Bruno Etienne et la fabrique des regards

Un pionner para-doxal entre herméneutique existentielle et déconstruction relativiste du politique par le religieux

Portrait et éloge d’un « social scientist » authentiquement interdisciplinaire : Bruno Etienne.

Ethnologue, anthropologue, politologue, sociologue du religieux, le Professeur de science politique que fut Bruno Etienne fut un pionnier dans sa manière de concevoir le politique et la science politique, sa manière de penser le savoir et la recherche et sa manière de penser la transmission.
Il figure parmi les premiers politologues français à avoir contribué à intégrer le fait religieux dans le champ des études politiques, notamment par l’intermédiaire de ses travaux sur l’islam politique dans le monde arabe, les populations musulmanes et la problématique des minorités religieuses dans leur rapport à la laïcité.

As an Ethnologist, anthropologist, political scientist, sociologist of religious issues, Professor of Political Science Bruno Etienne has been a pioneer in building an innovative perspective on Political facts and Political Science, a new way of thinking knowledge and research and a new conception of knowledge transmission.
He was one of the first French political scientists to integrate the study of religious facts in the field of political studies, in particular in his research on Political Islam in the Arab World, on Muslim groups and on the issue of religious minorities and their contribution to secularism.

« Je n’ai jamais compris ni admis ces histoires de frontières que certains s’acharnent à tracer entre les genres : pour moi l’anthropologie est une discipline transdisciplinaire qui étudie l’homme complet non parcellisé »
Bruno ETIENNE

Plus d’un an déjà, que les amphithéâtres ne résonnent plus des formules fulgurantes tout autant qu’heuristiques du Professeur Bruno Etienne. « La société se paie toujours elle-même de la fausse monnaie de son rêve » [1], avait-il coutume de dire, empruntant à Mauss un regard critique et une posture épistémologique car « les vraiment grands ethnologues ont été aussi éclectiques dans le choix de leurs problèmes que dans celui de leurs méthodes (...)  » [2]. Ethnologue, anthropologue, politologue, sociologue du religieux, l’hésitation même au-delà du titre académique du Professeur de Science Politique que fut Bruno Etienne illustre tout à la fois sa manière de concevoir le Politique et la Science Politique, sa manière de penser le savoir et la recherche et sa manière de penser la transmission.
Le parcours de Bruno Etienne en science politique reste incontestablement dominé par son approche du fait religieux. Celle-ci a fait de lui en France l’un des pionniers des études politiques sur les interactions entre religion et politique dans le monde arabe et musulman notamment au travers de l’analyse des mouvements se réclamant d’une lecture plus politique de l’islam que l’on a pris l’habitude de qualifier d’islamistes. Mais cette réflexion pionnière devait par la suite trouver un prolongement logique dans ses écrits sur le processus de sédentarisation des musulmans en France et plus globalement sur la question des minorités. Cela devait notamment le conduire à interroger le concept même de laïcité à l’aune de la pluralisation religieuse croissante des sociétés européennes, dont l’islam d’un côté et le phénomène sectaire d’un autre sont les deux manifestations majeures.

Une manière de concevoir le Politique et la science politique

Pour saisir la science politique que nous lègue Bruno Etienne, le politologue, il nous faut comprendre quelle est sa conception du politique, lui qui savait bien que la taxinomie est une pratique sociale de pouvoir et que définir catégorise

Bruno Etienne soutenait une conception non publiciste de l’espace politique, œuvrant à décrypter les nouveaux lieux d’identification, les nouveaux lieux du politique. L’émergence du multiple se manifeste en France par la présence croissante de minorités dans l’unité de la République depuis la chute de l’Empire mais aussi par un polythéisme des valeurs d’une société de plus en plus hétérogène. Et le politologue de constater l’illégitimité de l’imposition d’une norme unique par le centre, l’illégitimité du renvoi à la sphère privée des cultures concurrentes, l’illégitimité de la distinction sphère publique/ sphère privée et la résurgence de la diversité des modalités politiques infra-étatiques. Sous le répertoire des actions collectives et dans un réseau d’itinéraires individuels complexes, l’action des forces sociales se démultiplie dans des pratiques de communalisation, relations sociales définies par Weber et fondées sur un sentiment subjectif d’appartenance à une communauté, se distinguant du sentiment national des sociétés modernes, diffusé, attisé et construit par l’État. Combiner la solidarité organique de Durkheim, la communauté affectuelle de Toënnies, et la communalisation de Weber dans un système cohérent et incohérent à la fois, dialogique et instable, c’est là le pari des travaux de Bruno Etienne, politologue/anthropologue. Les sentiments d’appartenance aux groupes sont activés par l’utilisation de mythes et de symboles dont le cadre est maîtrisé par les membres du groupe mais les codes ne sont pas immuables et une multiplicité de lieux d’identification se combinent ou s’opposent et le politologue doit élucider les stratégies intersubjectives d’identification collective. L’identité n’est pas structure mais dynamique évolutive mêlant des attributs traditionnels, des croyances et des pratiques de différentiation dans une sorte de « foyer rituel ». Dans les formes actuelles de participation affinitaire, se conjugue liens de communalisation, solidarité organique mais aussi égotisme, plurivocité des habitus, socialités politiques émergentes solidarités tribales, segmentaires, relations de proximité et d’affect, culture parochiales, chaleur émotionnelle du Nous. Pour Bruno Etienne, l’analyse politologique ne pouvait tenir comme sans pertinence, ce quotidien et ces formes alternatives d’un Mit-sein, même si le contrat-citoyen est fondé dans notre société par l’abstraction nationale car la citoyenneté nationale construit la République comme déni de la communalisation [3]. Mais en même temps, il s’agissait d’ affronter le fait que l’homme a peur de ce qui lui ressemble sans lui être identique, dans ce narcissisme des petites différences qu’il a inlassablement essayé de mettre à jour.

Bruno Etienne tentait d’élucider les rapports conflictuels entre le politique et le religieux sensés dire l’ordre du monde, construire des architectoniques concurrentes et le croisement postulé entre champ religieux et champ politique renvoyait nécessairement à une manière particulière de faire la science politique. Pour lui, en tant qu’anthropologie du politique, la science politique décrypte/dévoile les mécanismes de la soumission politique, non tant comme « servitude volontaire » que comme résultat complexe de l’intériorisation des mécanismes sociaux et mentaux définissant une adhésion minimale des citoyens à cette soumission. Car il répétait fréquemment que la question fondamentale de La Boétie demeure pertinente pour la science politique : ‘comment se fait-il qu’il y ait des gens qui obéissent à ceux qui croient avoir le devoir de commander ? Comment se peut-il que tant d’hommes tant de peuples, tant de nations supportent parfois tout d’un tyran qui n’a d’autre pouvoir que celui qu’on lui donne ?’ Ainsi, selon lui la démocratie occidentale qui prétend à l’universalité ne va pas de soi...Quand elle se borne à une analyse des institutions, la réflexion se clôt sur des délimitations disciplinaires à déconstruire. Si la politique sert à masquer les règles d’imposition de l’ordre politique, le politologue doint mettre en question les fausses évidences des injonctions socialement légitimes [4], dévoilant alors que le roi est nu : il ne peut reconnaître en la Loi que l’arbitraire à son principe. La science politique qu’il défini étudierait l’ensemble des processus qui attribuent de l’autorité et permettent de réguler les conflits menaçant la cohésion sociale. Ce qui est alors en jeu est la position quasi schizophrénique des politologues participants de la réalité sociale : d’abord parce qu’ils sont acteurs de cette réalité qu’ils prétendent décrire en tant que citoyens/scientifiques (et parfois en tant qu’élus...), ensuite parce qu’ils tirent vers eux le pouvoir de dire sur la chose politique, leur savoir étant aussi une composante de toute stratégie de pouvoir. De la sorte, il est légitime de s’inquiéter de la nécessité sociale d’un tel savoir : souvent ignoré des professionnels de la politique (hommes politiques et journalistes spécialisés), il est dangereux s’il contribue à laïciser la relation intime au politique en désacralisant le pouvoir. C’est pourquoi la méconnaissance du politique est probablement le produit collectif de la volonté de ne pas savoir : déni de connaissance qui s’apparente à une véritable politique de la méconnaissance. Et pourtant les sciences sociales en général et la science politique en particulier font le pari (pascalien) de l’intelligibilité des rapports sociaux et de la possible maîtrise collective par les hommes de leur destin, même et surtout s’il n’existe pas d’administration scientifique de la chose politique. Les sciences sociales ont ceci de particulier qu’elles ont pour objet des sujets qui savent (ou croient savoir) et qui se savent sachant...

