Université : un diagnostic alarmant

Nous publions un échange informel qui a eu lieu entre Sylvain Dzimira, Philippe de Lara et François Vatin sur la liste de discussion des MAUSSiens. Nous remercions Ph. de Lara et François Vatin d’avoir accepté spontanément et sans hésitation la mise en ligne de leurs propos sur la RDMP. SD.

Sylvain Dzimira.
samedi 22 novembre 2008

Bonjour à tous,

« Nous ne formons pas nos élèves pour les envoyer à la fac... » C’est ouvertement le discours que tient aux parents mon chef d’établissement (privé sous contrat), au dire d’une maman d’élève. Que les meilleurs élèves soient orientés vers les filières sélectives ne date pas d’hier. La République l’a d’ailleurs institutionnalisé, et ce, dès le lycée, voire dès le collège. Mais que ce discours presque méprisant envers l’Université soit tenu très ouvertement et accueilli sinon favorablement du moins sans réaction est nouveau. Accueilli favorablement par les parents qui viennent chez nous pour que leurs chérubins évitent la fac ; par les élèves qui veulent aussi l’éviter, quel que soit leur milieu social ; et accueilli sans réaction par les enseignants .. issus de l’Université. Pour ces derniers, qui souvent étaient de bons étudiants il y a 20-30-40 ans, c’est la mort dans l’âme qu’ils dissuadent leurs élèves d’aller à la fac, compte tenu de l’idée (fausse ?) qu’ils s’en font aujourd’hui, comme lieu de recrutement des moins bons élèves - pour avoir assuré pendant plusieurs années des TD en première année de sciences économiques dans une université de la banlieue parisienne, j’ai pu constater que les « qualités rédactionnelles » de certains étudiants étaient parfois inférieures à celles de mes élèves de 2nde.... L’Université a perdu tout crédit auprès des parents, des élèves, et, c’est une nouvelle tendance me semble-t-il, auprès des enseignants du secondaire (certains, certes, dont je suis, veulent encore croire à l’Université ... dont ils rêvent). Comment en est-on arrivé là ? N’est-ce que l’expression d’une tendance historique longue contre laquelle « on ne peut rien » (c’est pas maussien, ça !) : un utilitarisme généralisé et diffus qui dissuade d’aller vers le lieu où le savoir vaut, est censé d’abord valoir pour lui-même ? Les universitaires ont-ils une part de responsabilité ? Le cas échéant, où se situe-t-elle ? Est-il encore possible de redresser la tendance à la désaffection (et à l’hémorragie prochaine) de l’Université ? Comment ? En allant dans le sens de l’histoire : en développant des formations professionnalisantes (c’est la voie choisie me semble-t-il) ? Ou en nageant à contre-courant ? Mais avec qui, c’est-à-dire avec quels prof., pour quoi faire, et avec quels étudiants ? Bref, quel avenir pour l’Université ? Et peut-être avant tout : quelle est la vocation de l’Université ? Et quelle doit être son organisation pour la réaliser le moins mal possible aujourd’hui ?

Un numéro de La Revue du MAUSS sur ce sujet se prépare, je crois... j’ai hâte de le lire ! Si je pouvais recueillir quelques avis éclairés en quelques lignes... : de l’avenir de l’Université dépend le sens de l’enseignement secondaire (et réciproquement et plus directement d’ailleurs : les universitaires devraient regarder de plus près ce qui se prépare au lycée...)


François Vatin
Dimanche 23 novembre

La réponse est simple : toutes les formations ont le droit de sélectionner leur public à l’entrée. Je dis bien toutes : IUT, BTS, Classes-prépas, grandes écoles, moyennes écoles, petites écoles, minuscules écoles. Il ne faut pas avoir fait beaucoup d’économie pour comprendre que cela ne peut que produire une sélection négative.

