Penser le conflit avec, ou sans, Karl Marx ? Une querelle de famille entre Mouffe, Lefort, Castoriadis et Abensour

Peut-être n’y a-t-il pas de plus grand défi, à la fois intellectuel, éthique et politique aujourd’hui, que de savoir comment sortir du marxisme et ce que cela signifie : tout oublier de Marx ? En garder l’essentiel mais reconfiguré ? etc. Dans le sillage de son article publié dans le dernier n° du Mauss (« Miguel Abensour, Cornélius Castoriadis. Un conseillisme français ? », Revue du MAUSS semestrielle n°40), Manuel Cervera-Marzal apporte une contribution éclairante à ce débat en comparant les réponses qu’y apportent quatre auteurs français (ou francophones) postmarxistes importants. A. C.

Né quelques années avant la chute du mur de Berlin, j’appartiens à une génération qui, pour avoir intégré l’univers de la philosophie politique à une époque post-marxiste, n’a jamais eu à se positionner vis-à-vis de Marx. Cela ne fût pas, loin s’en faut, le cas de mes aînés. Ceux-ci furent tous, d’une manière ou d’une autre, sommés de s’expliquer sur leur position vis-à-vis de ce qu’on pourrait nommer la « question Marx » – et je parle bien de Marx, non du marxisme ou de l’URSS. Parmi les philosophes français nés entre 1918 et 1945, ceux qui choisirent de penser la politique sous le signe de la critique connurent, schématiquement, quatre parcours. Une première partie d’entre eux, à l’instar d’Althusser, ne renonça jamais au marxisme orthodoxe ; stalinien pour l’ancien directeur de la rue d’Ulm, maoïste pour Alain Badiou. Une seconde fraction de cette génération de l’entre-deux-guerres, venue elle aussi du stalinisme, s’en défit violemment pour aller s’encanailler du côté du libéralisme dominant ; version polémique et sarkoziste pour André Glucksmann, version plus universitaire et tocquevillienne pour François Furet.
Ces deux types de parcours m’intéressent peu, car ils ne révèlent aucune ambiguïté. Il s’agit dans chaque cas d’une adhésion sans réserve, soit au marxisme orthodoxe, soit au libéralisme triomphant. Deux autres trajectoires idéal-typiques sont à mes yeux bien davantage énigmatiques et dignes d’intérêt. Il s’agit pour ces deux cas de penseurs qui, sans renoncer à une critique de la société contemporaine (se démarquant ainsi des libéraux), ont néanmoins pris une certaine distance à l’égard de la pensée de Marx (se démarquant ainsi du fétichisme propre aux marxistes orthodoxes). Je pense ici tout particulièrement à Claude Lefort, Chantal Mouffe, Miguel Abensour et Cornelius Castoriadis. Mais il faut encore distinguer deux trajectoires au sein de ce petit monde. Il me semble en effet que, au-delà des similitudes susmentionnées, ces quatre penseurs se séparent au moment d’aborder la « question Marx ». Tandis que les deux premiers l’abandonnent pour aller chercher chez Carl Schmitt (Chantal Mouffe) ou chez Machiavel (Claude Lefort) ce qu’ils n’avaient pu trouver chez le camarade d’Engels, Miguel Abensour et Cornelius Castoriadis, tout en s’autorisant la critique, restent fidèles aux intuitions émancipatrices de la pensée marxienne [1].
Les gains résultant de la rupture avec Marx sont bien connus. Il s’agissait, pour Lefort comme pour Mouffe, de se défaire d’une pensée qui n’avait su donner à l’idée de « conflit » sa pleine et entière consistance. L’utopie marxienne d’une société sans classes était le reflet du rêve mortifère de l’avènement d’une société délivrée du conflit, transparente à elle-même, où l’administration des choses se substituerait au gouvernement des hommes, selon la formule malheureuse reprise par Marx à Saint-Simon. L’espoir que le conflit s’éteindrait dans la société communiste était la preuve que Marx ne savait assumer jusqu’au bout l’idée de conflictualité politique. Le recours à Machiavel et à la « division originaire du social », ainsi que le passage par Carl Schmitt et sa distinction ami/ennemi étaient alors le moyen d’affirmer, d’une part, l’inéluctabilité du conflit (qui ne saurait jamais disparaître) et, d’autre part, son irréductibilité (puisque le conflit politique ne saurait se réduire à une détermination économique, la lutte des classes). Quitter Marx n’était donc pas un renoncement mais un approfondissement de l’idée de conflit. L’on pouvait ainsi s’extraire de la galaxie marxiste tout en maintenant une critique de la société libérale, accusée de ne pas accorder une place suffisante au conflit [Colonna d’Istria, 2011 et Mouffe, 1994].
Si les gains de l’abandon de Marx sont donc bien connus – puisque Lefort et Mouffe se sont eux-mêmes longuement expliqués sur les raisons de cette rupture –, les « coûts » n’ont en revanche pas été étudiés. Qui souhaiterait s’y atteler pourrait procéder par comparaison, en confrontant la pensée de Claude Lefort et Chantal Mouffe à celle de deux autres penseurs qui leur sont d’une grande proximité intellectuelle et théorique mais qui n’ont cependant jamais été jusqu’à rompre tous liens avec Marx, à savoir Miguel Abensour et Cornelius Castoriadis. Sans prétendre que le sort fait à Marx déterminerait directement les autres orientations de la pensée d’un auteur, nous pouvons néanmoins chercher ce que l’on « perd » dans le passage de Marx à d’autres penseurs du conflit (Schmitt, Machiavel) [2]. Notre hypothèse est qu’il s’agit d’une perte de radicalité, perceptible à deux niveaux. D’une part, l’idée de révolution socialiste est abandonnée (chez Mouffe) ou largement assagie (chez Lefort, qui continue à parler de « révolution démocratique » tout en associant celle-ci à la « révolution libérale »). D’autre part, on perd l’intuition marxienne selon laquelle une démocratie authentique est anti-étatique, et en ce sens ne peut être qu’une démocratie directe qui s’oppose à toute forme de démocratie représentative.
L’objet de l’article n’est pas de se prononcer sur le caractère désirable (ou non) de ladite radicalité. Autrement dit, le sacrifice de radicalité n’a a priori rien de condamnable, et le fait qu’une pensée soit plus radicale qu’une autre ne garantit rien quant à sa valeur. Cet article n’est donc pas une défense d’Abensour et Castoriadis contre Lefort et Mouffe. Notre ambition, analytique et non normative, est de comparer ces quatre œuvres relativement proches pour tenter d’identifier les effets théoriques de l’abandon (ou de la fidélité à) de l’héritage marxien. L’hypothèse, déjà mentionnée, est que la rupture avec Marx entraîne une perte de radicalité. Mais la radicalité est entendue ici en un sens politique et non philosophique. Etre radical désigne le degré d’intensité avec lequel est dénoncé l’ordre établi (radicalité politique) et non le degré de profondeur avec lequel sont saisies les racines d’un phénomène (radicalité philosophique) ; car sur ce second point, rien ne nous autorise à prétendre que Lefort et Mouffe seraient restés plus « superficiels » qu’Abensour et Castoriadis.
Pour cerner les effets du rapport à Marx sur la pensée politique de ces quatre auteurs, il convient de nous focaliser sur la notion de conflit, qui occupe une place centrale dans leurs philosophies respectives. Cette notion ne saurait être définie dès l’introduction de cet article, puisque c’est justement sa signification qui varie en fonction – comme nous allons essayer de le montrer – de la place et de la validité accordées aux écrits de Karl Marx. Autrement dit, en préservant une partie de la pensée marxienne et en continuant à s’en réclamer ouvertement, Abensour et Castoriadis sont amenés à adopter une idée du conflit qui, politiquement (et non philosophiquement), se veut plus radicale que celle de Mouffe et Lefort. On trouve en effet chez les deux premiers une défense de la démocratie directe et du projet de révolution socialiste, toutes deux absentes des écrits de Mouffe et Lefort. Partant, l’objectif de cet article est donc triple : 1. clarifier le rapport qu’entretiennent chacun de ces quatre auteurs avec Marx (rejet pour Lefort et Mouffe ; adhésion critique et partielle pour Castoriadis et Abensour), 2. préciser le sens et la portée de la notion de conflit chez chacun d’eux, 3. montrer que les différentes acceptions de la notion de conflit découlent logiquement des différentes positions prises à l’égard du « problème Marx » (c’est dans la mise en évidence de ce lien de causalité entre les points 1. et 2. que réside la principale originalité de notre article). Autrement dit, se défaire de Marx n’est pas sans conséquences puisque, outre les gains bien connus (rejet des illusions essentialiste, déterministe et économiciste), cet abandon entraîne par ailleurs une dilution de la radicalité politique de l’idée de conflit : disparaissent, en même temps que Marx, l’attachement à la démocratie directe et à la révolution (en son sens socialiste).