Enfin, la pensée politologique/scientifique de Bruno Etienne repose sur le fait qu’il admet que l’irrationnel aussi construit le réel, que l’incertitude est un nouvel horizon, que la dialogique est pertinente, que la singularité et l’individu sont irréductibles et en même temps qu’universels, particuliers et généraux. Ce parti-pris épistémologique se conjugue avec un diagnostic social : l’idée que la montée de l’individuation caractérise nos sociétés, à savoir ce procès par lequel l’individu se conçoit comme apte à se poser à lui-même ses propres fins et comme source de toute valeur. En d’autres termes, il opère aussi une critique de la raison, raison qui a produit son propre ennemi la rationalisation car la recherche d’une norme unique applicable à plusieurs singularités est illusoire…

Si la science ne vient pas du réel, elle y va douloureusement et difficilement, le chercheur est en position de « traître » par rapport à la société qui le paye avait coutume de dire Bruno Etienne et la science politique est une « danseuse ». Les travaux de Bruno Etienne font donc place à la pluralité des niveaux de réalité et des théorisations sans exclusive que celle de la cohérence interne de la pensée et ouvre un tournant post-disciplinaire. Au lieu de déplorer la multiplicité des théories, des méthodes et des résultats de recherche pour ensuite viser leur intégration dans un cadre unifié, homogène, l’originalité de cette réponse est de valoriser cette pluralité des orientations et des approches comme une opportunité pour un dialogue intellectuel productif qui débouche nécessairement sur la question du relativisme culturel.

Une manière de penser le savoir et la recherche

C’est d’abord par sa manière de concevoir le savoir et le rapport au savoir que la pensée de Bruno Etienne fera date. Parmi ses choix épistémologiques revendiqués comme tels, son relativisme culturel serein ne peut se comprendre que par la mise en abîme que constitue son Œuvre. Dans « La grenade entrouverte », en 1999 il n’hésitait pas à écrire : « je sombrais très tôt dans le crime du relativisme culturaliste » (Etienne, 1999, 32) et lors de sa dernière conférence publique donnée aux côtés de Suzuki Masaaaki, pour présenter à Cavaillon son ouvrage « Anthropo-illogiques II, Le retour du voyage en Orient » : Les tribulations d’une anthropologue désorienté et d’un japonais westernizé » [5], il confirma : « Vers la fin de ma vie, je deviens de plus en plus relativiste ! »

La question du relativisme culturel repose sur deux assertions emboitées : rien n’est aussi prés que ce qui est loin mais rien n’est aussi loin que ce qui est prés. Bruno Etienne a posé là une question iconoclaste à l’heure de la mondialisation et du triomphe apparent de l’universalisme planétaire. L’universalisme y devient une sorte de prophétie auto-réalisatrice. N’a-t-il pas délégitimé, à travers l’uniformisation culturelle, l’objet même de la discussion et le sujet de la réflexion relativiste : l’existence de la différence et de l’Autre ? À quoi sert le relativisme culturel si le monde est devenu mondial ? Pour l’Occident, disait le politologue ce sont là affaires de « barbares » qui ne le concernent pas derrière l’apparente neutralité de la marchandise, des images et du juridisme. Mais Bruno Etienne, qui n’avait pas tout à fait renoncé à sa posture périphérique, rappelait souvent dans ses cours de science politique souvent avec Claude Lévi-Strauss que le barbare c’est celui qui croit à la barbarie. La question de l’uniformisation culturelle se pose en termes beaucoup moins simples d’autant qu’on sait par exemple, depuis les études de Philippe Descola, que la césure nature/culture n’existe pas pour toutes les sociétés. [6] « Pour l’homme, la nature, c’est la culture », écrivait ainsi Simmel. Certes, toutes les sociétés sont égales mais il y en a une qui est plus égale que les autres, l’Occident. Peut-on dire alors qu’il n’y a plus de Persans ? [7]. Bruno Etienne par ses détours théoriques et anthropologiques illustrait dans ces travaux « cette décentration cognitive » et la démarche hétéro-réflexive utiles à notre débat au sens où rien n’est aussi prés que ce qui est loin. L’irruption du multiculturalisme est peu légitime, du fait de l’universalisme particulier de la nation française, développée dans une société qui pourtant devient multiconfessionnelle et pluriculturelle. « Les résistances des autres cultures ne sont pas perçues comme une forme de conflit entre des identités et des cultures particulières, mais comme les éléments d’un gigantesque conflit historique entre l’universel et les particularismes, dans lequel l’idée de peuples sans Histoire exprimerait justement leur incapacité à représenter l’universel.  » [8]. Toute anthropologie, nous apprennent les travaux de Bruno Etienne est d’abord un besoin/désir de consommer l’image de l’Autre. Toute société regarde le reste de l’humanité (et l’Autre chez elle) comme une altérité négative et non pas comme son Alter ego. L’étranger est dangereux ; l’étrange dérange. Le regard sur l’Autre pose le problème de la connaissance de soi-même à travers le regard de l’Autre. Toute société appréhende le reste de l’Humanité (et l’Autre en son sein) non pas comme alter ego mais comme altérité à combattre, au mieux à civiliser. Pourtant, le projet scientifique des sciences sociales est bien de soumettre au jugement critique toutes les productions sociales, la science y compris. La posture de neutralité axiologique des sciences sociales est-elle tenable ? Ou bien repose-t-elle sur des indiscutables ? Si le savoir scientifique se construit contre, et surtout contre soi-même, sommes-nous capables, comme le disait Evans-Pritchard de « retourner le miroir » car si la comparaison relativise, elle porte un coup à ce que chacun pense être la vérité unique de sa croyance. Si le relativisme culturel relève de l’épochè, la suspension temporaire de jugement, c’est une règle de méthode anthropologique. Les obstacles au relativisme culturel, principe anthropologique méthodique de « révolution du regard » doivent être interrogés autant dans les enjeux scientifiques sur lesquels ils reposent que dans les conséquences éducatives et pédagogiques qu’ils induisent et probablement que les travaux de Bruno Etienne sur la laïcité sont éclairants du fait qu’une société ne peut probablement entendre que ce qu’elle est prête affectivement à intégrer [9] Pour Bruno Etienne, « Il ne faudrait pas oublier que si le regard de l’Autre fut un temps le regard de l’Allogène alloglotte sur l’indigène autochtone et s’il contribuait, par accroc et de surcroît, au colonialisme, à la domination, c’est parce qu’il était hégémonique » Mais cela ne peut nous faire oublier que ceci est pertinent également pour le regard du sociologue (au sens de Durkheim) sur tous les acteurs sociaux. L’Occident se met à consommer de l’Autre en se légitimant par un discours anthropologique à vocation universelle (et civilisatrice.) Mais derrière la façade de l’unification-uniformisation du monde, se recréent des cloisonnements, des localismes, des particularismes. Mais la mythologie nationale est en crise : chez les jeunes que la citoyenneté ne se définit plus vraiment par l’intériorisation d’une appartenance nationale et les appartenances concurrentes infra et supranationales priment dans la construction sociale de l’identité politique des jeunes : il y a éclatement des formes d’appartenance sociale liée à l’hétérogénéité croissante des socialisations allogènes. La Politique, par la mobilisation et l’invention d’Autrui, nie toute altérité cessant de mettre en scène un simulacre de participation collective : dans les démocraties représentatives, la participation électorale et plus largement les formes de participation politique conventionnelle. Le Politique désigne un système symbolique au sein duquel la société civile se nomme et se représente, grâce auquel elle s’institue et se met en forme : tout à la fois autoreprésentation de la société et institution de la société dans la forme originaire de l’Un. A l’épreuve du pluriel, les institutions vacillent et oscillent d’une logique du contrôle à celle du compromis. La globalisation homogénéise certes la façon d’exprimer ses différences, mais ne les abolit pas. Car la vraie question porte sur le conflit entre un Etat moniste unificateur et son avatar moderne le Centre Europe, et les résidus des cultures périphériques résistant tour à tour à la centralisation et à la mondialisation. Bruno Etienne questionne : « Peut-on découper une culture en tranches dont certains aspects seraient « mauvais » et d’autres « bons » ? Au nom de quels critères universels qui dissimulent mal l’hégémonie. » [10] L’universalité est aussi une production sociale et il est nécessaire de rendre intelligible les dynamiques sociétales à l’œuvre dans l’élaboration des savoirs et d’élucider aussi les conditions qui permettent aux scientifique de neutraliser les acteurs sociocognitifs.
Cette manière de penser le savoir s’ancre dans une manière de penser le rapport au savoir. Il faut lire l’ ouvrage déroutant et dérangeant comme savait l’être Bruno Etienne « La grenade entrouverte », reconstruction des énigmes du monde et du moi, mémoires de l’oubli pour saisir que créer c’est (aussi) dire l’intime : faire œuvre c’est faire corps, tout en dépassant le contexte particularisant de l’expérience singulière. Mais, le paradoxe de cette intime universalité, c’est que l’étranger traverse l’intime. Les sciences sociales se sont construites, à l’ère de la raison triomphante sur l’oubli de la question éthique et de la subjectivité du chercheur. Cet ouvrage, à la fois traité de science politique, conçue comme herméneutique et ascèse, et auto-analyse biographique mérite aujourd’hui d’être relu, et la grenade est à la fois objet signifiant, métaphore nomade, parabole conceptuelle. Itinérance d’une histoire et appétence de vie, ce chemin de reliances donne à voir les moments d’une subjectivité dans un mouvement où se lit/lie une histoire collective, celle d’une séquence historique de la France entre 1945 et 1962/1973. Le parlêtre, l’énigme de l’Autre en sont le fil rouge. « Le détour par l’Autre ne peut servir qu’à comprendre ce qui ne va pas dans la Maison du Père. C’est l’exil qui construit, pas l’appartenance et s’il est fortuné, l’homme peut se trouver lui-même … » [11] La connaissance est la suppression de l’Autre par la saisie de sa propre altérité. Le regard sur l’Autre dépend du statut de l’Un et du Même dans l’imaginaire. Il faut penser pour panser, nous disait l’anthropologue-de-terrain-fort-de-sa-propre-anamnèse-personnelle :un pacte autobiographique scelle ainsi le labyrinthe obscur du roman familial partiellement éclairée par l’auto-analyse et le travail théorique traduit en théorie(s), angoisses, désirs, sympathies, et fantôme de soi partiellement hypostasié, portant la marque indélébile des modalités conscientes /inconscientes de leur construction. S’il n’y a pas de faits scientifiques sans l’homme qui interprète /construit/décrit la réalité, l’altérité absolue d’autrui, selon l’expression de Lévinas, (renvoyant peut-être aussi à l’altérité absolue de l’inconscient selon Freud), c’est aussi l’intrication de la singularité du sujet-connaissant et des modalités polymorphes de son rapport à soi et donc aux objets de connaissance. L’héritage n’est pas donné mais deuil, responsabilité et dette. Faut-il comprendre autrement la réflexion du politologue sur l’idée de Nation, conçue comme système idéologique, que comme mise en scène de la blessure de la mort du père résistant pendant la seconde guerre mondiale, choisissant la Nation plutôt que sa famille ? Formidable lucidité rétroactive du chercheur en quête des traces mnésiques de son propre parcours. Rarement publication scientifique aura travaillé à cette mise en liens complexe où se mêlent parfums du passé, sentiments du présent, reconstruction de soi et œuvre scientifique majeure, une magistrale œuvre de sciences sociales qui porte en elle-même les voies de son propre questionnement sans jamais confondre clinique sociétale et travail personnel.
L’un des points aveugles de la connaissance que Bruno nous aura aidé à penser est bien qu’un investissement symbolique différentiel des objets par les sujets traverse la pensée scientifique de part en part et que celle-ci ne peut pas être cette « pensée sans porteur », chère aux logiciens, cette pensée sans désir, chère aux scientistes. Ce qui nous permet de mieux appréhender cette manière de penser l’enseignant qu’était Bruno Etienne.

