Sans doute une des raisons principales qui empêchent l’économie sociale et solidaire de jouer pleinement son rôle est-il le flou relatif de ses fondements doctrinaux. L’auteur montre ici tout le bénéfice qu’elle pourrait retirer d’un retour à l’une de ses sources : le solidarisme. A. C.
A l’heure où les risques contenus dans les conceptions économiques et politiques qui ont prévalu au 20e siècle se font cruellement sentir, la redécouverte de la pensée solidariste constitue une très bonne nouvelle pour tous ceux qui appellent et travaillent à l’émergence d’une « économie sociale et solidaire ». En plus de renouer avec une doctrine qui a joué un rôle important dans la structuration de cette « autre économie » (Azam, 2003), c’est en effet pour eux l’occasion de réaffirmer l’ambition politique d’un mouvement qui est né dans la lignée des mouvements associationnistes du 19e siècle – laquelle ambition est ultimement contenue dans l’idéal moderne d’émancipation des individus (Caillé et Chanial, 2011). Car, on le sait, si les chiffres témoignent de sa bonne santé et que son utilité est le plus souvent reconnue, l’ESS souffre encore à cet égard d’un manque de reconnaissance par rapport à l’économie capitaliste « classique », au sens où ses réalisations n’empêchent pas qu’elle peine à s’affirmer comme un mouvement unifié et capable de renouer avec l’exigence d’universalisation et de transformation sociale qui est au fondement de nos sociétés modernes et démocratiques. Le développement accéléré du domaine des « solidarités volontaires » ces trente dernières années semblant alors se payer au prix d’une incapacité à en désigner les contours autrement que de manière relative et négative, soit en opposition à la croyance que la seule organisation économique efficace et légitime est celle qui fait droit aux mobiles de l’intérêt individuel et passe par le détour exclusif du marché (Caillé, 2003 et 2005).
Aussi, c’est précisément parce que le solidarisme est une pensée politique qui a inscrit l’exigence d’émancipation des individus au fronton de son temple qu’il nous a semblé opportun de voir si, de son épure théorique, on ne pouvait dégager quelques « prises » permettant de se doter d’une acception plus « positive » de l’ESS. Notre objectif étant de faire ainsi un pas un pas vers la constitution de cette « théorie générale de l’ESS » sans laquelle, comme le pense Draperi (2011), le projet sociopolitique qui la fonde risque de ne jamais être pris au sérieux autrement que par ceux qui s’en font les promoteurs. Tel est le point de départ de notre travail dans lequel, en d’autres termes, nous tenterons de montrer que la pensée solidariste pourrait bien être l’un des supports doctrinaux dont l’ESS a besoin pour exister autrement que sous la forme d’une « sous-économie » (Laville, 2011). L’enjeu étant cependant « modeste », en ce sens que nous n’avons pas la prétention de dire exactement ce qu’une théorie de l’ESS devrait être, mais plutôt celle de tracer un « sillon heuristique » qui lui permette d’assumer sa dimension idéologique avec davantage de vigueur et, surtout, de confiance dans son pouvoir de transformation.
Pour ce faire, et à l’aide de nombreuses citations, nous nous appuierons souvent sur la contribution de Serge Audier (2010) qui, en se proposant d’exhumer les textes qui sont au fondement du solidarisme, permet de saisir un peu mieux la cohérence et l’originalité de cette « philosophie officielle de la troisième république » – comme se plaisait à l’appeler Célestin Bouglé, l’un des principaux théoriciens du solidarisme (Bouglé, 1907) [1]. Laquelle est sans doute la doctrine qui, tout en demeurant inscrite dans un régime économique capitaliste, est allée le plus loin dans la définition d’un programme politique, social mais aussi juridique qui soit à même de parer aux inhumanités de la libre concurrence et du « tout marché ». Pour nous, l’objectif sera plus précisément de revenir sur les notions de « dette sociale » et de « quasi-contrat » qui structurent la pensée solidariste par-delà diverses variantes, et cela afin de montrer qu’elles fondent une conception du « vivre ensemble » très proche de celle qui sous-tend – au moins implicitement – l’ESS. L’hypothèse selon laquelle les individus naissent tous « débiteurs » fondant une conception du lien social qui, à travers la place qu’elle ménage à l’idée que la liberté des individus s’accompagne toujours d’un devoir social, correspond assez bien au code de références normatives et axiologiques qui sous-tend l’ESS (section 1). Partant, nous pourrons alors défendre l’idée que, par rapport au déficit politique qui la frappe, l’ESS gagnerait à réapprendre des théoriciens solidaristes les conséquences qu’ils tiraient de leur façon de concevoir le lien social comme étant le produit d’un couplage entre « individualisme » et « coopération », en particulier quant aux appels qu’ils faisaient en faveur d’une « socialisation de la personne » (section 2).
Bien qu’il soit sans doute plus juste de parler du solidarisme au pluriel, étant donné que cette doctrine puise tout autant dans les inspirations gidiennes et la théologie rationaliste de Secrétan que dans le radical-socialisme de Léon Bourgeois et/ou de Célestin Bouglé, il est possible de dégager les grands principes autour desquels les solidaristes prétendent organiser la vie sociale. Véritable « philosophie de la solidarité », le solidarisme se présente en effet comme une doctrine fondée sur l’idée que la justice sociale ne peut exister entre les hommes que s’ils deviennent des associés solidaires, c’est-à-dire capables de comprendre que le monde démocratique ne peut tirer vers une société de secours mutuel sans que tous ne soient pénétrés de leur « devoir social ». Nous commencerons par présenter ce « noyau dur » de la pensée solidariste (a) avant de revenir sur les notions de « dette sociale » et de « quasi-contrat » à partir desquelles les théoriciens du solidarisme ont entrepris de systématiser cette idée selon laquelle les hommes vivant en société sont à toute heure mutuellement dépendants et, pour cette raison même, chargés d’obligation de toutes sortes les uns envers les autres (b).
a. Une philosophie de la solidarité
Si le solidarisme peut être défini différemment selon les points de vue, on sait que le terme est apparu dans les écrits du pasteur protestant Albin Mazel avant de connaître une très forte diffusion à partir de la fin des années 1890 (Audier, 2010). Dans l’univers intellectuel et politique de l’époque, marqué par la montée du nationalisme et de nombreuses tentatives de récusation des idéaux démocratiques (Bouglé, 1907), le solidarisme s’impose alors comme une doctrine sociale, économique, juridique et politique se proposant de combler le fossé entre l’égalité de droit et l’inégalité de fait que le 19e siècle avait contribué à faire apparaître. A l’aide d’une approche centrée autour de l’idée force d’interdépendance spatiale et temporelle de tous les êtres vivants, que ce soit dans l’univers physique et biologique comme dans le monde social et culturel (Bourgeois, 1896 et 1901), l’objectif affiché par les solidaristes était de renouer ainsi avec l’exigence d’universalisation et de transformation sociale dont la Déclaration des droits de l’homme était porteuse (Audier, 2010, pp.112-116) [2].
