AMUSNAW [22].
Le projet de formation intitulé « Le tourisme solidaire, facteur de développement local » concrétisé les 02 et 03 mars 2011. Avec comme objectifs la promotion et la vulgarisation des principes du tourisme solidaire et la sensibilisation des acteurs locaux de la Kabylie pour réaliser d’une façon partenariale le développement du tourisme solidaire dans leur territoire en conformité avec les principes de la charte sur le tourisme solidaire adoptée par le Réseau Agir Responsable en Méditerranée pour le Développement du Tourisme Solidaire (AREMDT), ce projet de cinq mille euros, a été financé conjointement par AREMDT et CCFD-Terre solidaire, l’Assemblée Populaire Communale de Beni Ksila a contribué avec la prise en charge du transport des participants durant les travaux.
{}C’est d’un membre de la thajemaâth n Djebla qui, imprégné du mouvement associatif moderne des nouveaux enjeux et des nouvelles règle du jeu, qu’est venue l’idée de réaliser dans son village le premier projet de la thajemaâth n Djebla, celui de la restauration du patrimoine architectural pour en faire un moyen de développement dans le cadre de la logique du tourisme solidaire. Durant la présentation du projet-idée par son porteur, les membres de la thajemaâth n Djebla ont manifesté un scepticisme par rapport à ce projet qu’ils ont jugé trop utopique. L’expérience l’ayant instruit de ce qui se fait ailleurs en la matière, notamment dans les pays du Sud, le soutien actif reçu de la part de partenaires potentiels et l’avantage d’avoir dans le village des maisons traditionnelles réstaurables, ont donné une détermination au porteur du projet à mettre en œuvre son idée. Grace à ce projet primevère, le village Djebla {}est à la cinquième édition de la fête « tameghra udharyis » par laquelle les artisans du village parviennent à faire découvrir et vendre leurs produits.
Ainsi, la réussite d’un projet de départ et la coopération avec des partenaires nationaux s’avèrent important pour la création d’une dynamique d’adhésion des acteurs de la société civile à et de leur engagement dans des projets d’économie solidaire.
La coordination des comités de villages de Tizi-Gheniff, une organisation faisant un espace public actif
La commune de Tizi-Gheniff est une des communes qui, depuis au-moins trois décennies, souffre d’un retard en matière de développement [23] au niveau de la wilaya de Tizi-Ouzou. A cela s’ajoute le fait que cette commune se distingue par sa gestion par des élus qui se caractérise par un manque de compétences [24]. C’est donc dans un contexte de dégradation générale de la situation de la commune qu’un certain nombre d’acteurs, issus d’associations, de partis politiques, de syndicats d’entreprise et du croissant rouge local qui ont forgé leur esprit d’engagement pour et dans des projets l’intérêt général, ont décidé de se réunir dans un cadre transcendant les divergences idéologiques pour constituer un rapport de force face aux décideurs locaux. L’idée est venue suite à une discussion dans un café de quelques membres fondateurs. Après avoir partagé l’idée de la nécessité d’agir en vue de provoquer un changement comme voulu par la société et, par la même, d’enclencher une dynamique d’engagement des citoyens dans des structures consacrées à la revendication de projets relevant de l’intérêt général, les initiateurs se sont posés la problématique du comment s’y prendre pour que les choses évoluent dans le sens voulu. C’est ainsi qu’un discutant à balancer l’idée d’aller vers la création d’une structure contenant les comités de villages, parce que seules les structures traditionnelles sont capables de mobiliser des énergies dans une société où les membres sont mus essentiellement par des principes puisés des traditions. Un présent a opposé l’argument qu’une expérience de ce type à déjà échoué. Le débat a été relancé qui a permis de comprendre que cet échec est du au fait qu’on a tenté une structure d’unification à l’intérieur de laquelle on a continué à travailler chacun dans l’intérêt de son propre village, ce qui créé des tensions et tiraillements qui ont fini par avoir droit de la structure contenante. L’alternative consensuelle a découlé qui consiste à créer cette coordination en instituant des règles devant limiter les risques d’échec : réfléchir, revendiquer et mettre en œuvre ensemble des projets au profit de tous les villages pour éviter les dissensions, instituer une structure informelle basée sur un fonctionnement horizontal pour déjouer des tentatives de récupération de la structure par les pouvoirs publics et multiplier des réunions dans le milieu naturel de la thajemaâth, les espaces publics, pour susciter la prise de conscience et l’adhésion des citoyens.