Une manière de penser la transmission

Bruno Étienne, ce fut aussi un enseignant iconoclaste par la construction même de ses enseignements, par la scénographie de ces cours et ses modes d’adresse et par la relation pédagogique qu’il mettait en jeu.

La construction de ses enseignements, sous un apparent désordre, reposait sur une conception hologrammatique de la formation. A l’érudition de l’orientaliste et à la rigueur de la pensée de l’épistémologue, il combinait, en effet, une pluralité des modes d’accès au savoir. Si le pédagogue est celui qui montre le chemin ou les chemins possibles vers le savoir, Bruno Étienne savait que chacun doit trouver le sien et proposait des voies d’entrée plurielles pour que chacun se sente engagé à un moment ou un autre par ses propos : ce sont les résonnances/résistances que ces enseignements suscitaient chez ses étudiants qui généraient le parcours intellectuel. Pour le dire avec l’humour de Bruno Etienne «  (…) ce que ne sait pas encore l’étudiant innocent qui rentre à science po à la sortie du couvent des oiseaux et que d’ailleurs personne ne lui explique, c’est ce secret jalousement gardé par le corps enseignant : Les sciences sociales sont dangereuses pour l’apprenti-sorcier et pour les institutions en place ! » [12]. Il répétait à l’envi la formule bachelardienne, « la connaissance se construit contre », contre le savoir commun, contre les autres, contre les fabriques institutionnelles, politiques voire académiques des regards, mais aussi contre soi-même tout en sachant bien qu’elle se construit aussi avec, avec les représentations sociales des « apprenants » que le pédagogue doit à la fois élucider, affronter et prendre au sérieux dans un dialogue jamais interrompu avec l’Autre [13]L’identité didactique de cet enseignement des sciences sociales tenait à la place particulière que Bruno Etienne assignaient aux représentations communes des étudiants dans leurs apprentissages : sorte de refus de la coupure bachelardienne qui présuppose que le travail de l’enseignant consiste non à poser des connaissances en faisant table rase des savoirs pré-construits, mais à complexifier des représentations sociales. Mais une étrange familiarité raisonne/résonne avec ses choix épistémologiques de chercheur : les sciences sociales quand elles ne prétendent pas « traiter les faits sociaux comme des choses » à la manière de Durkheim, dans une position strictement objectivante, accordent au sens subjectif que les acteurs donnent à leurs actes une place constitutive des rapports sociaux. Les représentations sociales à l’œuvre dans le procès de construction pédagogique du savoir ne sont pas « des choses en soi » indépendantes du contexte de leur production et que c’est in situ que se confrontent les représentations des étudiants et le corpus scientifique temporairement stabilisé enseigné, même si le procès d’apprentissage des connaissances ne peut être assimilé à une réserve linéaire de connaissances accumulées qui s’additionnent, mais bien plutôt comme un processus non rectiligne d’assimilation/imprégnation où se mêlent savoirs, fantasmes, thématas, mythes, savoir-faire, savoir-être, techniques, représentations idéologiques, conflits socio-cognitifs, affects, ingénierie pédagogique. Les représentations sociales des apprenants ne peuvent donc être appréhendées seulement comme obstacles en fonction de leur écart à la norme scientifique mais bien interprétées au travers de leur fonction heuristique pour la construction d’un savoir réapproprié. La spécificité des représentations sociopolitiques dans les pratiques d’apprentissage tient à la place prépondérante des savoirs préalables, mélange d’apprentissage, de socialisation, de repères latents : famille, media et Ecole balisent le champ des connaissances sociopolitiques des étudiants en produisant des normes d’autant plus prégnantes qu’elles préexistent aux cours et souvent lui résistent. Bruno Etienne travailla par exemple à la fabrication médiatique des regards sur l’islam à travers le dépouillement des items « djihad », « tchador » et « burqa » , et analysa les titres d’articles dans des hebdomadaires renvoyant aux structures anthropologiques de l’imaginaire et au décryptage de notre l’inconscient collectif, élucidant « La manière dont la presse se fait l’instrument de la thématique “Islam versus Occident”, en stigmatisant toutes les interventions provenant de l’aire géopolitique arabo-musulmane comme étant empreintes de l’essentialisme religieux “extrémiste”, “obscurantiste” et porteur de “terreur”, donc “menaçant” et “déstabilisateur” pour “nos valeurs” » [14] Face à l’immédiateté de l’information audimatiste, à l’instantanéité de l’événementiel, Bruno Etienne faisait le pari de l’intelligibilité des rapports sociaux par les sciences sociales, et proposa en observateur clinique ses analyses de la guerre du golfe dans « Ils ont rasé la Mésopotamie » du 11 septembre dans « Les amants de l’apocalypse » ou des émeutes de 2005 dans son chapitre « Ban-lieus : essai d’interprétation anthropologique » dans « La république brûle–t-elle ? » refusant les analyses sécuritaires. S’il avait alors coutume de dire, reprenant René Char, que la lucidité est la blessure la plus proche du soleil, c’était pour ajouter que si les sciences sociales ne produisent pas de politiques publiques c’est que les fantasmes sont indispensables à la survie des groupes, que les illusions ont des effets sociaux et que les mythes doivent être pris au sérieux. Pour comprendre et expliquer par exemple, le 11 septembre en tant que phénomène symbolique, il faut faire œuvre de mémoire et saisir l’ontogenèse de l’événement. Les taxinomies sont des enjeux de pouvoir, et les sciences sociales ont à décrypter ce qui se joue derrière les mots véhiculés par les média. « Le pouvoir de nommer est un des enjeux du débat et du combat : les mots clés tels que musulman, islamiste, jihad, etc. ont tellement été médiatisés que leur usage confine aujourd’hui à la confusion, rendant ainsi incompréhensible un certain nombre de phénomènes dont seule une analyse exégétique, historique et sociologique peut rendre compte de la complexité » écrira-t-il. Pour ce faire, les détours anthropologique, historique, épistémologique et théorique s’imposent pour comprendre comment l’oubli se donne à voir comme un véritable défi de la pensée en tant que dénégation subjective et collective de la mémoire. L’alliance entre les puritains américains et les puritains saoudiens est une clé de lecture du 11 septembre ; il s’agit alors d’en faire l’analyse, ce à quoi s’attache l’auteur. Si nous savons, avec Freud, que la violence est fondatrice de l’ordre social, la violence du sacré tient à ce que toute « religion » révélée doit apporter sa vérité au monde entier, c’est là le projet eschatologique des monothéismes qui exprime la tension entre cité terrestre, cité de Dieu, Parousie. « Si la post-modernité caractérise notre présent au travers de la formation d’un mode de régulation pragmatique et opérationnelle de la réalité sociale, ce que la mondialisation à l’œuvre, le culte rendu à la démocratie de marché et à la rationalité économique démontrent, le reflux des grandes idéologies coïncide avec un réveil politique du “religieux” :« il n’y a pas retour du religieux, mais retour au religieux », peut-être même retour aux religieux, puisqu’il ajoute « Le pluralisme jaillit sous le monisme : tous les commentateurs médiatiques et audimatistes parlent comme si l’islam était un alors que, dés les premiers siècles de l’islam, un érudit (al-Shahrastani) avait relevé cent hérésies ». [15]

