­2015, 2016, 2017. Trois années folles de refondation, civique, politique et ... politicienne

La classe politique et toute la société française viennent de vivre plusieurs années politiques à très haute intensité. Evidemment ce qui vient à l’esprit ce sont les derniers évènements, le vote aux élections présidentielles et législatives, la victoire surprise d’un homme nouveau dans le champ professionnel de la politique, E. Macron, et le raz de marée électoral qui a suivi. Pourtant ces votes qui sont à la surface de la vie politique et qui vont constituer la trame de notre actualité, ne peuvent être compris isolément. On peut se demander s’ils auraient été possibles sans ce qui a précédé, l’année 2015, celle des attentats et des immenses rassemblements de solidarité. Et sans l’année 2016, ces manifestations et ces affrontements durs, ces débats sans fin dans un si grand nombre de places et de villes grandes et petites. C’est cette triple refondation – cette grande transformation ? – que l’on va présenter.

Flash back au début de cette période. La France est un pays endormi, reproduisant les mêmes évènements et les mêmes routines. F. Hollande réalise une présidence sans imagination ni action. Il a les yeux fixés sur la courbe du chômage. Il se voulait un président normal à la différence de son prédécesseur suractif ; il a fait peu de promesses au peuple de gauche qui l’a élu, peuple qui oscille du réalisme d’une gauche recentrée, consciente des exigences économiques à celle qui se berce aux jouissances de l’utopie des changements radicaux. La droite ne vaut guère mieux et ses leaders glissent inexorablement vers la réaction ; ils reprennent les thèmes identitaires du Front National. Des deux côtés on est frappé par le ressassement.

Indice fort de cette situation de pourrissement, le débat public est monopolisé par les partisans du contre discours : ne cessant de fustiger une pensée dominante qui ne tiendrait pas compte des vraies réalités qu’ils dénoncent, Finkelkraut, Onfray, Zémour…, sont en bonne place dans la presse ou les médias. L’historien des idées S. Hazareesingh parle de cette « identité française en péril » comme sentiment vécu [1].

L’étincelle viendra de l’extérieur. Des terroristes attaquent les illustrateurs iconoclastes de Charlie Hebdo et quelques jours après des juifs parce qu’ils sont juifs. Ces attentats et ceux qui se succèdent tout au long de cette année vont provoquer un électrochoc, un sursaut civique. Un nombre inimaginable de personnes se rassemblent dans les rues ; on se méfie d’écrire « des personnes manifestent » car c’est déjà trop dire sur ces rassemblements qu’il faut comprendre et décrire, des milliers de gens se retrouvent dans l’espace public. La série des attentats fait flamber les échanges et les débats entre les personnes ordinaires et celles qui se sentent autorisées. Il semble qu’une chose soit acquise après ces moments, la mise à l’écart du terrorisme et l’insistance sur une commune humanité.

A peine cette année terminée qu’un autre registre de l’action sociale renaît et s’organise. Une loi sur l’organisation du travail suscite émoi, colère et révolte. Les actions sont suivies d’autres ; aux manifestations des gauches radicales et journées de lutte organisées par les milieux syndicaux succèdent les agoras actives : des multitudes prennent d’assaut les places de la tristesse et de la solidarité. Il s’ensuivra près de six mois d’agitation sociale à Paris et dans toutes les grandes villes ; rien ne peut arrêter cette éruption ni la météo ni les fêtes officielles du football. Une partie de la France veut manifester. C’est un mouvement social (comme on dit) et c’est aussi une action qui renvoie aux mouvements des places qu’ont connus beaucoup de pays dans les dernières années.

Et c’est sur ces manifestations à peine terminées (on dirait suspendues) à l’été de 2016 que commence la campagne électorale attendue depuis si longtemps puisque l’élection présidentielle est le centre, réel ou apparent, de la vie politique française. On vient de voir et de vivre les péripéties et les surprises de ce moment. Et il est, à mon sens, difficile de ne pas envisager ces évènements à la suite dans une forme de continuité. C’est l’hypothèse que je voudrais suivre, considérer ces séries d’actions dans des espaces sociaux spécifiques (la société dans son ensemble, le monde social et syndical, l’espace électoral et constitutionnel) comme liés. C’est le sens du mot refondation.

Ecrire ce récit obéit à plusieurs conditions pour sortir d’une impression à la fois évidente et discutable. Il faut trouver des documents et des preuves de ce qui est avancé, c’est l’habitude d’une réflexion scientifique, sociologique et historique. Les journaux qui relatent ces évènements regorgent d’attestations et de récits. Certes les articles sont tous situés, ancrés sur un point de vue, défendant des intérêts et développant une philosophie. Pourtant leur multiplicité même est un atout, elle désigne un ou des points de recouvrement. Les images de la réalité n’ont jamais été aussi innombrables à l’heure des téléphones portables, d’internet, de youtube. Toutes ces représentations sont disponibles et tous les acteurs en font usage ; des responsables syndicaux qui mesurent le succès de la manifestation qu’ils viennent d’organiser aux organisateurs de la campagne de Macron avec leurs enquêtes d’opinion sur l’état politique de la France. Même si l’on ne prend pas le parti de la sociologie radicale de Garfinkel, on doit convenir que tous ces comptes rendus, ces « accounts », existent et se donnent à l’enquêteur de bonne foi ; il faut les confronter (en tout cas une partie vu le nombre) et tenter sinon une démonstration, du moins une argumentation.

Enfin, il faut dire un mot de la raison de cette investigation. Comprendre le monde social dans lequel nous vivons et devenir un acteur conscient et mature, autrement dit comprendre et agir dans le monde social. C’est un projet et un fil rouge de la philosophie de Socrate à Marx. Comprendre ce que nous venons de vivre et d’accomplir chacun à notre place, avec nos préoccupations et nos engagements, nos réseaux d’amis et de parents. C’est un idéal rappelé en son temps par l’historien Marc Bloch qui tentait au moment de la défaite de la guerre de comprendre et de s’engager.

Les attentats et la refondation des citoyens.

L’année 2015 a commencé avec les attentats. C’est le 5 janvier 2015 que les caricaturistes de Charlie Hebdo sont attaqués au sein de la rédaction de leur journal, attaque d’une violence inouïe qui fait 11 morts. « On a vengé le prophète, on a tué Charlie Hebdo ! ». A peine plus loin les terroristes en fuite abattent froidement un gardien de la paix alors qu’ils sont poursuivis par la police. Deux jours plus tard un autre terroriste prend en otage les consommateurs et employés d’une supérette casher ; on compte 4 autre victimes, consommateurs et vendeurs, coupables seulement d’être juifs. Ces actes provoqueront des réactions d’une importance et d’une profondeur incroyables ; mais il n’est pas simple de les analyser et de les comprendre, encore moins de les qualifier. Il faut tenter d’utiliser toutes les ressources de la connaissance pour comprendre, même si c’est une aventure risquée.

Les exécutions des dessinateurs provoquent effroi et sidération. Face à l’inconcevable ce sont des réactions d’accompagnement et de deuils qui viennent : la mémoire et la solidarité. Nous maintenons les liens avec les disparus, nous sommes solidaires des proches. Nous ne pouvons oublier. Des inconnus déposent des fleurs, des messages, des objets fétiches. Des drapeaux sont également déposés. Ceci renvoie à toutes les funérailles ; on pense aux disparitions de personnages connus. Immédiatement des réactions apparaissent, on éteint la Tour Eiffel le lendemain. Des décisions officielles seront communiquées : une minute de silence aura lieu le lendemain à 12 heures en hommage aux victimes. Les cloches de Notre Dame de Paris retentissent le 8 janvier. Et les drapeaux seront mis en berne 3 jours.

Les condamnations seront générales ; les autorités religieuses catholiques, protestantes ; les responsables de l’Islam, D. Boubakeur, président du Comité Consultatif Musulman, dénoncent un « radicalisme religieux » ; un imam de Bordeaux, T. Oubrou parle d’actes pathologiques. Les partis se réunissent à l’Assemblée Nationale le 8 pour organiser une manifestation silencieuse avec tous les partis (à l’exclusion du Front National). Les grandes chaînes de télévision programment des émissions spéciales, certaines suivent les évènements en direct. Les journaux affichent des Une de dénonciation. Un mouvement de solidarité « hashtag#je suis Charlie » est lancé, une manifestation de solidarité réunit 100 000 personnes à Paris le jour même [2]. De même des rassemblements ont lieu dans les grandes capitales du monde.

Un rassemblement général de protestation est organisé pour le dimanche suivant, le 11 janvier, dans un cadre officiel ; les chefs d’état de nombreux pays sont venus et défilent. Et ce qui frappe tous les participants, tous les présents sur le territoire à ce moment, c’est le nombre, la masse de ceux qui se rendent à cet appel. On voit bien que de nombreux appels ont faits de cette journée une date ; on a mentionné l’extinction de la Tour Eiffel, la messe à Notre Dame ou l’appel à minute de silence et rassemblement par le président de la république, les maires [3]. Il n’empêche, ce qui demeure un fait, le fait incontournable, c’est la masse de ceux qui répondent à ces sollicitations [4].

Les journaux parlent de 4 ou 5 millions de personnes ! ils remarquent surtout que le nombre considérable de personnes rassemblées dans la capitale, 1 million, qui ne dépasse pas ce qu’on a connu pour d’autres évènements forts (2 millions de personnes derrière V. Hugo) est moins significatif que la mobilisation générale de tous les citoyens dans toutes les villes de France [5]. Il faut dire aussi quelques mots de l’atmosphère de ces rassemblements. Cette réunion en public s’est déroulée le plus souvent en silence, sans cris, ni revendications avec des sourires et des salutations à la police ce qui n’est pas commun. Et aussi avec des pancartes inventées et apportées par ceux qui étaient là, avec des variations sur « je suis juif, je suis musulman, je suis flic, je suis Charlie ». (P. Ory fait remarquer  : Je suis Charlie et non plus, nous sommes des juifs allemands » à savoir une multitude de réactions individuelles au même moment). On y trouvait toutes les personnes de tous âges et de toutes conditions, de toutes classes sociales [6]. Ceux qui n’avaient jamais lu Charlie Hebdo, mais qui voulaient rendre hommage aux journalistes et défendre la liberté d’expression. Tous ceux qui brandissaient un crayon pour arme.

Au lendemain du 11 janvier, les historiens affirmeront que la journée fut exceptionnelle.

Pascal Ory évoque le comptage propre à la démocratie, où est la majorité ? à propos de ces rassemblements il parle d’un comptage sentimental alors que le suffrage universel compte de manière institutionnelle abstraite. Ce qui frappe surtout c’est le mot d’ordre silencieux, la revendication d’unité nationale, alors que d’autres mobilisations s’inscrivent dans un combat et une opposition. Les participants rappellent l’ambiance de la journée : un temps de fraternité commune, alors que nous vivons à une époque de fort individualisme. Certains parlent d’un sentiment de « bienveillance », réponse inversée à la violence de mort ; la bienveillance étant un sentiment par lequel on veut du bien à son prochain. « La société française avait à sa disposition, plusieurs types de manifestations. Elle a choisi la fraternisation plutôt que la ratonnade » P. Ory. Enfin ce fut aussi une réponse au discours mille fois répété de l’ambiance négative en France [7].

Aussi net et clair que la réaction massive de solidarité apparaît une interrogation et une critique. « Je ne suis pas Charlie ! » ou « je suis Charlie mais… ! ». C’est une réserve forte déjà exprimée lors des caricatures de Mahomet où quelques personnes et leaders d’opinion avaient dénoncé l’irrespect. On ne peut rire de tout, il y a des choses sacrées. Ce qui justifie cette réserve, c’est le rappel de l’illusion de l’égalité à la française [8]. Ces discussions de principe ne se borneront pas à la presse et à quelques tribunes libres, elles se joueront et se développeront dans des milliers d’arènes, travail, amis, famille. C’est dire qu’il existe une minorité très forte et très dense autour de ce point de vue. Naturellement on discutera l’évidence de l’hommage officiel où des chefs d’état et responsables politiques marqués par des dictatures défilent pour rendre hommage aux caricaturistes. Et ce débat ancien se redoublera et se manifestera avec les réactions de la jeunesse scolarisée à la minute de silence organisée dans tous les établissements scolaires. La presse rendra compte abondamment de ces manquements à l’hommage général ; Médiapart, au premier plan pour sa dénonciation de l’islamophobie, rendra compte pendant plusieurs jours de l’atmosphère des écoles et des expériences vécues par les enseignants bousculés par le refus de leurs élèves. Travail pédagogique ordinaire d’apprentissage des normes sociales fondamentales – tu ne tueras point ! – ou inculcation d’un arbitraire culturel qui condamne le terrorisme islamiste et omet les oppressions politiques anciennes ?

Au fond tout se passe comme si la singularité française – la culture de la critique de toutes les autorités établies, l’acceptation d’une irrévérence fondamentale devant toutes les formes du sacré – s’estompait devant l’énormité de l’attaque. Sans cautionner un journal, ses caricatures et ses excès, il faut être solidaire au nom de la liberté de la presse car il faut refuser la violence absolue [9].

Ceux qui n’étaient pas des fidèles lecteurs de Charlie et de ses outrances, ceux qui ne faisaient pas mystère de leurs désaccords sur la violence de cette critique et sa grossiereté (portant sur l’Islam, le catholisme, Mahomet, le pape) vont s’empresser d’acheter le journal Charlie Hebdo lors de sa reparution. C’est un geste symbolique que feront 8 millions de personnes, sans cautionner la ligne éditoriale suivie, pour affirmer la liberté d’écrire et de critiquer. Ce rassemblement autour de la liberté, cette acceptation de la liberté jusque dans le dénigrement est sans doute constitutif de la société française. Elle ne reconnaît aucun absolu sacré – on a bien vu dans tous ces moments la distance avec d’autres sociétés, notamment les Etats Unis solidaire le jour de l’attentat, mais précautionneux sur la critique du sacré religieux. Et même elle se fonde un principe négatif ; tout se passe comme si nous revendiquions collectivement de révérer des principes forts et d’accepter qu’on s’en moque et qu’on les mette à distance.

En fait on ne trouve pas une réelle hostilité contre les populations croyantes ou contre les musulmans dont la foi peut se trouver en relation avec les revendications des terroristes. Deux faits sur ce plan. Si le comité français du culte musulman a évoqué la présence d’actes islamophobes en augmentation par rapport à d’autres périodes, il n’y eut aucune vague d’hostilité constituée ou latente. Un sondage IFOP des 9 et 12 janvier a été réalisé pour mesurer l’état de l’opinion sur ce sujet : J. Fourquet, directeur de l’institut, déclarait qu’il n’y a pas eu d’effets des attentats sur l’opinion.

Quelques semaines plus tard un livre accusant directement les participants à ces manifestations suscitera de forts débats. C’est le livre d’E. Todd, démographe et sociologue qui s’est fait connaître par des travaux et des affirmations fortes et originales sur l’URSS et sur les civilisations. Todd publie peu de temps après les attentats, un ouvrage intitulé Qui est Charlie, sociologie d’une crise religieuse (mai 2015). L’ouvrage livre une interprétation très à contrecourant de l’opinion commune que nous avons relaté. Il s’inscrit un peu dans les travaux précédents de l’auteur et surtout sa connaissance des caractéristiques sociales de la France, des spécificités de longue durée fondées notamment sur les structures familiales et sur la religion. Il parle « d’imposture », de manifestants principalement issus de la « France périphérique, vieillissante, blanche, bourgeoise et de culture catholique ». Et il évoque une forme de détestation de l’Islam.