Constituer d’une vingtaine de membres représentant des comités de villages, qui assistent d’une façon quasi-permanente et d’éléments de la société civile chacun ayant des compétences dans son domaine particulier, qui viennent pour des besoins particuliers renforcer la structure, la coordination des comités de villages de la commune de Tizi-Gheniff (CCVCTG) a, depuis sa création en 2009, organisé près d’une centaine d’assemblées générales pour discuter des problèmes à régler et des voies à suivre pour les solutionner. Elle a également tenu une vingtaine de réunion avec les autorités locales (chef de daïra, wali, élus locaux et responsables des différents services publics) autour de la plateforme de revendication prédéfinie.
Ayant une plateforme de revendications qui contient toutes les insuffisances constatées en matière de services publics, la CCVCTG a réussi à solutionner d’une façon acceptable quelques problèmes concrets qui sont jugés prioritaires par la population de la commune :
Outre ces projets, la CCVCTG a réussi à apporter des améliorations au niveau de quelques services publics, comme l’aménagement et la mise en service d’un centre de santé et l’aménagement de fontaines publiques. Elle a également lancé des débats sur la nécessité de solutionner plusieurs autres problèmes liés à la qualité des services publics, qui, malgré les efforts fournis pour les concrétiser, restent toujours pendants.
Dans une conférence-débat [26] organisée au niveau du chef-lieu de la commune sur le pourquoi les différents acteurs du développement local au niveau de la commune n’arrivent pas à dépasser la situation dominée par des conflits bloquants, les acteurs présents ont relevé essentiellement :
A la place de la posture de la bonne gouvernance, c’est-à-dire de l’acceptation de l’existence d’une diversité d’acteurs et de la nécessité de partager la prise de décision, les responsables locaux optent pour la posture bureaucratique permettant de mettre en échec l’implication de l’autre par des méthodes de diversion et de confrontation.
En s’en tenant aux avis croisés des auteurs des trois expériences étudiées, nous avons pu dévoilé le fait que, au-delà des spécificités qui sont liées à la nature du contexte et aux objectifs de chaque structure, les trois formes de manifestation de l’économie solidaire en Kabylie partagent des éléments communs donnés par le croisement des apports des membres de l’organisation en tant que sociétaires, de la société civile en tant que bénéficiaires, des pouvoirs publics en tant que partenaires, des contextes et partenaires occidentaux comme repères, incitateurs et financeurs et de la a jonction entre les valeurs ancestrales et les générations actuelles en tant que facteur régénérateur de l’idéologie et des pratiques locales.
Les membres de l’organisation en tant que sociétaires
Les membres des organisations en tant que sociétaires sont à considérer dans le contexte de la Kabylie comme étant des éléments moteurs par lesquels des activités de l’économie solidaire se réalisent. En effet, c’est d’après les animateurs interrogés, leur « bonne volonté d’aller de l’avant dans le travail de bénévolat (qui) fait avancer le travail » concret des structures de l’économie solidaire. Par ailleurs, leur « écoute et (leur effort de) prise en charge des problèmes des citoyens », pense Moh Feddakh, membre de la CCVCTG, est une autre qualité de ses membres qui donne la légitimité et la crédibilité à ce qu’ils font. De l’autre coté, les animateurs interrogés n’omettent pas de souligner les limites de ces membres, qui se rapportent au « manque de formation et d’expérience et (à) l’incapacité à mobiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication comme moyen d’action, (ce qui donne) des retards et des insuffisances » dans la réalisation des objectifs, analyse Moh Fedhakh. Ceci rejoint l’idée de Parodi que si les acteurs de l’économie solidaire « ne sont pas souvent reconnus par les acteurs clés de la gouvernance territoriale que sont les élus locaux et leurs services techniques, c’est sans doute parce qu’ils ne sont pas suffisamment dotés des outils intellectuels et techniques permettant de faire prendre en compte la valeur ajoutée économique et l’utilité sociale spécifique qu’ils peuvent générer » ( 2005 : 40 et 41).