Ce processus est enclenché depuis longtemps, mais il a été jusqu’il y a peu masqué par l’effet de masse. Tant que les effectifs sortis du secondaire ont continué à croître (c’est-à-dire jusqu’au milieu des années 1990), cet effet de masse a pu cacher la dégradation de la position de l’Université dans la concurrence des formations supérieures. La stabilisation des effectifs de sortie du secondaire a au contraire accéléré le « décrochement ». En effet, l’offre extra-universitaire a continué à croître et l’Université s’est retrouvée dans une position de plus en plus marginale, sauf dans les secteurs disposant d’un monopole professionnel : médecine et pharmacie, droit. Une fois le processus à l’œuvre, il s’auto-entretient sur le modèle de la pelote de fil (l’inverse de la boule de neige). Plus l’Université perd ses effectifs, et moins elle est crédible ; moins elle est crédible et plus elle perd ses effectifs.

Pourtant, encore aujourd’hui, l’Université française témoigne d’un « rendement » exceptionnel, si on prend la mesure de la faiblesse des moyens qui lui sont alloués et de l’ « effet d’établissement », c’est-à-dire de la sélection négative qu’elle subit à l’entrée. Mais l’avenir est sombre car nous atteignons un seuil de non-retour. Non seulement nous sommes concurrencés au moment de la sortie du bac par les établissements publics ou privés qui bénéficient du droit de sélectionner (le discours de vos chefs d’établissement), mais nous perdons dorénavant aussi nos étudiants en cours d’études qui se dirigent vers des formations, en général privées, sélectives et payantes. Non que l’enseignement y soit meilleur qu’à l’Université, mais parce qu’ils pensent, à tort ou à raison, que leurs chances d’accéder à l’emploi seront ainsi plus importantes. La réforme LMD a accéléré ce processus en supprimant le second cycle qui conduisait nombre d’étudiants à achever une maîtrise, sans pour autant accorder à l’Université le droit de sélectionner à l’entrée en M1. Le système atteint alors le comble du ridicule, puisqu’on a maintenu une sélection à l’entrée en M2, celle qui existait auparavant à l’entrée en 3e cycle (DEA et DESS).

La droite libérale et patronale a depuis longtemps renoncé à réformer l’Université française. Elle la contourne. Elle a trouvé des « alliés objectifs » dans le mouvement étudiant opposé à toute sélection et dans le corps universitaire qui a, moitié par conviction, moitié par démagogie, soutenu cette revendication sans voir que le résultat était à l’inverse de l’objectif poursuivi : non la sauvegarde mais la destruction de l’Université. En effet les étudiants qui, collectivement, seraient prêts à descendre dans la rue contre une Université sélective sont les mêmes qui, individuellement, optent dès qu’ils le peuvent pour des formations privées, sélectives et payantes. Les « grands principes et les grands sentiments » chantait Béart.

Mon pronostic est sombre, car je crois que le processus est allé trop loin pour être enrayé. Les réformes actuellement en cours ne portent pas sur les missions et les moyens de l’Université. Elles visent à offrir de nouveaux statuts aux établissements et aux personnels pour permettre à certains établissements de sortir du cadre commun. Il s’agit de permettre l’éclosion d’une petite dizaine de Science-Po et de Dauphine en France. Le reste est passé par pertes et profits. L’Université française finira bien par renaître de ses cendres car le besoin d’un espace intellectuel finira par se faire sentir. Mais il faudra une génération pour ce faire.