Le livre suscite une forte réaction et une mise en cause des affirmations de l’auteur, tant sur la forme que sur le fond ; plusieurs auteurs reconnus, sociologues et démographes. F. Héran, démographe et sociologue, stigmatise un « parti pris de fond et de méthode ». Todd oublie que les manifestants sont aussi des acteurs dotés d’un sens social et ne se réduisent pas à leurs origines (aux « structures anthropologiques latentes » attachés au territoire). Tout à sa volonté d’explication, il en oublie les faits, les réactions à l’horreur du massacre. De même V. Tiberj et N. Meyer discutent aussi la méthode, le glissement des caractéristiques d’une région ou d’une ville (dans laquelle on a compté plus de manifestants) à celles de ceux qui ont protesté, et évoquent une enquête de la CNCDH qui développe une tout autre analyse [10].

Au contraire de cette démarche affirmative très surplombante, l’historien, P. Boucheron, professeur au Collège de France, publie à peu près au même moment, un livre « Prendre dates » avec un ami écrivain, M. Riboulet. Secoués à l’instar de millions de français, les auteurs décident de rendre publics leurs échanges. De leur sidération devant ces actes, de leur refus d’oublier et de l’obligation de continuer à vivre, ils souhaitaient garder une trace. Trace individuelle qui devient par le truchement de l’édition une oeuvre collective. Leur propos est à la fois personnel et général. On a dit que cette volonté de tenir un discours modeste, de ne pas parler et dire le sens de l’événement, est apparue à l’auteur, alors qu’il était invité à Libération à parler du haut de sa profession d’historien de professeur au Collège de France.

P. Boucheron s’interroge sur ces gens qui manifestaient et sur le « nous » qu’il peut constituer. Il fait remarquer que nous avons aujourd’hui du mal avec le nous collectif des lendemains meilleurs en concluant « le collectif est myriade ». Au moment de discuter d’une foule comme une entité, on voit bien les allusions aux interrogations de Boltanski sur la souffrance à distance comme sur la montée en généralité qui fait passer des individus aux réalités sociales et aux institutions.

A la fin de l’année, le 13 novembre une nouvelle journée de terreur ensanglante la capitale. Il s’agit d’une attaque organisée par plusieurs groupes de terroristes. Au Stade de France où le Président de la République était présent, dans le 10° et 11° arrondissements plusieurs terrasses de café ou de restaurants sont attaqués ; enfin un groupe se glisse au Bataclan, salle de spectacle et de musique, provoquant 90 morts et des dizaines de blessés. Cette fois les attentats se déroulent dans une grande incertitude, retransmis en temps réel par la presse, et il faudra du temps pour comprendre l’attaque, en circonscrire les dimensions ; d’autant que la prise d’otage du Bataclan dure plusieurs heures.

A la différence de ceux de janvier, ces attentats ne touchent pas des cibles mais un mode de vie, la jeunesse sur des terrasses de restaurant un vendredi soir et une salle de musique. Ils sont commis contre les gens présents dans ces lieux connus des parisiens, personnes de toutes origines, religions ou nationalité.

Les protestations ne se feront pas au nom de la liberté d’opinion ou de l’antiracisme, elles ne discutent plus les causes et les interprétations possibles des logiques des auteurs. Elles proclament la défense d’un mode de vie et l’évidence de vivre ensemble. Cette fois ce sont les images de Paris, sa devise : fluctuat nec mergitur, la tour Eiffel illuminée en tricolore et beaucoup de drapeaux nationaux qui sont brandis. A côté des discours officiels et ceux du Président qui proclament sur un ton martial, « nous sommes en guerre », on retiendra la devise « même pas peur » ou l’idée de continuer à vivre comme avant qui est retenue. Et le livre qui devient un symbole de cette émotion collective, Paris est une fête d’Hemingway : un art de vivre de vivre heureux dans le Paris de l’après guerre de 14.

Au moment de conclure nous retiendrons une interprétation de ces attentats délivrée par G. Boccara [11]. L’auteur parle de cet attentat qui a frappé ensemble une France jeune et multicuturelle au sein de l’espace public et du vivre ensemble. L’auteur considère que cette vague d’attentats, à la différence de janvier conduit à poser comme une évidence l’inhumanité des auteurs ainsi que les conditions ordinaires de la vie commune, ce que tous partage au-delà des conditions, des origines et des spécificités personnelles. Il va même plus loin, il invoque ce que « nous » partageons, hommes et femmes de toutes couleurs et origines, une forme d’évidence ou d’allant de soi de l’humanité. A preuve il cite les prises de position de Magyd Cherfi, chanteur de Zebda, qui affirmait être « devenu solennellement français » au lendemain de ce jour [12]. Il cite aussi le message de l’Association des étudiants musulmans de France, disant « j’ai mal à ma France » [13]. Ces affirmations contrastant évidemment avec l’appel et/ou la mise en demeure lancé aux « musulmans de France » pour qu’ils prennent position au mois de janvier. Il évoque le consensus qui se serait constitué à ce moment, un consensus pour défendre plus que l’état de droit ou la liberté d’opinion, l’appartenance à une société multiculturelle et une commune humanité. Peut-être avec ces effroyables massacres, sommes-nous sortis de ce que A. Laignel Lavastine appelle la « pensée égarée » ; le moment où certains osaient faire un manifeste contre le soutien à Charlie Hebdo soutenant la terreur. Membres d’une civilisation de l’interrogation, nous avons cultivé un intérêt pour les autres peuples et façons de penser et, symétriquement, une critique de nos propres mœurs, nos valeurs comme le dit J. Dewitte. Certes la vigueur des échanges de points de vue qui se déroulent au cours de cette année, entre les pan relativistes et les autres ne permet pas d’affirmer que tout est terminé. [14]

On pourrait aussi évoquer d’autres attentats. Notamment celui commis en l’église de Saint Etienne du Rouvray contre un prêtre ; la dimension religieuse, religion contre religion étant à son acmé… Il est difficile de tirer dès maintenant des conclusions générales de ces évènements. Et en même temps doit-on attendre que le temps de recherche et de l’histoire établisse les faits et leur sens [15]. A minima ne peut-on considérer que ces péripéties ont contribué à refonder le socle de la démocratie, la vie civique et l’essence du vivre ensemble ?

Le printemps 2016, l’insurrection contre la loi et la fin de la politique idéologique

 [16]

Le printemps de 2016 suivait, avec la révolte électronique des jeunes adultes contre la loi El Khomri, qui risquait d’aggraver encore leur condition précaire. Une fois de plus la France renouait avec une tradition ancienne : la contestation de l’ordre républicain, la rue contre le Parlement avec des manifestations très dures à Paris et dans plusieurs grandes villes. Ainsi que le retour d’une autre forme politique, une révolution et une réinvention du politique au sens profond, le gouvernement de la cité, avec le mouvement Nuit debout [17]. Sur ce printemps de lutte de classes, les commentaires pleuvaient sur le moment alors qu’il y a peu d’évaluations des conséquences de cette période quelques mois après.

A distance on voit bien les évènements et leur dynamique. Sur un fond de désaveu du président et du premier ministre (le débat sur la déchéance de nationalité contre les terroristes à la fin de l’année 2015 désarçonne et révolte l’opinion de gauche), l’annonce d’une loi consacrée à l’organisation du travail, dite loi El Khomri, du nom de la ministre qui la défend, suscite une insurrection moderne, puisqu’une pétition électronique reçoit 2 millions de signatures en une quinzaine de jours. C’est le réveil d’une gauche de gauche, la mise en cause d’un gouvernement qui n’a plus rien de socialiste. Ce sont les jeunes adultes, la jeunesse précarisée et une fraction des étudiants qui se mobilisent et manifestent le 9 mars 2017 avec la gauche la plus radicale. Quelques semaines plus tard la gauche militante et ses organisations rejoignent cette dynamique sans entraîner une grande extension du nombre de manifestants (31 mars) [18]. Par contre au soir de cette manifestation apparaît une nouvelle impulsion : des mêmes milieux – une nouvelle génération – las des contestations routinières et des manifestations pour rien, quelques leaders lancent « Nuit Debout », « on ne rentre pas à la maison et on occupe l’espace public ». Alors la place de la République à Paris devient un lieu de rassemblements et de débats après avoir été un lieu de communion citoyenne : de « Je suis Charlie » en janvier, la place devient une sorte de Commune pacifique.

Commence une occupation de l’espace public à l’image du mouvement des places observé dans de nombreux pays, de Wall Street à la Turquie ou l’Espagne. Nuit debout touche naturellement les grandes villes (Marseille, Lyon, Lille, Toulouse), mais aussi d’autres beaucoup plus petites. Organisation du lieu, distribution des tâches ; montage et démontage du forum citoyen tous les jours. Tous les participants évoquent une ambiance de fraternisation et de réinstitution de la société : on ne peut pas, ne pas penser aux grands moments de l’histoire sociale, mai 68 et ses rêves de transformation de la société ou d’autres moments forts, juin 36 …Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut reprendre l’hypothèse de ceux qui ont porté ces journées et s’en révendiquent. Elle est développée dans le numéro de la revue Temps Modernes publié fin 2016 : « le printemps de 2016 n’était pas une simple réaction à une loi, c’était un mouvement pour une autre société » [19].

Au cours des semaines et des mois suivants, la suite est à la fois habituelle et nouvelle ; une sorte de convergence va s’opérer entre ce nouveau mouvement et la machinerie militante, « les entrepreneurs de manifestations » à la française que l’on a vu dans les mouvements syndicaux et sociaux précédents, bref la tradition mouvementiste française. Parmi les acteurs il y a dans l’ordre de visibilité médiatique et d’ancienneté, les syndicats connus et représentatifs, les minorités militantes d’extrème-gauche ou issues du PCF et surtout les groupes divers, les rassemblements et les collectifs, qui existent depuis plusieurs décennies et seront très actifs en 2016. Depuis 1995, la renaissance du mouvement social (Sommier, 2003) et le déclin du Parti Communiste, on a vu de nombreuses formes d’organisation plus ou moins éphémères : des coordinations, des assemblées générales en lutte et, enfin, des regroupements autour de groupes de militants, sites, blogs ou autres très fluctuants avec internet et les réseaux sociaux. Ces formes militantes sont peu institutionnalisées, ce sont des réseaux qui se font et se défont au cours des années et au gré des mobilisations. Ils sont lisibles en termes de militants et de configurations plus qu’en appartenance de syndicats ou de partis Il est très difficile de les présenter et les décrire sans simplifications … Un seul exemple de ces ensembles flous documenté par Médiapart « On bloque tout » qui apparaît très tôt dès la mi-mars dont un des animateurs serait T. Roumier [20].

Si l’on reprend les dates que voit-on ? après l’éruption de mars, l’actualité du mois d’avril est saturée par les commentaires sur Nuit Debout, sa composition sociale, son extension et ses limites (« une minorité sociale pas si marginale » comme le montrera une enquête sociologique de terrain [21]). Et la fin du mois d’avril voit la jonction entre les anciens et les modernes, la rencontre entre Philippe Martinez, représentant du syndicalisme, la CGT et Nuit Debout, la CGT restant le syndicat très légèrement majoritaire (évaluations des statistiques électorales) et le plus influent. C’est P. Martinez qui se rend sur la place de la République, ce qui marque à la fois la distance, le lien et la préséance entre les deux dynamiques sociales.

Quelques semaines plus tard, après cette rencontre grévistes et Nuit deboutistes, ce printemps français prend une autre radicalité. Coupant court au parcours légal de la loi et aux débats parlementaires, le premier ministre M.Valls tente d’imposer la loi par le mécanisme législatif du 49.3. Immédiatement on assiste à Paris et dans les grandes villes à une sorte de réaction collective spontanée. La forme de ces manifestations n’est pas triviale, elles ont lieu immédiatement suite à l’annonce officielle, à Paris elle se dirige vers le Palais Bourbon et les photos montrent des affrontements durs avec la police. Insurection de rue ? de la protestation contre le saut par desssus la démocratie parlementaire à la mise en cause du parlement et l’affirmation d’un pouvoir constituant dans la rue, où est l’opinion de ces acteurs ? Beaucoup d’informations sont accessibles dans la presse, notamment dans les photos qui montrent la même chose. Qu’en est-il du nombre de ces manifestants : faible par rapport aux grands cortèges réunis par les appels nationaux du 9 ou 31 mars sans aucun doute. Peut-on parler pour autant de « petits groupes d’agitateurs professionnels », en gros ceux qui ont participé à toutes les luttes des dernières années ? c’est le sens de l’énumération d’un des auteurs de Temps Modernes [22]. A relire la presse générale, Le Monde, Médiapart ou les médias télévisuels, à éplucher celles des cercles militants engagés, on peut se faire une idée du nombre des manifestations [23]. Une petite minorité très active, ce qu’ils ont appelé « le cortège de tête ». Il faudra revenir sur cette notion.

Comment interpréter ces manifestations violentes qu’on croyait d’une autre époque. On savait qu’il y a deux postulations dans la gauche, de là à imaginer une majorité légitimiste au moment des élections et une gauche dans la rue. Le pouvoir de la rue ne menace plus le fonctionnement des institutions politiques comme au 19° en 1830,1848 ou entre les deux guerres. Pour D. Tartakowski, dans des commentaires à chaud publiés sur internet, auteur avec O. Filleul d’un ouvrage sur La manifestation, ces actes, nouveaux dans le répertoire d’action citoyen, s’ajoutant à la grève, constitueraient des « référendums d’initiative populaire » [24]. Dans tous les pays les manifestations auraient tendance à se développer même si en France, pays où le mouvement syndical fut d’abord anarcho- syndicaliste moins que social démocrate comme l’Allemagne ou travailliste pour l’Angleterre, cette tradition est plus forte.

La presse dénoncera la CGT ou des éléments incontrôlés, des provocateurs, nouveau nom des autonomes et des gauchistes. Lecture grossière et simpliste. Tout laisse à penser un surgissement de colère au lendemain du 49.3, à la fois général et organisé. Ensuite on passera à une autre étape. L’explication de ce durcissement est le suivant. Lors de son congrès à la fin du mois d’avril, la direction de la CGT a dû répondre aux interpellations d’une frange de militants politiques actifs, membres du syndicat. Ensuite une intersyndicale (10 mai) à « appeler » leurs structures à tenir des AG pour débattre des modalités d’action », a programmé de nouvelles journées d’action le 17 et 19 mai. Incitation molle, a minima. Situation classique une forte minorité espérait l’approfondissement du mouvement : les auteurs parlent des « AG interpro/interluttes en Ile de France, réunion de collectifs en lutte » [25]. Les militants de ces groupes travaillaient à l’approfondissement au sein de Sud ou dans les collectifs, comme membres de la CGT. Tandis que les grands syndicats se sentent une responsabilité générale ou nationale dans la montée en généralité des affrontements. A partir de la mi-mai les institutions syndicales et la CGT ont validé le saut vers une autre étape (journée d’action en journée d’action vs grève reconductible) demandée par les minorités actives à l’origine du mouvement. A partir de la mi mai, on la voit à l’œuvre.