Les membres de la société civile en tant que bénéficiaires
L’engagement des membres de la société civile dans les activités des structures de l’économie solidaire en Kabylie, en tant que bénéficiaire des projets portés par ses structures, divergent selon la nature de celles-ci. Dans le cas de la coordination des comités villages, qui est un cadre d’animation de l’espace public et de sensibilisation de la société pour faire une force revendiquant la démocratisation de la décision politique, bien que « les citoyens, selon Makhlouf Chikh, animateur de la CCVCTG, apportent une aide lors des actions de protestation, de même qu’ils proposent des aides matérielles (moyens financières et moyens de transport pour les déplacement) », dans le processus global allant de la réflexion à l’action, ces membres, souligne Makhlouf, « se manifestent individuellement lorsqu’ils ont un problème individuel à exposer et (le reste du temps), ils sont totalement désintéressés », comptant sur la coordination qui est sensée, d’après leur vision, leur faire tout. Par contre, au niveau des structures associatives partant des projets socioculturels et environnementaux de la dimension d’un village, les choses se présentent d’une façon différente. En effet, avec thajemaâth n Djebla, qui a un caractère associatif, les citoyens, d’après Farid Ahmed, président de l’association, « lorsqu’ils font la population cible, encouragent l’action associative et s’impliquent pour sa réussite, et dans le cas des actions qu’ils jugent négatives ou sans intérêt, ils adoptent une attitude de blocage et de sabotage ». Par contre, dans le cas du village de Zouvga, dont la structure est un comité de village fonctionnant selon les normes traditionnelles, les citoyens du village, souligne un membre actif de ce comité, « s’impliquent totalement dans toutes les activités allant de la prise de décision, en passant par la mise en œuvre des projets jusqu’au contrôle du travail accompli ».
En somme, la société civile en Kabylie, joue, à un certain degré, le double rôle de contrôle et de partenariat dans la réalisation de projets d’économie solidaire, mais elle reste agie plus par les principes de la solidarité communautaire que par la logique de l’espace public moderne.
Ainsi, des auteurs spécialistes ont raison de souligner l’importance que la responsabilité de la société civile fasse dans le territoire une barre parallèle et symétrique aussi solide que celle faite par la responsabilité politique pour éviter la déstabilisation du progrès social, et de rappeler que l’enracinement des activités de l’économie sociale et solidaire relève aussi de la responsabilité des acteurs de la société civile [Flahaull et al., 2011 : 25].
Les pouvoir publics en tant que partenaires
Les pouvoirs publics ne sont pas favorables à l’implication des acteurs de l’économie solidaire et de la société civile par la co-construction de projet d’intérêt général ou collectif. Ceci explique le grand décalage existant entre les attentes des acteurs de l’économie solidaire et de la société civile qui, en faisant la comparaison entre la situation de leur territoire avec celle des territoires qui se transforment et se développent, essayent d’améliorer le quotidien des citoyens en améliorant les services collectifs, d’une part et les réponses des pouvoirs publics qui, en ignorant la nature dynamique des besoins de la population, se font gagner par la facilité consistant à reproduire un possible à l’infini, d’autre part.
En effet, l’économie solidaire et la société civiles agissantes en Kabylie se construisent en confrontation avec les pouvoirs publics. Ceci est surtout valable avec la coordination des comités de village dont les membres s’insurgent contre le « non respect des engagements pris lors des réunions de travail » par les représentant des pouvoirs publics, l’« absence d’initiatives de la part des élus locaux pour faire participer l’organisation de la société civile dans leurs commissions officielles » de travail et « l’administration (qui) considère la structure de la société civile comme un concurrent qui essaye de faire des intrusion dans l’espace d’action qui lui est réservé » par la loi.
Avec les structures n’ayant pas un caractère revendicatif et politique, thajemaâth n Djebla et le comité du village Zouvga en l’occurrence, même si des situations de tension conflictuelle avec les pouvoirs publics et des élus locaux ne sont pas signalées, ces derniers sont jugés par les animateurs des structures associatives d’une attitude « opportuniste » consistant à « se mettre en avant lors des cérémonies et festivités présentant des possibilités importantes d’amélioration de leur image » regrette Farid Ahmed, le président de l’association Djebla. Autre l’opportunisme, les élus locaux et les pouvoirs publics en général « ont une attitude suspect vis-à-vis des structures de la société civile autonomes qu’ils bloquent par des mesures bureaucratiques et par des financements affectés essentiellement aux associations qui leurs sont affiliées [27] et qui font dans le cérémonial », déplore Makhlouf Chikh.
Cependant, aussi minime soit-elle, la contribution des pourvoir publics au développement local solidaire est là qui montre que lorsque les structures villageoises parviennent à s’illustrer avec des projets concrets, ces pouvoirs publics se trouvent forcés de contribuer au moins pour montrer leur implication dans les initiatives locales et, ainsi, sauver leur image : avec le projet d’acheminement de l’eau potable du village de Zouvga, « la wilaya, dit Lamara, un membre de l’association sociale du village Zouvga, la wilaya a contribué avec une enveloppe de 14 millions de centimes dépensés dans le captage des 14 sources ». De même que concernant la rémunération des chauffeurs des engins de ramassage des déchets, continue Lamara, « le village contribue en partie au payement des salaires du chauffeur et de son assistant, mais la commune apporte sa contribution par leur prise en charge dans le cadre du filet social ». Cet effort de partenariat avec les pouvoirs publics n’est pas spécifique au village de Zouvga puisque, dans le projet de restauration du village traditionnel de thajemaâth n Djebla, « l’aménagement des voies et accès du village en pavage de pierres, (a été) à la charge de la municipalité et réalisé dans le cadre des Plan Communal de Développement », certifie le porteur du projet, Farid Ahmed.