De la sorte, enseigner c’était pour Bruno Etienne donner du sens et cela revenait à accepter de déconstruire, c’est-à-dire de lutter contre tous les blocages qui font écran à la connaissance et toutes les filiations qui simplifient la pensée - pour pouvoir reconstruire, - « l’intelligence s’organisant elle-même en organisant le monde. Amener chacun à se poser ses propres questions, tel était l’enjeu de cet enseignement para-doxal. Car il savait bien que « ce que le sujet ne comprends pas par lui-même lui reste inaccessible ». Jamais dupe des stratégies d’imposition qui définissent selon lui la transmission pédagogique, l’enseignant qu’il était décochait ses banderilles avec un sourire, un gros mot ou une feinte colère.

Enseignant bien atypique, déroutant, dérangeant qui savait mettre en scène les savoirs par des modes d’adresse à l’Autre très particuliers. Imaginez la stupéfaction de l’étudiant de science po , habitué à des enseignements souvent organisés en deux parties et deux sous-parties et parfois récités d’une voix monocorde, suivre un cours de Bruno Etienne : un cours vivant, qui passe par le corps , l’accent, le cri, la blessure, autant que par l’esprit, la pensée, la raison, la rigueur , un enseignement qui va, qui allait au delà des mots. Chacun se souvient des modes d’adresse aux « amphis », véhéments, engagés, stupéfaits, généreux, d’un homme présent aux autres. Un enseignement où jamais dupe de son charisme, qu’il savait mettre aux fins d’un dessein très singulier : introduire un « coin » quelque part, mettre un pied dans la porte pour éviter qu’elle ne se ferme ! Si bien que chacun pouvait comprendre les travaux de Bruno Etienne à sa manière et en tirer le(s) profit(s) qu’il était lui-même capable de faire fructifier… car , nous ne recevons ainsi d’un penseur, d’un enseignant que ce que nous sommes prêt à en recevoir : de sorte que comprendre sa propre confrontation au(x) texte(s) et aux enseignements, c’est d’abord se comprendre soi-même, telle fut l’initiation à une forme d’herméneutique existentielle que les chercheurs que nous sommes devenus ont reçue de lui.
Beaucoup des étudiants, aujourd’hui devenus chercheurs, travaillent aujourd’hui sur le fait religieux.