Première manifestation de l’approfondissement du mouvement, le blocage. On sort de la journée de manifestation rituelle. Blocage divers, de routes ou de rocades pour faire connaître le mouvement contre la loi El Khomri et bientôt blocages de points stratégiques comme les dépôts de carburants. Certaines agglomérations sont en pointe comme Le Havre, où une convergence des luttes s’est installée entre grévistes, jeunes et vieux, tertiaires et industriels, enseignants ou intermittents du spectacle et ouvriers des raffineries, retrouvant les dockers et leurs traditions. Et cela depuis le 12 mai. Ailleurs il s’agit d’une conjonction entre Sud Solidaires et les réseaux de militants influents dans une union locale. Autour du 24 mai, la plupart des raffineries sont bloqué (Le Havre, Marseille). Le mouvement s’est auto - entretenu par les achats de précaution ; sitôt connu un risque de pénurie, tous se rue vers les pompes. C’est ce que dit le ministre A. Vidalies qui tente de rassurer la population. En vain. Une guérilla s’engage entre les militants et la police : les blocages sont suivis de déblocages comme à Fos sur Mer où les forces de l’ordre interviennent. Et on recommence.

Au même moment on voit poindre des mouvements de grève dans d’autres lieux de production de l’énergie, des centrales nucléaires (par exemple celle de Nogent), des nœuds de répartition de ERDF. Enfin on évoque les syndicats de transports qui jouent un grand rôle, notamment à Paris par la paralysie de la vie sociale. Ainsi c’est la CGT SNCF et la CGT RATP qui annonceraient une grève pour les 2 et 3 juin rejoignant Sud en grève depuis deux semaines. On glisserait alors des journées de grève à la « grève illimitée » ou en tout cas à la « grève reconductible ». L’idée de convergence des luttes, crainte par les uns espérée par les autres se profile.

L’hypothèse d’un blocage général par le manque est confirmée par des consignes d’approvisionnement à l’étranger pour les flottes d’avions (presse du 27/05). En tout état de cause, la presse donne l’impression que l’on est à un tournant, qu’un affrontement est possible entre la rue mobilisée et le pouvoir légal ; le journal Le Monde consacre ce même jour un long article didactique dans la série « les décodeurs ». On évoque toutes les questions de cette montée des luttes : va-t-on manquer de carburant ? d’électricité ? peut-on débloquer les raffineries par la force ? réquisitionner les salariés ? ainsi que des questions sur la CGT, sa représentation et son positionnement. (Notons le décalage sur ce point, volonté ou ignorance, l’acteur le plus dangereux désigné par le journal serait la CGT. Explication simpliste, comme on vient de le voir).

Pourtant au même moment, lors de la manifestation nationale du 26 mai on n’a compté que 153 000 personnes pour la police, 300 000 pour la CGT, preuve qu’il s’agit d’un durcissement des actifs plus qu’une extension et généralisation de la grève. Ce n’est pas une étape supérieure dans le rapport de force national [26]. Aux jeunes mobilisés du début s’ajouterait la frange des militants actifs (il y a des militants professionnels dans les syndicats, élus, délégués). Et c’est l’explication du paradoxe constamment répété : le mouvement semble rebondir et se développer à plusieurs reprises alors que les chiffres montrent une autre réalité et que les autorités ne cessent de parler d’une fin de conflit.

Pendant la semaine qui suit, les derniers jours de mai et la première semaine de juin, la grève est s’installée. C’est au tour du ramassage des ordures de faire défaut et ça se voit dans Paris. Le centre d’incinération d’Ivry est bloqué depuis le 30 [27]. La grève des transports est réelle : même si l’on ne compte à ce moment qu’un nombre de grévistes moyen dans les trains (40 % de trains transiliens, six TGV sur dix). Autre point important l’appel à la grève par les pilotes d’Air France pour la fin de la semaine. Cette désorganisation sociale se conjugue à un événement climatique exceptionnel, des précipitations très importantes ont affecté l’est du Bassin Parisien ; les pluies très importantes provoquant des inondations (on relèvera même une personne emportée dans sa voiture). Des stations de métro sont d’ores et déjà fermées et on craint des répercussions sur certaines lignes.

D’autres moments de l’histoire sociale sont évoqués, un modèle à suivre ? 1995 et la mobilisation contre les ordonnances de la sécurité sociale et plus encore, le printemps de 2006 où le gouvernement présidé par D. de Villepin tente d’imposer un Contrat Premier Embauche pour les jeunes (CPE) ; la loi votée sera finalement annulée suite à la montée progressive du mécontentement : en effet des vagues successives de participation ont paralysé toute la France universitaire et des personnalités connues ont demandé le recul. Le 5 juin le Monde fera un long papier explicatif : « la grève générale aura-t-elle lieu » ?

On a vu un peu plus haut que le 1 juin, la CGT, SUD Rail, l’UNSA ont appelé à cesser le travail. Les cheminots ont des raisons particulières de rejoindre le mouvement, il s’agit de défendre leur condition de travail et de ralentir l’entrée dans une nouvelle ère marquée par l’introduction de la concurrence pour le rail. En effet, ces semaines de mai et juin coïncident avec l’achèvement de leur négociation d’entreprise. Cette redéfinition de leurs règles de fonctionnement est la dernière étape d’une série de négociations qui doivent aligner les fonctionnements de l’entreprise sur le droit commun, sur les autres entreprises européennes et préparer l’accès d’autres opérateurs et la concurrence. On évoque le mouvement très dur de 2014. Lors des négociations qui se déroulent au plus haut niveau (le ministre A. Vidalies, la CGT avec M. Martinez et la CGT cheminots), sur un fond d’agitation sociale nationale. Un accord intéressant est acté le 8. Les syndicats ont une semaine pour le signer. Il prend en compte une forme de maintien du fonctionnement actuel (la règle dite RH 077 instituée le 19/06) [28] qui était menacé.

Immédiatement la CFDT et l’Unsa signent en parlant d’un progrès pour les travailleurs de l’entreprise, tandis que Sud refuse pour des raisons symétriques : il s’agit de continuer la lutte contre la loi, pour obtenir un avantage pour tous ! Tout est suspendu à la signature de la CGT pour rendre l’accord valide (les deux syndicats réformistes n’ont pas la majorité). Et ce alors qu’elle est en concurrence avec Sud ? Quelques jours plus tard, le syndicat CGT s’abstiendra cautionnant l’accord sans l’avouer. La non- extension du conflit à la SNCF marquait un tournant final à ces six mois de luttes.

Une manifestation aura lieu à la mi- juin ainsi qu’une rencontre au sommet entre la ministre et le dirigeant de la CGT. En juillet alors que le temps des vacances arrive et l’actualité se met aux plages et au soleil, intervient une dernière manifestation le 5 juillet 2017, fortement encadrée par la police elle ne rassemblera plus que les militants les plus convaincus (45 000 CGT, 6500-7500 police) [29].

Une époque s’achève.

Avant de conclure sur ce printemps, quelques commentaires supplémentaires sur Nuit Debout, ce mouvement de place français. Il y a de nombreux témoignages de ces jours de démocratie. Prenons celui de Michel Kokoreff, sociologue et anthropologue, avec ses notes de terrain à partir du 2 avril. La spécificité de ce moment c’est l’occupation d’un espace public, la place de la République, marquée quelques mois plus tôt par les grands rassemblements de 2015. Tous les jours un ensemble d’installations, à l’image des festivals, est mis en place puis rangé et réinstallé. Il est assez complexe puisqu’il comporte la fourniture de repas, une « régie médias » moderne (télévision, son). Il prend en charge l’auto organisation des présents, l’ordre public (prévention de la violence, viols) et le soin aux blessés après les manifestations. Ce travail de mise en place sera progressivement pris en charge par des commissions transversales, accueil et coordination, logistique, infrastructure, restauration, sérénité.

Mais ce sont surtout les débats qui attirent les participants. Ils s’organiseront en « commissions » variées, féminisme, droit, jury citoyen, écologie, éducation, etc. Insistons aussi sur les modalités de fonctionnement démocratiques, les gestes employés (signes d’acquiescement, de demande de parole, déjà dit ou trop long…) puisque les assemblées sont souvent prises d’assaut par certains parleurs, comme on l’a vu dans le mouvement d’extrême gauche. Le respect et la bienveillance régnant sur les lieux seront souvent soulignés par les uns et les autres [30].

Pour P. Farbiaz, personnage important des Verts, auteur d’un ouvrage compilant les textes et les résultats, Nuit Debout apparaît comme une melting pot aux dimensions nombreuses. « Un espace démocratique, un centre d’initiatives et de manifestation sauvages, un lieu de réflexion sur la société et un lieu d’éducation populaire’ avec un ensemble de personnes issues de toutes les générations et se référant à des idéologies ou des courants de pensée très divers. Cette vitalité démocratique basée sur la méfiance vis-à-vis des professionnels de la politique et la recherche d’un renouvellement politique par l’expression directe constitue la marque du mouvement. Il sera largement diffusé, expliqué par la presse généraliste et par une presse dédiée ; les enregistrements en temps réel d’innombrables instants, « les militants » de ND organisent des comptes rendus, films, prises de vue [31].

Il est clair que les opposants ne sont pas parvenus à imposer au gouvernement le retrait de la loi. Un gouvernement largement dévalué par sa politique a battu aux points un mouvement social très déterminé, hautement combatif mais minoritaire. Celui-ci ne parvint jamais à s’étendre et à emporter progressivement l’adhésion de masses plus larges d’opposants actifs comme en 1995 ou 2006. Tous les acteurs reconnaîtront, l’échec relatif de la généralisation de la grève. M. Kakogianni écrit froidement : « il y a eu mobilisation dans les facultés, mais moindre que pour la loi LRU ». Et en ce qui concerne le centre de la société, industrie et service, elle note « à part quelques secteurs comme la grève dans les Mac Do, la grève généralisée fait pâle figure devant Mai 68 [32]. Un leader de Sud le dira aussi lors du Congrès du syndicat à Saint Brieuc (juin 2017).

On a évoqué un moment la grève générale caressée par beaucoup d’idéologues du mouvement comme le proclamait une banderole à Nuit Debout : certains ont fait remarquer que la banderole n’affichait au matin que « rêve générale » ! Avec ces journées de manifestations dures, ces affrontements violents contre la police et ces blocages, annoncés chaque matin par la presse et commentés dans l’instant, nous avons vécu une « réactivation de l’imaginaire révolutionnaire » à la française. Une tentative d’agir à la manière d’autrefois, une répétition et à une réappropriation par une nouvelle génération de l’histoire de France, histoire faite de bruit et de fureur. Car si le soutien passif de l’opinion n’a jamais manqué puisque les sondages de l’IFOP ne varient pas au cours de toute cette période (deux tiers de la population étant opposé à la loi), l’opinion ne constitue pas une force.

Une des singularités de ce mouvement tient sans doute à son caractère réflexif. Les capacités de mobilisation, de rassemblement furent décuplées par l’outillage moderne d’internet et des réseaux sociaux. Il fut aussi commenté et analysé en temps réel ce qui provoquait une survalorisation des évènements ; cela n’augmentait pas le nombre de combattants mais multipliait leur présence.

Un des effets de ces semaines est sans aucun doute la formation et l’apprentissage d’une jeune génération aux formes politiques dures ou aux options électorales radicales. Quelques mois après on ne peut s’interroger sur les conséquences de ces semaines. Existe-t-il un lien avec développement de la France Insoumise, réalisant un mouvement de la rue aux urnes en conservant une forme de radicalité. Quant aux autres, plus radicaux, que deviendront – ils ? Un mot revient sous la plume des actifs, le cortège de tête : ceux qui se portent en tête des manifestations et sont préparés à l’éventualité d’affrontement avec les forces de l’ordre avec casques et autres vêtements ad hoc. On ne parle plus d’avant-garde. L’avant-garde c’était la minorité de la classe sociale qui jouait un rôle d’éclaireur. Historiquement c’était ceux qui sont dotés de compétences (lire, écrire, talent de leadership) par rapport à la masse des autres, mais cette configuration semble s’effacer.

Primaires, élections présidentielles et législatives, un tremblement de terre.

Nous allons maintenant considérer la dernière étape de ce moment, la déconstruction/ reconstruction politicienne, le bouleversement des leaders et des partis, le surgissement d’un centre en lieu et place des partis de gouvernement habituels et l’élection triomphale d’Emmanuel Macron et d’une majorité de députés ; mais il faut revenir à quelques évènements de rue en juin – juillet et septembre [33]. Ils constituent le trait d’union entre le printemps de rue et la séquence électorale.

Dernière queue de comète des six mois de bruit et de fureur, des petits groupes se rassemblent pour solenniser leur opposition au Parti Socialiste, affirmer qu’ils ne voteront plus jamais pour ce parti. Ce n’est pas cette affirmation de F. Ruffin en marge d’un commentaire sur Nuit Debout en titre de Libération qui fera réagir le grand parti socialiste, ses fonctionnaires et son ministre de l’intérieur [34]. C’est l’appel à un rassemblement et une réunion de radicaux à Nantes : elle doit organiser l’opposition au Parti Socialiste et menacer ceux qui voudraient tenir l’Université d’été [35]. Traditionnellement ce rassemblement réouvre l’année politique ; on sortait des vacances pour voir les dirigeants socialistes bronzés, tenant leurs discours, rationnels et irréels, inaltérables d’année en année. L’opération venait d’être déplacée de la Rochelle à Nantes, mauvaise idée. Vrai danger ou crainte illusoire dans cette région, proche de la Bretagne des Bonnets Rouges et des Zadistes, la direction du Parti Socialiste préfèrera annuler. Cette mise sous observation du parti au pouvoir, le parti-de-gauche-qui-fait–une-politique-de-droite, continuera à la rentrée dans la région de Toulouse, habituellement socialiste. La réunion de rentrée de M.Valls à Colomiers suscite un contre-meeting.

Et ces actes ne sont pas les seuls, on a vu des affrontements et des casses contre des permanences PS, CFDT au cours du printemps. Pour les auteurs, cela relève d’une forme de démocratie de fait (autrefois on aurait parlé de démocratie ouvrière pour l’opposer à la démocratie bourgeoise) et donne la mesure de l’éxécration acquise par certaines institutions politiques, la mesure de la violence en politique [36].

Les primaires de la droite, à droite !

En septembre l’actualité redémarre. Les grands partis se préparent, mais c’est E. Macron qui frappe le premier en démissionnant du gouvernement le 30 aôut. Pour le moment l’homme est une question lancinante dans le paysage politique. Il tente d’exister avec une réunion officielle avec des réformateurs européens connus, P. Rienzi, S. Gabiel, H. Védrine ; la tentative échoue, les gens de gauche préssentis se dédisent. On sait qu’il a fait un tour de France pour se faire connaître, il a rencontré des notables, des maires, il est passé au Puy du Fou. Difficile de dire s’il représente une force ; son mouvement lancé au printemps compterait 80 000 personnes et les collectes de fond sont en cours. En attendant la rédaction d’un programme, une vaste enquête de connaissance de l’opinion se termine, 25 000 personnes ont été interrogées avec des questions simples traitées par algorithme : « qu’est-ce qui marche / ne marche pas en France ? que demandez vous à la politique ? ». De cette investigation type enquête marketing qualitative, une idée séminale est sortie, la France n’est pas si rance, le pays pas si raciste. Médiapart conclut son article sur la stratégie de Macron : « il occupe un « vide ». … il paraît apporter un air frais dans un paysage dévasté, et vient troubler par « sa simple présence et des discours positifs le scénario fadasse d’une présidentielle écrite par avance à l’encre noire du déclinisme et de la peur » [37]. Prémonitoire.

Cette présence ne dérange pas que les concurrents politiques, on peut l’entendre lors de l’émission de France Inter Questions Politiques. La station inaugure le 4 septembre une nouvelle émission politique, avec les grandes plumes du journalisme politique qui interrogent pendant deux heures un acteur. A écouter (ou réecouter) les échanges on sent bien qu’il va prendre à revers la situation politique française – le consensus ou le blocage politique, l’incroyable glaciation politique qui est la nôtre. Ce discours différent suscite d’ailleurs une violente agressivité des journalistes.