En conséquence, il est légitime de dire qu’en Kabylie, l’économie solidaire est réduite dans son expression pratique par l’absence de ce que Parodi appelle « l’acteur public, garant de l’intérêt collectif via le concept de gouvernement et de gouvernance locaux » [2005 : 27].
Les contextes et partenaires occidentaux comme repères, incitateurs et financeurs
Il est établi que la mondialisation impacte négativement la situation des pays du Sud gérés selon les lois du marché et/ou la logique étatique, dans la mesure où, les règles de concurrence exigent, ces pays, ayant des institutions et entreprises peu innovantes et peu regardantes sur les questions de rationalité et de qualité, sont toujours perdants dans les rapports d’échange internationaux.
Avec les villages de Kabylie, par contre, les liens avec les contextes et partenaires occidentaux semblent leurs être bénéfiques aux moins de deux façons. D’abord par leurs modes d’être, ces contextes se font miroirs dans lesquels les villageois de la Kabylie voient leurs insuffisances et les actions à entreprendre pour les combler. Ensuite par les opportunités de partenariat avec des associations, des ONG et des ambassades étrangères, les associations de Kabylie obtiennent en même temps des moyens de financement et des capacités d’expertise considérables. Lamara de l’association du village de Zouvga indique que « la salle de jeune a été réalisée grâce à l’ambassade du Canada ». Farid Ahmed, président de l’association thajemaâth n Djebla qui, comme nous l’avons précédemment présenté, a réalisé l’essentiel de ses activités en partenariat avec des ONG, évoque, pour sa part, le fait que les partenaires étrangers permettent d’apprendre de nouvelles méthodes et de trouver des solutions appropriées : « en 2012, on a participé, durant le Festival international du tourisme solidaire, à une caravane entre Oujda et Tiznit, dit Farid Ahmed. Vous voyez ça, enchaine-t-il en touchant du bout des doigts un filet incrusté dans le toit en chaux d’une maison restaurée, on a placé ces filets dans chaque trou d’aération sur tout le plafond, qui sert à dégager la fumée du foyer central, qu’on appelle chez nous “kanoun”. C’est une astuce marocaine pour s’assurer que ni la poussière ni les insectes n’entrent dans la maison par ces trous d’aération ».
La jonction entre les valeurs ancestrales et les générations actuelles
Au village de Zouvga, l’organisation de Thimechret est toujours de mise, et pour les citoyens du village, il est important de la maintenir, parce que, argumente un d’eux, « c’est une tradition (…) qui a toute sa place à ce moment-là, car elle crée du lien social, et est aussi un moment fort de solidarité et de partage, tout en étant festif. Le montant de la contribution de chaque famille ou de chaque participant qui le souhaite, par exemple pour bénéficier d’une part personnel à offrir à des nécessiteux, des amis ou personne de son choix, est fixée lors d’une réunion de l’assemblée du village. En 2010, elle était de 4.000 dinars par famille ou participant soit 30 à 35 euros environ ». Ces fêtes traditionnelles, permettent de renflouer les caisses de l’association du village organisateur : en plus de leur contribution obligatoire, il y a toujours des membres qui donnent une l’waâdha (don), officiellement pour accéder à la grâce des ath rebbi (les détenteurs d’un pouvoir divin) et indirectement pour renforcer son pouvoir symbolique : « Au village iguersafene, s’exclame Kamal, un membres de l’association ALMA, heureusement qu’il y a beaucoup de bienfaiteurs, des citoyens qui font des dons au profit du comité de village par tradition, mais rarement des dons aux associations, parce que ces dernières perçoivent des subventions étatique ». Souvent, pour cet enjeu de renforcement du pouvoir symbolique, on assiste dans les thimechret à un renchérissement dans l’offre de don, ce qui permet au comité de village organisateur d’avoir des fonds nécessaires pour la réalisation de ces projets d’intérêt général. C’est le cas par exemple de la fête Asensi n Uzru n T’hour : « Chaque été, plus de 15 000 personnes, selon les organisateurs, foulent le sommet d’Azru n’Thor, le « Rocher du Zénith », rendant hommage à la montagne mystique. Les communes d’Aït Adella, de Zoubga et de Taourirt Aït Atsou organisent en alternance cette manifestation estivale importante, fournissant, grâce à des dons financiers individuels, repas gratuits et service de sécurité formé de villageois armés. La manifestation permet de réunir près de 2 millions de dinars de dons par an, dont une grande partie, qui ne sert pas l’entretien du site et la waâda suivante, va aux travaux d’utilité publique dans ces trois communes » [Celine, 2006].