Sylvain Dzimira
Lundi 24 novembre 2008

Cher François Vatin,

Cette situation était-elle véritablement écrite d’avance sous la forme de l’équation suivante : massification + refus de la sélection dans un univers sélectif = diminution du niveau de recrutement des étudiants ? Si le résultat était fortement couru d’avance, comme vous le suggérez, comment se fait-il que personne (d’audible) n’ait tiré la sonnette d’alarme dès la fin des années 80 ? Comme je n’imagine pas que l’équation ne fût pas posée, je pense que certains avaient imaginé des scénarii sur lesquels étaient fondés leurs espoirs d’une réelle démocratisation de l’Université et par suite de la société ? Quels étaient ces scénarii ? Que n’ont-ils pas fait pour qu’ils se réalisent ? Pourquoi ont-ils échoué ? « L’Université française finira bien par renaître de ses cendres car le besoin d’un espace intellectuel finira par se faire sentir. Mais il faudra une génération pour ce faire », dîtes-vous. Mais dans une génération, que restera-t-il de la pensée à l’Université ? Surtout, c’est du moins ce que laisse penser le manifeste d’Alain Caillé [1], compte tenu du recrutement actuel. On ne peut pas attendre ! Qui soufflera sur les braises ? Pour quelle Université ? Celle des années 50-80 réservée à une élite triée - on sait comment sociologiquement - sur le volet ? Dans un premier temps j’avais écrit à la suite : « La situation est au fond inversée aujourd’hui, puisque le tri s’opère par le bas... ce n’est donc pas mieux, je vous l’accorde ». Mais au fond, pourquoi « ce n’est pas mieux » ? Ou plutôt pour qui... Les enfants issus des milieux populaires sont à la fac (je suis de ceux qui ont profité de cette massification). Est-ce gênant ? Enfin, ils ont - en principe - accès à un savoir qui jusque là leur était interdit : d’une certaine manière la réforme de l’Université a atteint son objectif ! C’est un beau succès ! « Sauf, me direz-vous peut-être, qu’ils ne sont visiblement pas armés pour recevoir ce que les prof. sont prêts à y enseigner (pour ne pas dire donner) ». Bon, mais plutôt que de tirer sur le secondaire, et de se refiler la patate chaude jusqu’à la maternelle, que fait la fac elle-même pour y remédier sans perdre son âme (j’ai assisté à des cours de méthodologie presque humiliants pour les étudiants...) ? Pourquoi n’y parvient-elle pas ? Le fossé est-il trop profond ? Est-ce vraiment perdu d’avance ?

J’arrête là mes réflexions sur le vif à deux sous. Maussien, dessine moi une Université ... (la mienne, celle dont je rêve, en un slogan bien commode, est ... populaire ... et élitiste (un espèce de juste milieu entre sélection et attachement à la pluralité du recrutement me conviendrait bien) .... en un mot, peut-être, sans doute désuet, « républicaine » ou tout simplement en accord avec nos idéaux démocratiques .... bien banal.... ? ! )


François Vatin
Mardi 25 novembre 2008

Cher Sylvain Dzimira,

La question est posée depuis très longtemps pour être immédiatement balayée d’un revers de main. Depuis que je suis en poste à l’Université (1982), j’ai entendu les collègues se plaindre de la concurrence des « grandes écoles ». Mais on nous a répondu : « On ne va pas abandonner le fleuron de l’enseignement supérieur français, qui ne concerne que quelques milliers d’étudiants par an ». Puis, on s’est intéressé à la concurrence que les IUT (dont Raymond Boudon prédisait naguère l’échec inéluctable !) faisaient aux DEUG universitaires, mais on nous a dit que les meilleurs poursuivraient à l’Université ... jusqu’à ce qu’on crée des bac + 3 ou 4 dans les IUT. Enfin on a vu l’extension des Classes-prépas, créées dans le seul but de faire échapper les têtes blondes à l’hydre universitaire. Le développement des « petites écoles » est encore largement passé inaperçu.

Les signaux ne manquaient donc pas ; mais, comme j’ai tenté de le montrer, l’effet de masse cachait le phénomène. Tant que les flux sortants du secondaire étaient croissants, l’Université avait pour principale préoccupation la gestion des sur-effectifs. On n’ignorait pas la concurrence déloyale exercée par les formations sélectives, mais ce n’était pas le problème de l’heure et, même s’ils s’en plaignaient, les universitaires se satisfaisaient de la situation : l’existence de gros amphis permettait de justifier la création de postes qui permettaient de placer ceux des étudiants qu’on avait menés jusqu’à la thèse. Or, que peut espérer de mieux un universitaire que de faire d’un ancien étudiant un collègue !