Car, pour faire écho à une formule célèbre de Tocqueville, il semblait à leurs yeux contradictoire et intolérable que le peuple fusse à la fois misérable et souverain ; c’est à dire misérable sur le plan économique quoique souverain sur le plan politique : « sous le régime démocratique qui fait tous les hommes libres et égaux en droits, qui confère à chacun la même ‘valeur sociale’ et qui, par suite, implique la nécessité du consentement de tous à l’organisation de la société, [l’inégalité de traitement entre les hommes] est intolérable » (Delprat, 1908, cité par Audier, 2010, p.122) ». Pour les solidaristes, un tel écart ne pouvait en tout cas subsister sans que ne soit remise en cause le pacte social auquel se rattachent la plupart des idéaux modernes – qu’ils se réclament « de droite » ou de « gauche » –, celui qui attribue aux individus l’entière responsabilité de leurs réussites et de leurs échecs, comme de leurs valeurs et de leurs opinions. Aussi est-ce dans une visée de réforme qu’ils se sont par conséquent engagés dans la vie publique et politique de la troisième république, tous leurs efforts ayant été orientés vers la défense de cette « vraie république » qui accorde à chacun la possibilité de s’épanouir selon son mérite.
Pour cela, et contrairement aux socialistes qui privilégiaient la notion de « conflit de classes » dans l’analyse de la « question sociale », les tenants de l’approche solidariste ne sont cependant jamais allés jusqu’à remettre en cause la légitimité de la propriété individuelle et/ou le système capitaliste dans son ensemble (Bouglé, 1907). Au reste, c’est même le contraire qui est vrai étant donné qu’ils se sont très largement prononcés en faveur d’un développement de la propriété individuelle : « le développement de la propriété individuelle, non sa suppression, voilà pour moi le but, et mon idéal social est celui dans lequel chacun serait arrivé dans la mesure de la justice à la propriété individuelle » (Bourgeois, 1901, p.34). Pour eux, en effet, la propriété individuelle est la garantie la plus sûre de la liberté quand elle se présente comme une prolongation de la personnalité humaine sur les choses conquises par son travail et nécessaires à son indépendance. Mais étant donné qu’elle revêt toujours une part individuelle et une part sociale (Fouillée, 1884), encore faut-il faire un pas de plus et comprendre qu’une intervention active de la collectivité est du même coup requise pour éviter qu’elle ne demeure le privilège de quelques-uns (Audier, 2010, pp.256-259).
A cet égard, on comprend beaucoup mieux les critiques que les solidaristes adressent à « l’école des économistes », thuriféraires du « laisser-faire » qui ne voient pas que le règne de l’intérêt ne libère pas au même degré l’ensemble de ceux qu’il fait coopérer. Oublieux de la leçon de Smith selon laquelle l’amour de soi (i.e. self love) est une modalité de la sympathie (Dupuy, 1992) et, par conséquent, incapables de reconnaître que l’intérêt bien compris est lui-même vecteur de solidarité, ces derniers, en d’autres termes, seraient à leurs yeux coupables d’avoir trahi le libéralisme authentique des « pères fondateurs » en faisant la promotion d’un individualisme outrancier et immoral. Le résultat étant l’élaboration d’une théorie de la justice « étroite et sèche », où l’égoïsme des individus – « cette racine empoisonnée [dont] sortent des fruits empoisonnés, des passions sordides, indolentes ou violentes, se variant et se combinant à l’infini, suivant les circonstances et les caractères » (Mazel, 1882, p.14) – le dispute à l’ambition d’une vie matérielle réussie (Bouglé, 1907).
A contrario, c’est aussi ce qui vaut aux socialistes quelques louanges de la part des solidaristes, qui leur reconnaissent le mérite d’avoir pris conscience du lien qui existe entre toutes les destinées et, sur cette base, d’avoir montré que le fait de l’association crée entre les hommes un ensemble de droits et de devoirs sans lesquels aucune collaboration n’est possible. Même s’ils n’hésitent jamais à dénoncer le caractère liberticide que revêt parfois la doctrine socialiste, en particulier dans sa version « collectiviste », les solidaristes, en effet, lui savent gré d’avoir rappelé que l’égalité des droits née de la révolution exige de combattre avec âpreté l’inégalité des conditions : « où subsiste la disproportion des conditions, il semble que l’équivalence ne saurait régner dans les conventions entre privilégiés et déshérités. Elles sont viciées d’avance. Le ver est dans le fruit. L’arbre de l’inégalité économique ne peut porter que des contrats injustes » (Bouglé, 1907, pp.137-138).
Tenants d’une doctrine complexe, faite de compromis entre des courants de pensée en apparence antagonistes, c’est ainsi que les solidaristes cherchent « à concilier les résistances du parti libéral et les réclamations du parti socialiste » (Audier, 2010, p.20) en travaillant à la mise en place d’une répartition plus équitable des bénéfices et des charges sociales. Sous la houlette des radicaux-socialistes emmenés par Léon Bourgeois, c’est pour cela qu’ils insistent sur la solidarité qui existe entre les individus des sociétés modernes – appartinssent-ils à différentes classes. Une solidarité qui existe toujours de fait [3], au sens où elle exprime avant tout l’interdépendance qui lie entre eux les êtres par la division du travail – et qui peut être négative dans cette acception scientifique, comme lorsque certains individus profitent de leurs pouvoirs pour écraser ceux qui n’en ont pas. Et une solidarité qui, dans son acception morale, renvoie à un projet sociopolitique qui consiste à « substituer au fait naturel de l’iniquité, le fait social de la justice » (Bourgeois, 1901, p.13). L’important, pour bien apprécier les bases de la doctrine, étant de comprendre que l’une ne va pas sans l’autre, au sens où le passage de la solidarité naturelle à la solidarité sociale ne renvoie pour les solidaristes à rien de plus qu’un degré dans l’évolution (Blais, 2007).