Ce retour aux sources qui se réalise en Kabylie depuis près de deux décennies ne se fait pas seulement par nostalgie ou pour recréer des moments de festivités et de retrouvailles, c’est plutôt et globalement l’ancienne idéologie territoriale qui souffle à nouveau, faisant renaître avec elle le substrat économique local (festivals économiques, volontariat pour projets d’utilité collective, renaissance d’activités artisanales). La restauration du village traditionnel au village de Djebla, par exemple, outre la relance des activités traditionnelles que ça permet, c’est la création d’une dynamique de développement de tout le territoire qui est visée, comme l’explique Farid Ahmed : « nous avons voulu restaurer Djebla pour faire du tourisme solidaire, pas de masse. Le tourisme solidaire s’intéresse plus à l’humain, au territoire. C’est un véritable partage de richesses, tout le territoire en profite ».
Contre la vision dominante consistant à dire que, pour l’existence par la solidarité spécifique en Kabylie, tout est perdu, les cas concrets de pratiques des activités solidaires dans ce contexte socio-historique présentés dans ce travail montrent que des choses intéressantes s’y font présentement dans la pratique, même si la tâche se présente ardue. L’idéal s’en est transformé en le réalisable par l’interférence de deux éléments nourrissants. D’abord les traditions fondamentalement solidaires de la Kabylie, qui mettent à la disposition des acteurs de la société civile des formes organisationnelles, des valeurs et des normes qui permettent de sensibiliser facilement et de construire des projets sereinement.
Dans des situations critiques, les citoyens jettent un regard jaloux vers les ancêtres qui, face à la rigueur de l’adversité et aux attaques des adversaires, ont su construire par eux-mêmes des mécanismes de solidarité ayant permis à la culture locale de traverser indemnes des siècles et à la société de se maintenir dans l’harmonie par la fraternité égalitariste et l’union solidariste. Le passé scruté leur renvoie un patrimoine institutionnel ayant fait ses preuves qui, étant collectivement intériorisé par le passé, ne demande qu’à être invoqué puis convoqué pour ressurgir. Ensuite la modernité qui, par le moyen de la mondialisation, qui a instruit les contextes locaux de l’échec du binôme Etat-marché dans le traitement des problèmes de chômage, de décohésion sociale et de perte de sens et de la nécessité de s’appuyer sur les patrimoines locaux pour mieux exister dans un monde fait de territoires en inter influence dynamique, où on se valorise par la mise en valeur des spécificités et on se renforce par l’inscription de soi dans la logique d’altérité.
L’économie solidaire actuelle en Kabylie se réalise donc par le phénomène de résilience systémique, c’est-à-dire par des pratiques renouvelées par la reproduction d’une partie du capital culturel ancien et l’intériorisation adaptative des éléments substantiels des pratiques solidaire relevant de la modernité. Ces mutations, que nous considérons des transformations et innovations sociales, se font d’une façon douce, presque invisible, en réponse à des chocs positifs provoqués par la mondialisation (ONG, échanges culturels transnationaux …) et des chocs négatifs provoqués par des pouvoirs publics (pratiques discriminantes travaillant le nivellement des spécificités locales et l’étranglement de l’autonomie décisionnel).
Les valeurs traditionnelles de don et de réciprocité positive, comme l’waâdha et thimechret, sont tellement vivantes dans la Kabylie actuelle qu’à Philipe Chanial qui annonce son hypothèse de travail selon laquelle, dans les différents rapports sociaux,« tout n’est pas don, mais en même temps, il n’est pas illégitime de faire le pari que les autres modalités du rapport social, qui ne sont pas du don, ne peuvent être comprises sans le don » [2009], nous pouvons répondre, pour le rassurer, que dans ces villages de Kabylie où l’économie solidaire est vivante pour et par des transformations sociales spécifiques, son pari est bien tenu.