Un pionnier des études politiques sur le fait religieux dans le monde arabe

Si aujourd’hui le fait religieux est devenu un objet transversal dans les sciences sociales [16] à l’analyse duquel la science politique a apporté une contribution décisive, il n’en allait pas de même au début. Dans les années 70-80 le fait religieux était considéré comme un objet légitime pour la sociologie et l’anthropologie en particulier, mais il restait par contre assez marginal au sein des sciences du politique [17]. Il n’y avait guère que Léo Moulin et Julien Freund pour avoir initié une réflexion sur cette question. Le premier s’était intéressé aux ordres religieux en Occident et à la question de l’autorité en leur sein [18], quant au second, en bon disciple de Carl Schmitt, il développait plutôt une approche en termes de théologico-politique [19]. On doit également mentionner les travaux de Guy Michelat et Michel Simon sur l’articulation entre les appartenances de classe, les appartenances confessionnelles et les comportements politiques [20].
Mais le pari de considérer le fait religieux comme un objet à part entière de la science politique et non comme une simple variable secondaire était l’exception ! Ce choix s’est peu à peu forgé dans l’esprit de Bruno Etienne durant sa période algérienne (1969-1974) lorsqu’il était chargé de cours à la Faculté de droit d’Alger et responsable du Centre de documentation et de recherche de l’ENA, puis durant sa période marocaine (1977-1979) lorsqu’il enseignait à la faculté de droit de Casablanca.
En 1977, dans un ouvrage en forme de bilan critique sur les premières années de l’expérience socialiste en Algérie, L’Algérie cultures et révolution, il pointait déjà l’importance du facteur religieux jusque là sous évaluée. « Pendant la guerre écrivait-il, à ne fréquenter que les élites maghrébines en France dont la plupart des membres apparemment laïcs étaient souvent mariés à des Françaises, nous avions tous sous-estimé le facteur religieux. Or c’est une dimension qui apparaît comme essentielle » (Etienne, 1977, 14-15). Cette découverte du fait religieux coïncidait chez lui avec la perte de toute illusion par rapport aux chances de voir l’avènement d’une société réellement socialiste en Algérie. Dans la suite de l’ouvrage il devait démontrer qu’à côté d’autres paramètres d’analyse (idéologique, économique, sociaux, culturel…) la religion (en l’espèce l’islam) occupait toujours une place centrale quoique paradoxale dans la jeune République socialiste. « La religion écrivait il est un produit social, un langage qui influe trop sur la société pour être réduite à un épiphénomène ». [21]
Toute son approche du fait religieux et du rôle social de la religion s’enracinait dans ses lectures d’Emile Durkheim, de Marx et d’Engels.
De Durkheim, il retenait principalement que la religion était une transfiguration du social ; la société serait l’âme de la religion, et donc aurait davantage à nous dire sur l’ici-bas que sur un hypothétique au-delà. De Marx et surtout d’Engels, il privilégiait les analyses qui insistaient sur le fait que la religion pouvait être un champ d’expression des luttes sociales. Bruno Etienne s’efforçait de démontrer que la réduction de la religion à un narcotique ou un analgésique que suggère la célèbre formule de la religion comme opium, ne pouvait nous faire oublier cet autre versant du religieux qui « d’être comme l’écrivait Marx lui-même, la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation (…) elle est pour une part l’expression de la détresse réelle et pour une part la protestation contre la détresse réelle » [22]
Outre Karl Marx, Ernst Bloch [23] et Karl Manheim [24] seront également fréquemment sollicités afin de montrer combien l’utopie religieuse peut être créatrice et l’idéologie politique stérilisante notamment dans les analyses à propos de l’islamisme. En s’efforçant de relire les travaux des auteurs marxisants sur les dissidences protestantes des XV ème (Anabaptistes, Révoltés de Müntzer…), en montrant que ces révoltes religieuses étaient en même temps des révoltes sociales, Bruno Etienne accréditaient l’idée que le religieux était en mesure d’alimenter des dynamiques insurrectionnelles et pouvait servir de relais à la radicalité sociale. Pour lui, à l’exception sans doute de quelques groupuscules sectaires vivant en marge des sociétés occidentales, l’islam demeurait sans doute la seule religion susceptible de servir de toile de fonds à l’éclosion de radicalités politiques et sociales.
Son expérience algérienne lui aura également permis via sa lecture de Bourdieu de décrire l’espace religieux en Algérie. Cet espace était présenté comme un champ religieux à la fois fragmenté entre les pôles extatique (confréries soufies et islam populaire) et réformiste (islam néo orthodoxe des ulémas)-fragmentation qui recoupe le clivage zones rurales et zones urbaines- tout en étant traversé par la dynamique hégémonique de l’État. Un Etat centralisé qui entendait se doter d’un « islam jacobin », qui répondait au besoin d’inscrire dans les esprits et les âmes l’idée d’une Nation algérienne arabo-musulmane unie derrière le FLN d’une part, et qui ensuite, via sa cléricature officielle apportait sa caution religieuse aux orientations socio économiques du régime.
Bruno Etienne avait également relevé les paradoxes d’une société orientée vers une logique de réalisation d’impératifs séculiers, des idéaux révolutionnaires et socialistes, mais dans laquelle si la religion ne gouvernait pas directement elle ne régnait pas moins dans les esprits et continuait de régir bien des pratiques sociales (visite des cimetières le vendredi, le culte des saints dans les villes et pas seulement dans les campagnes, la pratique de la circoncision…). Se gardant d’en tirer des conclusions hâtives, il devait simplement reconnaître la nécessité de réaliser des enquêtes de terrain plus poussées afin de mesurer le poids réels de la religion dans le quotidien des sociétés musulmanes modernes.
C’est au Maroc, juste après son agrégation passée en 1975, et au sein de la Faculté de droit de l’Université de Casablanca qu’il allait pouvoir concrétiser son attirance pour l’étude du fait religieux islamique et poser ainsi les premiers jalons d’une sociologie des pratiques religieuses en monde musulman.
A Casablanca, en compagnie de Mohamed Tozy il réalisa une série d’enquêtes anthropologiques d’inspiration théorique « webero-durkheimienne » qui devait faire date [25]. En étudiant le culte des saints dans la mégalopole de Casablanca et toutes les pratiques thérapeutiques y afférant, les pratiques orthodoxes comme les plus hétérodoxes, ces deux chercheurs ont repéré via quelques prédicateurs indépendants critiquant les mœurs réputées légères des élites politiques et la monarchie chérifienne, les prémices de ce qui allait s’imposer comme l’expression d’un islam politisé. C’est là, pour la première fois que le vocable d’islamisme va émerger dans le vocabulaire de la science politique française et se voir doter d’une définition opérationnelle. Un certain nombre des opérateurs musulmans indépendants rencontrés par Bruno Etienne et son équipe se définissaient en effet eux mêmes comme islamiyn, de là est venu l’idée de les qualifier d’islamistes. Il s’agissait de « militants de l’Islam qui se réapproprient le champ politique sur des modes populaires (ou populistes) avec des techniques classiques et traditionnelles, mais en utilisant les moyens modernes comme les cassettes, les haut-parleurs, etc. » [26] Toutes les principales caractéristiques de l’islamisme contemporain sont déjà présentes dans cette définition pionnière. L’islamisme moderne y est conjointement analysé à partir d’une lecture politique de l’islam comme l’expression d’un langage du ressourcement, une contestation des régimes politiques du monde musulman issus des indépendances et en même temps comme un mode de mobilisation des déçus du nationalisme arabe et des exclus de la croissance [27].
Mohamed Tozy n’aura par la suite de cesse d’affiner la recherche initiée en compagnie de Bruno Etienne, en étudiant dans le détail les multiples croisements entre les champs politique et religieux au Maroc [28] pour nous livrer récemment une étude stimulante sur l’état de la religiosité des marocains et leurs rapports contrastés à la pratique religieuse [29]
Bruno Etienne a donc largement contribué à asseoir au plan théorique l’analyse de l’islamisme comme l’expression populaire généralisée d’une contestation politique des régimes occidentalisés à partir des catégories et des valeurs issues du patrimoine religieux musulman avec comme perspective d’ensemble de révolutionner de fond en comble de système de pouvoir en mettant à bas les régimes autocratiques nés des indépendances et des divers coups d’Etat. Par la suite, les analyses d’Olivier Roy [30] puis celles plus récentes de Gilles Kepel [31] (2000) ont clairement démontré que les résultats étaient plus contrastés. Une partie des régimes « honnis » ont su se maintenir en place au prix d’un renforcement de leurs appareils sécuritaires et d’une logique clientéliste accrue. Quant aux islamistes eux mêmes, quand ils ne composent pas politiquement des alliances avec les élites stratégiquement devenues pieuses, là où ils détiennent les rênes du pouvoir (Iran, Turquie notamment), leurs discours et leurs pratiques perdent peu à peu de leur radicalité. De révolutionnaires résolus à imposer avec rigueur la loi islamique ils se sont peu à peu « social-démocratisés » et ont relégués leurs ardeurs religieuses dans la sphère des mœurs et de la morale, s’accommodant même économiquement de la logique du marché quand ils ne l’encouragent pas ouvertement [32]. Sans aller jusqu’à parler d’un échec total de l’islam politique, force est de constater que celui-ci a connu diverses mutations qui ont profondément modifié ses contours.
La dynamique sociale et politique de l’islamisme recouvre aujourd’hui une réalité plurielle dans laquelle on trouve aussi bien des adeptes de la démocratie musulmane pluraliste et représentative, que des nostalgiques d’une nomocratie islamique, des artisans résolus de la voie légaliste comme mode d’accès au pouvoir comme des partisans de la voie insurrectionnelle, des islamonationalistes impliqués dans des logiques de résistance à des occupations étrangères comme des internationalistes forcenés parmi lesquels les tenants d’un jihadisme déterritorialisé. [33]
Si Bruno Etienne n’avait pas forcément envisagé dans le détail les diverses déclinaisons de l’islamisme qui s’offrent à notre analyse aujourd’hui, il avait en tout cas précisé que la cohérence interne du projet islamiste n’excluait pas des pratiques et des modes d’action distincts. « L’islamisme écrivait-il, en tant que flux, vague de pensée non structurée qui tend par des moyens très différents vers une adéquation de la société civile et de la société politique, est actuellement un phénomène qui couvre tout le monde arabo-musulman (…) l’islamiste peut en effet être réformiste ou révolutionnaire, clandestin ou semi–institutionnalisé, violent ou pacifique ; l’islamisme peut être de masses ou d’élites : sa configuration dépend en grande partie de l’option institutionnelle et politique de l’Etat et des rapports qu’il noue avec les acteurs du champ religieux » [34]).
L’autre principal apport de Bruno Etienne à l’étude de l’islamisme fut d’avoir voulu aborder celui-ci à partir de son univers doctrinal. Il faisait le pari d’une analyse de la logique et de la cohérence de la stratégie arabo-musulmane des islamistes. Ces mouvements tout en s’inscrivant dans une dynamique moderne de diffusion de leurs discours critiques envers les valeurs occidentales importées via les support matériels du moment (cassettes et haut parleurs…), loin de n’être que des accidents de l’histoire, s’inscrivaient en même temps parfaitement selon Etienne dans l’histoire longue de la contestation politico-religieuse en contexte musulman (Kharijisme, Hashashiyn, Qaramita…). Au plan doctrinal, leur idéologie s’adossait, regrettait-il désabusé, sur une logique orthodoxe islamique implacable. « La lecture de la presse islamiste, écrivait-il, l’écoute des prônes sont même parfois accablantes sur le plan théologique : elles sont en tout cas, le plus souvent fort « classiques  ». L’étude (fastidieuse) des centaines de cassettes de Kischk (leçons et prônes), et d’autres prêcheurs maghrébins, démontre que le système est toujours le même : commentaire (tafsîr) classique, puis, à partir de la moralité et des moeurs, dénonciation de la perversion des classes dirigeants occidentalisées dans une structure en crescendo vibratoire qui différencie les prônes islamistes des pâles sermons orthodoxes.  » [35]Cette longue citation traduit tout à la fois la fascination et en même temps la défiance qu’inspirait paradoxalement à Bruno Etienne tout phénomène religieux.