I. Chantal Mouffe, un pluralisme agonistique postmarxiste

Chantal Mouffe est connue pour sa critique sans concession du libéralisme. S’appuyant sur un diagnostic dressé en son temps par Carl Schmitt, elle reproche à Rawls, Habermas ou encore Dworkin et Rorty de procéder à une apologie du consensus, à une négation de l’antagonisme caractéristique de toute vie politique qui, paradoxalement, aboutit à son renforcement. Cette vision consensualiste de la démocratie moderne ne supprime en rien les conflits (qu’elle prétend en voie de disparition) mais les déplace du domaine politique vers des formes religieuses, nationalistes ou ethniques. D’où la montée en Europe du populisme d’extrême-droite. Pour faire face à cette situation périlleuse, Mouffe en appelle à l’instauration d’un pluralisme agonistique, qui permette de réels affrontements à l’intérieur d’un espace commun délimité par l’adhésion aux valeurs d’égalité et de liberté. Le paradigme du pluralisme agonistique est bien connu et toujours présenté avec une extrême clarté par son auteure. Aussi pouvons-nous pour l’instant nous contenter de rappeler que, selon cette approche, une politique démocratique se fonde sur le caractère constitutif de l’antagonisme. La tâche d’une telle politique n’est pas de parvenir à un consensus sans exclusion (la création d’un Nous qui s’économiserait la détermination d’un Eux) mais d’établir un conflit entre un « Nous » et un « Eux » qui soit compatible avec le pluralisme (les idées d’autrui sont vigoureusement combattues sans que son droit à les défendre soit remis en question). De manière plus concrète, l’instauration d’une dynamique Nous/Eux se traduit selon Mouffe par une réactivation du clivage gauche/droite qui s’est progressivement estompé au cours des dernières décennies.
Pour autant, Chantal Mouffe ne se limite pas à une critique néo-schmittienne du consensualisme libéral. Elle est aussi l’auteure d’une sévère critique du marxisme – critique qui, il faut le reconnaître, a suscité moins d’intérêt chez ses commentateurs. Bien que se revendiquant du projet d’émancipation longtemps porté par la tradition marxiste, Mouffe adresse à cette dernière une série de reproches aboutissant à une condamnation définitive. Elle constate qu’au cours des années 1980, les sociétés occidentales assistent à l’émergence d’un ensemble de luttes regroupées sous l’appellation de « nouveaux mouvements sociaux » (antiracisme, féminisme, écologisme, etc.). Ces résistances manifestent, s’il en était besoin, l’existence d’une multiplicité des formes de domination et d’exclusion contemporaines. Or le marxisme, obnubilé selon elle par le seul prolétariat et la lutte des classes, aurait ravalé ces luttes au rang de « fronts secondaires ». Ainsi, lorsque la situation ou l’urgence imposent de choisir, le marxisme n’hésiterait pas à défendre les intérêts de la classe ouvrière au détriment des droits des immigrés, des femmes ou des consommateurs. Ce rapport de subordination entre cause prolétaire et nouveaux mouvements sociaux résulte de la métaphysique du sujet unitaire. Selon cette métaphysique, l’émancipation ne connaît qu’un seul sujet, le prolétariat, qui, en s’arrachant à ses chaînes, libérerait du même coup l’ensemble de l’humanité. Chantal Mouffe, en que théoricienne du féminisme, ne peut souscrire à l’illusion selon laquelle la disparition du capitalisme entraînerait par miracle avec elle celle du patriarcat et du racisme. Qui plus est, s’appuyant sur l’herméneutique de Gadamer et la philosophie du langage du dernier Wittgenstein, Mouffe congédie l’illusion marxiste d’un sujet unitaire. Pour penser la politique contemporaine et saisir les nouvelles luttes dans leur diversité, il importe d’élaborer une théorie du sujet comme agent décentré et jamais définitivement identique à lui-même. Aussi propose-t-elle de substituer à la notion de « sujet », jugée trop unifiante et homogénéisante, celle de « positions de sujet », mieux à même de rendre compte de la pluralisation des espaces de contestation et des fronts de lutte. L’enjeu central d’une politique démocratique devient alors d’articuler entre elles ces différentes positions de sujet pour éviter qu’elles ne s’éparpillent et se disséminent dans des revendications corporatistes qui ne feraient que les affaiblir. Ces luttes ne convergeant pas de manière spontanée, la philosophie politique doit se donner pour tâche de les articuler autour d’une « chaîne d’équivalence démocratique » ; dont Mouffe ne nous dit d’ailleurs pas comment une telle chaîne est possible à mettre en œuvre (et ce silence résulte probablement du fait que toute la difficulté réside justement dans l’articulation effective des différentes luttes démocratiques).
La dénonciation du primat accordé au prolétariat par le marxisme combine ainsi deux critiques : celle de l’économicisme, selon lequel Marx expliquerait tout phénomène social par son infrastructure économique, et celle du monisme, par lequel Marx ramène toute lutte contre la domination à une lutte contre l’exploitation et érige par là même les ouvriers en unique agent du changement social. Par ailleurs, Mouffe reprend à son compte l’accusation de déterminisme historique bien souvent adressée au marxisme. En mobilisant notamment Claude Lefort et des auteurs dits postmodernes comme Jean-François Lyotard, elle insiste sur la nécessité de se défaire du mythe des lois de l’histoire, de l’évolution inéluctable du capitalisme vers son renversement par le communisme qu’il ferait advenir en raison de ses contradictions internes entre forces de production et rapports de production. Contre cette vision déterministe de l’histoire, il convient d’insister sur la dimension contingente, indécidable, indéterminée et toujours temporaire de toute vie et de toutes institutions politiques. La démocratie et la liberté sont extrêmement fragiles et toujours réversibles. Autrement dit, l’accès à la démocratie ne garantit pas à la société concernée qu’elle jouira indéfiniment de ce privilège. La démocratie est toujours susceptible de se dégrader, voire de disparaître. De sorte que, s’il convient de s’éloigner du marxisme, c’est aussi parce que celui-ci constitue une pensée de la maîtrise [1994 : 36] qui considère, à tort, que l’homme est toujours maître de son destin. Rejoignant paradoxalement certaines intuitions de la philosophie conservatrice (à laquelle elle s’oppose pourtant sur la plupart des aspects), Mouffe fait valoir, contre l’illusion rationaliste et le fétichisme de la maîtrise qui plombent la pensée marxiste, que l’activité humaine est nécessairement imparfaite et finie, limitée qu’elle est par un ensemble de conditions extérieures indépendantes de sa volonté ; le premier de ces obstacles à la toute-puissance de la volonté humaine étant, comme le mentionne Mouffe, la tradition héritée des siècles passés.
La dernière critique adressée par Mouffe au marxisme est liée à l’illusion de la fin de l’histoire : il s’agit d’une seconde illusion, celle de l’avènement d’une société réconciliée et transparente à elle-même. Selon Mouffe, le projet d’une société sans classe, débarrassée des conflits et des rapports de pouvoir, constitue un danger suprême de nature à miner pour de bon le projet communiste, qu’il conviendra désormais selon elle de remplacer par le projet d’une démocratie radicale [2010 : 83].