En somme, toute l’importance de ces expériences étudiées réside surtout dans le fait qu’elles réalisent une « jonction entre ces jeunes générations (actuelles) qui sont dans le faire avec les discours les plus anciens qui ont une conscience historique » [Caillé, 2016]. Elles le légitime et en même temps elles lui donnent plus de précision : ces discours anciens, ce n’est pas seulement les théories du capitalisme, du socialisme et de l’anarchisme, c’est, pour la société Kabyle par exemple, son patrimoine de savoirs ancestraux, en partie incrustés dans les façons traditionnelles d’être et de faire, entre soi et avec les autres.
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Tissegouine S. (2013), Session de l’APW de Tizi-Ouzou : le budget primitif voté à la majorité et guerre des mots. [En ligne]. http://www.tamurt.info/session-de-lapw-de-tizi-ouzou-le-budget-primitif-vote-a-la-majorite-et-guerre-de-mots/. Posté le 23 décembre 2013. Page consultée le 20-12-2016.
Zoreli M-A. (2004), « Matoub Lounes, de la vie tragique à l’œuvre mythique », in Le matin d’Algérie, quotidien électronique d’information. [En ligne]. http://www.lematindz.net/news/21092-lounes-matoub-de-la-vie-tragique-a-loeuvre-mythique.html. Posté le 25 juin 2016. Page consultée le 25 février 2017.
Zoreli M-A. (2004), « Les structures socioculturelles, économiques et politiques de la Kabylie précoloniale », communication au colloque international, « la décentralisation au service du développement local », les 27 et 28 novembre, Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, Algérie.
Zoreli M-A. (2010), « l’économie solidaire en Kabylie, une économie de l’union et de la fraternité », communication au colloque international « Développement Durable, Communautés et Sociétés » qui s’est déroulé les 16, 17 et 18 Juin 2010 à la Fonderie de Mulhouse, France.
[1] Ce travail est une version approfondie de la communication intitulée : « Le territoire de la Kabylie : une logique de solidarité par le croisement des traditions et de la modernité », présentée au colloque international « Rouen un berceau de l’économie solidaire ? Une approche territoriale comparée de la mutualité et de la coopération du XIXe au XX e siècle », qui s’est déroulé les 2 et 3 octobre 2014 à l’Université de Rouen - Maison de l’Université. Nous voulons ce travail soit également un hommage à feu Lounes Matoub, le demi-dieu du peuple kabyle, qui a réussi à léguer une œuvre presque surdivine en faisant de toute sa vie un don de soi si généreux qu’il constitue le meilleur levier pour la réalisation des aspirations de tout son peuple vers le mieux être en étant soi-même [Zoreli, 2016].
[2] Concernant ce point, voir, par exemple, l’article de presse rapportant le fait que, « grâce à une gestion atypique de la protection de son environnement, de la lutte contre les pollutions de tous les genres, de la gestion rationnelle des déchets, de la sensibilisation des ménages, le village Iguersafène a réussi son pari, celui d’arracher la première place dans le concours Rabah Aissat 2014, du village le plus propre (…), les villageois ont décidé de s’organiser sans l’aide de quiconque, à commencer par les autorités. Ils ont de tout temps refusé l’assistanat et cela leur réussi admirablement » [Nath Oukaci, 2014 : 17].
[3] « Dans les zones rurales particulièrement en Kabylie (…) les différentes formes de solidarité villageoise et la fierté montagnarde font qu’il était quasiment impossible de rencontrer des mendiants. C’était une grande tare et un grand déshonneur pour tout le village dont est issu le mendiant ou la mendiante. Mais depuis quelque temps, l’on s’aperçoit malheureusement que ce phénomène a bel et bien gagné le milieu rural. » [Lounès, 2007], un indicateur de la supériorité de la logique réciprocitaire en termes de régulation relativement au marché et /ou à l’Etat.
[4] Pluriel de thajmaâth qui signifie à la fois une assemblée politique qui fonctionne à la façon de l’agora grec avec, en plus, le droit à la parole pour tous les membres du village et la prise de décision par consensus général, et un espace public de proximité qui « appartient à tout le monde. On y vient pour tenir un langage d’homme, regarder les autres en face. On y vient pour écouter les vieux et enseigner les jeunes. On y vient pour ne pas céder sa place » [Feraoun, 2011 : 13-14].
[5] Dans la Kabylie ancienne, pour exercer une fonction religieuse, il est impératif, pour l’individu prétendant, de justifier sa filiation maraboutique. Les marabouts dans l’imaginaire collectif de cette société font une race spécifique ayant une bénédiction et devant avoir une neutralité vis-à-vis des situations de conflits entre personnes, villages ou tribus. Exemptés de plusieurs tâches économiques et de toutes les activités politiques et guerrières, les marabouts dans la société kabyle ancienne sont chargés de donner une teinte religieuse aux cérémonies et de faire une intermédiation pour régler les conflits d’une façon juste.