Le parti-pris évolutionniste est donc clair et permet de fonder une « philosophie de la solidarité » qui, dans sa formulation générale, repose sur une déduction des conséquences normatives de la loi de dépendance générale réciproque formulée par la biologie (D’Hombres, 2010). Le fait de la solidarité fait autrement dit place à la norme, c’est-à-dire que le constat scientifique se double d’une prescription morale au sens où l’objectif des solidaristes est de défendre une conception de la société à l’intérieur de laquelle tout serait organisé de façon à ce que les individus puissent bénéficier du bien de l’hérédité favorable tout en évitant le mal de l’hérédité nuisible. Ajoutons que, marque du progrès, c’est d’ailleurs le second sens du mot qui fait référence à ce que les solidaristes pensent être la « vraie solidarité humaine », celle qui « superpose à l’état de fait l’état de droit, à la bataille sauvage des instincts déchaînés la recherche d’une règle commune tutélaire et avantageuse pour tous » (Buisson, 1908, cité par Audier, 2010, p.114).
Proches en cela de l’analyse durkheimienne de la solidarité (Durkheim, 2007, [1893]), c’est à ce stade que les théoriciens du solidarisme en viennent à avancer l’hypothèse cruciale qu’il faut néanmoins aider les individus à comprendre qu’ils ont intérêt à se comporter comme des « associés solidaires » : « on pourrait multiplier les exemples, la conclusion serait toujours la même : l’intérêt de chacun est de travailler au bien-être de tous. La solidarité sociale acquiert par là une importance pratique considérable : la valeur juridique de sa philosophie s’accroît d’une valeur psychologique incontestable » (Ribet, 1904, cité par Audier, 2010, p.120). Sans cette adhésion personnelle à l’idée que les sociétés, comme les organismes, ne se développent que si tous les éléments y concourent vers un but commun, les solidaristes savent pertinemment que leur doctrine aurait de grandes chances d’être perçue comme l’une de ces fameuses « utopies » qui virent le jour tout au long du 19e siècle. En d’autres termes, s’ils insistent sur le caractère « raisonnable » de leur « philosophie de la solidarité », c’est pour rappeler que l’individualisme n’exclut pas la coopération et qu’une telle philosophie peut aider à réaliser l’amélioration profonde des conditions individuelles.
b. La dette sociale et le quasi-contrat social
Et les solidaristes de développer à ce stade la notion de « dette sociale », qui sera reprise par Marcel Mauss dans son essai sur le don (Mauss, 2007, [1924]) et connaîtra un succès fulgurant : « De tous les sentiments nouveaux qui ont germé en silence depuis une ou deux générations au fond de la conscience publique, et dont l’éclosion un de ces jours étonnera ceux qui n’ont rien appris, n’ayant rien observé, le plus fort et le plus profond, c’est le sentiment du devoir social, disons mieux, de la dette sociale qui pèse sur chacun de nous, et dont pendant longtemps nous semblions n’avoir pas plus conscience que de la pression de l’air qui nous enveloppe » (Buisson, 1896, cité par Blais, 2007, p.19) [4]. Déjà en germe chez Leroux et Renouvier, cette notion de dette sociale leur permet d’insister sur ce qui devrait avoir la force de l’évidence à leurs yeux, à savoir que la société précède toujours l’individu – « c’est là un fait d’ordre naturel antérieur à leur consentement, supérieur à leur volonté », écrit Bourgeois (1896) – et qu’à ce titre, l’homme doit une partie de ce qu’il est à l’association humaine elle-même : « s’il n’existe pas, comme le soulignait Durkheim, de partie qui ne soit partie d’un tout, et que celui-ci est plus que la somme de ces parties, on peut convenir que l’homme doit ce qu’il est, en tant qu’individu, à l’association humaine » (Paugam, 2011, p.15).
C’est ainsi que, du langage aux outils, en passant par les pensées, les institutions, les arts et/ou la religion, tout ce dont les individus héritent et ont naturellement en partage est perçu comme l’élément à partir duquel les solidaristes se proposent de penser l’ensemble des connexions qui s’établissent entre les individus dans le cours ordinaire de leur vie. Car pour jouir en toute liberté d’un tel « capital », encore faut-il que ces derniers se soient auparavant acquittés de leur dette envers la société, soit du prix des services que leur ont rendus leurs ancêtres en ayant enrichi ce patrimoine par leur travail – « cette dette contractée envers les ancêtres est immense. Elle renvoie non pas à quelques individus surdoués ou quelques groupes supérieurs mais bien à l’ensemble des hommes qui, par leur interdépendance dans le travail, ont contribué au progrès de l’humanité » (Paugam, 2011, pp.14-15). Tel est le sens profond du solidarisme, approche réaliste et positive de la vie sociale qui recommande de partir du constat selon lequel chaque individu naît en quelque sorte « débiteur », c’est-à-dire chargés d’obligation de toutes sortes envers la société comme Auguste Comte l’avait déjà fait remarquer.
Ajoutons que s’ils revendiquent le caractère « scientifique » de leur doctrine pour mieux consommer la rupture avec les traditions religieuses et affirmer leur indépendance laïque, les solidaristes n’ont jamais fait mystère du fait que leur objectif était de favoriser ainsi l’égalité des conditions pour garantir l’unité des individus (Bouglé, 1907). De ce point de vue, l’insistance sur l’idée d’une dette sociale est donc aussi, pour eux, une façon d’imposer l’idée selon laquelle le droit inconditionnel des individus à la liberté ne va pas sans contrepartie : « le principe de la morale solidariste est que chaque vivant sociable, par le fait seul qu’il naît et développe sa vie individuelle au sein d’une société, profite réellement de tous les efforts sociaux antérieurs et doit, rationnellement, contribuer au bien commun » (Fouillée, 1905, cité par Audier, 2010, p.126). Parce qu’en tant que telle, cette idée selon laquelle les individus doivent s’acquitter d’une dette pour pouvoir jouir de leur liberté n’est pas évidente, au moins aussi peu que ne l’est le passage des sciences naturelles à la philosophie sociale et juridique : c’est une chose de reconnaître une solidarité nécessaire et de prendre conscience d’un héritage, [mais] que c’en est une autre de déduire de cet échange et de cet héritage-là une série d’obligations positives » (Blais, 2007, p.38).