2. Cornelius Castoriadis, rompre avec Marx pour mieux le retrouver

Comment Castoriadis se positionne-t-il à l’égard de Marx ? Commençons par le commencement. Dans L’institution imaginaire de la société, Castoriadis formule cette alternative, si souvent citée, selon laquelle sa réflexion l’amena à choisir entre « rester marxiste et rester révolutionnaire » [1975 : 21]. S’il a finalement jugé devoir abandonner le marxisme pour sauver la révolution, c’est qu’il considère que le premier ne satisfait pas aux exigences d’une politique véritablement démocratique. C’est à ce titre qu’il nous faut avoir clairement à l’esprit que Castoriadis partage les quatre critiques adressées par Mouffe au marxisme. Il ne les formule certes pas dans le même vocabulaire, et les articule entre elles à sa manière, mais, fondamentalement, il dénonce lui aussi les quatre « ismes » du marxisme : historicisme, unitéisme, scientisme et économicisme.
Qu’est-ce qui, dans ce cas, nous permet d’avancer, comme nous le faisions en introduction, que Mouffe et Castoriadis ne partagent pas le même diagnostic quant au sort qu’il convient de réserver à Marx ? Si tous deux adressent au marxisme la même série de griefs, comment peut-on affirmer que le jugement qu’ils réservent à Marx n’est pas similaire ? Pour le comprendre, il importe de noter que Castoriadis effectue une distinction centrale – introduite pas Marx lui-même (« tout ce que je sais, c’est que moi je ne suis pas marxiste ») – entre Marx et le marxisme. Cette distinction n’apparaît jamais dans l’œuvre de Mouffe et son absence laisse à penser, comme l’attestent d’ailleurs les quelques passages où Mouffe parle de Marx et non du marxisme, que pour elle le marxisme est le digne héritier et le prolongement logique des écrits de Karl Marx. Aussi, chez la théoricienne du pluralisme agonistique, l’ensemble des critiques adressées au marxisme concernent directement Marx, et réciproquement. Castoriadis refuse pour sa part cette assimilation à ses yeux précipitée. La thèse inverse à celle de Mouffe est celle de Maximilien Rubel, qui voit en Marx le premier et le meilleur critique du marxisme [1974]. A ceux qui identifient Marx au marxisme, Rubel rétorque ainsi qu’ils sont tout deux profondément opposés. Aussi partage-t-il avec Michel Henry l’idée que le marxisme se définit comme « l’ensemble des contresens qui ont été faits sur Marx » [1976 : 9]. Castoriadis ne va pas jusqu’à une telle extrémité. Il se refuse à retourner la thèse de l’assimilation en thèse de l’opposition. Adoptant une position médiane, il se contente de distinguer Marx du marxisme. Autrement dit, le marxisme n’est pas identique à la pensée de Marx, mais il n’en est pas non plus entièrement indépendant. Comme l’écrit lui-même Castoriadis, « autant il est superficiel et dérisoire de dire, comme le veut la mode aujourd’hui, que le Goulag est dans Marx, autant il est superficiel et dérisoire de mettre en extériorité totale l’une par rapport à l’autre une théorie sociale et politique et la pratique historique effective qui s’en est inspirée et réclamée. En fait, il y a un lien solide entre des éléments centraux de la pensée de Marx et ce qu’est devenu le marxisme » [2005 : 175].
Si Castoriadis considère que Marx est partiellement responsable, mais partiellement seulement, des multiples dérives du marxisme, autrement dit, si Castoriadis condamne unilatéralement le marxisme adopte un jugement plus nuancé à propos de Marx, c’est qu’il considère que la pensée de ce dernier est clivée, scindée entre deux grandes orientations contradictoires. La première, résolument néfaste et autoritaire, correspond justement à tout ce que Mouffe et Castoriadis dénoncent dans la tradition marxiste : naturalisation du social, déterminisme historique, scientisme, adhésion au mythe bourgeois du progrès, etc. Mais cet aspect des écrits marxiens est compensé, selon Castoriadis, par une orientation émancipatrice et révolutionnaire sur laquelle devraient continuer à s’appuyer ceux qui cherchent à mettre à bas les multiples systèmes d’oppression contemporains. Cette seconde orientation de la pensée marxienne, que Mouffe ne semble pas avoir perçue ou qu’elle ne juge pas important de prendre en compte, correspond notamment à l’idée que toute émancipation est auto-émancipation, à l’accent mis sur une philosophie de la praxis cherchant à dépasser l’opposition entre pratique et théorie, à l’insistance sur le fait que même si les hommes agissent dans des conditions données ce sont eux qui font leur propre histoire et, enfin, à la précieuse analyse du fétichisme de la marchandise et de la course au profit qui fondent la dynamique capitaliste [1975 : 85-87].
Ainsi sommes-nous autorisés à constater que, s’ils partagent un rejet commun du marxisme, et ce pour des raisons similaires, Chantal Mouffe et Cornelius Castoriadis envisagent en revanche différemment le rapport à Marx. Tandis que Mouffe, en passant sous silence la distinction entre Marx et le marxisme, laisse implicitement comprendre qu’elle se distancie aussi bien du premier que du second, Castoriadis adopte un jugement plus nuancé puisque, sans aller jusqu’à une éloge de « Marx critique du marxisme » (comme Rubel ou Henry), il sait percevoir chez le camarade d’Engels la présence d’idées émancipatrices qui résistent aux aspects scientistes et économicistes caractérisant le reste de ses écrits. Mais tirer ce constat ne nous entraîne qu’à un premier degré d’analyse, qu’il convient d’approfondir en nous demandant en quoi le rapport différencié qu’ils entretiennent à Marx conduit ces deux penseurs à adopter deux conceptions différentes du conflit politique ? Autrement dit, il convient maintenant de montrer que l’attachement de Castoriadis à Marx le conduit à une approche du conflit politiquement plus radicale que celle de Chantal Mouffe. La comparaison entre Mouffe et Castoriadis nous permettra ainsi d’illustrer notre thèse selon laquelle le choix de penser le conflit avec, ou sans, Marx a une influence directe (décisive ?) sur le positionnement politique adopté par un penseur.