Avec l’étape suivante, on entre dans la routine politicienne, les primaires de la droite ouvrent la séquence. Elles ont été demandées par les animateurs de la droite moderne ; une commission d’organisation sera présidée par Thierry Solère et une haute autorité pour en garantir l’impartialité. Elles se déroulent les 20 et 27 novembre 2016. Les candidats en lice sont les grands leaders historiques de la droite, N. Sarkozy, ancien président dont l’orientation reste très à droite. Au contraire A. Juppé a adopté une position centriste ; il a publié un programme en juin avec un mot d’ordre « l’identité heureuse ». F. Fillon, ancien premier ministre, est sur une position conservatrice assez traditionnelle. Enfin, les leaders plus jeunes, N. Kokiuscko Morizet défend une vision ouverte et moderne de la droite tandis que B. Lemaire a rédigé un gros programme très à droite. En ce qui concerne JF Coppé c’est un retour après une longue période de silence.

Le résultat de ces primaires constitue la première surprise de cet automne, les sondages n’ont rien vu venir [38]. F. Fillon arrive largement en tête, il a plus de 40 % des voix alors que la primaire a été un grand succès, avec une très forte mobilisation de l’électorat et un nombre de 4, 3 million d’électeurs [39]. C’est donc un projet de droite radical qui l’a emporté devant le centrisme modéré de Juppé ou la politique remake de Sarkozy. F. Fillon insistera sur la validation d’une posture d’honnêteté et de conviction, la victoire de celui qui défend des idées et un programme à la différence d’autres qui construisent leur image avec les sondages. Rigueur et moralité, refus du laxisme ambiant F. Fillon affirme une position forte. Le second tour confirme le premier, F. Fillon battant largement A. Juppé longtemps favori des sondages avec deux tiers des voix [40].

Cette primaire est un événement politique, les poids lourds, N. Sarkozy ou A. Juppé sont éliminés. Les commentateurs s’interrogeront sur les causes de ce virage vers une droite traditionnelle. On évoque une candidature méthodique multipliant les réunions dans toutes les villes, le tout sauf Sarko, le soutien des opposants au mariage pour tous au printemps 2013. On parle des mécontents des réformes socialistes qui se bornent au sociétal, 10 % des votants venant des socialistes ? !

Cette institution d’un nouveau leader de la droite, pour surprenante qu’elle soit, fut considérée au début comme une force et une chance au sein de la droite : elle est rassemblée derrière F. Fillon, solide et convaincu. Avec cette dynamique les désaccords s’effacent et les perdants n’existent plus. Mais très rapidement, quelques semaines plus tard, cette candidature se trouve fragilisée par des informations publiées par le Canard Enchaîné (20 janvier). Le journal révèle que l’épouse du candidat, Pénélope Fillon a été rémunérée comme assistante parlementaire entre 1998 et 2007 et aurait reçu des salaires à la hauteur de 500 000 € bruts. Elle aurait aussi été payée pour des interventions à la Revue des deux mondes, propriété d’un ami, M. Ladreit de Lacharrière. Le journal publiera d’autres informations au cours des semaines suivantes précisant et confirmant les premières. Ce qui étonne et choque l’opinion publique c’est peut-être moins le fait d’employer des membres de sa famille (on verra par la suite que sa fille et son fils, apprentis juristes ont aussi fait des prestations pour le député de la Sarthe) que le niveau des salaires touchés par Mme Fillon. F. Fillon dénonce les boules puantes qui s’abattent sur sa campagne et il affirme que l’emploi de sa femme est légal et réel. Interrogé au 20 heures de TF 1, il ajoute qu’il démissionnera s’il est mis en examen. Et on apprend à ce moment qu’un nombre important de députés emploie ou a employé des proches. A gauche Bruno Le Roux a employé ses deux filles très jeunes !

Un peu plus tard on apprend aussi que le candidat de la droite a reçu des costumes de luxe de la part d’un ami. Le prix de ces costumes, 13 000 € suscite des commentaires et des comparaisons par rapport au prix moyen des vêtements des classes moyennes ou populaires. C’est la réponse du candidat aux questions des journalistes qui sera citée en boucle : « un ami m’a offert des costumes, et alors ? ». Cette défense, suffisante et pleine de son bon droit, témoigne inconsciemment de sa distance avec la vie réelle. Le parjure (si je suis mis en examen, je retirerais ma candidature) achève de le déconsidérer . Les sondages de février sont mauvais, ils donnent F. Fillon éliminé dès le premier tour, derrière E. Macron et M. Le Pen.

Il est clair que l’affaire Fillon ruine le lancement, le développement de la campagne et les espoirs de la droite d’emporter la présidentielle [41]. Derrière la façade politiquement correcte, en substance « nous sommes derrière le candidat que les primaires ont désigné - on apprend que certains leaders pourraient envisager une mise à l’écart de F. Fillon et trouver un autre candidat. Un comité politique rassemblant les leaders non impliqués dans la campagne, B. Accoyer, G. Larcher se tient pour envisager une issue. Il se heurte au refus de catégorique de F. Fillon de se désister. La campagne a déjà été officiellement lancée (affiches, trésorerie pour le compte de campagne, etc…). Juppé pourrait se présenter comme recours, mais il souhaite être adoubé par tous. En fait le désaccord entre les prétendants favorise le statu quo. De son côté, Fillon a appelé au soutien de sa candidature par une manifestation au Trocadéro, référence à celle de Sarkozy.

La droite fera finalement une campagne besogneuse, avec quelques fidèles Woerth, Retailleau, L. Wauquiez) et une grande partie des responsables ou militants de droite qui soutiennent mollement ce candidat malgré eux. L’équipe du candidat renverse l’argumentaire de la presse, elle dénonce un cabinet noir : « l’acharnement contre notre candidat montre bien que le cap choisi, la défense forte des valeurs de droite, est le bon ».

Les primaires socialistes, à gauche toute.

La candidature de la gauche se présente forcément sous un autre aspect puisque le candidat naturel de la gauche est encore à l’Elysée ; en effet il est fréquent que le président soit candidat pour un second mandat. En juillet, il est évident que la situation sera mauvaise mais malgré tous les nuages et critiques, le président affichait un optimisme inébranlable. Il comptait se faufiler dans un « trou de souris » pour se présenter et l’emporter. C’est sans compter les derniers évènements qui vont lui aliéner un dernier carré de fidèles. Un livre va déclencher la polémique, un livre qui paraît au milieu du mois d’octobre Un Président cela ne devrait pas dire cela (Les bonnes feuilles paraissent le 12 octobre) [42]. Ce livre est la compilation de nombreuses heures d’interview. F. Hollande s’est confié largement à deux journalistes d’investigation du Monde tout au long de son mandat. On s’interroge sur la logique qui procède à ces aveux privés et publics [43]. Ces propos peuvent être des opinions ou des pensées personnelles, mais ils sont étranges dans la bouche d’un personnage - institution, le chef de l’état. On apprend à ce moment que le président multiplie les relations avec les journalistes, qu’il possède leurs numéros de téléphone et passe beaucoup de temps avec eux. Pouvoir inefficace, pouvoir bavard. Volonté de se justifier ? erreur politique  [44] ? Cette dernière maladresse est la goutte d’eau, elle conduira le Président à « abdiquer » comme le dit son ex- conseiller A. Morelle dans un livre.

Après ces derniers évènements, F. Hollande décidera de ne pas se représenter. Acte courageux ou action inévitable puisque les sondages lui donnait entre 9 et 13 % (sondage Kantar Sofres One point pour LCI du 25/10). Du côté du parti socialiste, une drôle de primaire s’installe. Elle est nommée par le secrétaire du parti, Cambadélis « la belle alliance » sans doute par antiphrase. Elle est de toute manière bancale, puisqu’elle doit choisir le champion de la gauche, avec ou à côté du président qui ne devrait pas s’y soumettre. Elle aura finalement lieu avec les leaders des courants socialistes, Valls, Montebourg, Hamon. A ceux-là s’ajoutent quelques autres qui illustrent la diversité, F. de Rugy, qui s’est séparé du parti EELVS. S. Pinel, une radicale de gauche et un ex-secrétaire des Verts, JL. Benhamias. Quelques jours plus tard, V. Peillon, à l’écart de la politique, professeur à l’Université et auteur de roman rejoindra le trio socialiste, car il pense incarner un équilibre entre la droitisation de Valls et l’extrémisme de Montebourg et Hamon.

La primaire socialiste comme celle de droite aboutit à un résultat surprenant ; B. Hamon remporte une nette victoire [45]. Il a fait une campagne remarquée en opérant une conversion du programme socialiste vers l’écologie et le développement durable. Le thème de la raréfaction du travail et de la révolution numérique le conduit à reparler du revenu mensuel d’existence. C’est le thème de campagne qui suscite le plus de commentaires de la presse. Il devance l’ancien premier ministre nettement de 37 à 32% et encore plus MM Montebourg (17%) et Peillon (7%). Lors du second tour le 29 janvier, la mobilisation des électeurs de gauche est un peu plus importante, à peine plus de 2 millions de voix. B. Hamon l’emporte très largement sur M. Valls, l’ancien premier ministre, avec près des deux tiers des suffrages [46].

Ce résultat sans appel montre une volonté de gauchir et de verdir le socialisme ; ce qui va entraîner des ralliements et de profondes réorganisations à gauche. Y. Jadot fait allégeance à Hamon, sans attendre la décision des instances régulières de son parti. On peut s’interroger sur ce choix et sa rapidité : rejoint-il le parti socialiste et son candidat, parce qu’il a adopté (enfin) le programme des écologistes et /ou parce qu’il espère sauver quelques-uns des élus d’Europe Ecologie les Verts ? Quoiqu’il en soit l’avenir de la gauche reste très compromis : sans illusion Libération titrera le 23/02 : « Jadot rallie Hamon et c’est enfin la petite union de la gauche ». Car à côté du parti socialiste et de la gauche canal historique, une autre gauche se renforce celle de la France Insoumise et JL. Mélanchon on en parlera plus loin [47].

Macron, Bayrou, la possibilité d’un centre.

Entre la fin des primaires et le mois de mars, on sent qu’une décomposition – recomposition du champ politique est à l’œuvre. Les primaires pensées pour perfectionner la démocratie aboutissent à leur contraire. Les grands partis de gouvernement, LR et PS, ont des candidats mal élus ou qui ne font pas l’unanimité. On comprend qu’ils ne seront pas soutenus, Fillon à cause de ses démêlés avec la presse voire avec la justice ; Hamon à cause de son orientation politique et de ses choix gauchistes pour le centre du parti. On pressent surtout une situation inédite où les candidats éligibles, ceux qui ont des chances de l’emporter si l’on en croit les sondages, sont les deux candidats populistes ou ce nouveau venu qu’est E. Macron.

Il est temps de refaire le point sur la candidature d’E. Macron. A ce moment, un mot revient souvent chez les journalistes, la bulle Macron, (il est difficile de parler de concept, même s’il s’agit d’un mot ayant une certaine prétention de généralité). Elle est évoquée par T. Legrand, éditorialiste à F. Inter à la mi-décembre. Eclectique et prudent, il le critique à partir de la gauche - le banquier adepte de peopolisation (couverture des hebdos en juillet) - et à partir de la droite en le comparant aux grands personnages historiques de la V° ; pourtant l’éditorialiste reconnaît le phénomène. Un peu plus tard un politiste se risque à réduire cette candidature à un artefact créé par un matraquage publicitaire massif (Nouvel Observateur du 12 février). Médiapart reprendra complaisamment cette analyse. La plupart des organes de presse connus le font aussi Marianne, Huffington Post, les sites Atlantico, etc. Pourtant bien avant le Monde du 7 janvier avait fait remarquer « la bulle résiste et inquiète ses adversaires » ; au delà de la publicité, incontestablement forte, il y a une réalité de cette candidature. Pour ma part j’avais fait une petite observation de terrain, dans une petite ville de l’Ouest. Il était clair qu’il se passait quelque chose [48].

Le ralliement de F. Bayrou, le 22 février, confirme et construit la chance d’E. Macron. Le leader historique du Modem, incarnation et défenseur du centre, avait conditionné sa participation à la présidentielle à celle de N. Sarkozy ; au contraire, il était prêt à soutenir A. Juppé, incarnant une droite modérée. Finalement il décide de rejoindre E. Macron à cause de « la gravité de la situation », de la « décomposition » de la démocratie, une situation qui « nourrit le pire des risques, une flambée de l’extrême droite » (Le Monde, 23 février 2017). Ce choix réel et risqué de F. Bayrou cristallise quelque chose dans l’espace laissé vide par les partis de gouvernement. Souvent candidat aux présidentielles, il défendait la constitution d’un centre, tentative toujours échouée dans l’ensemble français historiquement polarisé. Et si l’élimination des favoris créait cette possibilité avec et pour E.Macron ?

A droite la campagne de F. Fillon a fini par démarrer. On évoque la présence de réseaux marqués à droite comme la Manif pour tous. Assez vite, il apparaît que les sondages pour Fillon ne s’effondrent pas. On voit aux interviews et aux échanges avec la population qu’un socle de partisans reste imperméable aux critiques. Il est évalué à 18% début avril (le Monde 2/04). F.Fillon compte même sur une masse électorale cachée qui lui permettrait de l’emporter.

De l’autre côté, le parti socialiste se défait en direct. M. Valls déclare qu’il ne soutient pas Hamon et la « dérive » de son programme (notons que Juppé affiche son soutien à F. Fillon), un peu plus tard il déclarera même voter pour Macron, malgré l’engagement des primaires. Des défections sont annoncées chaque jour. Les chefs du parti, ceux qu’on appelait autrefois les éléphants, rejoignent clairement ou discrètement le mouvement En Marche. Ils le font avec des déclarations sans appel qui dénoncent, après coup, l’illusion d’unité des socialistes : Delannoë, ancien maire de Paris, est cinglant. Certains qui occupaient une place forte dans le gouvernement de M. Valls comme Le Drian, ministre des armées, se prononceront à la toute fin. Ils rejoignent R. Ferrand, député ou G. Collomb, maire de Lyon premier à la cause ou JP. Delevoye centriste. Les différentes tendances affichent au grand jour leurs désaccords, les chefs de file s’expliquent. On peut considérer dès ce moment que le grand parti socialiste qui possédait tous les pouvoirs lors de l’élection de FH n’existe plus ; la pratique des synthèses qui avaient permis la cohabitation de courants très différents ne peut suffire à conserver un ensemble éclaté. Revient en mémoire l’affirmation de M. Valls, appel ou menace, « la gauche peut mourir » ou le constat plus sec de FH : « un hara kiri ».

Fin mars les journalistes ont eu le temps d’examiner la nature du candidat Macron, à la fois très nouveau et déjà ancien dans le champ politique. Pour la jeunesse, il a l’âge de la dernière génération des députés de droite ou de gauche (et de nombreux cadres dans la société normale des chefs de service hospitaliers aux maîtres de conférence directeurs d’UFR). Et il arrive dans le champ politique par la fonction de lettré ou conseiller du roi. Et il est au cœur du pouvoir à la française, il rejoint le président de la république, F. Hollande pour sa candidature de 2012. Le brillant haut fonctionnaire converti à l’action publique avait fait ses classes au sein des commissions qui brasse les hommes et les idées, qui se situent juste en backoffice du pouvoir [49]. Il est secrétaire de l’Elysée, puis ministre de l’Economie. C’est plus un homme de pouvoir qu’un homme politique qui gagne ses compétences et sa place par l’accumulation et l’ascension progressive dans les mandats ; il n’est pas formaté par l’apprentissage des gens et des élections, beaucoup plus par les lettres dans une tradition française, dont un des représentants fut M. Jobert.