Un fait religieux à la fois fascinant et déroutant

L’agnostique fervent qu’il était ne pouvait en effet s’empêcher d’éprouver une fascination pour le caractère englobant de ce type d’engagement et sa capacité à amener les hommes à agir et à produire des formes de mobilisation politique, occupant le vide et le rôle jadis dévolus aux grandes idéologies séculières. Le religieux demeurait donc bien un réservoir de mobilisation inépuisable quand bien même sa visibilité institutionnelle était fortement encadrée par les régimes politiques. L’islamisme en tant que phénomène politico-religieux est donc autant une revanche de la profonde religiosité des masses, qu’une revanche de l’instrumentalisation institutionnelle de la religion. « L’utilisation idéologique de l’Islam par les pouvoirs politiques s’est retournée contre eux, la nationalisation de l’Islam relevait Bruno Etienne, n’a pas toujours conféré aux pouvoirs locaux une légitimité irrécusable, tant du point de vue de la théologie que du point de vue de la conscience collective. En effet, les responsables orthodoxes (ulama, mufti, imam, etc.), stipendiés par les pouvoirs politiques, ne constituaient, plus, après les indépendances des Etats-Nations, une classe de clercs autonomes, car lorsqu’une société se paye quelques chose d’aussi compliqué que l’Etat (aveu qu’elle est empêtrée dans es contradictions), elle doit le légitimer en constituant, en prime, une classe de clercs-idéologues (…) Ils laissent donc la place à des clercs concurrents qui ont pourtant un statut plus bas que le leur. » [36]
L’islamisme empruntait donc en fait largement son vocabulaire et ses références au corpus de l’orthodoxie sunnite. Il en allait ainsi par exemple du recours au vocable dépréciatif de la jahîliyya (ignorance pré-islamique) utilisé pour disqualifier les sociétés ayant rompu avec l’islam bien qu’habituellement considérées comme islamisées, ou de l’appel au jihâd guerrier, sans oublier l’impératif du tawhîd (unicité de Dieu) et le recours au Coran comme praxis. D’un strict point de l’histoire des idées, Etienne défendait l’idée que les islamistes ne faisaient preuve selon lui d’aucune innovation théologique particulière. Ils se bornaient à reprendre à leur compte les positions d’un Ibn Taymiya et dispensait une lecture politique de l’islam, ni plus ni moins ! À rebours des analyses d’Olivier Carré [37] qui lui défendait l’hypothèse que l’islam politique introduisait a contrario une claire rupture avec la tendance dominante quiétiste des penseurs musulmans vis-à-vis du pouvoir politique [38], Bruno Etienne sans nier cette tension, optait cependant résolument pour une approche qui privilégiait les éléments de continuité et de cohérence par rapport au patrimoine arabo-musulman plutôt que les discontinuités. Selon lui, « l’islam est l’idéologie des masses arabes et constitue la vision la plus globale de toutes les idéologies révolutionnaires. » [39] Il insistait également sur le rapport instrumental des islamistes à la modernité. Celle ci était en effet récusée dans ses fondements philosophiques et rationalistes émancipateurs venus d’Occident ayant engendré la dynamique de la sécularisation. Mais elle était en même temps stratégiquement acceptée dans ses réalisations techniques et matérielles. « L’islamisme comme retour aux origines écrivait-il est une renaissance, récupération du réel vécu par un peuple qui rêve de cité fraternelle : l’islam révolutionnaire est une tradition retrouvée. L’islam révolutionnaire c’est la retraditionnalisation par excès de modernité » dans le tawhîd » (Etienne 1987, 60-61). Il contribua assez largement à populariser la formule selon laquelle les islamistes ne cherchaient pas à moderniser l’islam mais davantage à islamiser la modernité. Tout en percevant la nature éminemment politique de la contestation islamiste, il considérait néanmoins que via l’islamisme s’exprimait également un certain retour à une religiosité jusque là contenue sinon tenu dans les marges de la société par les régimes arabes progressistes. « Les masses ne renaissent pas à l’Islam ni au moralisme piétiste écrit-il. C’est leur religiosité propre qui a été occultée, depuis le début du XIXe siècle, occultée parce que nous, chercheurs européens, nous fréquentions exclusivement les ‘élites ‘ maghrébines séduites par le nationalisme, voire le marxisme, sans comprendre qu’aux yeux de ces masses (au nom desquelles tant d’intellectuels, même organiques ont parlé), l’athéisme n’était qu’un luxe de m’tourni, ‘renégat’ en dialectal. » (Etienne, 1987, 169)
Mais le « fait religieux » ne manquait pas de susciter aussi chez lui une égale défiance en ce qu’il présupposait en amont l’adhésion à une profession de foi et la production de discours moralisateurs, autant d’aspects qui ne pouvaient que susciter de sa part la plus grande réserve. Ce qui l’intéressait dans le phénomène religieux stricto sensu c’était bien moins son substrat théologique que sa propension à l’effusion dans le siècle. Par la suite, des considérations plus personnelles l’amèneront à élargir son étude du fait religieux en y intégrant des courants de pensée (franc maçonnerie) auxquels il participait lui-même activement.
Bien avant que le thème du religieux ait fini par s’imposer comme une des thématiques majeures de la décennie quatre vingt dix, Bruno Etienne avait creusé un premier sillon dans lequel d’autres chercheurs renommés se sont ensuite engagés. Dans un article en forme de témoignage [40] Gilles Kepel reconnaissait par exemple que sa rencontre avec Bruno Etienne au Caire en 1980 et leur visite au cheikh Abdelhamid Kischk s’étaient s’avérées décisives pour la suite de ses recherches sur le décryptage du politique à partir du fait religieux islamique. « Grâce à Bruno, écrit Gilles Kepel, j’avais compris en quoi ce discours, qui, utilisaient le langage du religieux dans un système où le politique avait été confisqué par un régime autoritaire, était ce qui, dès lors, disait le politique. » [41]