3. Castoriadis et Chantal Mouffe : démocratie directe ou démocratie représentative ?

Chantal Mouffe élabore une conception du politique fondée sur le concept d’« extérieur constitutif ». Cette expression, qu’elle reprend au philosophe Henry Staten, signifie que toute identité s’établit dans un rapport qui pose une différence avec autrui, laquelle est généralement associée à une forme de hiérarchie (par exemple noir/blanc, hommes/femmes, forme/matière, etc). Partant du constat qu’une identité s’institue systématiquement dans l’affirmation d’une différence « qui fait de l’« autre » un « extérieur » » [2003 : 147], Mouffe en vient à reformuler la thèse schmittienne de l’ami/ennemi. Si le juriste allemand eut le génie de comprendre que toute relation sociale est marquée par des antagonismes indépassables, Mouffe refuse en revanche d’assimiler comme lui le conflit politique à l’affrontement guerrier. L’enjeu crucial est en effet d’établir une distinction Nous/Eux qui demeure compatible avec le principe du pluralisme ; ce que ne permet pas une conception du politique directement calquée sur le modèle de la guerre. « Aussi une politique démocratique suppose-t-elle que les autres soient vus non comme des ennemis à abattre, mais bien comme des adversaires dont les idées peuvent être combattues, parfois avec acharnement, sans que jamais, cependant, leur droit à les défendre puissent être mis en question » [2003 : 149]. La démocratie se donne ainsi pour tâche de transformer l’antagonisme potentiel (lutte entre ennemis) en une agonistique (lutte entre adversaires).
La question centrale est alors : dans quel cadre cette agonistique politique trouvera-t-elle la possibilité de son déploiement ? Cette question se décline à un double niveau, philosophique et institutionnel. Au niveau philosophique, elle devient : à quels principes éthico-politiques communs adhèrent les adversaires ? Car s’ils cherchent à se combattre sans s’abattre, c’est qu’il existe entre eux un accord minimal sur les valeurs démocratiques. Au niveau institutionnel, la question devient : quel régime politique est susceptible d’offrir les garanties législatives et procédurales qui permettront au conflit politique de rester agonistique (entre adversaires) sans devenir antagoniste (entre ennemis) ? Autrement dit, quelles sont les règles (institutionnelles) de l’affrontement entre adversaires ?
Au niveau philosophique, Mouffe considère que le conflit entre adversaires est rendu possible dès l’instant où ceux-ci partagent une commune adhésion aux principes démocratiques de liberté et d’égalité. Le conflit qui les oppose portera alors non pas sur la défense de leurs intérêts respectifs mais sur les différentes interprétations du sens qu’ils attribuent à ces idéaux d’égalité et de liberté. Quelle est la traduction institutionnelle de cette allégeance philosophique aux idéaux démocratiques ? Plus prosaïquement, quel est aux yeux de Chantal Mouffe le meilleur régime, c’est-à-dire celui qui encouragera l’expression du conflit politique tout en veillant à ce qu’il ne dégénère pas en affrontement ami/ennemi ? Ou encore : comment organiser effectivement le pluralisme agonistique ? La réponse tient en trois éléments. Il s’agit d’une démocratie représentative où le clivage gauche-droite aurait été réactivé et où le conflit porterait sur les différentes interprétations du bien commun et non sur les intérêts particuliers et/ou corporatistes de chacun.
En quoi cette conception du conflit diffère-t-elle de celle de Castoriadis ? Sur le troisième point, en rien. Castoriadis s’accorde avec Mouffe lorsqu’elle affirme que, dans l’idéal, « le conflit ne serait pas le conflit des intérêts mais le conflit sur les différentes interprétations du bien commun » [Castoriadis, Mouffe ; 2010 : 120]. Pour marquer son approbation, il déplore que les Parlements actuels se réduisent à un lieu de négociation et de compromis entre porte-paroles de différentes corporations. « C’est la conception des représentants comme représentants d’intérêts particuliers. Cet aspect est effectivement moderne, et en un sens je suis contre » [2010 : 117]. Il existait à Athènes, rappelle Castoriadis, un dispositif admirable qui, lorsque l’ecclesia devait décider de faire ou non la guerre à un peuple voisin, interdisait aux citoyens athéniens habitant une région limitrophe de participer au vote. Grâce à cette disposition, on évitant que ces citoyens ne votent en faisant primer leur intérêt sur celui de la cité.
Castoriadis semble aussi assez proche du second point qui, selon Mouffe, caractérise un véritable conflit politique. Selon elle, la lutte contre les dangers qui menacent aujourd’hui la démocratie (principalement la montée du populisme d’extrême-droite) passe par une réactivation du clivage gauche-droite. Elle critique durement ceux qui jugent ce clivage obsolète ou prétendent vouloir le dépasser. Elle s’en prend aux partis sociaux-démocrates, accusés d’avoir abandonné les classes populaires (considérées comme « archaïques » et « rétrogrades ») et d’avoir capitulé devant les « diktats » de la « mondialisation néolibérale » [2003 : 151]. Castoriadis adresse lui aussi une « critique de gauche » à la social-démocratie occidentale, qu’il convient d’ailleurs plutôt désormais d’appeler « social-libéralisme », tant cette gauche a fait sienne les politiques traditionnellement considérées « de droite ». « Il y a longtemps, écrit Castoriadis, que le clivage gauche-droite, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques radicalement opposés. […] Pendant cinq ans les socialistes ont disposé d’un pouvoir absolu [référence à 1981-1986 en France] ; ils l’ont utilisé pour gérer le système et – comme pendant la guerre d’Algérie – faire ce que la droite voulait et n’osait pas faire » [2005 : 209].
Si Mouffe et Castoriadis partagent des positions relativement proches sur la question du clivage gauche/droite et du conflit devant porter sur le bien commun (plutôt que sur les intérêts), on ne peut en revanche trouver le même accord à propos de ce qui constitue aux yeux de Mouffe la troisième dimension d’un véritable conflit politique. Selon elle, nous le disions, le conflit doit prendre forme au sein d’une démocratie représentative. Cette position, défendue à plusieurs reprises dans son œuvre [voire notamment Mouffe, 1994 : 56-59], est profondément rejetée par Castoriadis, pour qui toute démocratie est nécessairement démocratie directe. Précisons pour commencer que la démocratie représentative à laquelle Chantal Mouffe accorde sa préférence n’est pas le système représentatif que l’on connaît actuellement dans les sociétés occidentales, puisque ces régimes devraient au minimum connaître deux profonds changements pour correspondre à l’idéal de Mouffe : réveil de la social-démocratie pour que renaissent des partis de gauche « vraiment » de gauche, et conflit sur les interprétations de l’intérêt général plutôt que luttes entre intérêts particuliers. Ces deux réserves mises à part, Mouffe défend le caractère « représentatif » des régimes politiques contemporains. Elle insiste, à l’instar de Norberto Bobbio, « sur l’importance de la démocratie représentative et sur la nécessité d’abandonner les illusions de la démocratie directe », qui véhicule selon elle le dangereux espoir « d’atteindre un parfait consensus dans une société totalement transparente » [1994 : 56]. Castoriadis s’oppose ici frontalement à Chantal Mouffe [3], puisqu’à l’occasion du débat qui rassembla nos deux auteurs en 1994 lors d’une rencontre organisée par le MAUSS, il fit valoir que selon lui « il n’y a de démocratie que directe » et qu’une « démocratie représentative n’est pas une démocratie » [2010 : 102]. Autrement dit, pour que le conflit et les désaccords politiques puissent véritablement s’exprimer, il convient d’avoir préalablement rompu avec toute forme de démocratie indirecte.