[6] L’aumône au nom des morts commence dès le troisième jour du décès d’un proche lorsque sa famille passe voir une nécromancienne par la bouche de laquelle celui-ci exprime des désirs de nourriture ou d’habits que les siens ne manqueront pas d’offrir en son nom aux pauvres. A ce propos, Genevois a rapporté des propos d’une femme kabyle disant que si le décédé « ne demande rien, nous lui portons de la fressure préparée avec du couscous : c’est de la viande sans os… » [1969 III : 54]
[7] Une multitude d’autres rites sont pratiqués dans la Kabylie ancienne pour faire en sorte que les enfants du village n’aient pas une frustration relative. Durant la fête taâchurth, « les femmes font cuire les crêpes et les distribuent aux enfants qui vont à leur quête, de porte à porte (…) Personne ne les renvoie les mains vide. On leurs donne en présage de bonheur, des crêpes et des œufs. Ils quêtent ainsi jusqu’à l’heure du déjeuner : alors, enfin, ils se partagent ce qu’ils ont recueilli. » [Genevois, 1969 III : 34] égalitairement. Dans d’autres fêtes, selon les plats préparés en la circonstance, ils quêtent et se partagent de la même façon d’autres produits, comme la viande. Ces rites permettent en plus d’inculquer aux enfants les valeurs d’égalité, de fraternité, d’entraide, de travail collectif et de régulation solidaire.
[8] Pluriel d’aâessas.
[9] « Les membres du comité de village Zoubga qui rappellent que leurs aïeux avaient également réservé une chambrette pour héberger leurs hôtes, notamment les marchands ambulants de jadis, et une écurie pour leurs bêtes » [Adrar, 2013].
[10] A la fin des récoltes, les familles trient à part les fruits et légumes de bonne qualité pour en faire un lot duquel on détermine une part qu’on donne aux nécessiteux pour que les divinités préservent tout ce qui appartient à la famille, animal, humain, champs et récoltes, du mal.
[11] Lorsqu’un citoyen du village perd une tête de bétail par maladie, ses voisins lui donnent une compensation monétaire à parts égales. De même que si en cognant avec sa tête, un mouton venait de se faire blesser mortellement, le propriétaire accourt pour l’égorger, et ainsi il envoie de la viande des parts égales à ses voisins qui, en retours, lui payent la viande reçue, lui permettant ainsi de compenser la perte.
[12] Un Kabyle se trouvant à l’extérieur du territoire des Kabyles désigne systématiquement l’autre Kabyle qu’il croise d’enfant du pays. Cette désignation contient une charge de proximité imposant un soutien mutuel.
[13] L’objectif de la francisation puis l’arabisation des institutions formelles locales est d’avoir une société sinon assimilé, du moins soumise.
[14] Zouvga est un village de la commune d’Illilten située à près de 70 km au sud-est du chef lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou. Comme son nom l’indique (Zouvga est un mot Kabyle qui signifie dépotoir ou décharge), le village de Zouvga, avant de devenir un espace de vie humaine, fut d’abord un espace de décharge pour déchets ménagers.
[15] Le concept d’innovation est emprunté au vocabulaire de l’économie orthodoxe et est chargé d’un sens qui l’inscrit dans la logique libérale. C’est pourquoi, malgré son avantage d’être une clé qui permet une entrée sur le réel, nous lui préférons le concept de transformation qui, malgré son l’inconvénient d’être imprécis, permet, entre autres, de substituer le principe de propriété collective à celui de propriété individuelle et le principe de réalisation du bien être collectif à celui de réalisation de l’objectif d’amélioration du profit des entreprises privées.
[16] « Les communes de Aït Adella, Zoubga et Taourirt Aït Atsou organisent en alternance cette manifestation estivale importante, fournissant, grâce à des dons financiers individuels, (des) repas gratuits (…) Tous les étés, les habitants de la région se retrouvent sur la montagne, partageant le même couscous. La famille M (…) fait partie de ces lignées rompues à la tradition. La grand-mère, revêtant sa plus belle robe traditionnelle, à couleurs vives, rouge et jaune, ne manquerait l’événement pour rien au monde. Même au prix d’une randonnée d’une petite heure, sous la chaleur, et qui ressemble parfois plus à une séance d’escalade lorsque la piste de sable fait place aux roches saillantes à l’approche de la cime. Au terme de sa marche, elle pourra prier les saints de la montagne d’exaucer son vœu. Celui de marier son fils, encore célibataire à bientôt 40 ans (…) Perpétuant les traditions, la waâda d’Azru n’Thor accueille plusieurs marabouts et vieilles femmes « saintes » qui, aux différentes étapes du pèlerinage et contre quelques billets, vous offrent la baraka jusqu’a l’année suivante » [Celine, 2006].