En d’autres termes, si la notion de dette sociale est parlante, au sens où elle permet d’insister sur le fait que nous sommes tous des associés dans le temps et dans l’espace, elle dit surtout l’immense difficulté qu’il y a à vouloir fonder le droit sur le fait – le risque, notamment, étant de tomber dans le « sophisme naturaliste » dont on sait qu’il fait le lit du libéralisme le plus débridé… Et c’est bien pour cela que Léon Bourgeois sera obligé d’emprunter au code civil une notion très ancienne et peu connue de ses contemporains pour réussir le tour de force visant à concilier le fait et la norme et à rendre le remboursement de la dette obligatoire : la notion de quasi-contrat (Bourgeois, 1896). Partant de l’hypothèse que l’humanité est progressivement passée du régime du statut à celui du contrat (Maine, 1861), et insistant sur le risque d’anomie auquel la société moderne se voit par là-même exposée, l’auteur, en effet, opère une analogie essentielle entre le droit privé et le droit public pour rappeler que certaines obligations se forment « sans qu’il intervienne aucune convention, ni de la part de celui qui s’oblige, ni de la part de celui qui s’y est engagé » (art. 1370-1371 du Code civil) [5].
C’est-à-dire que « le point important, et étrangement précurseur, est le fait que ce quasi-contrat, qui n’a jamais été formulé, consiste à placer les associés dans une espèce de ‘position originelle’ d’équivalence. C’est, dit Bourgeois, une sorte de ‘contrat idéal’ qui respecterait la juste volonté des associés, s’ils étaient capables de se mettre chacun à la place de l’autre. Quelles que soient les inégalités de condition, le quasi-contrat postule une ‘égalité de valeur’ entre tous les individus. Il suppose des êtres conscients et libres, qui auraient été capables de ‘discuter’ et de donner leur consentement » (Blais, 2007, p.39). Se référant à une conception du contrat social bien différente de celle que véhicule la tradition du droit naturel, c’est ainsi que Léon Bourgeois se réapproprie le contractualisme politique pour montrer que la liberté et la solidarité participent d’une seule et même réalité anthropologique et que, loin d’être antinomiques, elles concourent ensemble à la genèse d’une démocratie non moins sociale que libérale [6]. « Sociale » dans la mesure où elle contribue au développement d’une économie qui se fait fort de répondre aux besoins sociaux qui émanent d’un modèle de développement souvent coûteux sur le plan humain – et cela aussi bien grâce à l’action des pouvoirs publics qu’à la spontanéité et la bonne volonté du tissu associatif et coopératif. Mais néanmoins « libérale » étant donné que les solidaristes n’en restent pas moins attachés à l’idée que, ce faisant, l’objectif n’est pas de faire le procès de la liberté mais, au contraire, de favoriser l’émergence d’une « cité de consciences autonomes » (Michel, 1901, cité par Blais, 2007, p.255).
En témoignent les très nombreuses « applications socio-économiques » du solidarisme qui, de l’hygiène au chômage, en passant par les questions relatives à l’habitat, aux accidents du travail, à l’assurance-maladie ou encore aux retraites (Audier, 2010, chapitre 9), sont la preuve que l’objectif des solidaristes n’est pas seulement académique et/ou idéologique mais qu’il vise surtout à légitimer des actions qui soient orientées vers la défense de l’individu tout en étant mises au service de la justice sociale via l’exigence républicaine de solidarité : « le dôme philosophique que nous construisons est assez large pour recouvrir du plus grand aux plus infime tous les faits sociaux, qui, spontanés ou suscités par des initiatives fécondes, demanderont à se blottir dans le giron de la solidarité : la mutualité, la coopération, la participation aux bénéfices, le crédit agricole, le crédit populaire, l’assistance mutuelle, les retraites ouvrières, les associations maternelles, et cent autres faits prévus ou imprévus, dépendant des circonstances et du milieu, nous les rangeons sous la même formule, en une collaboration intense à l’œuvre commune de la réalisation de la solidarité » (Ribet, 1904, cité par Audier, 2010, p.118) [7].
Au total, c’est d’ailleurs au regard de ses applications pratiques que l’on peut dire de la pensée solidariste qu’elle constitue un cadre apparemment « naturel » pour accompagner le développement de l’ESS. Non seulement parce que, témoignage du fait que le mouvement historique ayant donné naissance aux démocraties modernes ne peut s’analyser exclusivement comme un « mouvement vers l’individualisme » (Chanial, 2009), elles ont souvent été mises en œuvre par les acteurs historiques du mouvement (associations, mutuelles et coopératives) – au point où l’on peut même aller jusqu’à dire que « mutualisme et coopératisme sont deux expressions de l’associationnisme qui participent d’un grand ‘mouvement solidariste’ » (Audier, 2010, p.40). Mais aussi parce que, derrière ces « lois de solidarité sociale » portés par les solidaristes tout au long de la troisième république, on redécouvre ce qui est le fondement même de l’ESS, soit la volonté de fabriquer un « autre agir économique » pour façonner une « autre société », entendue au sens d’une société à l’intérieur de laquelle plus aucune personne n’aurait à souffrir des effets funestes de la concurrence sociale – ce « principe générateur de toutes les souffrances du peuple » comme le disait Louis Blanc (cité par Rosanvallon, 2011, p.158).
Le rapprochement entre ESS et solidarisme n’étant donc plus, dans cette perspective, qu’une manière de renouer avec la « mémoire oubliée » de l’ESS, à laquelle en effet il est bon de revenir pour rappeler que si l’économie sociale – comme on l’appelait alors – a pris de très nombreuses formes depuis le 19e siècle, elles n’en sont pas moins toutes issues de la même « matrice ». Et, pour plus de précision, de cette « matrice associationniste » (Ferraton, 2007) qui, selon un principe placé au cœur de la pensée solidariste, a toujours promu cette idée-force que l’individualisme n’exclut pas la coopération et que ce couplage peut même aider à réaliser l’amélioration profonde des conditions individuelles sur une base citoyenne. La qualité du lien social dépendant, en ce cas, de la capacité des individus à subordonner leurs intérêts et leurs efforts particuliers à la poursuite d’actions et de fins communes. Ce qui est bien l’enjeu, in fine, de cette « politique de la société civile » (Chanial, 2003) que portent les organisations de l’ESS quand elles proposent d’ancrer les projets économiques dans l’utopie d’une république « sociale et juste » et de pratiques entrepreneuriales se spécifiant par leur caractère collectif (Draperi, 2011). Tout le problème étant alors de savoir comment faire pour que cette proposition ne soit pas juste un étendard que l’on agite pour faire montre d’une apparente « bonne volonté », mais un principe régulateur d’une politique active de soutien à toutes les formes d’identification à autrui qui ne sont pas réduites aux seuls intérêts économiques.