Mouffe refuse explicitement de s’appuyer sur l’argument de la taille (« une démocratie directe n’est possible que dans une petite communauté ») et sur celui de l’incompétence et l’apathie populaires, généralement attribué à Constant (« il faut des représentants car le peuple ne souhaite ni ne peut prendre ses affaires en main »). Elle juge de « mauvaise foi » ces deux arguments [2010 : 109]. Pour défendre la démocratie représentative, Mouffe fait alors valoir que celle-ci est plus à même de garantir la sauvegarde des libertés individuelles que ne l’est la démocratie directe. Elle ajoute un second argument à l’encontre de la démocratie directe, à savoir que celle-ci présupposerait une sorte d’unité du sujet politique démocratique qui prendrait nécessairement de bonnes décisions. Selon elle, la réalité dément cette vision idéalisée du peuple. C’est pourquoi, conclut-elle, « il faut des institutions qui ne sont pas démocratiques », mais qui vont justement garantir « la liberté individuelle et un certain pluralisme » [2010 : 110-111]. Castoriadis réplique que la volonté populaire peut certes être erronée, mais que celle de ses représentants peut l’être aussi, comme le démontre amplement l’histoire des régimes représentatifs. Aussi répond-il à Mouffe qu’il ne voit pas en quoi « le fait que la démocratie soit représentative, et non pas directe, constitue une garantie supplémentaire » pour les libertés individuelles [2010 : 115]. Selon lui, ce ne sont pas les représentants mais les dispositions constitutionnelles qui garantissent ces libertés. Et pour qu’une Constitution garantisse les droits individuels, encore faut-il que le peuple soit prêt à se battre pour protéger sa Constitution si celle-ci est menacée. In fine, pour Castoriadis, la protection des droits repose donc dans l’activité politique autonome des masses, et non dans celle de leurs représentants. Malheureusement pour le lecteur, la discussion entre Castoriadis et le MAUSS s’éloigne ensuite un peu du débat démocratie directe/démocratie représentative. Ce débat (auquel participait aussi Alain Caillé, sur une position intermédiaire entre celle de Mouffe et Castoriadis) n’était pas fini, et d’autres arguments auraient certainement vu le jour si les participants s’étaient attardés encore un peu sur le sujet. Ceci dit, l’essentiel n’est pas là. Car il nous faut maintenant en revenir à la thèse principale de notre article, que nous avons quelques instants laissée de côté : le rapport à Marx aurait une influence directe sur la manière de penser le conflit politique. Plus précisément : parce que Castoriadis maintient une certaine proximité avec Marx, sa conception du conflit serait politiquement plus radicale que celle de Mouffe, qui pour sa part assimile Marx au marxisme et rejette les deux à la fois. Que l’attachement à la démocratie directe soit politiquement (et non philosophiquement, car sur ce point nous ne nous prononçons pas) plus radical que l’attachement à la démocratie représentative est un point qui fait consensus. Pour valider notre thèse, il reste donc à valider un second point : à savoir que si Castoriadis défend la démocratie directe, c’est précisément grâce à sa lecture et à son attachement à Marx, du moins grâce au Marx émancipateur et révolutionnaire – car nous avons dit que pour Castoriadis la pensée de Marx est divisée entre deux grandes orientations contradictoires, l’une émancipatrice, l’autre autoritaire.
Ce point est assez simple à établir, puisque Castoriadis admet quasi-ouvertement que c’est en s’inspirant de Marx qu’il en est arrivé à adopter l’idée que le conflit politique n’est possible que dans le cadre d’une démocratie directe. En se référant explicitement à cette dernière, Castoriadis explique que si la société n’est pas capable de se donner cette forme de régime politique, « alors il y aura un nouveau régime représentatif et à nouveau ce que Marx a appelé la rechute dans le « fatras antérieur », c’est-à-dire dans l’expropriation du pouvoir par les représentants, par les possédants » [2010 : 103]. Castoriadis écrit par ailleurs qu’on trouve les « germes de la démocratie directe » dans « la Commune de Paris » ou dans « les soviets, avant qu’ils ne soient domestiqués par les bolchéviks » [2010 : 102]. Or, dans L’institution imaginaire de la société, il ajoute que « c’est l’élément révolutionnaire de la pensée de Marx » qui nous rendra « capable de reconnaître dans la Commune de Paris ou dans les Soviets russes […] la création par les masses en action de nouvelles formes de vie sociale » [1975 : 82-83]. Aussi ne fait-il pas de doute quant au fait que c’est dans sa lecture de Marx, et notamment « dans les œuvres de jeunesse » [1975 : 82], qu’il a puisé son intuition selon laquelle le conflit politique ne se manifesterait pleinement que dans une démocratie directe.
Un élément supplémentaire vient conforter notre thèse. Comme on le sait, Castoriadis est resté révolutionnaire jusqu’à la fin de sa vie. Son projet d’autonomie, dont la démocratie directe est l’une des composantes, se revendique ouvertement comme un projet révolutionnaire en filiation avec des évènements comme la Commune de Paris, les soviets russes ou les conseils ouvriers de Budapest, et avec des penseurs comme Marx, Rosa Luxemburg ou même le jeune Trotsky. Il écrit par exemple que la démocratie directe ne pourra sortir « que d’un énorme mouvement populaire » [2010 : 102] qui, ajoute-t-il ailleurs, mettra à bas aussi bien le capitalisme que l’Etat [1986 : 291]. Si Chantal Mouffe est elle aussi très critique des institutions politiques existantes, force est de constater que sa critique reste plus modérée que celle de Castoriadis. Elle ne se dit jamais « révolutionnaire », et semble même rejeter explicitement cette perspective lorsque, critiquant en même temps marxisme et libéralisme, elle enjoint ses lecteurs à ne pas « se laisser enfermer dans le faux dilemme entre une alternative radicale à l’ordre existant et une simple alternance  » [1994 : 24].
Nous allons maintenant voir que la comparaison entre les écrits de Claude Lefort et ceux de son élève Miguel Abensour nous conduit au même constat que la confrontation entre les pensées de Mouffe et de Castoriadis : le sort réservé à Marx a une influence directe sur la conception du conflit politique adoptée par un penseur. Autrement dit, en préférant garder Marx là où Lefort l’abandonne au profit de Machiavel, Miguel Abensour est amené à défendre une forme de démocratie plus radicale que celle de son aîné. Pour s’en convaincre, posons notre regard sur le débat entre démocratie sauvage et démocratie insurgeante, débat dont l’enjeu est directement lié au sort réservé à Marx.