Encore une fois, c’est quand la démographie de sortie des lycées s’est inversée au milieu des années 1990 que la situation a commencé à se faire jour. On a commencé alors à s’inquiéter de la chute des effectifs dans les DEUG. Je me souviens avoir alors dit dans une réunion de conseil d’UFR que cela pouvait être une chance, car on pouvait en profiter pour « faire de la qualité ». Mais notre institution n’est pas équipée pour cela. Quarante ans de croissance continue des effectifs ont produit une culture organisationnelle qui interdit de penser en ces termes. C’est pourquoi, aussi, nous concurrencent efficacement des structures plus petites, capables de fournir un « service » personnalisé.

Je ne peux dire ce qui s’est passé du côté des pouvoirs publics. Je pense qu’on a laissé les choses se faire, sans vraiment de plan programmé. Les chefs d’établissement du secondaire ont demandé la création de Classes-prépas pour satisfaire la demande « petite-bourgeoise » ou, ailleurs, de BTS. Il restait bien assez de public pour l’Université. Celle-ci a été utilisée comme un instrument peu coûteux pour amortir le chômage des nouveaux entrants sur le marché du travail. On savait la situation insatisfaisante, mais personne n’avait le courage politique d’affronter les masses étudiantes dans la rue, ni le désir de financer les Universités à la hauteur de leurs besoins (je rappelle qu’un étudiant coûte, en France, moins cher qu’un lycéen !). Le réveil est venu du classement de Shanghai qui a fait l’effet d’un électrochoc chez nos hommes politiques. On a alors compris que nos « grandes écoles » ne seraient jamais en mesure de redresser la place de la France dans ce classement, parce qu’on n’y faisait pas de recherche, parce qu’elles étaient de trop petite taille, etc. On a alors décidé de créer quelques gros établissements de référence susceptibles de trouver leur place dans ce classement. Cela supposait de changer les règles du jeu en supprimant la loi commune : ce fut la loi LRU pour les statuts des établissements et le décret actuellement en cours de discussion pour celui des personnels.

Peut-être cette politique portera-t-elle ses fruits, mais au prix d’un immense gâchis de moyens intellectuels. Quelques établissements atteindraient ce niveau de référence international, mais la majorité de l’Université française ne sera plus qu’une filière de relégation pour les pauvres.


Philippe de Lara
Mardi 25 novembre 2008

L’analyse de François Vatin est, comme toujours, très éclairante, notamment sur la périodisation démographique de l’entrée en crise de l’Université. J’ajouterai cependant un correctif, dont je ne sais si François y verra une nuance ou une divergence.

Le problème premier de l’Université, ce n’est pas l’existence de filières non universitaires sélectives, c’est l’absence de sélection à l’Université. Tout est faussé à partir de là, toute autre discussion biaisée sinon inutile. Tant que l’Université ne sera pas libre de choisir ses étudiants (ce qui ne s’oppose pas à une mission d’accueil de tous les bacheliers, mais exige en revanche une orientation décidée par l’Université et non au choix des individus… ou des hasards des filles d’attente), elle n’existera pas en tant qu’institution, et subira l’évasion des meilleurs étudiants vers d’autres filières (écoles, BTS, etc.). Ce n’est donc pas l’existence de ces filières qu’il faut incriminer, mais l’impossibilité qui est faite à l’Université d’exister pleinement dans son ordre.