Dans le contexte actuel de fragilisation de notre Etat providence, qui voit l’émergence d’une « nouvelle question sociale » que d’aucuns estiment constituer une question également urbaine, familiale, scolaire voire encore raciale (Paugam, 2011), l’ESS s’impose de plus en plus comme une alternative à l’économie libérale dominante. Pourtant, à y regarder de près, les millions de personnes qui sont concernées par cette économie ne semblent pas avoir conscience d’appartenir à un mouvement constitué et porteur d’un projet de société à part entière. Ce problème est en partie lié au fait que l’ESS peine à s’affirmer sur le plan politique, au sens où cette économie a vu son champ d’action s’élargir à tel point depuis ses origines au 19e siècle qu’il lui est devenu extrêmement difficile d’assumer sa dimension d’idéologie politique de notre temps (a). Après avoir montré que le solidarisme porte en lui les germes d’une « économie politique » fondée sur les exigences que la solidarité fait peser sur tout un chacun, on peut néanmoins penser que l’ESS peut trouver dans cette doctrine de quoi penser cette « re-politisation » des rapports sociaux qui semble nécessaire à son succès (b). La difficulté de ce rapprochement résidant dans le fait qu’il faille alors « éduquer les esprits » de manière à en bien comprendre le sens (c) – lequel réside dans l’idée que l’ESS ne pourra être un « modèle d’avenir » sans que ses promoteurs ne soient tous pénétrés de cet « esprit » de sacrifice de l’intérêt privé dont l’un des plus célèbres solidaristes nous disait qu’il est le seul véritable moteur d’une société de justice (Gide, 1904).
a. Le déficit politique de l’ESS
La qualification rigoureuse de l’ESS est une tâche au moins aussi importante qu’elle n’est difficile. Définie tantôt par le statut des organisations qui se revendiquent des principes de solidarité (mutuelles, coopératives, associations), tantôt par les règles démocratiques que ces dernières adoptent dans leur fonctionnement, voire encore par les valeurs dans lesquelles la plupart disent se retrouver, son caractère protéiforme génère souvent le sentiment qu’il en va, avec l’ESS, d’une nébuleuse dont les frontières seraient particulièrement délicates à tracer (Azam, 2003 ; Caillé, 2003 ; Ould Ahmed, 2010). Par exemple, qu’y a-t-il de commun entre une auto-école sous statut associatif, une complémentaire santé gérée par une mutuelle et une société de transport sous statut coopératif ? Ou entre une fondation d’entreprise valorisant des actions de type mécénat, une centrale d’achat dans une coopérative de consommateurs et l’association des paralysés de France ? On le voit d’emblée, l’ESS recouvre un spectre tellement large d’activités, intervient dans des secteurs si divers, porte des projets à ce point différents, qu’il pourrait presque paraître incongru de vouloir définir ce qui fait son identité –celle-ci semblant alors relever davantage du kaléidoscope que du système bien défini (Caillé, 2003).
C’est d’ailleurs pour cette raison que le syntagme « économie sociale et solidaire » est lui-même très loin de faire consensus, preuve que l’ESS manque de cette unité que les esprits rigoureux aiment retrouver dans l’élaboration des concepts : « l’opinion publique comprend toujours aussi mal ce que signifie concrètement ce terme d’ESS, tandis que la grande majorité des économistes, sociologues, politologues et philosophes considèrent qu’il s’agit d’un non-sujet, mis à part la petite troupe des universitaires spécialistes du sujet, très souvent acquis à la cause » (Frémeaux, 2011, p.43). Pour certains, il en irait même carrément d’un oxymore quand, associant la « solidarité » à l’« économie », les thuriféraires de l’ESS négligeraient que cette dernière est par définition unidimensionnelle, parce qu’enracinée dans l’anthropologie libérale et fondée sur l’égoïsme de l’homo oeconomicus (Latouche, 2003). Querelle de mots qui montre bien que, porteuse des aspirations de multiples communautés, l’ESS est dans tous les cas traversée par des contradictions qui ne sont pas faites pour garantir la légitimité qu’elle semble pourtant mériter quand on connaît l’importance du rôle qu’elle joue dans nos sociétés.
Ajoutons que ce problème est d’autant plus profond que les frontières de l’ESS sont aussi travaillées par l’économie libérale dominante. En effet, depuis que l’idée s’est imposée selon laquelle un impératif de justification structure toute forme de vie sociale, y compris par conséquent celle de l’entreprise capitaliste classique (Boltanski et Chiapello, 1999 ; Eymard-Duvernay, 2004), le traditionnel couple d’opposition entre sociétés de capitaux œuvrant à la maximisation du profit et organisations de l’ESS œuvrant à l’intérêt général a largement perdu de sa pertinence analytique. Avènement de la « responsabilité sociale de l’entreprise », défense du « commerce équitable », plaidoyer pour un « développement durable », croissance de l’entrepreneuriat social, etc. sont, par exemple, autant de réalités qui contribuent à un brouillage institutionnel et rendent la définition de l’ESS encore plus problématique [8]. Ce qui montre bien qu’en plus d’être multidimensionnelles, les frontières de l’ESS sont poreuses et toujours potentiellement redéfinissables dans un monde où les arguments du « social » et du « solidaire » deviennent même, souvent, des arguments de vente…
Aussi, face aux risques de banalisation, de récupération et/ou d’instrumentalisation qui sont la contrepartie de cette hétérogénéité de l’ESS (Frémeaux, 2011), le problème, pour les acteurs de cette « autre économie », est sans doute d’avoir déserté le terrain du politique (Bourque, 1999) et, ce faisant, d’avoir laissé le champ libre au libéralisme triomphant : « en renonçant à présenter leur vision de l’économie commune une alternative, ils ont renoncé du même coup à en faire un enjeu de débat et de combat politiques » (Crémieux, 2002, p.32). C’est en tout cas l’avis de figures historiques du mouvement qui regrettent que l’ambition de l’ESS sur le terrain économique et social ne trouve guère de traductions et/ou de relais sur le plan politique – comme en témoigne, même si la récente création d’un portefeuille ministériel qui lui est consacré peut laisser accroire le contraire, le peu de cas que la gauche fait de l’ESS lors même qu’elles ont en partage un même ADN [9]. Ironie de l’histoire, c’est même ainsi que l’ESS semble être parfois à la remorque des entreprises capitalistes en matière de solidarité, ces dernières n’hésitant jamais à déclarer haut et fort leur engagement sur ce terrain à l’heure où la moralisation du capitalisme est devenue une priorité (Mercier, 2004 ; Salmon, 2009).
b. Vers une économie politique « solidariste » ?