4. Le Marx de Claude Lefort : la démocratie sauvage comme lutte pour les droits

Dans La Question juive, article publié en 1843 dans un journal allemand, Marx reproche aux droits de l’homme d’être des droits fictifs, abstraits et formels. Le libéralisme des Lumières et les révolutions françaises et américaines ont inventé deux grandes idées : la liberté et l’égalité. Marx ne nie pas cela, puisqu’il reconnaît même qu’il s’agit d’un « grand progrès » [1971 : 45]. Mais cette émancipation des droits de l’homme proclame la liberté et l’égalité d’un individu fictif, abstrait, détaché de ses déterminations sociales. C’est pourquoi Marx demande « qu’on ne se fasse pas d’illusion sur la limite de l’émancipation politique » [1971 : 45]. La proclamation des droits de l’homme ne constitue pas à ses yeux une démocratisation véritable de l’Ancien régime et de ses structures autoritaires.
Le problème réside pour Marx dans le fait que la société libérale opère une dissociation totale entre le social et le politique. Le sujet qui se voit accorder les droits de l’homme est un citoyen fictif, un sujet abstrait, et non un homme réel, qui travaille, qui possède des biens, qui vit dans telle famille et qui pratique telle religion. Ainsi, écrit Marx dans La Question juive : « L’Etat abolit à sa manière les distinctions de naissance, de rang social, d’éducation, de profession, quand il décrète que naissance, rang social, éducation, profession, sont des distinctions non politiques, quand, sans tenir compte de ces différences, il proclame que chaque membre du peuple participe, à titre égal, à la souveraineté populaire » [1971 : 41].
Cette dissociation est pourtant inexistante au Moyen Age. L’homme politique (le sujet des droits) est l’homme social. Autrement dit, une qualification sociale particulière entraîne des droits politiques particuliers : « les éléments de la société civile, comme la propriété ou la famille, ou le mode de travail, étaient élevés, dans les formes de la propriété foncière seigneuriale, de l’ordre et de la corporation, au rang d’élément de la vie de l’Etat » [1971 : 60]. Mais dans la société libérale bourgeoise, les déterminations sociales n’ont plus d’influence politique. Marx condamne cette évolution car il voit dans l’émancipation politique libérale l’émancipation d’un individu fictif, de sorte qu’on se trouve face à une émancipation fictive, un tour de passe-passe. Les droits de l’homme proposent finalement bien une liberté, mais une liberté formelle.
Cette critique marxienne des droits de l’homme concerne moins leur contenu que leur fonction historique et idéologique [4]. Le contenu de ces droits se résume dans les deux principes d’égalité et de liberté. Marx ne condamne pas cela, au contraire. Le libéralisme propose une liberté fictive, mais elle est nécessaire, car elle marque l’invention de l’universalité : « L’émancipation humaine est, quoiqu’il en soit, un grand progrès, elle n’est certes pas la forme ultime de l’émancipation humaine en général, mais elle est la dernière forme de l’émancipation humaine au sein de l’ordre du monde tel qu’il existe jusqu’à présent » [1971 : 44]. Ce que Marx condamne, c’est la fonction idéologique que remplissent les Déclarations des droits de l’homme de 1789, 1791 et 1793. Au fond, pense-t-il, si on a besoin de proclamer ces droits, cela montre bien qu’il y a une tare dans le système libéral, c’est bien qu’ils ne sont ni effectifs, ni réels, car si ces droits étaient réalisés de fait, on n’aurait pas besoin de les proclamer.

Dans le premier chapitre de L’invention démocratique [1981], Claude Lefort s’élève contre l’interprétation marxienne des droits de l’homme comme émancipation politique et illusoire. Pour Lefort, les droits de l’homme sont générateurs d’une forme de société démocratique. Aussi dénonce-t-il la lecture idéologique qu’en donne Marx. Celle-ci, ajoute Lefort, se trouve d’ailleurs démentie par l’expérience du totalitarisme. L’argumentaire lefortien est donc de nature historique et repose sur un raisonnement syllogistique : le totalitarisme s’est édifié sur la négation totale des droits de l’homme, or le totalitarisme est par excellence le type de société qui s’appuie sur la dissociation de l’homme privé et de l’homme social. Cette scission est précisément celle que Marx croyait repérer dans les régimes libéraux des droits de l’homme. Or elle est celle des régimes autoritaires, qui sont l’exact opposé des droits de l’homme. Donc la critique marxienne de l’abstraction des droits de l’homme est historiquement invalidée.
Que serait alors pour Lefort une lecture non idéologique des droits de l’homme ? La question de la liberté constitue un exemple révélateur. Lefort fait remarquer que Marx s’en tient à une interprétation négative de la liberté puisqu’il reprend la formulation selon laquelle liberté consisterait à ne pas nuire. Il néglige de mettre en évidence la positivité de l’affirmation de la liberté. Où loge cette positivité ? Dans le fait que l’affirmation de la liberté suppose avec elle la production d’un espace public politiquement garanti. Lefort étaye son propos en notifiant que Marx passe sous silence les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Pourquoi ? Précisément parce que ces deux articles affirment la liberté de conscience, d’opinion et de communication publique. Ils font entendre que la liberté ne consiste pas à ne pas nuire à autrui mais revient à exposer publiquement sa propre pensée, donc à s’engager publiquement et à établir un lien, proprement humain, par lequel les citoyens débattent ensemble de ce qu’ils jugent le plus fondamental pour chacun d’entre eux. L’interprétation de Marx, pour avoir volontairement effacé cette dimension, est invalidée. Lefort est alors en mesure de développer sa propre conception des droits de l’homme, vus comme un outil au service des luttes démocratiques.
En quoi la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen constitue-t-elle le principe générateur d’une forme de société démocratique ? Au fond, considère Lefort, la déclaration de 1789 est une déclaration permanente. Son contenu réside dans les combats politiques et sociaux que mènent les citoyens en faveur des droits de l’homme. Par conséquent, les droits ne se dissocient jamais de la conscience des droits. Cela signifie qu’il ne suffit pas, pour que des droits soient effectifs (pour qu’ils organisent réellement les rapports sociaux), qu’ils aient été déclarés et institutionnalisés ; encore faut-il que l’on se batte pour ces droits. La démocratie ne vit que par une lutte, sauvage, pour sa préservation. Les droits n’existent que tant qu’une conscience lucide de ce qu’ils impliquent porte des individus à se battre pour les défendre. La déclaration des droits est une invitation à lutter pour les droits en question, et à ne surtout pas se reposer sur l’idée que le travail serait achevé. Le droit porté à déclaration au terme d’une lutte ne vient pas mettre fin au combat parce que déclaré. Il prend au contraire un nouveau sens : désormais, c’est au nom de ce droit que les citoyens doivent continuer la lutte, pour le rendre effectif. Ainsi, pour Lefort, la déclaration des droits vise à la fois à sanctionner une lutte qui a eu lieu et à motiver une lutte qui doit avoir lieu. Ils participent de la sorte clairement à la promotion de ce qu’il nomme une « démocratie sauvage » [1981].