De cet observatoire il a acquis une vision très aiguisée, sans doute moins suffisante que pressée de faire plus et mieux, que ceux qu’il fréquente les ministres et le président. Les mois qui viennent délieront les plumes, on le voit déjà avec l’ouvrage d’A. Morelle. Les conseillers et les hommes de cabinet sous-estiment souvent les pesanteurs humaines et sociales. En tout cas, il est d’une autre génération même s’il faut être prudent avec le mot qui a été rebattu. L’interview de membres de cette génération (une femme, trois hommes) par le Débat apporte quelques faits [50]. Il s’agit de deux membres d’En Marche, David Amiel, Quentin Lafay et de deux militants de LR, Céline Bähr et Yohann Marcet. A côté de généralités sur la société et les enjeux internationaux que les uns et les autres partagent, il y a leur expérience. Pour les républicains, l’insatisfaction, le constat que dans cette France vieillissante il n’y a plus d’avenir pour la jeunesse ; c’est leur sentiment et leur approbation de cette tribune parue dans Libération, « Jeunes de France, barrez-vous ! » (mars 2015). Ajoutons que ces « jeunes militants » avaient participé et cru aux promesses de campagnes de Sarkozy en 2007 [51]. Quant aux partisans d’En Marche ils rappellent que les gens de Macron ont d’abord été tenté de s’inscrire dans le cadre du socialisme et l’attrait du réformisme, réformisme qui constitue à quelques oscillations près le mainstream de l’histoire française. Ils y trouvent un astre mort [52]. On peut supposer que ce désenchantement des jeunes adultes français était clair pour E. Macron et ses amis.

Que penser de cet outsider qui commence être considéré comme un candidat important. Il est tantôt décrit comme celui qui veut libéraliser l’économie et cela correspond à son histoire professionnelle puisqu’il a été banquier chez Rotschild. Tantôt comme interventionniste dans le droit fil de la gauche ou au moins des grands défenseurs de l’Etat. En fait, E. Macron a saisi le nœud gordien de la politique française, cet effet de couple qui renvoie les questions comme une mécanique en les prenant et reprenant ou en les ignorant ainsi, l’école et sa lente dégradation à l’aune des grands pays, les banlieues depuis 2005. Il a vu le jeu malsain qui refuse les choix de l’équipe précédente au prétexte d’une appartenance de gauche ou de droite (ainsi des centres éducatifs renforcés refusés par la gauche en 2002, puis mis en place largement quelques années plus tard). Il prétend se situer au centre, prendre aux uns et aux autres. C’est ce qui crééra pour les journalistes ce trouble dans l’analyse, en plus de l’imprécision et de la succession des discours, comme de la rouerie qui consiste à dire des choses congruentes à chaque auditoire [53]. Il a cette remarque très lucide, la droite et la gauche sont divisées sur des questions centrales. Pour JP. Rioux le positionnement de Macron est moins centriste que central… L’ambition de dépasser l’affrontement réforme révolution, sortir par le haut à l’image des républicains du début du 19° siècle ». (Express 29/03).

On apprend à ce moment que le responsable du programme économique d’En Marche est J. Pisani Ferry, commissaire général de F. Stratégie (ex Commissariat au plan) qui consiste en des recettes de centre gauche. Réduction de la dépense publique au niveau où elle était avant la crise, projet d’investissement sur la transition économique et la formation des salariés. Il a quelques annonces phares comme la remise à plat des régimes de retraite ou la suppression de l’impôt foncier. Mais c’est moins un programme détaillé qu’un projet ou une philosophie pragmatique qui lui donnera une force de percussion dans l’opinion écrit à ce moment B. Cautrès dans un article intitulé La force du discours de Macron, c’est le bricolage entre les thèmes de la gauche et de la droite, Le Monde 8 avril 2017. L’auteur politiste tente une analyse à chaud (n’oublions que cette élection fut réflexive, elle réinjectait au fur et à mesure des semaines les analyses des experts) de l’argumentaire d’E. Macron. Il cite un mot le mouvement qui rassemble d’après lui sous une même inspiration la création des cars (c’est important car le train est devenu très cher) et l’accès aux positions sociales verrouillées par des statuts. Ainsi on s’est accommodé du nombre réduit de places de taxis, des coûts d’accès aux ventes d’immeubles et de citer la circulation des véhicules Uber et l’extension des offices de notaires. Le nom de son mouvement, le titre de son programme s’inscrivent dans le registre de l’action.

Et son inspiration puise au libéralisme au sens fort du mot, une notion qui est plutôt étrangère aux français qui réduise le terme à sa dimension économique. Comme un élève brillant qui a gagné toutes les marches de la connaissance et du capital culturel, il croit au dynamisme de la société et des individus, il est convaincu qu’il y a une réserve de dynamisme dans la société française. On l’a vu lors de son meeting à Marseille s’adresser aux quartiers populaires et au dynamisme des entrepreneurs [54]. EM parle aux cités de réussite individuelle, il met en avant l’engagement comme les anglo-saxons, il refuse de considérer l’origine et les caractéristiques sociales de ceux à qui il s’adresse. Il faut mesurer la singularité de ce discours par rapport au langage commun de politiciens de gauche et même de droite. Dans ces lieux où la droite et la gauche ont multiplié les politiques compensatoires depuis 40 ans, l’argumentaire touche car la génération des laissés pour compte (2° ? 3° génération ?) en a assez d’être des jeunes de la diversité. Elle veut des modèles de réussite, des « role models », dit l’article du journal. M. Macron parle après cet échec de la gauche et de la droite qui ont mené les diverses variétés des politiques sociales) [55] . Très justement un des animateurs des mouvements des banlieues, M. Mechmache fait remarquer les limites de cet appel au dynamisme en rappelant un des principes des positions correctrices initiées au tournant des années 80 : tous les individus ne sont pas égaux devant l’initiative…, les institutions sociales servent à... Il n’empêche que le futur président de la république ose ce discours et est écouté.

C’est peut-être la dernière caractéristique de son discours, un mélange de discours direct et de franchise, un style qui passe du langage de haut fonctionnaire au prêche. Il faut réentendre les enregistrements des meetings électoraux, celui de Lyon ou de Marseille. C’est dans cette dernière ville qu’il introduira un accent particulier à connotation morale pour se distinguer et s’opposer à M. Le Pen. S’adressant à Marseille et à son histoire ouverte sur la Méditerranée, les histoires mêlées qui la composent depuis des siècles, il évoquera « le parti du cœur, de l’enthousiasme, de l’espérance. Loin du parti de la haine, du mépris et de ceux qui nous font honte ». Discours original, loin des analyses et des critiques politiques du Front National ; le candidat le réduit à un rassemblement de « passions tristes » et le condamne moralement. Il fait du FN son premier adversaire, la victoire de M. Le Pen et de son parti « du repli et de la haine » nous conduirait à la guerre. Avec cette pirouette, ne les sifflez pas, combattez les ! D’où la rencontre avec C. Estrosi, homme politique de droite, arguant du fait qu’il est un républicain. C’est aussi à Marseille qu’il parlera de crime contre l’humanité à propos de la colonisation en Algérie. Formule qui fit couler beaucoup d’encre et de commentaires car elle renvoyait, sans doute avec une maladresse qu’il tente de corriger, à la double plaie ouverte en même temps les rapatriés et ceux issus d’Algérie [56]. Il y a une forme de culot et de courage dans ce candidat.

Le Front National pourrait l’emporter ?

Marine Le Pen candidate du FN espère bien réussir un exploit. Elle poursuit l’ascension méthodique de son parti sous la ligne « modéré », nationaliste et populaire de F. Philippot, à distance des excès de son père. En décembre 2015, les élections régionales ont marqué un nouveau progrès, même si aucune région n’a basculé pour le Front National comme s’il y avait un plafond de verre [57]. C’est la candidature qui effraie tout le monde, les spécialistes comme les gens de gauche et de droite modérés. On craint la puissance du vote lepeniste comme une tendance de fond, un cancer que rien ne peut arrêter. Ainsi la Question de l’élection présidentielle tourne autour de cette interrogation : qui arrivera derrière M. Le Pen ou qui peut la battre car sa présence au second tour ne fait aucun doute ?

Question générale pour tous les pays : cette tendance au repli sur soi incarné par le Front National est la déclinaison nationale d’une progression générale. On l’a vu en Autriche, on vient de le voir aux Pays-Bas [58]. Partout en Europe, en Hongrie ou en Pologne, on a des partis qui se réclament de l’extrême droite ou, au moins, d’un repli, d’une défense des valeurs identitaires, d’une hostilité à l’immigration et à l’Europe qui symbolise l’ouverture. En décembre l’élection de Trump aux Etats-Unis contre la candidate Clinton, achève de compléter les pièces d’un puzzle où l’enjeu majeur est la fermeture et la montée des extrêmes.

La France insoumise, grande inconnue.

Pour achever ce tableau d’ensemble, il faut présenter le mouvement de JL. Mélanchon. Rapidement les espoirs des acteurs ordinaires de la gauche d’assister à la convergence et la réunification de la gauche se sont envolés. Les deux candidats accepteront des rencontres de mauvaise grâce mais rapidement il est évident que la gauche aura deux candidats face à face, ou côte à côte. Certains initieront des pétitions, lanceront des tribunes. Hors de propos.

JL. Mélanchon est en campagne depuis plusieurs années pour construire une force et s’opposer au PS, voire le remplacer. II a entrepris cette opération peu après 2012, et il a décidé une autre stratégie après les bons résultats du Front de Gauche et leur recul à la veille de l’élection. Il s’agit de construire un mouvement plus qu’un parti dont les partisans se recrutent par les méthodes modernes (les citoyens déclarent soutenir la démarche en donnant leur adresse, téléphone) et ils peuvent s’organiser en groupes locaux. Le nombre de ces soutiens en forme de « like » serait considérable (avec cette forme d’organisation soft, on a tendance à s’interroger sur les chiffres bien plus que sur les membres) ; des dizaines de milliers au printemps 2016 et 150 000 en novembre. Les membres, sympathisants, partisans se rassemblent derrière le sigle Phi, lettre grecque pour la France Insoumise. Le mode d’organisation est résolument moderne, avec utilisation des outils internet, du réseau Face Book et des twitters qui démultiplient informations et communications [59].

Cette nouvelle forme politique est pensée en rapport avec Podemos et d’autres exemples, comme un populisme de gauche. Il s’agit de construire une opposition au pouvoir en rassemblant toutes les fractions de la population. On ne parle plus de classes sociales, on fait appel au peuple. On a remisé le drapeau rouge et on parle de la nation. Le programme s’organise autour de quatre enjeux démocratique, social, écologique, géopolitique. Pour l’élection, un livre est sorti, L’avenir en commun. Une série de livrets sera édité et accessible sur le site de la FI.

L’entreprise de Mélanchon est résolument personnelle, en rupture ou indépendante des projets de ses ex-concurrents et alliés du Parti Communiste. Le pari consiste à construire un môle où viendront s’arrimer les gauches radicales qui toutes affichent des accords partiels et des intérêts propres. Le pari de cette dynamique puissante c’est d’obliger les autres à se positionner derrière la FI ou de rester isolés et faibles. Ainsi des militants autour de C. Autain, Ensemble, rallient JL. Mélanchon. Et si le Parti Communiste reste en opposition certains leaders le soutiennent comme Buffet [60].

La dernière ligne droite : quatre candidats peuvent l’emporter.

A quelques semaines des élections présidentielles la situation est très incertaine quant au vainqueur final, celui qui sera au second tour. Il semble que les positions des candidats soient stabilisées, Marine Le Pen et Emmanuel Macron devraient être en tête et à quelques distance F. Fillon et JL. Mélanchon. Au vu des sondages, il est très difficile de se faire une opinion précise. Au 29 mars, une série d’instituts de sondage connus (IFOP, Harris International, Opinion Way, BVA, Opinion Way et Elabe) semble converger dans leurs appréciations : E. Macron l’emporterait devant Marine Le Pen d’un point – seule exception Opinion Way – ensuite viendrait F. Fillon avec 18 % de voix environ et JL. Mélanchon autour de 14 %. B. Hamon est nettement distancé avec 10 % de voix. Quelques jours plus tard, le 4 avril, l’institut IPSOS indique le même quatuor de tête avec des chiffres concordant sauf pour E Macron et M. Le Pen au coude à coude à 25% [61]. Pour une présidentielle, c’est une situation totalement inédite puisque quatre candidats pourraient l’emporter !

Les erreurs précédentes, celles des instituts anglais qui n’envisageaient pas le Brexit, celles des sondeurs américains qui voyaient Mme Clinton l’emporter, celles des sondeurs français défaillants pour le résultat des primaires, incitent à la prudence. Des commentaires circulent sur les résultats bruts qui sont annoncés en boucle par les médias. Ils se fondent sur l’exploitation complète des résultats, ils explorent le mode de construction de ces chiffres, ils creusent la confiance qu’on peut accorder à ces pourcentages et leurs valeurs. Ainsi la solidité des intentions de vote : les électeurs lepenistes font preuve d’une plus forte conviction que les électeurs d’E. Macron ; ce dernier rassemble des gens venus de partis de gauche et de droite, moins acquis à son projet que voulant faire barrage à l’extrême droite. S. Galam, physicien, développe même une analyse en termes de probabilités pour montrer qu’une abstention différentielle au second tour peut faire gagner un candidat arrivé en seconde place, à savoir la candidate du FN.

Enfin ce qui est très commenté au cours des dernières semaines, c’est la remontée fantastique de JL. Mélanchon. Elle est visible dans les sondages, on le voit rejoindre le trio de tête Macron, Le Pen, Fillon [62]. La presse note le succès de ses discours (les doubles réunions, l’une avec le candidat, l’autre avec son hologramme), ses rassemblements et ses marches. On fait l’éloge de l’efficacité de sa campagne, son talent oratoire et sa culture donnent à ses meetings un caractère d’événement. La presse se délecte des formules qui sont reprises en boucle. Lors du débat organisé à la télévision avec tous les candidats, il est le seul avec P. Poutou à crever le consensus poli qui pèse sur les candidats . Consensus qui évite de rappeler les mises en cause de la presse et la mise en examen du candidat Fillon. Le mot de « pudeur de gazelle » est dans tous les commentaires. On parle moins du style et de la diversité de sa communication politique qui semble avoir mis en mouvement beaucoup de groupes de gens ; la campagne de la France Insoumise aurait mis en marche des initiatives, des milliers de petites mains, qui assurent un véritable succès populaire à cette candidature. Cette vitalité démocratique attestée par beaucoup est un contraste fort avec le modèle organisationnel, un parti mouvement dirigé par un chef incontesté. Et tous les militants et sympathisants de la FI qui sont convaincus qu’ils vont créer la surprise [63].

Présidentielles 23 avril : E. Macron devance nettement M. Le Pen.

Après plusieurs mois de campagnes le résultat tombe, E.Macron et ML. Pen arrivent en tête au premier tour des élections présidentielles. F.Fillon pour les républicains devance de très peu JL. Mélanchon, environ 150 000 voix. Enfin B. Hamon pour le parti socialiste est très loin [64]. On a maintenant une France politique quasiment divisée en quart, le candidat qui l’emportera au second tour sera forcément mal élu. On assiste à la fin d’un système majoritaire qui permettait aux grands partis de gauche ou de droite d’alterner au pouvoir. Ces derniers recueillent à peine plus du quart des suffrages alors que les deux candidats vainqueurs au second tour, Sarkozy Royal en 2007 et Sarkozy Hollande en 2012 dépassaient largement la moitié des suffrages.