Doit-on pour autant penser que le succès contemporain de cette notion de solidarité « ne semble destinée qu’à entretenir la bonne conscience des sociétés modernes à l’égard de leurs pauvres » (Paugam, 2011, p.22) ? En d’autres termes, que la promotion d’une économie « à visage humain » et, avec elle, l’imaginaire d’une république sociale et juste ont fait long feu ? Aujourd’hui que la crise économique et financière nous aide à redécouvrir que le fait économique peut toujours annuler le droit politique (Rosanvallon, 2011), c’est-à-dire que ni la déclaration des droits de l’homme ni la démocratie politique ne se suffisent à elles-mêmes, il nous faut répondre non à cette question. Et un non « catégorique » dans la mesure où les conditions semblent au contraire réunies pour que l’ESS renoue avec cette histoire passée que nous avons rapidement évoquée ci-dessus, laquelle en effet nous rappelle que cette économie s’est construite sur une ambition d’ordre politique, à savoir celle de refonder la relation société-individu en tentant de donner à chacun l’accès à l’indépendance et à la « propriété de soi » (Castel et Haroche, 2001).
Ce qui est une façon de dire que si l’ESS fait avant tout sens parce qu’elle est issue d’initiatives décentralisées portées par les multiples groupes et communautés qui composent la société, il est selon nous essentiel qu’elle cesse de se définir par la « négative », c’est-à-dire comme si elle n’était qu’un « appendice » et/ou un « faux-fuyant » de l’économie capitaliste libérale (Harribey, 2002). Car s’il est important d’insister sur le fait que c’est la résistance au « tout-marché » qui relie en creux les organisations de l’ESS, on doit reconnaître que cela n’aide pas à comprendre les modalités de leurs actions, non plus par conséquent à faire de l’ESS un mouvement capable d’engendrer des transformations sociales profondes à partir de ce principe que la liberté de l’individu ne s’oppose pas à la « vie associée » mais se réalise par sa participation et sa coopération à la vie commune (Dewey, 2010). Au demeurant, cela ne veut pas dire qu’il faille pour autant minimiser les spécificités des organisations de l’ESS pour tenter de créer un tout unifié – qui ne serait qu’artificiel –, mais qu’il est devenu primordial de réfléchir aux conditions de viabilité d’une économie qui puisse non seulement échapper à la marginalité, mais également aux dérives bureaucratiques et aux contraintes de la valorisation marchande.
Par où l’on voit que la question est de savoir comment mobiliser les acteurs de l’ESS pour qu’ils acceptent de construire ensemble, et cela afin de mieux le défendre, un projet de société fondé sur des valeurs d’autonomie, de coopération librement choisie et de réciprocité. C’est seulement ainsi que de simple norme à respecter dans les sphères de la vie quotidienne, la solidarité peut devenir un contrôle étroit des comportements individuels au-delà du « contrat social » qui unit de façon abstraite les membres d’une société. En d’autres termes, l’enjeu est clair pour l’ESS : il consiste à franchir le Rubicon d’une affirmation dans le champ politique et social qui ne soit pas réduite à ce « marketing des valeurs » dont elles usent parfois, à la manière des entreprises capitalistes, pour se donner une apparence de respectabilité. Selon nous, et selon de nombreux autres observateurs, c’est là en effet une question qui ne saurait laisser dans l’indifférence l’ensemble de ceux qui entendent fonder les actions économiques sur des rapports sociaux de solidarité : « [l’ESS] représente les germes d’une transformation de l’ordre économique et social qui lui confèrent un caractère éminemment politique qui ne peut laisser indifférent tous ceux qui entendent construire l’avenir de la société » (Flahaut, Noguès et Schieb-Bienfait, p.14).
En conséquence de quoi il nous semble primordial et urgent que l’ESS se dote d’outils conceptuels à partir desquels elle puisse faire ce travail de repolitisation sans lequel elle risque de rester encore longtemps le parent pauvre de l’économie. Et, selon nous, c’est précisément sur ce point que le solidarisme peut aider l’ESS à construire le chemin de son propre succès au sens où, loin de l’artificialisme des théories classiques du contrat social qui n’indiquent que l’idéal à poursuivre dans une société moderne désacralisée (i.e. offrir à chacun la possibilité d’un épanouissement personnel), nous avons montré qu’il présente les attraits d’une doctrine qui est tout entière orientée vers l’action et la responsabilisation des individus dans la gestion des problèmes sociaux. Sans parler une nouvelle fois du fait que ce ne serait qu’un juste retour des choses, étant donné que le solidarisme a déjà contribué à la promotion de ces témoignages de la solidarité humaine que l’on regroupe aujourd’hui sous le label d’ESS – à tel point que Bourgeois se réclamait lui-même de l’associationnisme, dans lequel il disait voir le moyen le plus efficace pour mener à bien sa politique de « prévoyance sociale » –, c’est notamment ce qui ressort de l’insistance avec laquelle, à travers les notions de « dette sociale » et de « quasi-contrat » (cf. section 1). Laquelle insistance, en effet, est la marque de fabrique d’une doctrine qui entendait promouvoir une « liberté solidaire » et/ou une « solidarité libertaire » (formules que l’on doit au philosophe solidariste Jean Izoulet) grâce à l’action volontaire des institutions d’initiative privée – qui étaient les seules capables de saisir les « besoins du moment » selon Bourgeois (Audier, 2007a) [10].
c. Pour une éducation solidariste
Action qui, de surcroit, recommandait un investissement théorique et politique assez large dans la question éducative (Audier, 2010, chapitre 10). Le point est déterminant pour bien comprendre que si cette doctrine apparaît avant tout comme une grande synthèse, tant du point de vue épistémologique qu’idéologique, qui répond à l’objectif de constitution et de légitimation de la république démocratique et sociale, ses promoteurs ne pouvaient concevoir de politique solidariste sans une éducation qui le soit aussi : « nous devons nous efforcer par un enseignement très précis de développer cette notion de dette sociale et d’amener les hommes qui se considèrent, suivant l’expression de M. Léon Bourgeois, comme des isolés, c’est-à-dire comme des ennemis, de les amener, dis-je, à avoir une conscience commune placée assez haut pour que de ce point supérieur tous aperçoivent distinctement la nécessité absolue qu’il y a pour tous de collaborer à l’œuvre commune et qu’ils se rendent bien compte que toute action isolée est une action stérile. Montrons d’une façon indiscutable à tous que la seule manière pour les égoïstes eux-mêmes de développer leur personnalité et d’arriver au bonheur, c’est-à-dire au plus large épanouissement d’eux-mêmes, c’est de faire avant tout œuvre sociale, parce que l’isolé est impuissant. Il faut, en d’autres termes, les pénétrer tous de cette idée que l’égoïsme est un véritable crétinisme moral » (Payot, 1901, cité par Audier 2010, p.313).