5. Le Marx anti-étatique de Miguel Abensour : de la démocratie sauvage à la démocratie insurgeante

Pendant longtemps, Miguel Abensour vît dans cette conception lefortienne de la démocratie et des droits de l’homme une précieuse ressource pour congédier les définitions qui prétendaient réduire la démocratie à une formule institutionnelle, à un régime politique ou à un ensemble de procédures. L’insistance sur le « sauvage » était à même de révéler que, dans la démocratie et dans les droits qui l’accompagnent, la force instituante est toujours en excès sur les formes instituées, prête à remettre en question ce qui se donne pour l’ordre établi. Pourtant, en 2004, Abensour rompt avec la notion de « démocratie sauvage » [Abensour, 2004 : 5-20], consommant ainsi une rupture plus profonde avec la pensée lefortienne, qui se préparait silencieusement depuis plusieurs années.
Pourquoi abandonner la « démocratie sauvage » ? Pour la simple et bonne raison que malgré son impulsion émancipatrice, celle-ci ne parvient pas à s’émanciper réellement du cadre de l’Etat. Pire, en exigeant que les droits acquis par les luttes soient reconnus et sanctionnés par l’Etat, Lefort en vient à renforcer ce dernier. En tant que garant des droits obtenus par l’action, l’Etat se voit légitimé pour de bon. Cette réaffirmation du bienfondé de l’Etat ne sied pas à la radicalité abensourienne qui, comme l’indique le titre de son ouvrage [2004], pose l’existence d’une lutte indépassable entre démocratie et Etat.
Une seconde raison vient conforter le rôle primordial accordé par Lefort à l’Etat. Ce dernier, considère Lefort, n’est pas seulement garant des droits acquis par les luttes. Il est aussi garant de l’unité de la société. Dans le même moment où Lefort affirme la dangerosité de l’Etat (qui menace d’unifier sous son autorité la société divisée), il énonce sa nécessité : la société, divisée en interne, se rassemble et acquiert une identité définie à travers la médiation étatique. « L’opération de la négativité (pouvoir inapproprié et inappropriable) n’est pas moins constitutive de l’espace démocratique que le processus qui érige l’Etat en puissance tutélaire. Le système vit de cette contradiction sans qu’aucun des deux termes, tant qu’il se perpétue, puisse perdre son efficacité » [1981 : 77]. Par un chemin différent de celui du libéralisme classique, Lefort aboutit néanmoins à la vieille antienne libérale de l’Etat comme « mal nécessaire ». Comme l’écrit Monique Boireau-Rouillé, « sa conception d’une auto-institution moderne du social comme dynamique inachevable des droits et des luttes pour les droits a potentiellement déplacé considérablement la problématique libérale, mais les limites se trouvent dans l’impensé d’une vision autre qu’étatique de l’unité conflictuelle du politique » [Boireau-Rouillé, dans Kupiec et Tassin, 2006 : 69].
Partant, Abensour se voit contraint de poursuivre seul le chemin initié puis délaissé par Lefort en raison de son attachement à l’Etat. Il propose alors la notion de « démocratie insurgeante » qui remplacera désormais celle de « démocratie sauvage ». Pour Lefort, une société démocratique se caractérise par une double division, interne, entre les différentes parties de la société, et externe, entre la société civile et l’Etat. Or, juge Abensour, la démocratie n’est pas la lutte du social contre le politique mais du politique contre l’étatique [2004 : 19]. Le concept d’institution politique du social et l’impulsion anti-fondationnaliste de la démocratie sauvage témoignent clairement du fait que Lefort avait su percevoir cette opposition fondamentale entre démocratie et Etat. C’est seulement sur la fin, en recherchant la reconnaissance des droits par l’Etat, que Lefort tombe « malheureusement » dans le travers étatiste qu’il avait pourtant contribué à dévoiler. En tant qu’insurrection permanente contre la forme Etat, la démocratie insurgeante semble à même d’éviter ce travers. Le néologisme « insurgeante », préféré ici à l’adjectif « insurrectionnelle », est un choix terminologique bien réfléchi. En tant que participe présent, il met l’accent sur le caractère processuel et permanent de l’insurrection démocratique, autre nom de la révolution démocratique.
Si Abensour a finalement rompu avec Lefort, dont il s’est pourtant profondément inspiré, c’est donc en raison de l’incapacité supposée de son maître à tirer toutes les conséquences de la crise du fondement, de son incapacité à assumer jusqu’au bout la fameuse « dissolution des repères de la certitude ». Celle-ci aurait logiquement dû, estime Abensour, prémunir Lefort contre la tentation d’enfermer la démocratie dans une forme étatique.
Lefort, comme nous l’avons vu, fonde sa conception de la démocratie sauvage sur un rejet de Marx et de son interprétation des droits de l’homme. Quelques années plus tôt, il avait déjà à plusieurs reprises dénoncé l’utopie marxienne d’une société réconciliée et transparente à elle-même. S’appuyant sur la notion de « division originaire du social », tirée du Machiavel des Discorsi [Lefort : 1972], il reprochait à Marx son incapacité à prendre en compte le caractère indépassable et irréductible du conflit politique. Si Abensour reprend en l’état cette critique lefortienne adressée à Marx, il refuse de réduire le camarade d’Engels à ce seul aspect de sa pensée.
A la différence de Mouffe et Lefort, Abensour adopte à l’égard de Marx une position très proche de celle de Castoriadis, puisqu’il considère lui aussi que cette pensée manque de cohérence au point que les thèses les plus émancipatrices y côtoient d’autres idées beaucoup plus dommageables. Aussi écrit-il que, devant « l’étonnante complexité de la pensée marxienne – qui frise parfois la contradiction » –, la sagesse recommande « qu’on se garde d’une réponse univoque » [2004 : 126]. Le point central pour notre propos réside ici : Abensour se sépare de Lefort parce qu’il lui reproche de n’avoir su adhérer à l’idée de « démocratie contre l’Etat » ; or, précisément, c’est dans l’œuvre de Marx [5] qu’Abensour puise cette conception anti-étatique, libertaire et insurgeante de la démocratie. C’est en se fondant sur Marx qu’Abensour reproche à la conception lefortienne du conflit son manque de radicalité politique. C’est par fidélité à l’idée marxienne de « démocratie contre l’Etat » qu’Abensour a jugé devoir se défaire de la « démocratie sauvage » de Lefort pour lui substituer la thèse d’une « démocratie insurgeante », dans laquelle le conflit ne s’organise plus à l’intérieur et dans le respect de l’Etat, mais à l’extérieur et contre l’Etat [2004 : 18].
Notons pour conclure que, de son attachement à Marx, Abensour n’hérite pas seulement d’une conception insurgeante de la démocratie. Il en tire aussi l’idée, étroitement liée [2004 : 150], de la nécessité d’une « révolution conseilliste » qui, loin de s’emparer de l’Etat, le briserait pour lui substituer une nouvelle forme de lien social et politique qui reste à inventer. Par son attachement au conseillisme de penseurs comme Oscar Anweiler et Karl Korsch, auxquels Abensour se réfère nommément, il marque sa fidélité à une forme de révolution socialiste (anti-jacobine) à laquelle Lefort a semble-t-il fini de croire quelques années après avoir quitté Socialisme ou Barbarie. Une nouvelle fois, nous voyons donc que l’attachement à Marx et aux aspects émancipateurs de son œuvre engage vers une conception du conflit (en l’occurrence de la révolution) politiquement plus radicale que ceux qui décidèrent de rompre définitivement avec Marx. S’il arrive à Lefort de parler de « révolution démocratique » à propos de « l’invention démocratique », il est clair que chez lui cette expression ne désigne pas un conflit aussi radical que peut l’être la « révolution conseilliste » qu’Abensour appelle de ses vœux.