Les minorités religieuses et culturelles face à l’Etat laïque

Après ses travaux sur l’islam politique, et en échos avec son installation définitive en métropole, le regard de Bruno Etienne s’est recentré vers le vécu des populations issues de l’immigration maghrébine en France, sur les questions d’affirmation identitaire, de construction d’un islam qu’il se plaisait à décrire idéalement comme « gallican » face à un État réputé lui « césaro-papiste ». Chemin faisant, il finira par s’intéresser au bouddhisme et à son implantation progressive en France et à la question des sectes.
Il voyait dans l’implantation durable de populations de culture musulmane en contexte non musulman et sécularisé d’une part et d’autre part dans la pluralisation religieuse des sociétés européennes dont l’islam était l’une des manifestations, une opportunité sans précédent pour faire sauter un certain nombre de verrous tant à l’intérieur de l’islam qu’au sein des sociétés occidentales.
La position de minoritaire dans laquelle se trouve l’islam (les musulmans !) en Europe représentait une réelle opportunité pour permettre sinon de redéfinir les contours de cette religion du moins de préciser et au besoin de hiérarchiser certaines de ses pratiques au sein des sociétés occidentales [42].
La pluralisation religieuse et culturelle des sociétés occidentales en général et de la France en particulier, devait aussi idéalement aboutir à réinterroger certains de nos cadres d’analyse et de nos modes de gestion de la diversité comme la place allouée au religieux dans la cité laïque. Sans pourtant jamais se référer directement aux travaux des auteurs nord-américains travaillant sur le multiculturalisme comme Charles Taylor, Joseph Kymlicka ou John Rawls, Bruno Etienne allait élaborer sa propre critique de l’Etat-Nation et son nécessaire dépassement par l’adoption de formules faisant droit aux diverses expressions des particularismes culturels et religieux. Il fut incontestablement le promoteur d’un multiculturalisme à la française et d’une Europe plurielle.
Son analyse du vécu des musulmans en situation minoritaire débouchait immanquablement sur une critique féroce de l’Etat jacobin et de l’idéologie républicaine laïciste. « Il ne me paraît pas chimérique déclarait-il, de renégocier la séparation sur des bases plus égalitaires et doter ainsi toutes les Eglises d’un statut équivalent qui ferait que leur rencontre et leurs relations avec l’Etat seraient dialogiques, pacifiques, et profiteraient à la paix sociale, sans parler des économies que ferait l’Etat. » [43].
La situation faite aux musulmans était pour lui une occasion de rappeler combien l’Etat centralisateur en France, successivement monarchique puis républicain, était dévoreur de minorités par assimilation forcée ou réduction à l’état de folklore local.
C’est dans le cadre de ses écrits (sous forme d’essais !) sur l’islam minoritaire que transparaît le plus nettement le désir qui longtemps l’anima de contribuer à accompagner les responsables publics dans la prise de décision et des mesures répondant aux problèmes du moment, en somme le vieux rêve de devenir le conseiller du Prince.
Il se dégageait en effet de son parcours le désir de contribuer à ce que les résultats de ses recherches personnelles puissent servir l’intérêt général à commencer par produire de la politique publique. C’est là ce vieux rêve esquissé dans l’Islam et la France, d’« une sociologie éclairant le Souverain… l’aidant à agir en connaissance de cause et non irrationnellement » [44].
Ses recherches et son positionnement personnel vis-à-vis de la gestion publique de la diversité religieuse auront en tout cas permis de vérifier in situ qu’aux confins mêmes de la cité laïque, le religieux est lui-même parfois à son corps défendant devenu un paradoxal objet de politiques publiques. On n’a de cesse en effet de voir se dessiner les contours d’une laïcité volontariste vis-à-vis du religieux qui lui, a parfois la fâcheuse tendance à ne pas toujours vouloir entrer dans les cadres juridiques jacobins pré-formatés. « La présence massive et sédentarisée de l’islam de France, qui se veut islam français – écrivait Bruno Etienne en 1989 – nous oblige désormais à repenser la laïcité ».

La Franc-Maçonnerie, comme ultime champ d’étude…et espace d’engagement

L’un des derniers chantiers ouverts par Bruno Etienne concernait la Franc-Maçonnerie. Il s’était donné comme tâche délicate de produire une étude de type socio-anthropologique (dans son intention) qui se révélera à l’usage plutôt normative de ce que devrait être La Franc maçonnerie au XXI ème siècle.
C’est ainsi que l’universitaire qu’il était, dans une ultime logique introspective, faisait un retour sur son propre parcours maçonnique tout en dressant un sévère réquisitoire contre la maçonnerie résolument impliquée dans la vie politique de la cité. Comble du paradoxe, l’universitaire qui était habituellement prompt à fustiger les lectures et les analyses privatistes d’un religieux replié sur la sphère domestique, devenait soudainement critique envers la logique d’extériorisation et les prolongements politiques de l’appartenance maçonnique. Car pour lui cette dernière ne devait avoir d’autre horizon que celui de l’éveil spirituel !
Là, Bruno Etienne devenait à la fois l’observateur et l’observé, le chercheur et le cherchant, celui qui voulait faire la lumière sur le devenir de la Franc-Maçonnerie et celui qui avait reçu la « lumière ». Cet univers complexe, culturellement hétérogène conservait néanmoins dans son esprit une forte utilité sociale car il générait une forme de pensée originale. Une pensée que d’aucuns diront synthétique sinon syncrétique aux confins de la philosophie et de la religion, dont Bruno Etienne rendra compte via le vocable « débattu » de spiritualité laïque.
Cette institution était censée amener l’individu à prendre conscience de sa propre finitude dans l’univers et en interrogeant les grands mythes notamment religieux des sociétés le conduire à redécouvrir la question du sens.

Si la pensée lumineuse de Bruno Etienne fera date c’est par les chantiers d’intelligibilité qu’il a ouvert par l’équipement conceptuel et intellectuel qu’il a forgé sans jamais céder aux raisons de la Raison instrumentale, pragmatique et technicienne…Son œuvre de pionner para-doxal, il l’a bâti contre le hypostases idéologiques, rétives aux interprétations secondes, en tenant les deux extrémités d’un projet intellectuel qui consistait à la fois à refuser la pensée essentialiste, substantialiste , tout en partant en quête des archétypes, des invariants culturels, qui fondent leur humanité. Il l’a bâti aussi en déconstruisant les évidences : « est-ce que l’on peut traiter de la même façon : l’Opus Dei, Moon, la scientologie, la gnose de Princeton, les Rose-Croix, la Sokka Gakaï, Hare Krishna, les Loubavitchs, les Frères musulmans, et la franc-maçonnerie ? » demandait-il inlassablement ? L’Autre n’a-t-il rien à nous apporter et nous apprendre ? Dans une sorte de contrat kantien, il s’agissait pour lui de penser en se mettant à la place de l’autre sans pour autant perdre sa cohérence
Déconstruire les évidences scientifiques, au delà des évidences sociales mais aussi déconstruire aussi les siennes propres en acceptant cet exercice de levée des censures et des refoulés que l’anamnèse permet. Chaque homme, affirmait-il, doit assumer sa propre tragédie et sa vie et son œuvre nous l’ont amplement montré.

Les auteurs de l’article :<br /
Béatrice Mabillon-Bonfils est professeur de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise et directrice du laboratoire EMA (École, mutations, apprentissages).<br /
Franck Frégosi est directeur de recherche au CNRS au sein de l’UMR Prisme (Politique, Religion, Institutions et Sociétés : Mutations européennes), en liaison avec l’université de Strasbourg.

Bibliographie de Bruno Etienne

  • Les problèmes juridiques des minorités européennes au Maghreb, CNRS, Paris, 1968.
  • Les problèmes agraires au Maghreb, Bruno Étienne (dir.), CNRS, Paris 1975.
  • Algérie, cultures et révolution, Le Seuil, Paris, 1976.
  • L’islamisme radical, Hachette (traduit en italien et espagnol), Paris, 1987.
  • La France et l’islam, Hachette, Paris, 1989.
  • L’islam en France, Bruno Étienne (dir.), CNRS, Paris, 1990.
  • Ils ont rasé la Mésopotamie : du droit de coloniser au devoir d’ingérence, Eshel, Paris, 1992.
  • Etre bouddhiste en France aujourd’hui, en collaboration avec Raphaël Liogier, Hachette, Paris, 1997. Edition augmentée, Hachette pluriel, Paris, 2004.
  • L’Emir Abdelkader, isthme des isthmes, Hachette, Paris, 1984. Réédité en 1998 puis édition de poche en 2003. Prix du festival de Bourges. Traduit en arabe (Damas/Beyrouth et édition pirate à Alger).
  • La science politique est-elle une science ?, en collaboration avec Béatrice Mabilon-Bonfils, Flammarion, Paris, 1998. Traduit en japonais et en portugais.
  • Le temps du pluriel : la France dans l’Europe multiculturelle, en collaboration avec Robert Lafont et Henri Giordan, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1999.
  • Algérie, 1830-1962, Maisonneuve et La rose, Paris, 1999. Documents présentés et commentés tirés de la Revue des deux mondes.
  • Une grenade entr’ouverte, essai d’anthropologie complémentariste, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1999.
  • Une voie pour l’Occident, la franc-maçonnerie à venir, Dervy, Paris, 2001.
  • Les amants de l’Apocalypse, pour comprendre le 11 septembre, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2002.
  • L’initiation, mythe, rite et symboles, Dervy, Paris, 2002.
  • La France face aux sectes, Hachette, Paris, 2002.
  • La fabrique des regards, (2002) la ¨Pensée de midi, 2002/3, N9.
  • Islam : les questions qui fâchent, Bayard, Paris, 2003.
  • La voie de la main nue, traduction commentée du japonais avec Susuki Masaaki, Dervy, Paris, 2004.
  • Abd el-Kader le magnanime, en collaboration avec François Pouillon, Découvertes-Gallimard, Paris, 2003, réédité 2007.
  • Heureux comme Dieu en France ? La République face au pluralisme religieux, Bayard, Paris, 2004.
  • Les combattants suicidaires, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2005.
  • Anthropo-illogiques I, La spiritualité maçonnique, Dervy, Paris, 2007.
  • Anthropo-illogiques II, Le retour du voyage en Orient : Les tribulations d’une anthropologue désorienté et d’un japonais westernizé, en collaboration avec Masaaki Susuki, Entrelacs, Paris, 2007.
  • Les constitutions d’Anderson, documents commentés, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2007.
  • Construire le Temple aujourd’hui, en collaboration avec Julien Behaeghel, François Figeac, Jacques Fontaine et Irène Mainguy, Paris, Maison de vie, 2008.
  • Abd el Kader et la franc-maçonnerie suivi de Soufisme et franc-maçonnerie, Dervy, Paris, 2008
  • Anthropo-illogiques III : de la Trinité, à paraître Odile Jacob.
  • Les 15 sujets qui fâchent les francs-maçons, en collaboration avec Jean Solis, Clamecy, Editions La Hutte, Coll. Essais, 2008.
// Article publié le 15 février 2011 Pour citer cet article : Béatrice Mabillon-Bonfils et Franck Frégosi , « Bruno Etienne et la fabrique des regards, Un pionner para-doxal entre herméneutique existentielle et déconstruction relativiste du politique par le religieux », Revue du MAUSS permanente, 15 février 2011 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?Bruno-Etienne-et-la-fabrique-des
Notes