Pour eux, l’objectif était d’éviter les contresens sur la théorie – notamment quant au passage de l’être au devoir-être (section 1) – pour créer des « personnes solidaires », c’est-à-dire capables de comprendre que le monde démocratique ne peut tirer vers une société de secours mutuel sans que tous ne soient pénétrés de leur devoir social (Audier, 2010, chapitre 10). De ce point de vue, c’est même toute l’identité doctrinale du solidarisme qui repose sur ce socle éducatif, étant entendu que les personnes ne peuvent appliquer la solidarité sans ne l’avoir précédemment apprise – aussi bien dans son sens scientifique que moral et politique. C’est d’ailleurs Léon Bourgeois qui, reprenant Michelet, estimait que l’éducation constituait à cet égard le « premier et le dernier mot de la politique », soit le facteur clé de cohésion et d’égalisation sans lequel aucune société de justice n’est possible (Bourgeois, 1901, p.97) – l’éducation étant donc entendue ici dans le sens d’une éducation sociale, « celle qui a pour but d’élever les hommes à la notion du devoir social [et] de créer en eux cet état d’esprit où ils comprendraient que tout acte social, c’est-à-dire tout acte de mutualité et de solidarité, est une acte de moralité supérieure » (ibid) [11].
Tout l’enjeu, en quelque sorte, étant de tirer les « individus hors d’eux-mêmes », c’est à dire d’étendre la « socialité primaire » grâce à une éducation qui permette aux individus de comprendre les bénéfices qu’il y a à tirer de se comporter comme des associés unis par le lien de la justice réciproque. Ce qui, pour l’ESS, est une leçon qui mérite là encore d’être méditée tant il est notable que l’éducation s’impose encore aujourd’hui comme l’indispensable levier pour produire une « socialisation des personnes », c’est-à-dire pour montrer les effets positifs de l’entraide et de la coopération là où la doxa dominante continue de mettre en avant la lutte pour la vie et la subsistance comme principal moteur de l’évolution humaine. C’est dire que, pour contrer les effets nocifs de l’égoïsme outrancier et engendrer chez chacun le désir de travailler dans l’intérêt de tous, ainsi que la plupart des acteurs de l’ESS se proposent de le faire, encore faut-il « éduquer les esprits » de manière à ce que les tenants de cette « autre économie » comprennent bien que le projet politique de l’ESS ne peut être viable que s’il est « partagé » – étant entendu que l’homme ne peut vivre en harmonie avec le bien social le plus élevé qu’en participant lui-même à sa définition et à sa mise en œuvre (Dewey, 2010).
Bien que cela nécessite sans doute un dur labeur, et peut-être même un changement de mentalités, l’enjeu du rapprochement que nous proposons est donc crucial de ce point de vue, au sens où l’ESS ne pourra sans doute jamais obtenir la reconnaissance qu’elle mérite sans s’approprier cette idée qu’il ne peut autrement dit y avoir de transformation matérielle de la société sans une transformation par idéation. Reste alors à savoir sous quelle(s) forme(s) ce travail peut être mené et comment l’ESS peut puiser dans le solidarisme de quoi réussir un tel pari ; la doctrine solidariste ne pouvant être appliquée telle que nous la connaissons à travers les textes qui nous ont été légués : « la doctrine du solidarisme n’est pas aujourd’hui remise en question dans ses fondements éthiques, mais les transformations des sociétés modernes impliquent de réfléchir sur les réformes nécessaires pour lui permettre d’être le plus en harmonie possible avec les réalités contemporaines » (Paugam, 2011, p.25). De notre point de vue, c’est sans doute en tout cas l’un des enjeux des années à venir, au sens où l’on ne voit pas comment on pourrait, par exemple, créer « une politique nationale durable en faveur de l’ESS » (Laville, 2011) sans que cette dernière ne dispose d’un ancrage doctrinal qui soit suffisamment solide pour la justifier.
« Idée floue » (Dubois, 1987), « notion insaisissable » (Blais, 2007) qui évoque tantôt le rapport à un tout, tantôt des liens de dépendance mutuelle, voire une sorte de « valeur » ou de comportement moral (Ould Ahmed, 2010), la solidarité fait aujourd’hui l’objet d’une surenchère verbale qui cache assez mal les problèmes que rencontrent toutes celles et ceux qui cherchent à la mettre en pratique. A commencer par les acteurs de l’ESS qui, s’ils se font fort de rappeler que la solidarité n’en demeure pas moins une dimension essentielle de toute vie collective, souffrent incontestablement d’un déficit de légitimité par rapport aux acteurs de l’économie capitaliste dite « classique ». En témoignent les sempiternels débats quant au sens à donner de l’expression ESS, qui montrent, en effet, que la reconnaissance de cette « autre économie » est loin d’être garantie lors même que sa place dans nos économies n’est plus à démontrer.