De ce point de vue, l’alliance d’airain entre l’anti-intellectualisme de nos élites dirigeantes et la démagogie égalitariste des organisations étudiantes et de l’opinion progressiste est le secret le mieux gardé de la République. Les uns et les autres sont au fond d’accord pour empêcher l’Université d’être autre chose qu’un appendice du CROUS et se moquer comme d’une guigne de l’épanouissement de la recherche libre et désintéressée (oui, je crois avec Alain Caillé que c’est le bon mot) et de la qualité intellectuelle de la formation des élites. D’où ce système étrange, où les meilleurs étudiants sont à un endroit et la meilleure matière grise à un autre. Mais ce n’est pas en tapant sur la branche du système qui marche à peu près qu’on améliorera la branche qui ne marche pas (c’était la politique d’Allègre, cela suffit à la disqualifier, non ?).

Outre que, beaucoup d’universitaires en font l’expérience, les deux systèmes ne sont pas tout à fait étanches : on peut en effet dire que, comble du paradoxe, le système des grandes écoles contribue indirectement au maintien à flot de l’Université, dans les humanités en particulier, via les étudiants de prépas littéraires et sciences sociales qui rejoignent l’Université en L3 ou en Master, avec une culture et une expérience qui dynamisent ces cursus. C’est devenu pour beaucoup de lycéens un choix conscient (et tout à fait judicieux) de démarrer sa licence en prépa, pour intégrer plus tard l’Université, y préparer les concours de l’enseignement et/ou une thèse. On ne dira jamais assez le rôle démocratique et de diffusion de la culture humaniste des « khâgnes », qui ne sont plus, de facto, vouées à la seule préparation des concours d’ENS et préparent (très bien) en fait à toutes sortes de parcours. Leur multiplication —insuffisante— et leur diversification (spécialités SES, science po) est une des rares bonnes choses qui soient arrivées au système éducatif ces dernières années.

Ce qui est condamnable ce n’est donc pas l’existence de filières sélectives, c’est au contraire l’existence de la filière (du déversoir plutôt) non sélective. Si elles tirent leur épingle du jeu, les grandes (et moins grandes) écoles ne sont pas vraiment bénéficiaires du système déséquilibré en vigueur, et elles auraient tout à gagner à un système sélectif pour tous, au lieu de cet élitisme malthusien et endogame, dans lequel elles sont enfermées.

La massification entraîne que la différenciation des établissements devienne la règle générale, avec ce que cela implique de hiérarchie et de spécialisation du recrutement. Les membres du « cercle des professeurs et chercheurs disparus » [2] gagneraient à l’admettre sans fausse/mauvaise conscience et à œuvrer pour que le savoir désintéressé et la recherche fondamentale (qu’on pourrait appeler aussi « recherche inutile ») aient toute leur place dans l’ensemble diversifié de l’enseignement supérieur, à côté des formations plus étroitement « professionnelles ».


François Vatin
Mardi 25 novembre 2008

Cher Philippe de Lara,

J’ai simplement voulu dire que l’Université ne pouvait survivre face à la concurrence de formations sélectives. Comme il n’est à l’évidence pas envisageable de supprimer la sélection dans les autres formations (ne serait-ce que pour des raisons de capacité d’accueil), je suis bien d’accord que ma position revient, en pratique, à promouvoir la sélection à l’entrée à l’Université.

Quelques remarques cependant, passablement désabusées :