Si M. Le Pen n’est pas en tête (ce que les élections régionales – 2015, 27 % - ou les européennes – 2014, 25 %) lui laissaient espérer, elle explose les résultats des précédentes présidentielles (plus de 1 millions de voix par rapport à 2012). Il est patent qu’elle fait maintenant partie du système politique. Une réaction symbolique, un rassemblement avec quelques milliers de personnes contre M. Le Pen rappelle en négatif l’énorme manifestation qui avait suivi la présence de Le Pen au second tour en 2012, avec un appel unanime de tous les partis. Certes les Républicains modérés (Kokiusko Morizet, Raffarin) appellent immédiatement à faire battre M. Le Pen, mais le refus de JL. Mélanchon d’appeler à faire voter Macron pour faire barrage à M. Le Pen étonne et choque. L’évidence d’un désistement face à l’éventualité d’une élection de Mme Le Pen comme présidente de la république n’existe plus. Ce n’est plus la summa divisio, gauche droite, de la vie politique française qui s’efface, ce sont aussi les principes de second ordre, les arrangements habituels de second tour, le vote républicain [65].

En fait les opposants à cet appel républicain ont beau jeu de faire remarquer, qu’on a déjà joué la même pièce en 2002 avec J. Chirac élu avec une énorme majorité. Pour autant les causes qui produisent la croissance du FN n’ont pas vraiment été traitées. Ce discours n’étonne pas dans la bouche des partisans de la FI. Mais on va vite s’apercevoir que l’opposition est partagée par beaucoup d’électeurs. Dès l’élection d’E. Macron des slogans sont repris par des groupes de jeunes radicaux, « ni Macron, ni Marine ; ni patrie, ni patron ». Ce sont des groupes très minoritaires. Idem des sites affirmeront leur refus de soutenir Macron pour ne pas avoir Le Pen, considérant que ce sont les mêmes causes qui ont produit les uns et les autres. Pourtant on sent bien que ce refus du réflexe républicain est partagé. Les jours qui suivent le premier tour, alors que ce débat fait rage, qu’une forme de pression s’exerce sur ce point de vue, N. Demorand organise un Téléphone sonne très particulier ; au lieu de multiplier les questions et les réponses, il donne à chaque intervenant un long temps d’antenne pour expliquer son raisonnement pour le second tour. Dans ce panel d’opinions, on a l’hostilité de principe qui se manifeste contre l’ex-ministre de l’économie devenu président de la république. On a aussi d’autres prises de position, des déclarations longues et argumentées de citoyens attentifs et conscients réfléchissant à leur vote ; ils disent la distance qui s’est créée entre la classe politique et les élus ou les journalistes. Le refus de voter quoiqu’il en soit du risque de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite était manifestement fondée dans la population. Le refus de rejouer la discipline et le vote républicain. Où l’on retrouve un aspect des résultats du premier tour qui a été souligné par tous les analystes. Et le vote du second tour sera marqué par une explosion de bulletins blancs ou nuls.

Très vite la campagne pour le second tour commencera, marquée par la détermination, voire la hargne de la candidate frontiste à bousculer le candidat lisse et multiorigine qu’est E. Macron. L’épisode marquant va se situer dans le Nord, à Wirlpool dans une région marquée par la désespérance, région que le Front National a investi depuis plusieurs années. Alors qu’E. Macron discute avec les représentants syndicaux à la CCI, Madame Le Pen fait une opération commando et va haranguer les travailleurs présents devant l’usine. Elle désigne son adversaire responsable de la misère sociale ! Les choses auraient pu en rester là à une autre époque, avec un candidat assumant sa démarche conforme à son origine sociale et son histoire et une démagogue qui a choisi de se faire la championne des travailleurs et des perdants de la mondialisation. Las, à l’heure de la communication immédiate et de Facebook, le duel ira jusqu’au bout et à l’affrontement via les médias qui retransmettent instantanément l’événement. E. Macron choisit de modifier son programme, de se rendre aussi aux portes de l’usine et de s’expliquer. Un membre de son équipe filme l’événement et le retransmet. De ce bras de fer, on retiendra deux choses. E. Macron relève le défi, il se rend aussi sur le parking de l’usine. Un échange houleux s’en suit où il maintient sa ligne directrice : arrêter les promesses de ne pas fermer une usine, les gestes présidentiels ne peuvent faire oublier la logique économique.

F. Ruffin, candidat des Insoumis, jouera les arbitres dans ce combat douteux. Invité surprise dans l’Emission Politique du 6 avril, c’est lui qui avait cité les ouvriers de Whirlpool et rappelé la longue crise de désindustrialisation. Il avait incité le candidat à se confronter aux perdants de la société. Ce dernier affirmait alors, contre F. Hollande à Florange, « je ne vais pas dire… l’usine ne va pas fermer ». F. Ruffin reconnaîtra le courage du candidat

 Macron ... tout en dénonçant sa politique au service des groupes industriels.

L’autre épisode de cette campagne de second tour, c’est le face à face télévisé le 4 mai. On cite souvent les mots des précédents. « Vous n’avez pas le monopole du cœur » de V. Giscard d’Estaing contre F. Mitterrand ; « oui Monsieur le premier ministre de Mitterand contre J. Chirac ». Les experts remarquent aussi qu’un tel débat très médiatisé est rarement un événement fort pour l’élection. Ce ne sera pas le cas. Très attendu, le débat a été préparé, discuté par les deux camps dans les moindres détails. Dès la soirée les commentaires fusent : match de box, face à face brutal exceptionnellement violent. Autre conclusion qui ne fait pas de doute pour les spécialistes ou pour chacun de ceux qui assistaient aux échanges, ce fut une déroute pour la candidate frontiste. La netteté du résultat souligné par les sondages quelques jours plus tard et accepté par les vaincus, restera un fait de première grandeur dans l’histoire politicienne. Reste à en comprendre les causes, elles sont documentées puisque toutes ces émissions ont été filmées et enregistrées.

En fait M. Le Pen a attaqué très vite son adversaire comme le candidat de « la finance, de l’uberisation ». Agressive avec un sourire sarcastique elle tentera à maintes reprises de bousculer M. Macron espérant le déstabiliser. Et ce bulldozer se heurtera à un candidat concentré, calme au moins en apparence extérieure. Maniant l’ironie (à l’attaque initiale, il répond « vous n’avez pas l’esprit de finesse ») et plus développant une réponse argumentée, renvoyant pédagogiquement son adversaire à sa méconnaissance des dossiers. Attaqué sur la vente de SFR, il répond point par point à l’accusation rappelant qu’il n’était pas ministre à ce moment. Il aura même cette remarque un peu étrange : « vous avez un rapport à la vérité qui n’est pas le bon ».

Au total l’opinion sanctionnera nettement la candidate du FN, l’écart entre les candidats étant bien plus net que pour de précédentes occurrences, N. Sarkozy - S. Royal ou F. Hollande – N. Sarkozy. Un sondage IFOP note un point d’avance pour M. Macron ; un autre (Elabe pour BFM TV) publié le 5 pronostique un écart de 62 à 38 %. Ce qui ne trompe pas c’est le sentiment des proches du FN qui évoqueront dans des échanges le « fiasco » du débat, notant que leur candidate était seulement dans l’agressivté. On stigmatisera la ligne ni droite, ni gauche de F. Philippot ou on regrettera le bagoût du père qui avait renvoyé B. Tapie en le traitant de matamore et de Tartarin, mais le résultat est sans appel.

E. Macron devient président.

Il restait une inconnue : quel serait le différentiel entre les deux candidats étant donné les conditions des reports de voix. E. Macron gagne largement par 63 % contre 37%. On est loin du score de J. Chirac en 2002, même si la victoire est nette.

La suite de cette élection présente moins d’importance, elle confirme l’ambition de l’impétrant, sa conscience de la fonction et sa volonté de l’habiter. L’intronisation du nouveau président aura lieu sur le parvis du Louvre. Le nouveau gouvernement est rapidement connu, il sera présidé par E. Phillippe, choisi parmi les députés de droite, ex juppéiste. Après avoir cassé la gauche, E. Macron casse la droite. Ce gouvernement présente comme prévu un nombre important de candidats nommés pour leur compétence et plus d’une moitié de femmes.

Quelques semaines plus tard, alors que les législatives viennent d’être gagnées largement par le parti du président, un second gouvernement sera constitué. F. Bayrou, ministre de la justice et R. Ferrand, homme clé du macronisme, sont conduits à démissionner. Plusieurs ministres de ce second gouvernement sont doublés d’un secrétariat d’état directement lié au Président.

Après le tremblement de terre de 2017, quelles répliques ?

Et maintenant qu’allons-nous faire ? Continuer ! car cette nouvelle situation est notre œuvre. Rien n’aurait eu lieu sans cette remise à zéro des compteurs de la vie sociale et politique ; la réaction massive au terrorisme, l’évidence du bien et du mal retrouvée dans la masse des rassemblements, le brainstorming extrême des places de mai 2017 et la fabuleuse campagne de 2016-2017 où toutes les positions et les principes acquis étaient remis en cause de jour en jour.

On peut deviner ou pressentir ce qu’ E Macron fera, il l’a dit et répété lors de la campagne, il le met en œuvre en ce moment. A l’extérieur, on voit bien que son arrivée au pouvoir contribue à changer quelque chose comme l’esprit du temps (même si le mot n’est plus en cours actuellement) comme le précisait S. Kaufmann dès le lendemain de l’élection [66]. Ce volontarisme européen est réaffirmé comme on l’a entendu lors du discours sur l’Acropole (7/09), sortir de l’impuissance et de l’inégalité destructrice en relançant une dynamique et des outils européens (Fond Monétaire, listes électorales transnationales). Ce ne serait pas encore sortir de l’ordo-libéralisme européen, ce serait un début. Mais il y a la politique intérieure. Au début c’était la moralisation de la vie publique, la modification du code du travail, la réduction des emplois aidés, la réduction des formes d’aide sociale et la diminution de l’ISF. Et maintenant on évoque la réforme de la formation professionnelle, la mise à plat des régimes de retraites… Cette politique va appuyer où ça fait mal, cibler les impasses et, même, les impensés de la gauche [67]. Elle pourrait aider à balayer le passé et ouvrir de nouveaux horizons comme dans la stratégie du judoka ; encore faudrait – il que la gauche, les partis, les syndicats, mais aussi et peut être surtout, les associations, les groupes de pensée et les intellectuels qui défendent un projet d’émancipation, sachent opposer des alternatives aux projets du gouvernement. On voit bien les conditions de l’équation : il s’agit de sortir le pays d’une stagnation défensive sans pour autant rejoindre un modèle social affiché par l’Angleterre, un chômage bas au prix de multitudes d’emplois précaires. De ce bouleversement incarné par Macron pourrait naître un nouveau contrat social. Il est facile de deviner que le chemin en ce sens ne sera ni court, ni sans obstacles.

Que s’est-il passé au cours de ces premiers mois ?

Les premières mesures prises par le nouveau gouvernement ne semblent pas aller dans ce sens. On le voit bien avec les emplois aidés. Ils sont le résultat de politiques sociales initiées alors que le marché du travail commençait à se dualiser, autour des années 80, avec des entreprises dynamiques et compétitives attirant jeunes / adultes bien formés alors que les autres peinent à trouver du travail et que certains besoins ne sont pas satisfaits. Voilà maintenant des décennies que sous des formes très variées mais avec une combinatoire assez restreinte, stage / contrat, mobilisation/ socialisation /qualification, tout un tiers secteur social s’est construit. Le nombre des exclus du marché du travail se développe, gonflé par l’élévation des niveaux de qualification et la qualité technique des produits. Et toutes les tentatives faites en ce sens sont coûteuses. Elles sont discutables comme le calcul des retours à l’emploi le montre, comme le souligne malignement les décideurs actuels. Et pourtant dans ce monde ultralibéral où tout se réduit au marché, les secteurs les plus proches des besoins humains (éducation, santé, environnement) restent déficitaires. La vraie défense de ces emplois, n’est elle pas dans la reconquête d’une économie au service de l’homme avec des garanties et une reconnaissance pour les professionnels, la création d’un secteur hors marché, la promotion de ces emplois (et non leur dévolution aux personnes les moins formées) qui créérait un vrai tiers secteur. Une piste était ouverte avec les emplois jeunes [68].

D’une manière plus générale, la redéfinition du code du travail n’était pas considérée par tous les acteurs comme interdite, par exemple la CFDT et certains juristes. Le syndicat n’était pas hostile à une nouvelle répartition branche/ entreprise voulant réactiver une dynamique sociale moins corsetée par l’Etat. Occasion manquée dit L. Berger dit sa déception de la réforme actuelle. Il aurait fallu quelques avancées, donnant- donnant, pour effectuer cette modernisation et ce partage du pouvoir. Une reconnaissance des syndicats actifs et présents dans les conseils d’administration comme en Allemagne, un vrai partage (encore que relatif) du pouvoir. Ces avancées furent-elles refusées aux syndicats ou non discutées ?

Idem on aurait attendu une attention de ces syndicats au projet de réforme du code du travail organisé par E. Dockès [69]. La grande question d’assouplir l’entrée et la sortie de l’emploi, en un mot de favoriser les embauches et de faciliter les licenciements, pourrait être traitée par quelques mesures évoquées par les auteurs : un contrat unique en lieu et place du CDD, avec des conditions particulières. Il faudrait aussi étendre le droit du travail à des domaines non concernés comme les salariés indépendants, on l’a vu avec le débat sur Uber. Encore faut-il que les syndicats et les partis sortent de leur opposition rituelle et se saisissent de ces propositions ou les partis, construisant les nouveaux arrangements dont la société a besoin. Ce n’est pas le cas. Ainsi, l’acceptation de la limitation de l’indemnisation par les prudhommes n’a pas été envisagée comme une contrepartie…

Or ce manque n’est pas si surprenant au regard de l’analyse de la gauche, syndicat et partis. On voit bien le cadre de pensée de l’opposition politique, au sens large, actuellement existante. Il est clair qu’elle est actuellement dominée par la France Insoumise, c’est d’ailleurs l’autre surprise du moment 2015 – 2017 : le surgissement d’une nouvelle gauche, puissante, vivante et radicale. Tous les observateurs doivent en convenir, même s’ils détestent le style de ce rassemblement, un parti populiste de gauche sous l’autorité de J.F Mélanchon. La montée électorale de ce parti n’a pu se faire sans une dynamique et une réelle vitalité, on le constate tous les jours par une série de faits (on peut considérer que l’actualité de la rentrée 2017 a été faite par ce parti, par les évènements manifestation, rassemblement de protestation et casseroles mais aussi prises de parti, déclaration). Ce qui ne peut faire oublier la forme de ce populisme, mode d’organisation et vision politique caricaturale sur certains points, notamment l’Europe. Pourtant il faut sortir des apparences : le succès de la France Insoumise ne peut se comprendre sans une vraie mobilisation collective, une dynamique au delà des formes archaïques. La contradiction entre cette vitalité et le corset réel du mouvement vient d’ailleurs de poindre : il semble que ces groupes et ces acteurs locaux, responsables de la campagne et de son succès, s’interrogent et ruent dans les espaces étroits qu’on leur concède [70]. Pourtant il est clair que le passé politique de la France rend vraisemblable un renouveau avec et à partir de la FI : rappelons-nous l’écrasante présence d’un parti fort et autoritaire depuis la seconde guerre, le PCF, un syndicalisme, faible et très politique, un faible mouvement social. Cette structuration sera sans aucun doute la forme de la renaissance politique de la gauche [71].