A bien y réfléchir, ce constat est néanmoins surprenant quand on sait que la profonde remise en cause des bases du welfare state oblige à « repenser la solidarité », notamment dans l’espoir que les individus des sociétés modernes n’oublient pas que « nous sommes doués de la même valeur et que les liens qui nous unissent sont réellement interdépendants » (Paugam, 2011, préface, p.12). Aussi est-ce pour aider à résoudre ce dilemme que nous avons jugé utile, dans notre article, de réinterroger la pensée solidariste afin d’y puiser ce qui fait cruellement défaut aux acteurs de l’ESS pour s’affirmer comme les représentants les plus crédibles pour porter un tel projet, à savoir une pensée politique. Car le problème est clair : en désertant le champ politique, les acteurs de l’ESS se condamnent à n’être que des acteurs de second rang, qui se contentent de réparer les dégâts causés par les excès de l’individualisme contemporain dont l’économie dominante se nourrit. D’où l’importance, pour eux, de renouer avec le projet politique et éducatif que les solidaristes avaient inscrit au fronton de leur temple lorsque, confrontés aux injustes répercussions des inégalités d’origine sociale, ils en appelaient à l’émergence d’une société nouvelle à l’intérieur de laquelle chacun eut été solidaire de tous et tous solidaires de chacun. L’enjeu est crucial au sens où, par-delà des chiffres encourageants mais toujours difficiles à interpréter, il en va de la crédibilité – et donc aussi de l’avenir – d’un mouvement qui doit prendre conscience de son unité potentielle pour peser sur le devenir de nos sociétés.
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[1] Derrière les références que nous ferons à Audier (2010), nous renvoyons indirectement aux travaux de certaines des grandes figures du solidarisme (Ferdinand Buisson, Charles Gide, Joseph Ribet, Alfred Fouillée) et invitons par conséquent le lecteur à consulter son ouvrage pour des précisions bibliographiques. Nous avons néanmoins pris le parti de faire apparaître, dans notre bibliographie, les travaux de ceux dont nous nous sommes permis de citer des extraits.
[2] Cette précision est importante dans la mesure où cela permet de comprendre que la notion de solidarité autour de laquelle les solidaristes ont bâti leur doctrine a été pensée, à l’origine, au sens qu’on lui donne dans les « sciences de la vie », à savoir celui d’une interdépendance spatiale et temporelle des êtres vivants. C’est à dire au sens que lui donnaient les sociologues de la première heure, ceux qui n’hésitaient pas à postuler l’existence d’une continuité, dans les phénomènes sociaux, qui irait des organismes biologiques à la société humaine en passant par les groupements animaux.
[3] Ce que Gide exprime nettement : « La solidarité n’est pas comme la liberté, l’égalité ou même la fraternité, un mot sonore, ou si l’on veut, un pur idéal : elle un fait ; – un des faits les mieux établis par la science et l’histoire » (cité par Audier, 2010, p.109).
[4] « L’idée de dette a eu un retentissement considérable. On peut aisément expliquer le phénomène. Elle s’appuie en effet sur un énigmatique sentiment, au demeurant profondément religieux, qui associe à la reconnaissance éprouvée pour l’auteur d’un bienfait la propension à lui rendre quelque chose en retour, à tout le moins un remerciement (…). Le processus est sans doute inconscient, mais tout indique que, même dans les sociétés les moins évoluées, chacun sait qu’il doit transmettre à son tour un héritage dont il a profité. Il semble bien que l’une des premières obligations inscrites au fond de la conscience humaine est l’obligation d’avoir à rendre ce que l’on a reçu » (Blais, 2007, p.36).
[5] C’est-à-dire sur une simple présomption de volonté, soit un consentement qui n’est pas toujours explicite mais qui peut être tacite et sous-entendu en raison même de l’appartenance des individus à la société : « puisque la société existe et qu’elle se maintient par l’acceptation tacite de ceux qui la composent, il y a entre eux ce que le doit civil a depuis longtemps défini sous le nom de quasi-contrat » (Delprat, 1908, cité par Audier, 2010, p.121).
[6] Qui, notons-le au passage, rappelle étrangement la construction rawlsienne : « il est légitime de présumer que des êtres raisonnables, s’ils fondaient aujourd’hui une société commenceraient par poser en principe la mutualisation des risques comme des avantages. D’un commun accord ils jugeraient absurde de réserver tous les profits à une classe, toutes les charges à une autre classe. Ils voudraient, en un mot, avant de contresigner le contrat que, pour les diverses parties en présence, les causes du consentement fussent égales. C’est cette volonté, bien qu’elle n’ait jamais été formellement exprimée, que nous devons étendre et exécuter aujourd’hui, si nous désirons organiser notre société suivant la justice » (Bouglé, 2009, [1904], p.30).
[7] Au reste, les solidaristes ne disaient-ils pas vouloir ajouter à la déclaration des droits de l’homme une déclaration des « devoirs sociaux » (Bourgeois, 1896), faisant ainsi preuve de leur attachement au projet républicain d’émancipation des individus, celui qui proclame le culte de la personne humaine et entend faire droit à l’idée que l’homme est une chose sacrée pour l’homme (Blais, 2007).
[8] L’exemple de l’entrepreneuriat social est le plus frappant à cet égard, car si ce dernier s’inscrit dans la tradition de l’ESS, au sens où il se définit par la recherche d’une finalité sociale, sociétale et/ou environnementale, il s’en écarte aussi en raison de sa complémentarité avec le mode de création de valeur que l’on rencontre au sein des sociétés de capitaux et qu’il prolonge par une réactualisation des profits (Draperi, 2010).
[9] Voir l’interview que Claude Alphandéry a donnée à « Acteurs de l’économie Rhône-Alpes », octobre 2011.
[10] Evidemment, ce serait présenter les choses de manière trompeuse si nous omettions d’ajouter que, préfigurant l’Etat-Providence, les solidaristes confiaient également à l’Etat un rôle central dans la mutualisation des avantages et des risques que la solidarité naturelle fait peser sur tout un chacun – et notamment celui un rôle judiciaire de garantie des contrats, l’Etat étant vu par les solidaristes comme « une sorte de conseil d’administration, gestionnaire de la dette sociale » (Azam, 2003, p.154).
[11] A ce niveau, c’est d’ailleurs toute la différence entre solidarité et charité sur laquelle les solidaristes ne cessent de revenir qui est mise en jeu, au sens où la première comporte une dimension « systémique » complètement absente de la seconde : « il ne suffit pas que la libre charité circule à l’intérieur d’un système pour relever et panser les blessés qu’il multiplie en fonctionnant. C’est le système même qu’il faut rectifier, s’il en est besoin. Pour réparer l’injustice sociale, il faut des réformes sociales, des mesures d’ensemble servies par la force des lois ; le sentiment de la solidarité doit nous faire comprendre la nécessité d’incorporer dans la justice même nombre de devoirs sociaux pour l’accomplissement desquels on s’est reposé, trop longtemps, sur l’arbitraire de la charité » (Bouglé, 1906, cité par Policar, 2009, p.4).