[17] A titre d’exemple, le budget primitif adopté de la wilaya de Tizi-Ouzou, qui contient 67 communes, pour l’année 2014 est de 954.024.725, 00 DA [Tissegouine, 2013].
[18] Nous pouvons citer l’exemple des déchets ménagers : par le passé les déchets étaient jetés par les familles Kabyles chacun dans un coin spécialement réservé dans ses propres champs ; aujourd’hui, dans le village de Zouvga, la thajemaâth interdit cette pratique et sanctionne tout contre venant d’une amende de 1 000 DA.
[19] Le prix du village le plus propre a été institué par l’Assemblée Populaire de la Willaya de Tizi-Ouzou pour récompenser les trois premiers villages les plus propres sélectionnés et, par la-même, inciter, par cette compétition, tous les villageois de la wilaya à s’inscrire dans la logique de préservation de l’environnement et de développement durable.
[20] Le village de Djebla est sis dans la commune de Beni Ksila, située à près de 70 Km au nord-ouest de la wilaya de Bejaia.
[21] Tameghra ou amenzu n tefsuth (fête du premier jour du printemps) est une fête traditionnelle qui s’organise dans toute la Kabylie ancienne. Durant le premier jour du printemps, les filles et les femmes du village se rendent le matin aux champs et collectent des meilleures fleurs et plantes en vue d’en faire un repas varié dans toutes les maisons du village, constitué, entre autres, d’agheroum ou djedjig (le pain contenant des fleurs) et de seksou ou dheryis. Ce dernier, explique Farid Ahmed, président de l’association thajemaâth n Djebla, « est un plat de couscous aux légumes cuits à la vapeur, et mélangés à Adheryis (la thapsia) après sa cuisson. Ce repas est agrémenté de viande sèche, de pommes de terre, d’œufs, cuits à l’eau ainsi que de grains de fèves, le tout cuits également à l’eau ».
[22] AMUSNAW est une association de la wilaya de Tizi-Ouzou qui a, entre autres, réalisé des projets d’analyse et d’encadrement des activités de tourisme solidaire en Kabylie.
[23] Pour donner quelques éléments illustratifs, la commune d’Azazga, qui est en même temps un chef-lieu de daïra, dispose d’un hôpital, de succursales de toutes les banques nationales et des plus grandes banques étrangères implantées en Algérie, de représentants de tous les concessionnaires automobiles et de toutes les infrastructures culturelles et sportives. La commune de Tizi-Gheniff qui est, elle aussi, un chef-lieu de daïra, ne contient pas de succursales bancaires et représentants des concessionnaires automobiles, et ses infrastructures socioculturelles et sportives sont très limités et peu équipées.
[24] Sur un ensemble de près de dix maires ayant depuis l’indépendance présidé aux destinées de la commune de Tizi-Gheniff, un seul dispose d’un diplôme universitaire ; la majorité n’a même pas atteint le niveau de formation secondaire. Ceci explique en partie, le fait que cette commune a eu la première place au niveau de la wilaya de Tizi-Ouzou en 2012-2013 et en 2013-2014 en matière de faible niveau de consommation du budget communal.
[25] Le wali en Algérie est le dépositaire de l’autorité de l’Etat dans la wilaya, plus grande subdivision administrative du pays.
[26] La conférence intitulée « les acteurs du développement local : vers le dépassement des clivages, comment bien négocier le virage ? » a été organisée le 13-06-2014 au foyer de jeunes de Tizi-Gheniff.
[27] A ce propos, Malek Hessas, représentant des élus du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie à l’Assemblée Populaire de la Wilaya de Tizi-Ouzou, s’est, pendant la séance de l’APW consacrée à l’étude et l’adoption du budget primitif de la wilaya pour l’année 2014, insurgé en déclarant : « dans la répartition des subventions aux associations chapitre 914 (…), nous relevons que trois associations se sont accaparées 65% de la subvention du BP sans présenter de programme particulier hormis leur proximité avec l’exécutif de l’APW. Si on ajoute à ceci la « ségrégation » dont sont victimes des associations actives, connues et reconnues da la société civile (…), auxquelles les subventions sont interdites (…) » [Tissegueouine, 2013].