En 2015, un article de Médiapart qui comparait la gauche française et l’Espagne permet de préciser les choses [72]. Dix-huit mois plus tard la comparaison reste éclairante. Certes la France a connu un mouvement social gréviste et une mobilisation générale de place publique, puis un fort renouvellement politicien avec En Marche et la France Insoumise. Par contre le mouvement Nuit Debout n’a pas créé des collectifs citoyens concrets, sur des questions urgentes, santé, éducation, logement et expulsions, banques comme en Espagne. Il s’est occupé de débats généraux en prenant les choses à la racine dans un registre théorique, tradition française. C’est dans cette configuration historique que nous allons vivre : le mouvement social espagnol, marqué par la multitude des initiatives, peut-être un reste de l’anarchisme, puis la construction d’une nouveauté politique, Podemos. Cela contraste fortement avec une situation où les débats prennent le pas sur l’action [73].

Et ce n’est pas nouveau cette rigidité politique, c’est sans doute un « horizon indépassable » comme on disait il y a quelques décennies. Ainsi le Parti Communiste en crise au milieu des années 80 après la participation au gouvernement Mitterrand, est resté un socle incontournable. Reconstructeurs, réformateurs les courants ne manquèrent pas, sans empêcher le lent et inexorable recul. Comme si on ne dépassait pas un idéal, qu’ on ne cessait de le regretter. Hélas c’est aussi le discours de spécialistes de sciences politiques : B. Pudal parle de « la beauté de la mort communiste » ! [74] Cette empreinte a empêché toute critique de la gauche mainstream. Quant les gauches européennes se reformataient dans tous les pays, la gauche française demeurait. Ajoutons, la gauche anglaise a multiplié les points de vue, un vrai bilan avec les écrits de S. Hall ou ceux de A. Giddens, rien, pas une ligne en France [75]. Exception la Fondation Terra Nova avec Olivier Ferrand qui tenta de théoriser la fin de l’alliance avec la classe ouvrière.

La gauche actuelle est toujours assise sur un socle de propositions consacrées par l’histoire. Tout à sa lutte, à sa levée en masse contre les effets de la mondialisation avec les manifestations de 95 ou de 2003 (protestation sans doute justifiée), la gauche française n’a pas su dépasser les incantations. Elle s’est opposée avec raison à la mondialisation, mais avec le regard dans le rétroviseur : revendiquant le programme du CNR de 1944 comme boussole. Dans ces conditions le salut ne pourra venir que d’une autre gauche, une troisième gauche car la deuxième est morte, comme ses fondateurs M. Rocard et E. Maire. Le tableau social et politique n’est pas informe, au contraire. Il existe une multitude de collectifs critiques portant aussi bien sur le mode de vie, la technique, la consommation ou l’agriculture qui montrent un autre chemin. Ils expriment l’émergence d’une autre conscience, plus écologique, plus modeste quant à la croissance. Ne peut-on envisager une rencontre de ces graines de changement, un mouvement d’accélération comme le socialisme, sous toute ses formes, en a connu au tournant du 20 ième siècle quand les mutuelles naissaient en même temps que les syndicats. Mieux si l’on admet ce qui est dit plus haut sur la structure même du champ politique français, un renforcement et une auto organisation est indispensable ; faute de quoi il ne se passera rien.

Un petit exemple pour éclairer ce discours. L’énergie et le modèle français autour d’Electricité de France ; le sigle résume tout un programme. A côté de ce producteur existe aujourd’hui quelques concurrents (Enercoop, …) qui récupèrent une énergie non nucléaire produite principalement pas l’éolien. Elle est distribuée par EDF qui fixe les conditions ; un peu comme si Renault distribuait les automobiles de ses concurrents et en fixait les prix. Cette situation de monopole est aussi pernicieuse sur un autre plan : progressivement il semble que cet acteur central du marché stérilise toute innovation en achetant ses concurrents et en les intégrant, puis en affichant une diversification. Il n’est pas étonnant que la production énergétique nouvelle se réduise à quelques pour cent à la différence des autres pays européens. Naturellement rendre raison du maintien de ce monopole ne se réduit pas à ces conditions. En Allemagne la multitude des acteurs (régions – Land, villes) a suscité une demande décentralisée ; financée localement elle a conduit à un développement large [76]. Et sur ce point nous touchons un autre verrou, le centralisme industriel, intellectuel et politique.

Au printemps, alors que la discussion fait rage sur l’avenir d’EDF et l’aventure de la construction d’Hinkley Point, G. Magnin, syndicaliste quittait avec fracas le conseil d’administration. A propos du fonctionnement de cette entreprise et du capitalisme français, il évoquait « l’alignement de planètes » en d’autres termes la concentration de toutes les décisions par une élite intellectuelle, scientifique, financière, politique [77].

C’est ici que la question du projet rencontre celle des formes d’organisation, des partis pour employer le vocabulaire de la sociologie électorale. T. Coutrot s’opposait ainsi au populisme de gauche en réclamant « l’auto-organisation des citoyens en lutte pour l’invention de nouveaux rapports sociaux et avec la nature », « l’invention d’un parti mouvement » [78]. Il parle de « construire un récit populaire, écologique, démocratique »… avec une stratégie intersectionnelle, une convergence et une coopération conflictuelle et négociée entre écologistes pour la justice climatique, féministes anti islamophobes…

Ces trois ans de bouleversement ont accouché d’un jeune président, puissant et décidé et d’une opposition dynamique inscrite dans une vieille forme collective. Le résultat de leur affrontement est très prévisible : à moins qu’une société civile, vivace et décidée, bouleverse ce jeu et crée une dynamique.

Bibliographie.

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Boucheron P., Riboulet M. , 2015, Prendre dates, Paris 6 janvier – 14 janvier 2015, Verdier.

Davet, Lhomme, 2016, Un président ça ne devrait pas dire ça.

E. Dockès, (sous la direction de), 2017, Proposition de code du travail, Dalloz

Filleul O., Tartakowski D., 2008, La manifestation, Sciences Po,

Furet F, Le passé d’une illusion, Gallimard.

A. Giddens, 2007, Le nouveau modèle européen, Télos Hachette.

Glasman D, Russier JP, Ben Ayed C, 2001, Dominique Glasman, université Jean Monnet Saint-Étienne, 2001.

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Mathieu L., 2011, Mouvements sociaux et politiques en France, éditions du Croquant.

Ory P., 2015, Ce que dit Charlie, treize leçons d’histoire, Gallimard.

Rosanvallon P., la contre démocratie, Seuil.

Rosanvallon P., Le bon gouvernement, Seuil.

Sommier, 2003, le renouveau des mouvements contestataires, Seuil

Smith Timothy B., La France injuste, 1975 – 2006 : pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus, Autrement.

Todd E., 2015, Sociologie d’une crise religieuse, Seuil.

Temps Modernes, Après le 13 novembre, 2016, 3.

Temps Modernes, Nuit Debout et notre monde, novembre – décembre 2016,

20° siècle, revue d’Histoire, 2017, 2, n° 134, A l’épreuve du temps présent, quelques réflexions historiques après le 13 novembre.

Le Débat, n° 194, mars-avril 2017, Une nouvelle génération en politique, David Amiel, Quentin Lafay, Celine Bähr, Yohann Marcet.

// Article publié le 4 décembre 2017 Pour citer cet article : Jean-Paul Russier , « ­2015, 2016, 2017. Trois années folles de refondation, civique, politique et ... politicienne », Revue du MAUSS permanente, 4 décembre 2017 [en ligne].
https://journaldumauss.net/./?2015-2016-2017-Trois-annees-folles-de-refondation-civique-politique-et
Notes

[1S. Hazareesingh, Ce pays qui aime les idées. Le Monde débat.

[2La naissance du slogan et de l’icône « Je suis Charlie » est résumée par P. Ory, Ce que dit Charlie, p 124.

[3Pour comprendre la nature de cet événement considérable, il est de bonne méthode de reconstituer les causes. Qui appelle aux rassemblements, qui relaie, diffuse et amplifie ces appels pour sanctifier les choses et en faire un événement majeur. Il est clair que toutes les autorités constituées y participèrent des plus petites aux plus grandes, à leur niveau et à leur manière. C’est cette masse de décisions qui crééent les conditions de possibilité des rassemblements ; ainsi que l’ensemble des répercussions médiatiques. Ce qui frappe c’est la masse des décisions et leur convergence. Dans cette multitude notons ce petit geste qui contribue à sa mesure à créér l’événement, mieux installer dans la pierre le visage des caricaturistes. L’attentat a lieu alors que la reconstruction d’une des tours de La Rochelle se déroule ; l’architecte en chef des bâtiments historiques décide de faire figurer parmi les statuts deux visages, celui de Cabu et celui de Wolinski. Geste parmi d’autres, petite initiative qui contribue à construire une réponse collective.

[4Habitués à rendre compte et à construire une explication sur des documents matériels, P. Boucheron résume le constat le plus irrécusable de cette journée « Lorsqu’on est des millions à ressentir ainsi, il n’y a pas à discuter, on sait d’instinct que c’est cela l’histoire  ». (souligné par moi) in Prendre dates, Boucheron, Riboulet.

[5Enumérant les chiffres, le journal Le Monde du 12 janvier écrit : « ce fut le même déferlement pacifique dans les grandes villes » quelques exemples « 300 000 à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 120 000 à Toulouse, 60 000 à Clermont Ferrand mais aussi dans des villes moyennes plus de 40 000 à Perpignan, 7000 à Bayeux, 10 000 à Sète, 15 000 à Bastia et même dans de petites villes comme Crest (Drôme) 3000 personnes sur 8000 habitants ».

[6Quelques mots sur la « représentativité » de ces manifestations » : d’après P. Ory les manifestations de janvier sont plus représentatives que les grandes séquences historiques1936, 1944, 1968. Un sondage Harris LCP du 16 janvier tente de définir les participants : une surreprésentation de la gauche, seniors, diplomés, cadres, une représentation exacte des ouvriers. Critère moins de classe qu’idéologique, les moins présents étant les partisans du Front National.

[7Insistons encore sur le nombre et la réponse générale aux appels à manifester. Quelques années auparavant, le 11 mars 2012, alors que M. Merah tue un militaire d’origine marocaine, deux militaires d’origine algérienne, blesse gravement un autre militaire et le lendemain un professeur dans une école juive, ses deux fils et une petite fille ; les réactions sont infiniment moindres. Le 24 mai une tuerie a lieu au musée juif de Bruxelles, 4 morts.

[8« Le modèle français d’intégration est en panne, il n’a jamais fonctionné pour les musulmans, qui sont victimes d’une discrimination du fait de leur religion » P. Ory, ouv. cité p 152

[9Un des proches de la rédaction Charlie avait d’ailleurs fait part de ses désaccords quelques années avant.

[10Le simplisme d’E. Todd démontré par la sociologie des Je suis Charlie. Le Monde 19/05/2015, Vincent Tiberj, Nonna Meyer.

[11G. Boccara, Arrêtons de perdre du temps, notes sur le terrorisme et la condition postcoloniale, les Temps modernes, Après le 13 novembre, 2016, 3.

[12Libé Carnages 15 nov 2015.

[13Boccara, art cité p. 50-51.

[14Les échanges entre J. Rancière et JA. Miller sont un bon exemple de cette passion du débat et de la critique, J. Rancière : « les idéaux républicains sont devenus des armes de discrimination et de mépris », L’Obs 2/04/2015 et réponse de JA. Miller.

[15La revue 20° siècle, revue d’Histoire, livre quelques commentaires « à chaud » sur l’événement dans sa livraison de novembre, 2017, 2, n° 134, A l’épreuve du temps présent, quelques réflexions historiques après le 13 novembre. La présentation du dossier pose la question : « pourquoi s’évertuer à accumuler quelques récits supplémentaires à tous ceux qui se sont accumulés pour tenter de donner sens et forger en même temps l’événement… p 3. La rédaction a répondu en proposant un éventail d’articles sur la culture de guerre et 1914, l’état d’urgence et la dénazification, le terrorisme en Italie ou sur le monde musulman.

A côté de cette livraison, l’IHTP s’est lancé dans le recueil de témoignages sur ces attentats avec l’intitulé chaque témoin compte, « Réagir au flux tendu de l’événement » !

[16J’emprunte ce terme de politique idéologique à Furet pour désigner une référence à la tradition révolutionnaire , Furet p 19. Le passé d’une illusion. La politique idéologique c’est celle qui se réfère aux grandes représentations du monde communisme, fascisme ; ce qui interroge dit l’auteur c’est « l’enracinement dans les esprits de cette politique idéologique ».

[17Le Politique : ce qui concerne les affaires de la cité. La Politique : le mode d’organisation des institutions politiques, élections, la répartition des pouvoirs.

[18Quelques mots s’imposent sur le nombre des manifestants. C’est le premier instrument, très grossier de la température du corps social et une indication sur le rapport des forces. Ce fut, plus que jamais, un enjeu très fort et très disputé entre les camps. Plus tard, il sera sans doute possible de recourir à des investigations lourdes et méthodiques et de recouper les données. A faible distance de l’événement, un des moins mauvais bilans quantitatifs est celui de Francetvinfo, Infographie, trois graphiques pour comprendre l’évolution du nombre de manifestants contre la loi Travail, 14/06/2017. Il présente le nombre global de manifestants lors des mobilisations nationales, nombre de défilés hors Paris, le nombre des manifestants des trois plus grandes villes de France, Paris, Lyon et Marseille avec les chiffres du ministre de l’intérieur et des syndicats du 9 mars au 26 mai.

[19Nuit Debout et notre monde, Temps Modernes, novembre – décembre 2016, série d’articles appelés par les réseaux sociaux et sans commentaire surplombant de la rédaction.

[21Sur la composition sociale de Nuit Debout on dispose d’une enquête réalisée par un collectif de sociologues : http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/05/17/nuit-debout-est-un-rassemblement-plus-diversifie-qu-on-ne-ledit_4920514_3232.html?xtmc=nuit_debout&xtcr=6

[22« Etudiants, lycéens, intermittents, militants LGBT » cf l’article Tous nos jours de tonnerre in Temps Modernes.

[23Le journal Médiapart parle « d’un millier de personnes présentes à Paris » avec des drapeaux de la CGT, de SUD, du PCF, du NPA ou d’Ensemble ainsi que des Nuits Deboutistes » (11/05) et le journal Le Monde du 12/05/2016 mentionne le chiffre du ministère de l’Intérieur, 55 000 manifestants

[24Filleul, Tartakowski, la manifestation, p 49.

[25La note 1 p 7, Temps modernes revue citée, énumère des lieux chauds, lieux de convergence d’activistes : « Sud Poste 92, AG interpro du 93, etc... »

[26Pour mémoire rappelons que la plus grande manifestation nationale, celle du 31 mars compte 390 000 personnes selon le ministre de l’intérieur et 1 million deux cent mille selon les syndicats dit Infographie, Francetvinfo, art cité.

[27Ils ne sont pas bloqués par les salariés du site, mais par les militants de la Fonction Publique Territoriale.

[28cf Médiapart, 6/06/2016, Rachida Azzouzi et Martine Orange.

[29« Ça me désole qu’il y ait de moins en moins de gens à chaque fois, mais nous on est là. » dit une manifestante mobilisée depuis le mois de mars, Juliette, 29 ans, enseignante. « Il y a moins de gens, mais ceux qui restent sont les plus mobilisés », sourit-elle Temps Modernes, art cit.