En guise de conclusion

Cet article, rappelons-le, avait une visée analytique et non normative. Il ne s’agissait pas de défendre la radicalité contre la modération, Abensour contre Lefort ou Castoriadis contre Mouffe. L’enjeu, à la fois plus modeste et plus large, était de cerner les effets théoriques et politiques de l’abandon (ou de la fidélité) à la pensée marxienne. Pour ce faire, nous avons comparé la pensée politique de quatre auteurs par ailleurs très proches les uns des autres, et nous nous sommes concentrés sur l’acception attribuée par chacun d’eux à la notion de conflit politique, ainsi que sur le lien entre cette acception et le sort réservé aux écrits de Marx. Par cette approche, nous pensons avoir validé l’idée que la fidélité aux aspects émancipateurs de la pensée marxienne conduit Abensour et Castoriadis à adopter une conception du conflit politiquement plus radicale que celle de Lefort et Mouffe, comme en témoigne l’attachement des deux premiers à une démocratie directe et anti-étatique ainsi qu’au projet révolutionnaire.
Quelles conséquences faut-il tirer de ce constat ? Indique-t-il l’urgence d’un « retour à Marx » ? Là n’est pas notre intention. D’une part, nous devons oublier qu’un tel retour ne serait pas sans danger dans la mesure où, comme l’indiquent d’ailleurs les quatre auteurs étudiés ici, les idées marxiennes portent au moins en partie la responsabilité des crimes ultérieurs du marxisme sous sa forme historique. D’autre part, appeler à un « retour à Marx » aurait peu de sens dans la mesure où celui-ci semble aujourd’hui faire l’objet d’un nombre non négligeable d’études, du moins pour ce qui concerne la philosophie politique française (voire notamment les récents ouvrages d’Isabelle Garo, Christian Laval et Pierre Dardot). Plutôt que d’en revenir à Marx, la philosophie politique française aurait, selon moi, tout intérêt à réinvestir les idées de démocratie directe et le projet révolutionnaire. Non pour les reprendre de manière acritique, car l’échec des révolutions passées et le fantasme toujours présent d’une démocratie « pure et parfaite » doivent nous avertir sur les dangers de la démocratie directe et de l’hypothétique « révolution qui vient » (encore faudrait-il sérieusement nous accorder sur le sens donné à ce mot). Mais pour y ouvrir de nouveaux espaces de pensée qui, à coup sûr, restent aujourd’hui encore largement sous-estimés.

Bibliographie

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ABENSOUR, Miguel. Pour une philosophie politique critique. Paris, Sens et Tonka, 2009
CASTORIADIS, Cornelius. L’institution imaginaire de la société. Paris, Seuil, 1975.
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Une société à la dérive. Paris, Seuil, 2005.
CASTORIADIS, Cornelius. Démocratie et relativisme. Débat avec le MAUSS. Paris, Mille et Une Nuits. 2010.
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HENRY, Michel. Marx, I : Une philosophie de la réalité. Paris, Gallimard, 1976.
KUPIEC, Anne et TASSIN, Etienne, dir. Critique de la politique. Autour de Miguel Abensour. Paris, Sens et Tonka, 2006.
LEFORT, Claude. Le travail de l’œuvre : Machiavel. Paris, Gallimard, 1972.
LEFORT, Claude, L’invention démocratique. Paris, Fayard, 1981.
MARX, Karl. A propos de la question juive. Paris, Aubier-Montaigne, 1971.
MOUFFE, Chantal. Le politique et ses enjeux. Pour une démocratie plurielle, Paris, La Découverte, 1994.
« La politique et la dynamique des passions ». In Politique et Sociétés. 2003. 22/3 : 143-154
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RUBEL, Maximilien. Marx critique du marxisme. Paris, Payot, 1974.

// Article publié le 19 décembre 2012 // 1 commentaire Pour citer cet article : Manuel Cervera-Marzal , « Penser le conflit avec, ou sans, Karl Marx ? Une querelle de famille entre Mouffe, Lefort, Castoriadis et Abensour », Revue du MAUSS permanente, 19 décembre 2012 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Penser-le-conflit-avec-ou-sans
Notes

[1On notera que le passage de Marx à Machiavel a aussi concerné Simone Weil, Hannah Arendt et Merleau-Ponty [voire Abensour, 2009 : 100], tandis que le passage de Marx à Schmitt concerne, outre Mouffe, Giorgio Agamben et Toni Negri.

[2Que le lecteur ne se méprenne pas sur nos intentions. Nous ne nions pas qu’il y ait beaucoup à gagner dans le rejet de Marx, notamment pour les raisons mentionnées ci-dessus. Mais les gains étant déjà largement connus, nous ne nous attarderons pas sur cette question. Les pertes restant pour leur part largement sous-étudiées, c’est pour cela que nous y consacrons cet article. Par ailleurs, nous prions les lecteurs maussiens de nous excuser l’usage des concepts utilitaristes de « gains » et de « coûts », mais nous n’avons trouvé de termes plus appropriés pour caractériser ce qui se joue dans l’abandon, ou non, de la pensée de Marx.

[3Nous nous appuyons sur la transcription de l’échange entre Castoriadis et Mouffe (mais aussi Alain Caillé et Serge Latouche), qui eut lieu en 1994 à l’occasion d’un débat entre Castoriadis et les membres du MAUSS [Démocratie et relativisme, Paris, Mille et Une Nuits, 2010].

[4Notons que dans La Question juive Marx élabore aussi une critique interne des droits de l’homme, en reprochant aux déclarations des droits de l’homme d’être traversées d’une contradiction entre les droits de l’homme d’un côté et les droits des citoyens de l’autre. Mais ce n’est pas ici le point qui nous intéresse.

[5Dans Critique du droit politique hégélien, de 1843, et dans l’Adresse à la Commune de Paris, de 1971.

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