[1Mauss, Marcel (1925), « Essai sur le don », L’Année sociologique, n.s., in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1966, p. 162.

[2Mauss, Marcel (1929), « La civilisation. Éléments et formes », in Marcel Mauss, Essais de sociologie, Paris, « Points » Éditions de Minuit, 1968, p. 457.

[3Etienne, Bruno, Le temps du pluriel : la France dans l’Europe multiculturelle, en collaboration avec Robert Lafont et Henri Giordan, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1999

[4Etienne, Bruno, La science politique est-elle une science ?, en collaboration avec Béatrice Mabilon-Bonfils, Flammarion, Paris, 1998. Traduit en japonais et en portugais.

[5Anthropo-illogiques II, Le retour du voyage en Orient : Les tribulations d’une anthropologue désorienté et d’un japonais westernizé, en collaboration avec Masaaki Susuki, Entrelacs, Paris, 2007.

[6Descola, Philippe,” Societies of nature and the Nature of society : 107-126”, in A. Kuper (dir ;) Conceptualizing Sociéty, London Routledge, 1992.

[7Latouche, Serge (1999), « Il n’y a plus de Persans ! » Revue du MAUSS, 1er semestre, n°13

[8Latouche, Serge (2001), : « Le retour de l’ethnocentrisme », Revue du MAUSS du n° 13 (1er semestre) p. 2.

[9Serge Latouche interroge les sciences sociales dominantes : « L’universalisme est-il l’ethnocentrisme de l’occident ? La rhétorique universaliste ne fait pas de différence entre le proche et le lointain et l’idée des droits de l’homme impose à tout un chacun une obligation illimitée par principe. Elle révèle par là son noyau théologique, qui a survécu à toutes les laïcisations. Les droits de l’homme sont l’une des fenêtres à travers lesquelles une culture particulière se donne. La vision d’un ordre humain juste pour les individus qui y participent ils sont alors le point de référence nécessaire pour évaluer et juger toutes les pratiques culturelles et toutes les traditions du monde » Ibid, p. 3.

[10Etienne, Bruno, Une grenade entr’ouverte, essai d’anthropologie complémentariste, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1999.

[11Ibid, p. 56.

[12Ibid p.43.

[13. Qui de ses étudiants ne se souvient de ses références au cinéma - de « Vol au dessus d’un nid de coucou » à « Tout sur ma mère »- de ses références à la littérature- des extraits de « Jacques le fataliste », du « Bourgeois gentilhomme » ou des citations de la Boëtie , de ses incursions chez Lacan et son fameux « Nom du père » qui ont étourdi des générations d’étudiants, mais aussi bien sûr d’écrits de philosophes, d’anthropologues, de psychologues sociaux, d’ethnologues, de sociologues, d’historiens, sans aucune exclusive disciplinaire ou méthodique.

[14Etienne, Bruno, La fabrique des regards, (2002) la ¨Pensée de midi, 2002/3, n°9, p. 97.

[15Ibid. p. 99.

[16Godelier, Maurice, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Paris, Albin Michel, 2007.

[17Seiler, Daniel Louis, « Le rôle du facteur religieux dans la formation de l’Etat et des systèmes de partis en Europe », in Frégosi, Franck (dir.), Bruno Etienne, le fait religieux comme fait politique, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2009, p 69-87.

[18(Moulin, 1964, 1984)

[19Freund, Julien, L’essence du politique, Paris, Sirey, 1965.

[20Michelat, Guy, Simon, Michel, Classes, Religion et comportements politiques, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques/Editions sociales, 1977.

[21Etienne, Bruno, Etre bouddhiste en France aujourd’hui, (en collaboration avec Raphaël Liogier), Hachette, Paris, 1997. Edition augmentée, Hachette pluriel, Paris, 2004, p 118-119.

[22Marx, Karl, (1884), « Critique de la philosophie du droit de Hegel », in Marx Engels, Sur la religion, Paris, Editions sociales, 1972, p 41-42.

[23Bloch, Ernst, Le Principe espérance, (1976/1982,1991), 3 tomes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de philosophie.

[24Manheim, Karl, Idéologie et utopie, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2006.

[25Etienne Bruno, Tozy, Mohamed, « Le glissement des obligations islamiques vers le phénomène associatif à Casblanca », in Maghreb musulman, Paris, CNRS, 1979.

[26Etienne, Bruno, Tozy, Mohamed, « Les islamistes et la stratégie géopolitique de l’Islam contemporain », in Hérodote, 1984, n° 35/55 F, p, 41.

[27Burgat, François, L’islamisme au Maghreb. La voix du Sud, Paris, Karthala, 1988, et du même auteur L’islamisme en face, Paris, La Découverte, Essais, 1996, L’islamisme à l’heure d’Al Qaeda, La Découverte, 2005.

[28Tozy, Mohamed, Monarchie et islam politique au Maroc, Paris, Presses de Sciences Po, 1999.

[29El Ayadi, Mohammed, Rachik, Hassan, Tozy, Mohamed, (2007), L’islam au quotidien. Enquête sur les valeurs et les pratiques religieuses au Maroc, Casablanca, Editions Prologues, coll. Religion et Société.

[30Roy, Olivier, L’échec de l’Islam politique, Paris, Seuil, Coll.Esprit, 1992.

[31Kepel, Gilles, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2000, voir aussi Terreur et Martyre. Relever le défi de civilisation, Paris, Flammarion, 2008.

[32Haenni, Patrick, L’islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Paris, Seuil, La République des idées, 2005.

[33Amghar, Samir, « Ideological and Theological Foundations of Muslim Radicalism in France”, in Emerson Michael (ed.), Ethno-Religious conflict in Europe.Typologies of Radicalisation in Europe’s Muslim Communities, Bruxels, Centre for European policy studies,2009, p 27-50.

[34Etienne, Bruno, L’islamisme radical, Hachette (traduit en italien et espagnol), Paris, 1987p. 201-202.

[35Ibid p. 169.

[36Ibid p 136-137

[37Carré, Olivier, L’islam laïque ou le retour à la Grande Tradition, Paris, Armand Colin, 1993.

[38Selon cette thèse la plupart des théologiens aussi bien sunnites que chiites promouvaient vis-à-vis des pouvoirs politiques distance et passivité. Ils avaient en fait entériné la séparation entre religion et Etat et cantonnaient leurs actions dans la sphère du culte, de la bienfaisance et de la morale. Les islamistes entendaient eux revenir sur les acquis d’une certaine sécularisation des rapports entre religion et Etat et rétablir la primauté de la loi islamique.

[39Etienne, Bruno, L’islamisme radical, Paris, Hachette, 1987, p 200.

[40Kepel, Gilles, « Anthropologie politique de l’islamisme », in Frégosi, Franck (dir.), Bruno Etienne, le fait religieux comme fait politique, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2009, p 107-112.

[41Ibid, p 110

[42Etienne, Bruno, La France et l’islam, Paris, Hachette, 1989.

[43Ibid, p 62.

[44Ibid p.14.

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