[30Quelques exemples entre autres : Rodez et Millau petites villes de l’Aveyron et Nuit Debout. https://reporterre.net/A-Rodez-et-a-Millau-Nuit-debout-prend-petite-racine

Autre exemple, Montargis, petite du Loiret http://france3-regions.francetvinfo.fr/centre/

[31On pourrait citer d’innombrables observations et compte rendus comme ce texte paru sur le site de P. Jorion http://www.pauljorion.com/blog/2016/04/15/nuits-debout-ce-qui-sy-passe-ce-qui-sy-engage-par-pierre-yves-dambrine/

Le plus intéressant de consulter le compte rendu fait par les acteurs

https://gazettedebout.fr/2016/08/03/nuit-debout-saison-1-premier-episode/ ou encore la revue Périscope.

[32Kakogianni, p 72, art. cité.

[33J’ai évoqué dans le titre une refondation politicienne et je réutilise ce terme. Il n’a pas de caractère péjoratif. Il concerne la vie de la classe politique, les institutions, les élections.

[34F. Ruffin : « Voter PS au second tour en bon républicain, c’est fini » interview à Libé 5/06206.

[35L’université d’été du PS débarque à Nantes du 26 au 28 aôut, Comment les accueillir, Grande réunion ouverte le 18 juin à Nantes. Cf tract de stopuivpsnante@riseup.net.

[36Valérie Gérard et Mathieu-Ho Simonpoli écrivent : « on pourrait dire que Nuit Debout destitue le pouvoir et que le cortège de tête s’en prend au symbole de la violence capitaliste (la police, les banques, les bureaux de Pôle Emploi, ls permanences des partis et des syndicats, notamment le PS et la CFDT) » in Des lieux et des liens, p. 10 inTemps moderne article cité.

[37Emmanuel Macron joue le centre pour mieux occuper le vide, Médiapart, le 23 septembre 2016.

[38Au contraire les sondages mesurant les échanges sur les réseaux sociaux ont prévu ce résultat cf le blog d’A. Bevort.

[39Résultats du premier tour des élections primaires, le 20 novembre 2016. Le nombre total d’électeurs est de 4,3 millions d’électeurs, loin devant les chiffres de la primaire citoyenne du PS en 2011 : (2,7 millions de votants au premier tour et 2,9 millions au second). A. Juppé obtient 28,6 % soit 124 855 ; N. Sarkozy, 20,7% soit 886 137 ; F. Fillon, 44% soit 1890 266, ; B. Lemaire, 2,4 % soit 102 168 ; N. Kokiuscko Morizet, 2,6 % soit 109 655 ; JF. Coppé 03 % soit 12 800 et un inconnu JF Poisson (sources Wikipédia).

[40Résultats du second tour, le 27 novembre F. Fillon obtient 2 919 874 contre 1471 898 à A. Juppé,

[41Son directeur de campagne, P. Stéfanini, fidèle entre les fidèles, démissionne.

[42Davet, Lhomme, Un président ça ne devrait pas dire ça.

[43Ainsi « les footballeurs sont sans références et sans valeurs, il faut leur muscler le cerveau ». Plus violent : « les magistrats jouent les vertueux, ils se planquent », « la justice une institution de lâcheté ». Sur des questions politiques : l’aéroport de Notre des Landes « le plus probable est que ce projet ne verra pas le jour ». Militaires : il y a eu 4 opérations militaires pour supprimer des ennemis de l’Etat. Sur l’Islam : il pose un problème et la femme voilée sera la Marianne de demain. On évoque un échange avec V. Poutine pour imprimer des drachmes..Et il livre aussi une série de portraits de ses concurrents ou amis Bartolone (« il n’a pas l’envergure »), Ayrault « tellement loyal qu’il est inaudible »). Et surtout un avis sur le Parti Socialiste « il faut un acte de liquidation. Un hara kiri ».

[44Voir les articles de Salmon, sur Médiapart, entre autres « Un président qui rétrécit ».

[45La primaire socialiste le 22 janvier mobilise un nombre d’électeurs moitié moindre que celle de la droite, 1 million 665 919. B. Hamon, 36, 5% soit 596 647 voix ; M. Valls, 31,9 % soit 521 238 ; A. Montebourg 17, 75% soit 290 070, tandis que les autres candidats sont loin derrière V. Peillon 6,9 %, soit 112 718, ; F. de Rugy 3,9% soit 63 430, ; S. Pinel 2% soit 33 067 et JL. Benhamias, 1%.

[46B. Hamon recueille au second tour 1181 872 votants contre 831 871, soit 58,7 % contre 41,3.

[47A ce moment B. Hamon est jugé largement vainqueur à gauche, il obtiendrait 15% contre 10 à JL. Mélanchon (29/01 Kantar Sofres pour le Figaro).

[48Pour comprendre cet OPNI, objet politique non identifié, je me suis rendu à une réunion publique organisée par le mouvement En Marche, le15 décembre, réunion spécialisée consacrée à l’éducation (sans la présence du candidat) ; réunion organisée à Saintes petite sous préfecture de Charente Maritime. Arrivé un peu après le début de la réunion, je trouve une salle bondée, avec 110 à 120 personnes que je compte. Une quinzaine d’animateurs – un tiers de femmes - gèrent la réunion. L’animatrice principale est une femme âgée de la cinquantaine. Pour la seconde partie de la réunion consacrée à l’éducation, on nous enjoint gentîment mais fermement de nous disposer en groupe. Assez vite la suite montrera qu’il y a un animateur – rapporteur dans chaque groupe. Les participants sont d’âge moyen, autour de 50 ans avec des quarantenaires assez actifs. Ce sont des gens de classe moyenne inférieure, rarement fonctionnaire plutôt technicien, commerçant, infirmière, etc... Et après quelques échauffements un peu difficiles, les échanges touchent aux allants de soi et aux points négatifs du monde scolaire : non-remplacement des absents, responsabilté de la cellule scolaire et rôle des chefs d’établissements, ; dysfonctionnement de la formation professionnelle… Il y a de vrais échanges et personne ne s’éclipse avant la fin…Je quitte la réunion trois heures plus tard, sidéré, convaincu qu’il y a là un mouvement déjà organisé et une incroyable attente de la population !

[49E. Macron est un enfant de classes moyenne supérieure, qui a fait d’excellentes études littéraires ; après un échec à Normale Sup, il étudiera la philosophie en même temps qu’il intègre Sciences Po et l’ENA. A l’Inspection Générale des Finances il rencontre JP. Jouyet qui sera son poisson pilote dans ce monde, pour intégrer plusieurs Commissions importantes dont la Commission Attali « pour la libértion de la croissance » (2010).

[50Une nouvelle génération en politique, David Amiel, Quentin Lafay, Celine Bähr, Yohann Marcet, Le Débat, n° 194, mars-avril 2017 (cet entretien a dû se dérouler fin 2016 début 2017).

[51N. Sarkozy « qui a fait souffler un vrai vent d’espoir pour une forme de progrès, …, pour une forme de déconstruction de toutes les limites et de tous les carcans … de la société française » p. 65 art.cité

[52Très vite je me suis aperçu que l’appareil s’employait à étouffer toute vitalité. J’y croisais des militants sincères, souvent tristes, …, qui se battaient en vain pour rénover le parti. p 64 art cité.

Il faudra se pencher un jour sur ce dépassement – réalisation de l’intuition socialiste, qui en vient à peupler les organismes internationaux comme s’ils exprimaient la koiné de la politique (Lamy, Strauss Kahn…), l’autre étant le libéralisme.

[53L’échange avec le maire de Nice, Estrosi, suscitera beaucoup de commentaires. Les deux politiques s’allient contre le Front National.

[54Médiapart le 4/4/2017. Macron tente de faire marcher les quartiers populaires.

[55Entrée par le travail et les politiques d’insertion (1981, 1989) entrée par le territoire et la ville, entrée par l’habitat et les quartiers, DSU, développement social urbain. Contrat de ville et renouvellement urbain, programmation pour la ville et de rénovation urbaine 2003 (Borloo) ; loi pour la ville et la cohésion urbaine, 2014.

[56Cf Fourquet ceux qui soutiennent Macron fin fev. Cf doc référence internet

[57L’implantation frontiste est très ancienne. Elle date de 40 ans avec la conquête d’Evreux en 1986 sous l’égide du père de Marine Le Pen. A la différence des époques antérieures, les électeurs ne se cachent plus pour affirmer qu’ils voteront Front National. On cite les enseignants, secteur longtemps rétif au discours lepéniste qui sont maintenant touchés. Voir The conversation 9 avril, H. Lebras.

[5820 mars Pays Bas, même les pays qui vont bien sont tentés par le repli et la défense d’une tradition P 101. P. Meyer.

[59Source Wikipédia : A l’instar des sondages d’opinion routine de l’information politique, on commence à étudier l’échanges sur le web. On mesure l’impact brut de la communication politique - nombre de visites du site officiel (visite unique ou cumulées, nombre de followers) – et l’attractivité du site ou du rassemblement. On tente aussi d’évaluer l’activité des sympathisants, actifs de toutes sortes par le nombre, de post et de repost. cf Bevort. D’autres techniques modernes sont utilisés par la FI, des détournements de vidéos : Fiskal combat, …

[60Voir les commentaires de Escalona dans Médiapart, le parti prophète. Ou les interventions de Pierre Rosanvallon sur le renouvellement de la démocratie, mouvement et non parti.

[61Source blog P. Jorion, « le véritable rapport de force, ou Macron et Fillon au coude à coude  » par A. Toulet le 31 mars.

[62Sondages au 8 avril, 15 jours avant le premier tour des présidentielles, France 2 publie un sondage qui donne M. Le Pen à 23 % et E. Macron à 25%, F. Fillon est derrière à 18-20, JL. Mélanchon à 16-19.

Cf mel bevort Jorion. 6 avril. Fillon monte, EM coude à coude.

[63Si l’on en juge par la trajectoire de F. Ruffin le mouvement du printemps trouvera un débouché politique

[64E. Macon 24, 8 % 8 M 657 ; M. Le Pen 21,3 % 7 M 679 ; F. Fillon 20%, 7 M 214 ; JL. Mélanchon 19,58 % 7 M 060 ; B. Hamon 6,4 2M 291.

[65Edito G. Courtois, Le Monde 25 avril.

[66S. Kaufmann, le Monde 18 juin. Au moment de Davos, les partis identitaires et autres monstres de la démocratie fleurissaient, avec le Brexit, l’élection de Trump comme la dynamique d’attraction des droites classiques. Ce mouvement est stopé.

[67Timothy B. Smith, La France injuste, 1975 – 2006 : pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus. Ce livre peu commenté, on voit pourquoi, montrait comment les conquêtes sociales du passé sont devenues « régressives ». Par exemple un système de retraite forcément différent selon les entreprises, lié aux luttes et rapports de force. Discuté par les gouvernements successifs, il est défendu par les syndicats d’autant mieux que ces organisations sont puissantes. Ainsi les luttes syndicales contribuent à défendre l’état des choses, les retraites de ceux qui ont de bons syndicats et de bonnes retraites ! et tout changement est remis à plus tard, les générations futures paieront.

Mais prenons un exemple plus actuel des « impasses politiques à la française », soit le système APB, affectation post-bac qui cumule beaucoup de caractéristiques très françaises. Le système APB mis en place depuis des décennies, perfectionné sous plusieurs ministères organisant ce qu’on appelle l’orientation et affectation, à savoir une distribution administrée des élèves et des places d’études. Il est produit typique de ce ministère tentaculaire, le ministère de l’Education Nationale. (Notons que dans d’autres pays cette mise en relation se réaliserait par les démarches des parents et les offres des écoles).

D’abord lié à un domaine réduit des carrières scolaires, il est devenu complètement général et il touche maintenant toutes les scolarités, l’Université, les écoles particulières et presque toutes les voies. A plusieurs reprises il a été sur le devant de la scène car il est censé affecter au mieux les élèves avec un logiciel qui donne aux parents et aux élèves les choix mis en ordre par préférence et traité par la machine. Ses résultats et la colère des parents sont passés par beaucoup d’étapes (par exemple connaître les modalités de fonctionnement, les critères et les algorithmes), mais le résultat est là des milliers de jeunes sans affectation – sans place de poursuite d’études. Faute de mieux, on a recours au tirage au sort.

Les causes sont naturellement dans le nombre de demandes et le manque de places. Elles sont aussi liées aux demandes « déplacées », hasardons ce terme faute de mieux, de lycéens dont les résultats sont moyens et qui demandent des voies accessibles de l’Université, langues, psychologie ou sociologie, Staps. En réalité cet échec, malgré le logiciel, la machine parfaite à accorder les souhaits et les possibilités d’étude, est aussi produit par les scolarités en amont et le modèle unique de réussite, bac C, classe prépa et grandes écoles.

L’absence de cursus valorisé, différenciée, conduit tous ceux qui ne sont pas d’excellents élèves à des choix et des désirs d’études sans rapport avec leur capacité faute d’offre dans un domaine où ils auraient pu réussir.

Elle aussi le résultat d’une double croyance, une égalité absolue de la part des parents, une efficacité parfaite grâce à l’informatique.

[68Lors d’une étude concernant les « aides éducateurs », version Education Nationale des emplois jeunes, nous avions montré l’existence d’un double besoin social, une aide multiforme à la fonction d’enseignement (d’où le terme d’auxiliaire d’école) et l’exclusion à l’emploi de certains jeunes diplômés. Nous proposions le maintien de ces emplois. Ces auxiliaires scolaires seraient des emplois promotionnels, des pré-recrutements pour les métiers d’enseignement. Ils donneraient de la dynamique au service public qui fabrique de la routine ; ils ne seraient pas en opposition avec les modalités consacrées du recrutement. C’est ce que j’appelle un « arrangement social » progressiste. On retrouvait avec cette filière professionnelle ce que la sociologie du travail appelle le « recrutement sur le tas » effacé par la montée en puissance des recrutements par diplôme, de plus en plus élevé (Glasman, Russier, Ben Ayed, 2001). On voit bien en quoi l’hôpital, l’action sociale et d’autres lieux ont besoin de ces activités et de ces emplois. Elle passe par la création d’un statut qui concilie la souplesse de la position d’auxiliaire et les garanties d’emploi du service public

[69E. Dockès, (sous la direction de), Proposition de code du travail 2017, Dalloz

[71On peut même ajouter ce détail pour forcer le trait. Quelques critiques réapparaissent sur le passé trotskyste de JL Mélanchon. Critique un peu caricaturale, calomnie disent même les concernés, peu importe. Comment oublier que la France est ce pays où le trotskysme, forme dure du marxisme, est encore vivante. Sur ce sujet voir P. Raynaud, 2006, L’extrème gauche plurielle, entre démocratie radicale et révolution, Cevipof Autrement.

[72Ce que Podemos dit de la gauche française, S. Alliès et F. Bonnet, Médiapart, le 23 /12/2015.

[73Jeanne Moisand, Espagne de l’indignation à l’organisation, La vie des idées, 20 mars 2015.

[74Pudal B., La beauté de la mort communiste, Revue Française de Science Politique, 2002, 5.

[75HALL S., 2008, Le populisme autoritaire, puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatcherisme et du blairisme, Amsterdam, Paris.

A. Giddens, Le nouveau modèle européen, Télos Hachette, 2007.

Le premier est passé inaperçu, le second n’a subi que des critiques externes ; aucun effort pour refaire la démarche sur ce qui est mort et vivant dans la social démocratie.

[76C’est aussi l’interrogation que l’on peut avoir devant le projet de M. Mélanchon de « planification écologique ». L’exemple de l’Allemagne montre un développement régionalisée et décentralisée.

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