  • 1. On peut faire fonctionner des dispositifs plus souples qui respectent les principes ci-dessus. C’est bien ce qui se passe dans les lycées, avec nombre d’effets pervers, certes. Mais l’absence de césure explicite conduit bien toutefois à affirmer que, sur le principe, tous les lycéens sont égaux du point de vue de ce que leur doit la Nation, même si, en pratique, il y en a « de plus égaux que d’autres ». J’étais favorable dans cet esprit à la mise en place d’un large service de propédeutique, réunissant IUT, BTS, Classes-prépas et DEUG universitaire, comme le suggérait le projet de loi Devaquet en 1986. Ce fut, à mon sens, la dernière chance pour sauver une Université française commençant à la licence. Mais les universitaires, dénonçant la « secondarisation des DEUG », ont alors emboîté le pas aux étudiants qui refusaient la sélection à l’entrée en licence. On connaît la suite.
  • 2. Je crois qu’il est maintenant trop tard pour remonter la pente dans l’esprit que vous suggérez. Qui voudra s’engager dans des études universitaires généralistes, non directement professionnalisantes et de plus sélectives ? Même quand nous avons le droit de sélectionner (entrée en master 2), nous sommes bien en peine de le faire. En effet, pour conserver un effectif minimal d’étudiants, nous sommes amenés à accepter des étudiants que nous ne pensons pas à-même de suivre de telles études. Les masters « recherches » de sciences humaines apparaissent ainsi condamnés à brève échéance, car ils subissent eux-mêmes une sélection négative à l’entrée (comme dans le choix DEUG/IUT et BTS).
  • 3. Le modèle que vous évoquez : la poursuite à l’Université d’études commencées en Classes-prépas est également à bout de souffle. Ce ne sont plus seulement les DEUG que fuient les étudiants, mais aussi les licences et les masters. Nos meilleurs étudiants de licence s’orientent vers des cursus professionnalisants, et souvent payants. La seule façon de maintenir des étudiants à l’Université est aujourd’hui d’utiliser les armes mêmes de nos concurrents en créant des écoles professionnelles au sein des Universités. Mais celles-ci sont condamnées à n’être que de second rang, tant le discrédit est grand à l’égard de l’Université, et tant celle-ci se révèle le plus souvent incapable de fournir le service matériel (secrétariat, confort des salles, présence de matériel et même fiabilité dans la présence enseignante) exigé dans un tel contexte concurrentiel, sans compter les problèmes juridiques et comptables posés par l’introduction d’une facturation des études. Comment faire, enfin, pour que l’Université ne perde pas son âme dans une telle entreprise, qui est en fait la voie que nous ouvrent les réformes actuellement en cours ?
  • 4. Je suis bien d’accord qu’il faut oser affirmer que le discours anti-sélectif a eu pour conséquence l’effet inverse des intentions proclamées. Il a conduit au développement, en dehors de l’Université, de formations sélectives, qui ont bénéficié aux possesseurs des plus gros « capitaux culturel et social » (pour parler le Bourdieu sans peine) et même, maintenant, de capital économique, avec le développement de l’enseignement supérieur privé. Exiger que l’Université n’accueille qu’un public apte à faire des études à forte dimension culturelle et surtout désireuse de les faire n’interdit pas sa large ouverture sur la société. Je songe notamment au scandale de la Formation continue qui a très largement échappé à l’Université ou a été, au sein de celle-ci, captée par des « petits entrepreneurs » aux pratiques souvent discutables, alors qu’il y avait là moyen de faire valoir une large ouverture de l’Université à la formation intellectuelle tout au long de la vie et quel que soit le parcours scolaire, tout en profitant des capacités de financement induites par la loi de 1971 sur la formation professionnelle. En conclusion, s’il me paraît facile de faire le diagnostic et de comprendre comment nous en sommes arrivés là, je vois plus difficilement les leviers que nous pourrions utiliser pour sortir par le haut de la présente crise. Mais « que les bouches s’ouvrent » et « que cent fleurs fleurissent ».
// Article publié le 3 décembre 2008 Pour citer cet article : François Vatin , Philippe de Lara , Sylvain Dzimira , « Université : un diagnostic alarmant », Revue du MAUSS permanente, 3 décembre 2008 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Universite-un-diagnostic-alarmant
Notes

[1Alain Caillé a fait circuler sur la liste de discussions des Maussiens un texte en préparation à paraître dans le numéro à venir consacré à l’Université.

[2Qu’appelle de ses vœux Alain Caillé dans le manifeste cité plus haut.

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